A bon marché
(a) Apparition. L'expression toute faite <à bon marché> date du XIII ème siècle. Elle est attestée, sous forme écrite, dans le "Roman de Renart".
(b) Définition. <A bon marché> signifie "acheté à un prix peu élevé".
(c) Evolution. On constate l'effet d'une métonymie, commune à tous les termes de ce réseau sémantique, par laquelle la signification passe du tout (le lieu des échanges multiples) à une partie (l'échange entre deux personnes) puis à une facette de celle-ci (le prix auquel se noue cet échange) envisagée sous un seul point de vue (celui de l'acheteur). Le vendeur (ou le créancier) n'aime pas que l'acheteur (ou le débiteur) soit <quitte à si bon marché>.
(d) Cette acception du terme permet le paradoxe ou sophisme suivant :
- Tout ce qui est rare est cher ;
- or un cheval bon marché est rare ;
- d'où : un cheval bon marché est cher.
(e) Si le cheval est une espèce rare et recherchée, son prix sera élevé, selon la loi de l'offre et de la demande. A priori, la formule <un cheval bon marché> est ambiguë. Il faut donc distinguer :
- Un <cheval bon marché> peut être un cheval de qualité médiocre et donc à bas prix. Un tel cheval n'est pas rare, car il est plus fréquent et plus probable d'un excellent coursier ou qu'un puissant cheval de labour. Un cheval a bas prix n'est pas un cheval cher.
- <Un cheval bon marché> peut être la situation dans laquelle un cheval de qualité est vendu soit par un ignorant soit par une personne qui doit vendre, à tout prix, tout de suite. La situation est peut-être rare. Elle n'a rien de paradoxal. En effet, ce n'est pas le cheval qui est rare, mais la situation. Une situation n'a pas de prix. Mais il faut savoir la savourer. Ce jour-là, pour l'acheteur, c'est un bon marché ("un bon jour de marché").
(f) Références littéraires :
- <<C'est un marchant qui à bon marché preste,
Mais au payer c'est une caulte beste,
Car son credit est d'une telle attente
Qu'il n'est celuy qui ne s'en mescontente.
(Clément Marot, "Les Epîtres", 1526, épître 53, Epistre à son amy, en abhorrant folle amour, par Clement Marot)>>.
- <<Lyse
Je ne veux point de vos remerciements.
Allez ployer bagage ; et pour grossir la somme,
Joignez à vos bijoux les écus du bonhomme.
Je vous vends ses trésors, mais à fort bon marché ;
J'ai dérobé ses clefs depuis qu'il est couché ;
Je vous les livre.
Isabelle
Allons y travailler ensemble.
(Pierre Corneille, "L'Illusion comique", 1636, Acte IV, Scène II)>>.
- <<Flaminia. - D'une bagatelle : c'est que vous ne savez pas que ce que vous avez vu faire à ce laquais est un usage pour les dames.
Arlequin. - C'est donc encore un honneur ?
Flaminia. - Oui, vraiment.
Arlequin. - Pardi, j'ai donc bien fait d'en rire ; car cet honneur-là est bouffon et à bon marché.
Flaminia. - Vous êtes gai, j'aime à vous voir comme cela ; avez-vous bien mangé depuis que je vous ai quitté ? (Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, "La Double inconstance", 1723, Acte II, Scène V)>>.
- << Je débutai par jeter l'habit et le linge par terre sans savoir pourquoi, seulement par fureur; ensuite je parlai, ou plutôt je criai, et je ne me souviens plus de tous mes discours, sinon que j'avouai en pleurant que M. de Climal avait acheté le linge, et qu'il m'avait défendu de le dire, sans m'instruire des raisons qu'il avait pour cela; qu'au reste j'étais bien malheureuse de me trouver avec des gens qui m'accusaient à si bon marché ; que je voulais sortir sur-le-champ ; que j'allais envoyer chercher un carrosse pour emporter mes hardes; que j'irais où je pourrais ; qu'il valait mieux qu'une fille comme moi mourût d'indigence que de vivre aussi déplacée que je l'étais; que je leur laissais les présents de M. de Climal, que je m'en souciais aussi peu que de son amour, s'il était vrai qu'il en eût pour moi. (Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, "La Vie de Marianne", 1742, Partie I)>>.
- <<- Ma foi, dit le porteballe, je n'en serais pas surpris ; elle est belle, très belle, de Julien Le Roi. Il n'y a qu'un moment qu'elle m'appartient ; je l'ai acquise pour un morceau de pain, j'en ferai bon marché. J'aime les petits gains répétés ; mais on est bien malheureux par le temps qui court : de trois mois d'ici je n'aurai pas une pareille aubaine. Vous m'avez l'air d'un galant homme, et j'aimerais mieux que vous en profitassiez qu'un autre..." (Denis Diderot, "Jacques le fataliste et son maître", 1792)>>.
- <<Ma main fatiguée lâcha prise : je tombai. Par un bonheur inouï, je me trouvai sur le redan d'un roc où j'aurais dû me briser mille fois, et je ne me sentis pas grand mal ; j'étais à un demi-pied de l'abîme et je n'y avais pas roulé : mais lorsque le froid et l'humidité commencèrent à me pénétrer, je m'aperçus que je n'en étais pas quitte à si bon marché : j'avais le bras gauche cassé au-dessus du coude. Le guide, qui me regardai d'en haut et auquel je fis des signes de détresse, courut chercher des sauvages. Ils me hissèrent avec des harts par un sentier de loutres, et me transportèrent à leur village. Je n'avais qu'une fracture simple : deux lattes, un bandage et une écharpe suffirent à ma guérison. (François-René de Châteaubriand, "Mémoires d'outre-tombe", 1850, Partie I, Cataracte de Niagara. Serpent à sonnettes. Je tombe au bord de l'abîme)>>.
- <<Arrivé à Londres comme ambassadeur français, un de mes plus grands plaisirs est de laisser ma voiture au coin d'un square, et d'aller à pied parcourir les ruelles que j'avais jadis fréquentées, les faubourgs populaires et à bon marché, où se réfugie le malheur sous la protection d'une même souffrance, les abris ignorés que je hantais avec mes associés de détresse, ne sachant si j'aurais du pain le lendemain, moi dont trois et quatre services couvrent aujourd'hui la table. (François-René de Châteaubriand, "Mémoires d'outre-tombe", 1850, Partie I, Prologue)>>.
- <<Ne se sentant rien entre les pattes à pressurer, il voulait concasser les Parisiens au profit de Charles, et se montrer excellent frèreà bon marché. L'honneur, de la famille entrait pour si peu de chose dans son projet, que sa bonne volonté doit être comparée au besoin qu'éprouvent les joueurs de voir bien jouer une partie dans laquelle ils n'ont pas d'enjeu. Et les Cruchot lui étaient nécessaires, et il ne voulait pas les aller chercher, et il avait décidé de les faire arriver chez lui, et d'y commencer ce soir même la comédie dont le plan venait d'être conçu, afin d'être le lendemain, sans qu'il lui en coûtât un denier, l'objet de l'admiration de sa ville. (Honoré de Balzac, "Eugénie Grandet", 1833, "Amours de province")>>.
- <<Sur ces données, les honnêtes gens de l'arrondissement le nommèrent capitaine de la garde nationale, mais il fut cassé par Napoléon qui, selon Birotteau, lui gardait rancune de leur rencontre en vendémiaire. César eut alors à bon marché un vernis de persécution qui le rendit intéressant aux yeux des opposants, et lui fit acquérir une certaine importance. (Honoré de Balzac, "Grandeur et décadence de César Birotteau", 1837, Partie I, Chapitre II, Antécédents de César Birotteau)>>.
- <<- Ne vous inquiétez pas, je trouverai la place d'une petite loge de portier. Vos appartements seront étudiés, restaurés avec amour. Oui, monsieur, je vois l'art et non la fortune ! Avant tout, ne dois-je pas faire parler de moi pour arriver ? Selon moi, le meilleur moyen est de ne pas tripoter avec les fournisseurs, de réaliser de beaux effets à bon marché. (Honoré de Balzac, "Grandeur et décadence de César Birotteau", 1837, Partie I, Chapitre IV, Dépenses excessives)>>.
- <<- Mais laissez donc à monsieur son indépendance, cria l'actrice enragée, il écrira ce qu'il voudra. Papa Camusot, achetez-moi des voitures et non pas des éloges.
- Vous les aurez à très bon marché, répondit poliment Lucien. Je n'ai jamais rien écrit dans les journaux, je ne suis pas au fait de leurs moeurs, vous aurez la virginité de ma plume... (Honoré de Balzac, "Illusions perdues", 1837, Partie II, Un grand homme de province à Paris)>>.
- <<S'agissait-il de blés, de farines, de grenailles, de reconnaître leurs qualités, les provenances, de veiller à leur conservation, de prévoir les cours, de prophétiser l'abondance ou la pénurie des récoltes, de se procurer les céréales à bon marché, de s'en approvisionner en Sicile, en Ukraine, Goriot n'avait pas son second. (Honoré de Balzac, "Le Père Goriot", 1835, I, Une pension bourgeoise)>>.
- <<Mais Montfermeil n'en était pas moins un village. Les marchands de drap retirés et les agréés en villégiature ne l'avaient pas encore découvert. C'était un endroit paisible et charmant, qui n'était sur la route de rien ; on y vivait à bon marché de cette vie paysanne si abondante et si facile. Seulement l'eau y était rare à cause de l'élévation du plateau. (Victor Hugo, "Les Misérables", 1862, Partie II, Livre III, Chapitre I, La question de l'eau à Montfermeil)>>.
- <<Il venait de franchir le seuil de sa porte que mame Bougon balayait en ce moment-là même tout en prononçant ce mémorable monologue :
- Qu'est-ce qui est bon marché à présent ? tout est cher. Il n'y a que la peine du monde qui est bon marché; elle est pour rien, la peine du monde !
Marius montait à pas lents le boulevard vers la barrière afin de gagner la rue Saint-Jacques. Il marchait pensif, la tête baissée. (Victor Hugo, "Les Misérables", 1862, Partie III, Livre VIII, Chapitre II, Trouvaille)>>.
- <<Il se mit à palper, en toute familiarité, les poches de Jean Valjean et les poches de Marius. Jean Valjean, préoccupé surtout de tourner le dos au jour, le laissait faire. Tout en maniant l'habit de Marius, Thénardier, avec une dextérité d'escamoteur, trouva moyen d'en arracher, sans que Jean Valjean s'en aperçût, un lambeau qu'il cacha sous sa blouse, pensant probablement que ce morceau d'étoffe pourrait lui servir plus tard à reconnaître l'homme assassiné et l'assassin. Il ne trouva du reste rien de plus que les trente francs.
- C'est vrai, dit-il, l'un portant l'autre, vous n'avez pas plus que ça.
Et, oubliant son mot : part à deux, il prit tout.
Il hésita un peu devant les gros sous. Réflexion faite, il les prit aussi en grommelant :
- N'importe ! c'est suriner les gens à trop bon marché.
Cela fait, il tira de nouveau la clef de dessous sa blouse. (Victor Hugo, "Les Misérables", 1862, Partie V, Livre III, Chapitre VIII, Le pan de l'habit déchiré)>>.
- <<Après avoir poussé dans leurs débuts des maîtres contemporains, le marchand de tableaux, homme de progrès, avait tâché, tout en conservant des allures artistiques, d'étendre ses profits pécuniaires. Il recherchait l'émancipation des arts, le sublime à bon marché. (Gustave Flaubert, "L'Education sentimentale", 1869, Partie I, Chapitre IV)>>.
(d) Parfois, on est heureux de s'en sortir <quitte à bon marché>.
- <<Nous voions bien souvent, mes dames, cela advenir autant à ceulx qui prennent plaisir de user de telles finesses. Si le gentil homme n'eut voulu manger aux despens d'aultruy, il n'eust pas beu aux siens ung si villain breuvaige. Il est vray, mes dames, que mon compte n'est pas très nect ; mais vous m'avez donné congé de dire la verité, laquelle j'ay dicte pour monstrer que, si ung trompeur est trompé, il n'y a nul qui en soit marry. - L'on dist voluntiers, dist Hircan, que les parolles ne sont jamais puantes ; mais ceulx pour qui elles sont dictes n'en estoient pas quictes à si bon marché, qu'ilz ne les sentissent bien. (Marguerite de Navarre, "Heptaméron", 1558, Journée VI, Cinquante deuxiesme nouvelle)>>.
- <<Mais, malgré cette glorieuse déclaration du plus grand roi du monde et du plus éclairé, malgré l'approbation encore de M. le légat, et de la plus grande partie de nos prélats, qui tous, dans les lectures particulières que je leur ai faites de mon ouvrage se sont trouvés d'accord avec les sentiments de Votre Majesté ; malgré tout cela, dis-je, on voit un livre composé par le curé de..., qui donne hautement un démenti à tous ces augustes témoignages. Votre Majesté a beau dire, et M. le légat et MM. les prélats ont beau donner leur jugement, ma comédie, sans l'avoir vue, est diabolique, et diabolique mon cerveau ; je suis un démon vêtu de chair et habillé en homme, un libertin, un impie digne d'un supplice exemplaire. Ce n'est pas assez que le feu expie en public mon offense, j'en serais quitte à trop bon marché ; le zèle charitable de ce galant homme de bien n'a garde de demeurer là ; il ne veut point que j'aie de miséricorde auprès de Dieu ; il veut absolument que je sois damné, c'est une affaire résolue. (Molière, "Tartuffe", 1664, Premier placet présenté au Roi)>>.
- <<Eh bien ! me dit le prince, je me sens capable de cette générosité. Je pardonne au traître. Aussi bien, je ne dois m'en prendre qu'à moi-même d'avoir donné ma confiance à un homme que je ne connaissais point, et dont j'avais sujet de me défier, après tout ce qu'on m'en avait dit. Don Raphaël, ajouta-t-il, voici de quelle manière je veux me venger de vous. Sortez incessamment de mes Etats, et ne paraissez plus devant moi. Je me retirai sur-le-champ, moins affligé de ma disgrâce que ravi d'en être quitte à si bon marché. Je m'embarquai dès le lendemain dans un vaisseau de Barcelone qui sortit du port de Livourne pour s'en retourner. (Alain-René Lesage, "Histoire de Gil Blas de Santillane", 1735, Tome II, Livre V, Chapitre I, Histoire de don Raphaël)>>.
(g) Voir Par-dessus le marché.
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Auteur. Hubert Houdoy le Jeudi 22 Mai 2008
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