Par-dessus le marché


(a) C'est, dit-on, sous la plume de Marivaux, en 1723, qu'apparaît l'expression <par-dessus le marché> signifiant "en outre", "de plus".


- <<Flaminia. - De la pâte des autres hommes, ma chère Silvia ; que cela ne vous étonne pas, ils s'imaginent que ce serait votre bonheur que le mariage du Prince.

Silvia. - Mais ne suis-je pas obligée d'être fidèle ? N'est-ce pas mon devoir d'honnête fille ? et quand on ne fait pas son devoir, est-on heureuse ? Par-dessus le marché, cette fidélité n'est-elle pas mon charme ? Et on a le courage de me dire : Là, fais un mauvais tour, qui ne te rapportera que du mal, perds ton plaisir et ta bonne foi. Et parce que je ne veux pas, moi, on me trouve dégoûtée.

Flaminia. - Que voulez-vous ? ces gens-là pensent à leur façon, et souhaiteraient que le Prince fût content. (Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, "La Double inconstance", 1723, Acte I, Scène I)>>.


(b) En réalité, l'expression est déjà chez La Fontaine, dans ses "Fables" de 1668.


- <<Il demanda au Grammairien et au Chantre ce qu'ils savaient faire : Tout, reprirent-ils. Cela fit rire le Phrygien, on peut s'imaginer de quel air. Planude rapporte qu'il s'en fallut peu qu'on ne prît la fuite, tant il fit une effroyable grimace. Le Marchand fit son Chantre mille oboles, son Grammairien trois mille ; et en cas que l'on achetât l'un des deux, il devait donner Ésope par-dessus le marché. La cherté du Grammairien et du Chantre dégoûta Xantus. (Jean de La Fontaine, "Fables", 1668, "La Vie d'Esope le Phrygien")>>.


(c) Références littéraires :


- <<Eh ! mon Dieu, monsieur, je vous fais bien excuse ; vraiment, je me serais bien plus pressée, si j'avais cru que c'était vous, lui dit-elle. Tenez, Marianne et moi nous étions encore à table, il n'y a que nous deux ici. Jeannot (c'était son fils) est avec sa tante, qui doit le mener tantôt à la foire ; car il faut toujours que cet enfant soit fourré chez elle, surtout les fêtes. Madelon (c'était sa servante) est à la noce d'un cousin qu'elle a, et je lui ai dit : Va-t'en, cela n'arrive pas tous les jours, et en voilà pour longtemps. D'un autre côté, Toinon est allée voir sa mère, qui ne la voit pas souvent, la pauvre femme ; elle demeure si loin ! c'est au faubourg Saint-Marceau ; imaginez-vous s'il y a à trotter ! et tant mieux, j'en suis bien aise, moi : cela fait que la fille ne sort guère. De sorte que je suis restée seule en attendant Marianne, qui, par-dessus le marché, s'est avisée de tomber en venant de l'église, et qui s'est fait mal à un pied ; ce qui est cause qu'elle n'a pu marcher, et qu'il a fallu la porter près de là dans une maison pour accommoder son pied, pour avoir un chirurgien qui ne se trouve pas là à point nommé ; il faut qu'il vienne, qu'il voie ce que c'est, qu'on déchausse une fille, qu'on la rechausse, qu'elle se repose ; ensuite un fiacre dont elle a eu besoin, et qui me l'a ramenée ici toute éclopée, pour ma peine de l'avoir attendue jusqu'à une heure et demie ; et puis est-ce là tout ? Vous croyez qu'on va dîner, n'est-ce pas ? Bon ! n'y avait-il pas encore ce maudit fiacre que j'ai voulu payer moi-même pour épargner l'argent de Marianne, qui ne se connaît pas à cela, et qui, malgré moi, a été lui donner plus qu'il ne fallait ! J'étais dans une colère ! Aussi je l'aurais battu, si j'avais été assez forte. (Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, "La Vie de Marianne", 1742, Partie III)>>.


- <<SUZANNE tourne après lui. - Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien !... Rendez-vous le ruban ? (Elle veut le reprendre.)

CHÉRUBIN tire une romance de sa poche. - Laisse, ah, laisse-le-moi, Suzon ; je te donnerai ma romance, et pendant que le souvenir de ta belle maîtresse attristera tous mes moments, le tien y versera le seul rayon de joie qui puisse encore amuser mon coeur.

SUZANNE arrache la romance. - Amuser votre coeur, petit scélérat ! vous croyez parler à votre Fanchette ; on vous surprend chez elle ; et vous soupirez pour Madame ; et vous m'en contez à moi, par-dessus le marché ! (Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, "Le Mariage de Figaro", 1784, Acte I, Scène VII)>>.


- <<Son Excellence le comte Mosca sollicite l'honneur d'être introduit.

- Qu'il entre ! dit le prince en criant ; et comme Mosca saluait.

- Eh bien ! lui dit-il, voici madame la duchesse Sanseverina qui prétend quitter Parme à l'instant pour aller s'établir à Naples, et qui par-dessus le marché me dit des impertinences.

- Comment ! dit Mosca pâlissant.

- Quoi ! vous ne saviez pas ce projet de départ ?

- Pas la première parole ; j'ai quitté madame à six heures, joyeuse et contente.

(Stendhal, Henri Beyle, "La Chartreuse de Parme", 1839, Livre II, Chapitre XIV)>>.


- <<Le même jour le jeune homme se mit en route, muni des trois présents paternels et qui se composaient, comme nous l'avons dit, de quinze écus, du cheval et de la lettre pour M. de Tréville; comme on le pense bien, les conseils avaient été donnés par-dessus le marché. (Alexandre Dumas père, "Les Trois mousquetaires", 1844, Chapitre I, Les trois présents de M. D'Artagnan père)>>.


- <<- Eh bien, dis-le, car je ne sais pas quelle finesse tu arranges pour me surprendre.

- Il n'y a pas de finesse, madame Blanchet, je n'ai qu'à regarder en moi, et j'y vois une chose ; c'est que, quand même je souffrirais la faim, la soif, le chaud et le froid, et que par-dessus le marché je serais battu à mort tous les jours, et qu'ensuite je n'eusse pour me reposer qu'un fagot d'épines ou un tas de pierres, eh bien !... comprenez-vous ?

- Je crois que oui, mon François ; tu ne te trouverais pas malheureux de tout ce mal-là, pourvu que ton coeur fût en paix avec le bon Dieu ?

- Il y a ça d'abord, et ça va sans dire. Mais moi je voulais dire autre chose.

- Je n'y suis point, et je vois que tu es devenu plus malin que moi.

- Non, je ne suis pas malin. Je dis que je souffrirais toutes les peines que peut avoir un homme vivant vie mortelle, et que je serais encore content en pensant que Madeleine Blanchet a de l'amitié pour moi. Et c'est pour ça que je disais tout à l'heure que si vous pensiez de même, vous diriez : François m'aime tant que je suis contente d'être au monde.

(George Sand, "François le Champi", 1849, Chapitre VII)>>.


- <<Quant à Sylvain, il ne le fut point, et continua sa route jusqu'à la frontière ; car c'était le temps des grandes belles guerres de l'empereur Napoléon. Et, quoiqu'il n'eût jamais eu le moindre goût pour l'état militaire, il commanda si bien à son vouloir, qu'il fut bientôt remarqué comme bon soldat, brave à la bataille comme un homme qui ne cherche que l'occasion de se faire tuer, et pourtant doux et soumis à la discipline comme un enfant, en même temps qu'il était dur à son propre corps comme les plus anciens. Comme il avait reçu assez d'éducation pour avoir de l'avancement, il en eut bientôt, et, en dix années de temps, de fatigues, de courage et de belle conduite, il devint capitaine, et encore avec la croix par-dessus le marché.

- Ah ! s'il pouvait enfin revenir ! dit la mère Barbeau à son mari, le soir après le jour où ils avaient reçu de lui une jolie lettre pleine d'amitié pour eux, pour Landry, pour Fanchon, et enfin pour tous les jeunes ou vieux de la famille ; le voilà quasiment général, et il serait bien temps pour lui de se reposer ! (George Sand, "La Petite Fadette", 1849, Chapitre )>>.


- <<Sa blancheur de teint n'était pas plus blanche que celle de toutes les femmes à qui un sang frais et sain passe sous la peau. Ses cheveux blonds n'étaient pas de ce blond étincelant, qui, a les fulgurances métalliques de l'or ou les teintes molles et endormies de l'ambre gris, que j'ai vu à quelques Suédoises. Elle avait le visage classique qu'on appelle un visage de camée, mais qui ne différait par aucun signe particulier de cette sorte de visage, si impatientant pour les âmes passionnées, avec son invariable correction et son unité. Au prendre ou au laisser, c'était certainement ce qu'on peut appeler une belle fille, dans l'ensemble de sa personne... Mais les philtres qu'elle faisait boire n'étaient point dans sa beauté... Ils étaient ailleurs... Ils étaient où vous ne devineriez jamais qu'ils fussent... dans ce monstre d'impudicité qui osait s'appeler Rosalba, qui osait porter ce nom immaculé de Rosalba, qu'il ne faudrait donner qu'à l'innocence, et qui, non contente d'être la Rosalba, la Rose et Blanche, s'appelait encore la Pudique, la Pudica, par-dessus le marché ! (Jules-Amédée Barbey d'Aurevilly, "Les Diaboliques", 1874, A un dîner d'athées)>>.


- <<- Sur ma parole, c'était bien ce que vous dites, cette comtesse de Stasseville, - fit, en bégayant, selon son usage, le vieux vicomte de Rassy, bossu et bègue, et spirituel comme s'il avait été boiteux par-dessus le marché. (Jules-Amédée Barbey d'Aurevilly, "Les Diaboliques", 1874, Le dessous de cartes d'une partie de whist)>>.


- <<Des soupirs lui gonflaient la gorge, sa voix s'étranglait dans une tristesse immense.

- Puis, des malins sont toujours là, pour vous promettre que ça peut s'arranger, si l'on s'en donne seulement la peine... On se monte la tête, on souffre tellement de ce qui existe, qu'on demande ce qui n'existe pas. Moi, je rêvassais déjà comme une bête, je voyais une vie de bonne amitié avec tout le monde, j'étais partie en l'air, ma parole ! dans les nuages. Et l'on se casse les reins, en retombant dans la crotte... Ce n'était pas vrai, il n'y avait rien là-bas des choses qu'on s'imaginait voir. Ce qu'il y avait, c'était encore de la misère, ah ! de la misère tant qu'on en veut, et des coups de fusil par-dessus le marché !

Etienne écoutait cette lamentation dont chaque larme lui donnait un remords. Il ne savait que dire pour calmer la Maheude, toute brisée, de sa terrible chute, du haut de l'idéal.

(Emile Zola, "Germinal", 1885, Partie VII, Chapitre I)>>.


(d) Voir Ambition sociale. Armoire aux confitures. Aveugle de Cheselden. Boyard. Caporetto. Crise générale de surproduction. Cycle. Démonstration absurde. Donnant-donnant. Revenus non-salariaux. Trois déterminations. Vaquer.



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Auteur. Hubert Houdoy le Vendredi 23 Mai 2008



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