illustration

Réseau d'Activités à Distance

rad2000.free.fr

Sommaire


Vous lisez

http://rad2000.free.fr/chamsoci.htm

Le psychologue dans le champ du social


Une publication du Chapitre - Renaissance:
* 1. Le champ du social

Le champ du social émerge lorsque vous prenez la peine de regarder autour de vous et de constater que vous n'êtes pas seul. Votre regard implique aussi que vous devenez capable de lire dans l'autre ses difficultés, ses joies, ses principes, sa culture etc. Vous commencez même à pouvoir distinguer à travers mille détails que ce monsieur si distingué a pourtant un air triste, les mains ballantes, une légère humidité dans les yeux. Vous y êtes ? Nous sommes dans le social: la relation non verbale avec un brin d'affectivité qui vous étreint en contemplant l'Autre.

Si, bien souvent, le psychologue est à la croisée des chemins, c'est la croisée des chemins qu'il rencontre quand il oeuvre dans le social. Pour peu qu'il se prenne au jeu, le praticien découvre que ses repères sont, tout au plus, une norme qui convient à un milieu donné dans des conditions de lieu, de temps et d'action bien déterminées. Le social fait éclater ses méthodes de travail comme il met à mal une société policée par l'émergence de nouvelles valeurs et la remise en cause d'anciennes.


* 2. Je pue, donc j'existe

A l'inverse de la cure analytique, dans l'entretien clinique en secteur social, peu de choses sont dites, mais plutôt faites ou bien mises en scène: tentative d'intimidation, insultes, provocation physique, prise de toxique etc. Le cadre traditionnel est bien loin. La fameuse écoute flottante deviendrait vite une pratique dangereuse: on peut tout simplement risquer sa peau !

Le réel, le concret est omniprésent. La faim existe et dérange le cadre thérapeutique du psychologue qui reçoit le patient impatient. Ce dernier, d'ailleurs, s'impose plus qu'il n'est reçu. Il vient quand il le veut, quand le hasard (?) le pousse là. Le temps de l'intervention n'a pas beaucoup d'importance: tantôt un bonjour lancé en une seconde, tantôt une demi-journée de plaintes somatiques, de ras-le-bol répétés, d'angoisses projetées sur tout ce qui bouge et de haines ressassées dans l'abri quelquefois providentiel du foyer d'urgence.

Je pue, donc j'existe, odeur entêtante de la crasse de celui, assis en face, qui vous fait négligemment contempler ses plaies infectées. Le travail réel du clinicien ne peut en fait commencer que lorsqu'une relation de confiance est amorcée. La restauration de la confiance dans l'autre doit passer par le respect absolu de la parole donnée. Se renier en se défilant d'une promesse compromettra à tout jamais vos velléités de soins psychologiques et même peut-être votre carrière. Le monde des Sans-Domicile-Fixe, des "zonards", routards ou toxicomanes est finalement assez fermé à cause de ses codes incontournables et de ses nécessaires compétences de survie urbaine. Si vous dérogez aux règles qu'il vous faut vous-même connaître, vous serez vite rejeté comme "les autres" parce qu'assimilé aux dizaines de professionnels rencontrés, puis oubliés à qui l'on a raconté sa vie et avec qui aucune solution, écoute, réconfort, aide n'ont été réellement mis en place, faute de confiance ou de turn-over.

Les "autres" sont aussi les millions d'indifférents invisibles séparés par une barrière de plomb, repérable, qui se dresse entre ceux qui vivent et ceux qui survivent; les regards glissent comme les sourires s'effacent entre les uns et les autres. La curiosité mêlée de méfiance et de gêne à ma droite, un rire gras de provocation, un mépris affiché, une insulte ronchonnée ou une ignorance feinte à ma gauche. Chaque camp s'inter-pénètre sans se toucher. Le "t'as pas cent balles" met mal à l'aise bien des gens et les renvoie à une culpabilité confuse de quasi nanti qui cesse quelquefois après avoir donné les cent balles.

Le problème qui se pose au clinicien vis-à-vis de ce type de population est de redonner le respect des autres à des personnes qui ont perdu le respect d'eux-mêmes. Revitaliser, voici la tâche la plus ardue qui incombe au praticien. Redonner des forces de vie permet de construire un projet, de s'éloigner de ce présent sordide où came, alcool, argent facile de la prostitution pour les plus jeunes forment une façade vitale de défense pour un laps de temps, de toute façon bien court. La volonté de "s'en sortir" est fragile et la dégringolade d'autant plus rapide.


* 3. Nul n'est à l'abri

Nul n'est à l'abri: des cadres supérieurs se sont vus rejoindre les derniers échelons de la plus basse échelle sociale en moins de quatre mois lorsque des infortunes diverses s'enchaînent. Connaître et reconnaître les problèmes sociaux, leurs valences sur l'inadaptation supposée du patient à mener sa vie est un préalable à l'engagement d'une relation de soutien. Repérer les traces de la faim, de la prise de toxiques, du manque d'hygiène, des passages en prison ou même du symbolisme des tatouages dénudés constitue là encore une pré-compréhension du monde de l'accueilli permettant au praticien bien des économies d'explications ou d'interprétations fumeuses, incomplètes ou impossibles à divulguer. Le danger, pour le psychologue de travailler avec des supposés mal adaptés, se voit pourtant rapidement pondéré par la nécessité d'une prise en charge individualisée, destinée à éviter l'enchaînement catastrophique vers la déchéance, éventuellement la mort.

Les solutions au coup par coup liées au chômage, au manger ou au dormir ne remplissent plus les critères combien modernes de l'efficacité et de la rationalisation des méthodes de travail: seules, les solutions trouvées, élaborées par les patients eux-mêmes et effectivement réalisées présentent des garanties de stabilité et de durabilité. Un projet de vie étayé par une forte motivation, donc vitalité, doit retenir toutes les faveurs du psychologue même si ce projet paraît à première vue difficilement réalisable.

La plupart des rebellions et des lâcher prise proviennent d'espoirs déçus, ôtés, souvent écrasés dans l'oeuf par des personnes qui pensaient que leur position leur permettait de juger objet, projet ou sujet. Une grande partie du travail du psychologue consiste à décoller les étiquettes, posées bien trop tôt de manière définitive et déterministe sur ces "cas sociaux". Des mots prononcés à leur encontre par des bouches anonymes, a priori bien intentionnées: marginal, délinquant, vicieux, putain, cancre, psychopathe; finissent par leur coller à la peau et, peut-on penser, les conditionnent en partie, à choisir le destin prédit avec tant de finesse. Le routard qui pose sa besace après quatre tours de France existe et sa demande d'insertion est bien réelle: à nous de lui en donner les moyens psychologiques et de renforcer sa motivation.

Dans le champ social, il n'est pas demandé au psychologue de "rattraper" ce qui n'a pu être établi entre une personne et sa communauté durant une partie de sa vie, mais plutôt de l'accompagner, de lui donner ou redonner le sens de ses conduites, le respect d'elle-même, d'élaborer ensemble des pistes pour le futur et surtout lui donner les outils psychologiques nécessaires à son autonomisation.

Je vous l'assure, des milliers de personnes comptent sur vous et beaucoup d'autres vous attendent au tournant !

Marc Rosso

ultra@club-internet.fr

Psychologue Clinicien /Consultant Ressources Humaines /Formateur

Ce texte a été publié en intégralité en Février 1991 dans "Psychologues et Psychologies", ndeg. 99


* Retours
* Pour votre prochaine visite

Quoi de Neuf sur le Réseau d'Activités à Distance?


Reproduction interdite
Association R.A.D. - Chez M.Houdoy - 18, rue Raoul Follereau - 42600 Montbrison - FRANCE.
* Fax: 04 77 96 03 09
Mise à jour: 16/07/2003