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Communication au Festival du Télétravail 1998
par
Hubert Houdoy
Réseau d'Activités à Distance
Les organisations virtuelles résultent d'un double mouvement. Un mouvement économique décentralise les entreprises. Il met du réseau dans leurs pyramides. La concurrence hétérogène a préparé la sous-traitance puis l'entreprise étendue. La mondialisation du système productif pousse les grandes entreprises à se replier sur un noyau restreint en externalisant les activités non stratégiques. Les acteurs qui luttent contre l'anomie et créent un nouveau tissu social contribuent au second mouvement. Internet est le premier exemple d'une nouvelle socialité à distance. Marginalisé par une double régionalisation, l'Etat national laisse la place à des initiatives locales. Des réseaux de travailleurs indépendants cherchent leur voie dans les interstices des entreprises virtuelles. Ils peuvent jouer un rôle dans la transformation des métiers et la circulation des connaissances.
Acteur, actionnaire, anomie, barrière à l'entrée, chaos, concurrence, équilibre, imaginaire, internet, entreprise étendue, filière inversée, fordisme, grande entreprise motrice, inflation, irréversibilité, liste de discussion, marché, multiplicateur d'investissements, organisation virtuelle, petite entreprise sous-traitante, profit extra, réel, rendement escompté des investissements, rente différentielle, réseaux, sujet, symbolique, taux d'intérêt, taylorisme, technostructure, télétravail, termes de l'échange, trente glorieuses, valeur d'échange, valeur d'usage, world wide web.
Introduction
Partie A. Le mouvement économique
1. Quelques exemples
2. La concurrence hétérogène
3. La sous-traitance
4. L'entreprise étendue
5. Domaine stratégique et facility management
Partie B. L'émergence d'Internet
Partie C. Le mouvement sociologique
1. La double régionalisation
2. L'école buissonnière
3. Les réseaux de travailleurs indépendants
4. Capitalisation ou diffusion des connaissances
5. La démodernisation
Conclusion
Cette communication est consacrée aux organisations virtuelles. Ce terme est volontairement plus général que celui d'entreprise virtuelle. Il désigne une réalité plus informelle. Contrairement aux organisations réelles, les organisations virtuelles n'ont pas d'existence juridique. Elles ne distribuent pas des droits et des devoirs différenciés à leurs membres (actionnaires, dirigeants, salariés). Elles ne régissent pas des rôles préétablis pour des sujets du droit. Mais peut-être préparent-elles les droits et les devoirs de demain. Les organisations virtuelles relient des personnes autonomes, des créateurs qui sont les acteurs de leur vie. Cela n'empêche pas chacun de ses membres d'appartenir à une ou plusieurs organisations réelles.
Nous nous efforcerons de monter que les organisations virtuelles, ainsi définies, se développent à la rencontre de deux évolutions complémentaires. Toutes deux concernent des sujets. La première finit de libérer les sujets du roi, la seconde autonomise le sujet du verbe.
On sait que l'anomie désigne l'absence ou la désintégration des normes sociales. Elle est une conséquence du premier mouvement. Emile Durkheim l'a décrite dans son étude sur le suicide. A l'opposé, Jean-Paul Sartre a parlé de groupe en fusion à propos des journées révolutionnaires de Juillet 1789. La Prise de la Bastille fusionne une collection anomique d'individualités désespérées par la misère et la faim. Elle crée un mouvement politique qui se répandra dans toute l'Europe. Rassurez-vous, les organisations virtuelles sont beaucoup plus calmes. Espérons qu'elles en seront plus efficaces et moins exclusives. Mais, comme les mouvements religieux d'hier, comme les sectes, les violences et les intégrismes d'aujourd'hui, elles sont une réponse sociale à l'anomie.
Sur internet, la liste de discussion et le newsgroup peuvent être considérés comme le degré zéro de l'organisation virtuelle. Ils permettent à des individualités séparées de partager un minimum de vie commune. Ce point n'est pourtant pas négligeable. Un stagiaire du réseau d'Activité à Distance en a fait l'expérience. Candidat au recrutement dans une multinationale, il est convoqué pour une journée d'orientation et de sélection. Chômeur de longue durée, il est soumis à un test spécial de raisonnement. Lors de l'entretien de synthèse, on le félicite pour sa vivacité et on lui demande sa recette. Il a eu la délicatesse de citer le RAD. Qu'il en soit remercié. Néanmoins, la socialité des listes de discussion reste rudimentaire. Ses règles sont celles de la conversation: donner et recevoir des messages. Je dis bien des messages. Il n'est pas obligatoire qu'ils contiennent des informations. Mais ils font du bruit, comme la radio dans la cuisine et la télévision dans le salon. A ce titre, ils témoignent de l'appartenance à une culture, ils font circuler des mots.
Concentrons-nous d'abord sur le mouvement économique qui met du réseau dans les pyramides. Puisqu'il est la cause du mouvement inverse, il importe de bien le comprendre. Mais il serait faux de croire qu'il puisse aboutir à de nouvelles constructions sociétales sans un solide renforcement du second mouvement et sans une articulation créatrice entre eux. Espérons que le Festival du Télétravail de 1999 comportera une contribution plus solide sur le second mouvement.
Même si l'Europe, et tout particulièrement la France, sont en retard dans ce mouvement, le développement des organisations virtuelles est sorti du domaine de la fiction. C'est maintenant un fait avéré. De nombreux exemples sont publiés sur internet, leur lieu de prédilection. Plusieurs termes circulent pour les désigner. Dans un ouvrage récent, "The new business revolution", James Martin utilise celui de "Cybercorp". Jack Nilles, le gourou américain du télétravail, qui a déja forgé le mot "telework", propose l'expression "Evanescent Organization". En France, Denis Ettighoffer a popularisé les "Entreprises Virtuelles". Par contre, il est plus difficile d'obtenir une définition précise de ce phénomène multiforme.
Nous donnerons une définition assez générale, proposée par Jack Nilles lors d'une discussion électronique. Tout d'abord, il faut noter que "de telles organisations n'existent que parce que leurs employés sont capables de télétravailler". Par "Organisations Évanescentes" Jack Nilles désigne des "organisations de n'importe quelle taille qui comprennent une direction centrale (responsable du marketing, des finances, des ressources humaines, de la direction des projets) et un ensemble variable de travailleurs à distance dont la plupart sont affectés projet par projet. La direction centrale (permanente) peut elle-même être constituée de télétravailleurs sans que deux ne vivent dans la même commune".
Trevor Locke, secrétaire du projet Européen Télénet, a créé un réseau de télétravailleurs dans l'Est des Midlands. Il note que les télécottages, créés pour le partage d'un matériel informatique coûteux et de compétences rares, deviennent beaucoup moins nécessaires avec la standardisation et la vulgarisation des outils d'Internet. C'est pourquoi les télécentres tendent à être remplacés par des cottages virtuels. Ainsi, Brian J Goggin a-t-il créé "Wordwrights" pour la formation permanente. Une vingtaine d'intervenants se répartissent entre les projets. L'un d'eux réside aux Etats-Unis. Les autres sont dispersés entre l'Irlande et l'Angleterre.
Nous pensons, comme Peter McConologue, que "chaque télétravailleur peut voir, dans chaque autre télétravailleur, la perspective d'un collègue de travail ". Et si, comme le rappelle Nicole Turbé-Suetens, Internet ne fournit pas de solution miracle à l'angoissant problème du chômage, les télétravailleurs ont d'autant plus besoin de partager un marketing commun. Dans ce but, Dave Eastabrook, qui milite pour l'autonomie économique des handicapés, préconise la création de sites web spécialisés. Et Kari Burns, qui met ses compétences en marketing au service de telles organisations, prodigue des conseils sur la manière de créer un anneau ou un train de sites, par des liens hypertextuels optimisés. Pendant ce temps, à l'University College of London, dans le cadre du projet européen Event, Craig Pickup forme des chômeurs britanniques désireux de créer leur propre emploi. Parmi les études de cas soumises à leur sagacité se trouve notre Réseau d'Activités à Distance.
Nous ne multiplierons pas les exemples. Ils sont toujours particuliers. Nous expliquerons simplement notre préférence pour le terme "Organisations Virtuelles". Le mot "organisation" est plus général que le mot "entreprise". Il permet d'inclure des associations voire des services publics. Le mot "virtuel" désigne non seulement la distance qui sépare les travailleurs mais l'absence d'entité juridique au niveau le plus large.
Une organisation virtuelle est donc une mouvance de compétences, appartenant à des structures juridiques diverses, coopérant à des projets multiples sans avoir de liens permanents subsistant à l'exécution de chaque projet. Une organisation virtuelle est une collection d'équipes de projet. De telles organisations virtuelles ne peuvent se créer sans un milieu propice aux échanges. L'interconnexion de sites web et la participation à de nombreuses discussions thématiques sont la condition majeure de telles rencontres.
L'importance stratégique d'Internet dans le développement des organisations virtuelles et le scepticisme français à l'égard de cette "imitation américaine du minitel" pourraient faire douter du sérieux de cette tendance. C'est pourquoi nous irons chercher ses racines beaucoup plus loin que le projet Arpanet du département américain à la défense. En traçant des repères historiques, nous voulons expliquer la profondeur de ce mouvement. Nous citons un ensemble d'évolutions convergentes. Toutes participent à la même transformation. Elles concernent le travail, les entreprises, le marché et nos sociétés industrielles.
Contrairement au modèle explicatif de la théorie néo-classique de la concurrence, la structure des marchés industriels s'est transformée en un schéma à deux étages. La concurrence des grandes entreprises nationales pour atteindre une dimension internationale a provoqué la création du marché mondial. Les firmes multinationales rivalisent pour la capture des parts de marché. Mais cette augmentation de la taille des plus grandes entreprises ne s'est pas accompagné de la disparition des plus petites. De même que les céréaliers de la Beauce ont su mettre en avant les producteurs des terres les moins fertiles et profiter d'une rente de situation, de même les grandes entreprises internationales ont maintenu un grand nombre de petites entreprises. Cette évolution est contraire aux postulats classiques du modèle de la concurrence. Mais elle peut s'expliquer dans le cadre keynésien du multiplicateur d'investissements.
Dans un marché de concurrence pure et parfaite où les unités sont toutes de petite taille, non seulement la politique des hauts salaires (Fordisme) mais l'incitation à investir (Keynes) ont une probabilité nulle de réussite. Il y a peu de chance que les éventuels hauts salaires versés par une mine de diamants soient dépensés, au comptoir de la mine, par les femmes des mineurs. Le mécanisme du multiplicateur d'investissements est une réalité quand l'économie ne ressemble pas aux hypothèses classiques. Le multiplicateur d'investissements suppose que le marché ne soit pas homogène. Il implique une industrie contrastée. En un jeu de mots célèbre, Claude Lévi-Strauss parlait de sociétés "entropo-logiques" qui créent une différence de potentiel entre une source chaude et une source froide. Le multiplicateur d'investissements fonctionne avec de grandes entreprises motrices et des petites entreprises marginales. Il suppose enfin que les entreprises motrices fabriquent des produits très fortement demandés par les consommateurs locaux. Autrement dit, les produits et leurs utilités ne sont pas plus homogènes que les entreprises et leurs combinaisons productives. Les dirigeants des entreprises motrices versent de hauts salaires à leurs ouvriers, employés et cadres. Ils voient revenir les salaires, souvent multipliés par le crédit à la consommation, sous la forme d'un pouvoir d'achat pour leurs produits. Dans cette situation, exceptionnelle, non généralisable, le rendement escompté des investissements des entreprises motrices est bien supérieur au taux de l'intérêt.
On explique alors la croissance des Trente Glorieuses par une structure hétérogène des marchés. La situation de l'emploi et la détermination des salaires nominaux est de plus en plus contraire aux postulats classiques. La concurrence n'est pas homogène. Les secteurs d'activités ne sont pas des marchés indépendants. Le pouvoir d'achat des salariés circule prioritairement vers les produits des entreprises motrices. Il revient vers les entreprises marginales dans la mesure où les entreprises motrices investissent leurs profits extra. Les taux de profits ne sont pas égaux entre les secteurs. Et, du fait des nombreuses barrières à l'entrée (publicité, technologie, surcapacité) les capitaux ne quittent pas facilement un secteur pour se diriger vers un autre, plus profitable. C'est ainsi que la différence de potentiel se maintient entre la source chaude (grande entreprise) et la source froide (petites entreprises) par l'intermédiaire des économies d'échelle. Cette régulation n'est pas prévue par le modèle classique de l'offre et de la demande. Au contraire du modèle de l'équilibre, ce sont les différences et les irréversibilités qui expliquent les mécanismes réels. Une théorie construite sur le principe de l'équilibre est mal adaptée pour expliquer la logique du chaos actuel.
La concurrence hétérogène a produit deux grandes catégories d'entreprises. Mais leurs organisations et leurs cultures se sont irrémédiablement différenciées. Peu à peu, s'est instauré une nouvelle forme de division du travail: la relation de donneur-d'ordre à sous-traitant. Tandis que la division technique du travail désigne la spécialisation des compétences et des taches au sein de ce travailleur collectif qu'est l'entreprise, la division sociale du travail traduit la spécialisation des entreprises sur le marché. Cette organisation du travail, au-delà des frontières de l'entreprise, est une réalité qui contredit à la fois l'imaginaire des théories économiques et la symbolique de l'entreprise auto-suffisante. Mais la sous-traitance a sa propre logique de développement.
Pendant de nombreuses années, la relation de sous-traitance a été régie par un comportement du donneur d'ordre qui satisfaisait contradictoirement l'imaginaire des économistes et la symbolique grégaire de l'entreprise. C'était l'époque de la technostructure dominante. Le développement des produits nouveaux suivait la filière inversée. Les besoins naissaient chez le fournisseur avant d'être inoculés aux clients par la persuasion clandestine. La relation du donneur d'ordre au sous-traitant était la relation marchande d'un client à un fournisseur. L'essentiel du débat portait sur la valeur d'échange (prix). Il s'agissait, pour l'acheteur, d'obtenir le meilleur prix, c'est-à-dire le plus bas. En cela, le donneur-d'ordre se comportait comme un homo economicus rationnel, satisfaisant l'imaginaire des économistes. La situation ne correspondait pas aux hypothèses d'homogénéité de la théorie, mais les acteurs se comportaient comme la théorie disait qu'ils devaient se conduire.
Pourtant l'acheteur s'adressait à un concurrent professionnel. Le bureau des méthodes qui sous-traitait la fabrication voire la conception d'un moule à un professionnel extérieur avait conscience d'externaliser le travail d'un ancien atelier de son entreprise. Parfois, c'était son ancien travail qu'il confiait à l'extérieur. D'où une relation beaucoup plus technique, basée sur la valeur d'usage du produit concerné. Mais aussi, un rapport très ambigu dû à la culpabilité de celui qui confie un travail "bien de chez nous" à un "estranger du dehors". Pour se déculpabiliser et justifier son rôle, l'acheteur s'efforçait d'obtenir le meilleur prix par une mise en compétition plus systématique que rationnelle. Cette relation complexe se traduisait par une perte du savoir-faire chez le donneur d'ordres et des conditions économiques très difficiles pour le sous-traitant. La lutte pour la survie fut intense chez les sous-traitants. Ceux qui ont survécu ont réalisé de grands investissements, techniques et humains, en qualité et en réactivité. Cette relation ambiguë a changé. Le donneur d'ordre a définitivement perdu la compétence. Le métier s'est considérablement amélioré chez le sous-traitant. On reconnaîtra le mythe hégélien: la dialectique du maître et de l'esclave. C'est alors que le combat change d'âme et qu'apparaît l'entreprise étendue.
L'entreprise étendue désigne un mode de gestion de l'entreprise dans lequel le client et le fournisseur ne sont plus perçus comme des étrangers mais comme des partenaires. Cela suppose que la relation marchande, dans laquelle ce qui est gagné par l'un (prix de vente élevé) est perdu par l'autre (prix d'achat élevé), soit complétée par une complémentarité technologique et cognitive. On passe ainsi d'un jeu conflictuel, à somme nulle, à un jeu coopératif, à somme positive.
C'est la réduction des délais de conception (time to market) qui a provoqué la prise de conscience des complémentarités. Les lourds investissements consentis par les Bureaux d'Etudes dans les logiciels de Conception Assistée par Ordinateur ont accentué le phénomène. Une entreprise comme Aérospatiale a vite compris qu'il était impossible de réduire les délais de développement des produits si les logiciels de CAO, utilisés par des sous-traitants temporaires, n'étaient pas compatibles avec ceux du donneur d'ordre. Le remède a consisté à passer des accords de partenariat. Alors, on fit appel à moins de sous-traitants. Mais on partagea une organisation commune du travail. Le donneur-d'ordres assiste les sous-traitants sélectionnés dans l'achat des matériels et la maîtrise des logiciels. L'investissement est rentable pour les deux parties moyennant la garantie d'une charge de travail suffisante et prolongée. Cet accord financier s'est vite doublé de contacts méthodologiques. Car l'usage du même logiciel ne garantit pas une compréhension rapide de la construction des modèles géométriques. La prise en compte des contraintes méthodologiques des bases de composants mécaniques accentue encore le besoin de normalisation. Client et fournisseur réunis, c'est l'entreprise étendue qui se tourne vers les producteurs des logiciels de CAO pour leur demander des améliorations particulières, définies en commun. Ainsi commence-t-on à concevoir simultanément le produit et l'usage.
Une nouvelle étape est franchie quand la conception simultanée du produit et du process réorganise la division du travail au sein de l'entreprise. Chaque hypothèse doit être évaluée par une multitude de compétences complémentaires. Chaque spécialiste propose des nuances qui différencient d'autant les solutions. Le dialogue avec l'extérieur requiert un décloisonnement interne. L'activité de conception est considérée comme le parcours d'un graphe d'exploration des possibles. Pour intensifier les échanges et explorer le maximum de solutions, on réunit les spécialistes sur un plateau. Des outils de communication favorisent les échanges d'informations. Et c'est ainsi que Renault construit un Technocentre à Saint-Quentin-en-Yvelines. A chaque question du concepteur, il importe de proposer des voies de solution en un temps réduit. Les spécialistes du client connaissent la réponse des spécialistes du fournisseur dans la demi-journée qui suit la question du concepteur. Cela suppose de partager une connaissance fine de l'état d'avancement du projet. Dans le cas de Renault plusieurs milliers de personnes sont réunies sur le même site. La pertinence des réponses des spécialistes provient de leur contact permanent, mais à distance, avec leur entreprise d'appartenance. D'où la complémentarité du travail de proximité entre partenaires d'entreprises différentes et l'inéluctabilité du télétravail au sein de la même entreprise.
Les premières expériences d'entreprises étendues étaient basées sur des réseaux internes de lignes spécialisées à haut débit et fort coûteuses. Cet équipement n'était pas dans les possibilités financières et technologiques de n'importe quelle entreprise. Il fallait ajouter le coût du développement de logiciels spécifiques. Or c'est dans le même temps que les grandes entreprises ont commencé à ressentir les effets de la crise de confiance. Le tassement des salaires, hier multipliés par le crédit à la consommation, aujourd'hui diminués d'une épargne de précaution, provoque une chute dramatique de la consommation finale dans des marchés déjà saturés.
Début des années 1990. Le développement des relations de sous-traitance avait atteint un seuil de maturité. Le partenariat commençait à rentrer dans les moeurs quand un ensemble de contraintes ont poussé les entreprises à l'externalisation de leurs activités soudainement jugées non stratégiques. En conséquence, les entreprises s'organisent autour d'un noyau restreint. Cette réduction des effectifs compte parmi les causes du chômage. Non pas que la productivité soit trop forte. Mais parce que les entreprises ne réussissent plus à maintenir le rythme de leur course à la productivité.
Alors, pourquoi l'externalisation?
Ce phénomène est aussi étranger à l'explication classique de la concurrence par les prix qu'à la volonté de conquête et à la culture grégaire qui ont produit la technostructure des multinationales. Nous avons besoin d'une explication hybride, de nature historique. Les mobiles ne correspondent pas toujours aux conséquences. La multitude des déterminations laisse place aux événements. Et tout d'abord, l'externalisation est multiforme. Certes, elle se traduit toujours par une réduction du travail interne. Elle consiste en l'achat des produits ou des services correspondants. Mais ses causes sont multiples. Sans prétendre à l'exhaustivité, nommons: le besoin de souplesse, le coût des investissements, les termes de l'échange, la fin de l'inflation, le fléchissement de la consommation, le recul de la technostructure et le retour des actionnaires. Efforçons-nous de leur donner un peu de cohérence globale, même si notre présentation est plus pédagogique que chronologique. Chaque entreprise est passée par des formes et des étapes différentes. Il n'y a pas de loi générale, mais un faisceau convergent de contraintes. Toujours est-il que le résultat marque la fin d'une époque.
Basée sur la centralisation de la décision et la standardisation de l'exécution, l'organisation de la grande entreprise manque de souplesse. Elle ne sait pas régler un cas particulier avant d'avoir trouvé une procédure générale. Elle ne réussit pas s'enrichir de la variété des situations. La multitude des réponses appropriées est contraire aux économies d'échelle sur lesquelles s'appuie son développement. Le passage de la concurrence hétérogène (économies d'échelle, coûts différents, prix unique, profit extra, rente différentielle) à l'économie de sous-traitance a fait disparaître les rentes de situation. On a cherché une solution dans la diversification des productions pour une compensation statistique des risques. On s'est gargarisé d'un accès privilégié au marché des capitaux. A l'inverse, la sous-traitance a généré des PME très réactives.
Cette rigidité et cette lenteur sont catastrophiques lorsque la grande entreprise généraliste (conglomérat) rivalise avec des petites entreprises très spécialisées. Les rescapées de la concurrence hétérogène ont appris à survivre dans des niches technologiques. Elles se limitent à un domaine restreint. Elles l'explorent de manière systématique. Un jour ou l'autre, à l'occasion d'une contraction de la demande, les petites attaquent la grande entreprise sur un de ses domaines d'activités. Pour elles, c'est le coeur de leur spécialité. Pour la grande, c'est un domaine parmi d'autres. La direction financière est longue à ressentir les attaques locales. Le besoin de souplesse est la raison majeure des centres de profit. Ils doivent se comporter, au sein du groupe industriel, comme de véritables PME.
La plupart des activités sont fortement instrumentalisées et la grande entreprise aime être à la pointe de la nouveauté. Quand certaines PME utilisent des matériels moins coûteux, les GE choisissent le haut de gamme pour marquer leur standing. Or la nouveauté n'est pas toujours synonyme de productivité.
Les ateliers de production et les services informatiques sont très sensibles au renouvellement des matériels obsolètes. Le meilleur moyen d'amortir les investissements est de les faire travailler pour d'autres que pour l'entreprise d'origine (essaimage) ou de les confier à des spécialistes très pointus (facility management).
A ces causes purement internes, s'ajoutent des causes internationales. Pendant de nombreuses années, la détérioration des termes de l'échange entre les pays sous-développés et les pays d'origine des multinationales, a financé pour partie la politique de hauts salaires des entreprises motrices. L'achat de matières premières à bas prix et la vente de biens de consommation coûteux permettaient d'échanger une heure de travail contre quatre, dix ou quarante. Ce cadeau colonial prolongé était masqué pour des raisons idéologiques évidentes. On mettait en avant des différences locales de productivité. Mais parmi les pays sous-développés, certains ont réussi à sortir du cercle vicieux de la dépendance. Ils ont réussi à devenir producteurs. Le mécanisme qui favorisait la hausse des salaires au Nord et leur stagnation au Sud a fini, dans certains cas, par se transformer en mécanisme de transfert des productions du Nord vers le Sud. Les hauts salaires du Nord qui ne s'appuient pas sur une véritable rareté de la compétence deviennent délocalisables.
Curieusement, ce sont les délocalisations actuelles qui réfutent les justifications idéologiques d'hier. Car si les productivités avaient réellement été différentes, comme l'affirmait hier un Prix Nobel, les délocalisations n'auraient jamais eu lieu. Si les hauts salaires du Nord ne se justifient pas par une productivité supérieure, alors deux conséquences désagréables en découlent:
a) la productivité n'est pas aussi importante que Wassily Léontieff se plaisait à le penser.
b) les hauts salaires et le crédit à la consommation, qui soutenaient notre croissance pendant les Trente Glorieuses, alimentaient surtout l'inflation. Le commerce international et l'usage de nos monnaies comme devises internationales (zone franc, dollar) nous permettaient d'exporter cette inflation et de nous raconter des histoires sur notre productivité.
Notre économie mondiale fonctionnait sur la différence de potentiel entre une source chaude (pays riches à hauts salaires) et une source froide (pays pauvres à bas salaires). Notre croissance était dopée par l'inflation (hauts salaires, crédit à la consommation, multiplicateur de crédit, déficits publics). Notre inflation était exportée dans le monde entier (devises internationales). Une politique de croissance, prétendument keynésienne, a combiné les hauts salaires du Fordisme, le crédit à la consommation des Banques, les plans de relance de l'Etat et les déficits commerciaux de la nation. Le summum de cette politique fut pratiqué aux Etats-Unis dont le déficit de la balance des paiements était compensé par les fortunes des pays sous-développés venant se placer dans les banques américaines. La crise du système monétaire international s'est aggravée avec la non convertibilité de l'or. L'OPEP, les pétrodollars, la multiplication des capitaux flottants et la baisse de la productivité ont provoqué la compétition des Etats-Unis, de l'Allemagne et du Japon, dans une surenchère des taux d'intérêt. Nous étions dans une logique de guerre économique par les monnaies et les marchés financiers.
Nous avons progressivement basculé dans une nouvelle logique économique et politique. La technostructure des entreprises motrices menait le jeu. Elle profitait des hauts salaires privés et de la relance étatique de la consommation. Elle pouvait multiplier ses investissements au fur et à mesure que les salaires, abondés par le crédit à la consommation et portés par des consommateurs ébahis, revenaient acheter ses marchandises. L'inflation creusait l'écart entre les salaires des pays riches et ceux des pays pauvres. Les Etats-Unis faisaient financer leur croissance par le reste du monde. Jusqu'à ce que les "Cinq Dragons", l'Allemagne et le Japon imposent un nouveau jeu. Selon un mécanisme, parfaitement expliqué par Keynes, la hausse des taux d'intérêts offerts par le Dollar, le Deutch Mark et le Yen a fortement concurrencé l'efficacité marginale du capital, déja maltraité par la stagnation de la productivité dans les services. Tout ceci s'est traduit par une réduction de l'incitation à investir et une augmentation du chômage. Car l'emploi n'augmente qu'avec l'investissement. Et les entrepreneurs n'investissent que lorsque l'efficacité marginale du capital reste supérieure au taux de l'intérêt. Peu à peu, la technostructure a perdu les cartes maîtresses de ce jeu. Les marchés monétaires, boursiers et financiers sont devenus le coeur du système. Les entreprises sont devenues opéables. "L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme. La mêlée, en hurlant, grandit comme une flamme..." ou comme une bulle financière.
La hausse, internationale, des taux d'intérêt a pris la place de la hausse des salaires et du crédit à la consommation. Particulièrement le marché de la construction n'a plus été dopé par l'inflation. Elle qui avait si facilement payé les intérêts des emprunts, à la grande époque de l'accession à la propriété. Pour le consommateur-salarié, il devient trop coûteux de s'endetter quand les taux d'intérêt augmentent, que l'inflation diminue et que le chômage menace. Maintenant il vaut mieux être créditeur que débiteur. Les revenus du capital progressent plus vite que ceux du travail. Le moteur de la croissance change de nature. Peu à peu, l'industrie automobile, prototype de l'entreprise motrice, est touchée par cette contagion. D'autant que les délocalisations à l'étranger font douter de la sécurité de l'emploi et renversent la tendance à l'endettement des ménages. Ce n'est pas une mondialisation nouvelle qui fait apparaître le chômage. La colonisation était une mondialisation, déjà ancienne. C'est un jeu inégal (détérioration des termes de l'échange) qui se développe, déploie des conséquences imprévues dans un monde limité et se retourne contre ses initiateurs inconscients.
Revenons à l'intérieur de l'entreprise. La croissance passée des grandes entreprises n'est pas explicable par la théorie de la concurrence. La technostructure s'explique beaucoup mieux par des phénomènes psycho-sociologiques. La prouesse technique soudait le monde des ingénieurs, des concepteurs, des vendeurs et des techniciens. La productivité n'était pas toujours au rendez-vous (Concorde), mais elle était affirmée comme une incantation, un leitmotiv, un argument d'autorité, une prophétie auto-réalisatrice. Des consommateurs ébahis en demandaient toujours plus. Les entreprises motrices drainaient le pouvoir d'achat artificiellement dopé par le crédit à la consommation. Les conséquences inflationnistes étaient exportées sur le Tiers-Monde, dont les dictateurs rapatriaient les profits. Au-delà d'un certain seuil, l'écart injustifié des salaires a rendu possible un autre jeu. L'écart des salaires et la réduction des droits de douane permettent la délocalisation des emplois. La technostructure perd sa cohésion grégaire. Les logiques de la valeur d'usage, de la valeur d'échange et de la valeur politique ne convergent plus aussi facilement quand elles ne sont plus dopées par l'inflation.
Aujourd'hui, la baisse de la consommation et celle de la rentabilité du capital industriel ont provoqué un changement dans l'organisation et le contrôle des entreprises. Le pouvoir a changé de main, il est passé des techniciens aux financiers. La culture du développement interne et auto-suffisant a fait place à la logique de rentabilité des capitaux financiers. Elle n'est pas toujours synonyme de productivité. Au niveau politique de la conception de l'entreprise, la rentabilité du capital s'impose. Au niveau stratégique de la conception de l'ensemble des produits du catalogue et de leur production sur l'ensemble de la planète, la logique de la valeur d'échange ne donne aucun critère suffisamment stable. Les critères d'hier se retournent brusquement pour imposer des décisions diamétralement opposées. Elles jettent le trouble dans l'opinion publique (Renault Vilvoorde, Thomson Multimédia). Au niveau tactique de la conception simultané du produit nouveau, une logique de la valeur d'usage émerge. Mais les nouveaux critères d'évaluation de la performance industrielle n'ont pas diffusé dans les niveaux supérieurs. Hier poussée à la croissance par la dynamique de la technostructure, la grande entreprise n'est pas encore une organisation apprenante tournée vers l'exploration des possibles.
Les actionnaires sont plus présents dans la gestion des entreprises. D'autant que les investisseurs représentent des fonds de retraites, des fonds de placement ou des milliers de petits porteurs anonymes. Ce motif abstrait, spéculatif, augmente la mobilité du capital. Face à ce capital, le travail est relativement immobile. Et c'est pourquoi les usines se déplacent si facilement vers les pays dynamiques à bas salaires.
Dans cette nouvelle logique, la grande entreprise a perdu une partie de sa cohésion. Gérée par des financiers, au nom des actionnaires, elle est perçue comme un ensemble de centres de profits. L'externalisation, si étrangère à la technostructure, s'explique par ce changement d'orientation. L'arrivée des financiers provoque la superposition de trois discours dans l'entreprise.
Dans les entreprises où le discours de la valeur d'usage et de la diversité était depuis longtemps refoulé par celui de la valeur d'échange et de l'anonymat, le retour des actionnaires s'effectue dans un contexte de très grande opacité. La nouvelle direction a bien de la peine à savoir ce qu'il se passe sur le terrain. D'où la réorganisation des processus. Casser pour reconstruire est parfois le seul moyen de savoir où l'on se trouve. Sur des critères financiers, on supprime tout ce qui semble inutile. Mais le prix à payer, pour cette information, est considérable. D'autant que l'efficacité et la rentabilité ne sont pas synonymes. Les critères financiers définissent ce qui est rentable, pas ce qui est nécessaire. Et tout dépend des conventions et des tarifications. Chacun sait que l'on fait apparaître les profits dans le pays que l'on veut. Attention à ne pas se perdre dans ses propres dissimulations. Parfois, c'est a posteriori que l'on découvre qu'une activité était fondamentale. C'est ce que nous appelons la spirale implosive des conglomérats.
Alors, pourquoi l'externalisation? Nous avons évoqué: le besoin de souplesse, le coût des investissements, les termes de l'échange, la fin de l'inflation, le fléchissement de la consommation, le recul de la technostructure et le retour des actionnaires. Cette transformation radicale, qui met du réseau dans les pyramides, est la fin de l'entreprise citadelle. Elle annonce le recul du travail salarié. L'externalisation manifeste les limites de la croissance auto-centrée rêvée par la technostructure. La compétition par les technologies les plus coûteuses fait revenir les actionnaires au premier plan. Le crédit à la consommation, corollaire de la séduction, développe l'instabilité des marchés financiers. Le développement des multinationales hors des limites de l'Etat témoigne à la fois du dynamisme de l'économie de marché et de l'impossibilité d'une société de marché. Car le marché ne peut gérer les conséquences de sa logique d'exclusion. Et l'Etat voit fondre ses revenus quand ceux des citoyens se réduisent. C'est pourquoi un second mouvement doit construire d'autres liens sociaux. Il ne s'appuie pas sur la valeur d'échange qui détermine un jeu à somme nulle. Il suppose la valeur d'usage qui permet un jeu coopératif, à somme positive.
Les entreprises dont l'histoire n'est pas une succession de fusions et d'OPA mal vécues résistent mieux à cette spirale implosive. Témoin, la société GSI, décrite par Michel Crozier. Comme d'autres, elle a connu le "temps des cow-boys". Elle rachète des concurrents et passe de 100 à plus de 2 000 personnes en moins de dix ans. Mais cette époque est révolue quand les dirigeants, au lieu de focaliser sur la valeur d'échange (le chiffre d'affaires) se concentrent sur la valeur d'usage (le métier et la qualité). Finie la centralisation. On retourne sur le terrain. On met l'imagination au pouvoir. "Les créateurs sont des individualistes forcenés. Ils ne peuvent être efficaces que dans la mesure où on leur assure le maximum de liberté et de soutien". S'ils vendent sur le marché, ils inventent pour le réseau.
Le retour des actionnaires n'est pas une catastrophe quand ils peuvent savoir quelle aventure ils financent. Netscape et Yahoo sont des exemples récents. Ils viennent justement du réseau des réseaux.
Arpanet, créé par le Département Américain à la Défense, a bientôt été relayé par un vaste réseau d'abord constitué d'universitaires. Ce réseau est construit par ses utilisateurs. Il n'y a pas de parts de marché mais des contagions de pratiques. L'idéologie n'est pas client-fournisseur (valeur d'échange) mais concepteur-utilisateur (valeur d'usage). L'état d'esprit du freeware et du shareware s'y est tout naturellement développé. Et l'on sait l'usage que Netscape a fait des bêta versions de son navigateur pour donner une courbe exponentielle au nombre de ses utilisateurs. On imaginait mal une telle politique commerciale chez IBM. Ce n'est pas une question de personnes. C'est une question d'époques. Même Microsoft et Apple n'appartiennent pas à cette génération.
Les organisations non gouvernementales ont compris l'intérêt de cet outil de communication. C'est à l'occasion de la Conférence Internationale de Rio, consacrée au développement durable, que les ONG ont utilisé la messagerie électronique pour communiquer entre elles et avec leurs militants. La Conférence des Femmes à Pékin a fourni un nouveau champ d'expérimentation. On sait l'usage que la révolte mexicaine a fait d'internet et de son médiatique leader.
L'année 1995 a vu la diffusion d'une nouvelle génération d'ordinateurs familiaux consacrés au multimédia. Pour 10 000 F, ils intégraient un lecteur de Cédérom (quadruple vitesse), un modem, un logiciel de communication, des utilitaires, des jeux et le premier abonnement au fournisseur d'accès. De nombreux sites web se créent cette année-là: nous citerons l'excellent Chroniques de Cybérie. Pendant les Fêtes de Noël, les journaux n'ont parlé que des surfeurs sans foi ni loi du multimédia. Il n'est pas sûr que l'image d'Internet, chez ceux qui ne l'utilisent pas, ait fondamentalement changé depuis lors.
La génération suivante des adeptes d'Internet a été constituée par le monde de la publicité. Des revues comme Internet Reporter sont apparues dans les kiosques, avant de se transformer, tout naturellement en sites web. L'expérience de Yahoo et Netscape a fait des émules. De nombreux moteurs de recherche apparaissent sur le marché et quadrillent la Toile. Mais si la fortune publicitaire fait beaucoup d'appelés, il y a moins d'élus. Car la culture Internet, du fait de son origine universitaire puis underground, reste majoritairement une culture de la gratuité du contenu. La recette sera, pour de nombreuses années encore, "beaucoup donner pour vendre un peu".
Le développement des serveurs de Curriculum Vitae, dont notre partenaire le Réseau Européen pour l'Emploi, est une étape de la généralisation d'Internet. Aujourd'hui des recruteurs utilisent essentiellement le R.E.E. pour trouver et contacter des candidats. Des chasseurs de têtes considèrent qu'en publiant leur CV sur un tel site les candidats font la preuve de leur réactivité. Ils témoignent ainsi de leur ouverture aux nouvelles méthodes de prospection, de travail et de recherche d'information. Et c'est ainsi que des sites dédiés à la publication de CV ont reçu des annonces d'offres d'emploi avant même d'avoir prospecté le monde des recruteurs.
L'étape suivante est celle du télétravail. La grève des transport en décembre 1995 a fortement contribué aux achats de fax, de téléphones mobiles, de modems et même d'ordinateurs multimédia. En quelques jours, des entreprises ont improvisé des télécentres. C'est à cette époque que le président du conseil régional d'Ile-de-France a écrit à de nombreux maires de la région. Il proposait une étude d'opportunité et de faisabilité d'un Bureau de Voisinage. Selon le concept défini par le Catral, il s'agit de réduire les transports inutiles des franciliens en favorisant le télétravail, non pas à domicile, mais dans des bâtiments équipés et gérés sur le modèle des télécottages britanniques.
C'est en 1996 que fut organisé le premier Festival du Télétravail. Il fut suivi par le Télespace du Vercors qui permet à certains habitants du plateau de travailler sans descendre tous les jours à Grenoble. Mais pour l'instant, et surtout en France, la forme dominante du télétravail reste interne aux entreprises.
L'année 1997 est celle de l'adoption des standards d'internet pour la communication interne des entreprises. Le développement d'intranet est six fois supérieur à celui d'Internet. Curieusement, si la limitation d'internet au seul personnel d'une entreprise donne l'intranet, l'ouverture d'intranet à l'extérieur de l'entreprise, clients et fournisseurs, ne redonne pas l'internet mais l'extranet. La différence réside dans la sécurité et la disposition d'outils de groupware.
Par sa philosophie de communication avant tout, Internet fournit une technologie, un réseau fédérateur et une panoplie de logiciels. Ce vaste ensemble, auquel on accède par un investissement minime, contribue au décloisonnement de l'entreprise et à la dilution de ses frontières. Mais, comme la micro-informatique, il n'est pas né dans la technostructure des grandes entreprises. Il manifeste une inventivité qui n'a pas sa source dans les citadelles. Et, surtout, n'en déplaise à Microsoft et à Netscape, il ne se développe pas seulement sur le marché.
Grâce à internet, l'entreprise virtuelle résulte du mouvement économique. Elle se réduit à un portefeuille de projets en cours. Avec son noyau restreint et son réseau de télétravailleurs salariés, l'entreprise virtuelle est à l'aboutissement de la destruction des métiers par le marché. Elle donne au travail une mobilité, une flexibilité et une fluidité comparables à celles du capital. Dépendante des capitaux, pour des investissements risqués, elle doit s'adapter à la versatilité des marchés financiers. L'entreprise virtuelle est au coeur de la composante instrumentale de la modernité. La technologie est son domaine de prédilection. Mobile, flexible, elle se spécialise dans la conception. Seuls les flux d'informations se prêtent à son évanescence. Elle laisse à d'autres la lourdeur et la durée de la production matérielle, ou de la gestion immobilière.
Au delà, soit on quitte le marché pour trouver l'économie publique, soit on dissout le collectif de travail pour garder l'individu. Autrement dit, on quitte le marché pour trouver l'Etat (central ou local) et la famille (simple ou étendue). Il faut élargir notre cadre d'analyse pour prendre la mesure de cette évolution. Nous quittons l'économique pour le sociologique. Nous cherchons à comprendre comment la société répond à ce mouvement de déconstruction des normes sociales: principalement l'intégration sociale par le travail. C'est pourquoi le télétravail et les téléactivités sont un analyseur des changements concomitants de l'économie et de la société.
Nous avons progressivement assisté au décentrage de la grande entreprise. La voici réduite à un noyau restreint. Il en résulte un fort taux de chômage et une fragilité du tissu social. Cette implosion, provoquée par la mobilité du capital, confronte un travail relativement immobile à la réalité géographique du territoire. D'où la nécessité de restaurer et de stimuler les capacités locales d'initiative et d'innovation. En France, de nombreuses initiatives relatives au télétravail dépendent de subventions publiques. Car le télétravail ne peut se concevoir sans infrastructure téléphonique. Dans les régions isolées, des investissements publics suffisants sont la condition permissive des initiatives individuelles. Ils manifestent une politique volontariste d'équipement régional en moyens de télécommunications. C'est ainsi que les rares télécentres français doivent beaucoup aux élus municipaux, régionaux ou nationaux. Même s'ils sont dépendants des retournements électoraux, les élus locaux sont beaucoup plus attachés au possibilisme géographique et à la durée des équipements que les entreprises virtuelles. Ils sont plus directement impliqués que les élus nationaux coutumiers des arbitrages et saupoudrages.
Dans le nord de l'Europe, les autorités régionales ont fortement favorisé les infrastructures de télécommunications. C'est durant le mois de Janvier 1997 que le thème des organisations virtuelles est apparu dans la liste de discussion européenne sur le télétravail. Diverses contributions ont montré l'ouverture des régions sur le marché mondial. Internet abolit les distances géographiques. C'est ainsi qu'apparaît le concept de région virtuelle et que s'élargit la définition du télétravail en dehors de l'entreprise. La double mobilisation d'une région pour la promotion de son bassin d'emploi et le développement de son mode de vie témoigne que son lien social est à la base de sa compétitivité. Le Grand Lille et sa candidature pour les Jeux Olympiques sont des exemples d'organisation en réseau, en dehors des clivages traditionnels. C'est ainsi que l'on voit renaître les régions des anciens royaumes. D'aucuns parlent même d'indépendance en Savoie comme en Lombardie.
De l'autre coté de l'échelle géographique, l'Etat national se dissout dans les macro-régions de l'économie mondiale (Union Européenne, Alena, Asean). Les grands marchés et les unions monétaires réduiront les particularismes nationaux au profit de la logique des marchés.
Mais comment les autorités régionales peuvent-elles réussir là où les entreprises sont en difficulté? Même si elles peuvent mobiliser des fonds publics qui échappent au citoyen ordinaire, elles doivent parier sur toutes les initiatives locales. Elles sont très dépendantes des populations locales. Quand les entreprises se délocalisent si facilement, les ressources locales dépendent des revenus individuels. Les élus doivent s'attacher à la population locale et favoriser son développement. Si on ne peut retenir les entreprises, autant attirer les télétravailleurs. Les critères du choix du domicile conditionnent les politiques d'aménagement. Les expériences du Vercors, du Limousin ou du canton de Saint-Laurent du Chamousset sont significatives. Pour fixer des télétravailleurs performants, il faut donner à leurs enfants la possibilité de faire, sur place, de bonnes études. Cela n'oblige pas, pour autant, à fournir tous les enseignements dans le mode présentiel. Il suffit de passer des accords de réciprocité avec des écoles distantes.
Ce sont les régions isolées qui nous donnent l'exemple. Pour contourner la pénurie de livres et de bibliothèques, elles partagent leurs maigres ressources en réseau local et se branchent sur la bibliothèque électronique du monde. Une action pédagogique construite sur internet pour une classe de 25 élèves profite, pour le même prix, au monde francophone tout entier. Écrire un devoir pour la seule correction du professeur et produire un document composite pour sa publication sur internet n'est pas seulement le passage du papier à l'écran. C'est l'occasion d'apprendre beaucoup plus. C'est tenir compte des attentes d'un lectorat supposé ou défini. C'est intégrer son document dans un corpus préalable. C'est le faire communiquer avec d'autres, passés, présents et futurs. L'intelligence a toujours été la capacité de faire des liens. Avec internet et l'hypertexte, chacun donne à son lecteur la possibilité de les suivre au plus près des textes.
Mais la formation initiale sera de plus en plus intégrée dans une formation permanente de chacun et de tous. La précarité de l'emploi oblige chacun à se tenir au fait des techniques et de diversifier ses connaissances. Loin des problèmes d'horaires, de salles et de transports, internet permet, à tous les âges, de s'informer à toutes heures et de tous lieux. Publier sur internet est, dès à présent, une possibilité pour chacun. C'est un considérable facteur de décloisonnement de la société. Non pas que les barrières tomberont entre les organisations réelles que sont par exemple l'entreprise publique et l'Education Nationale. Mais parce que chaque individu, quelle que soit l'organisation réelle d'où il touche son revenu, peut diffuser ses connaissances et rentrer en contact avec tous ceux qui pratiquent sa langue. C'est pourquoi les organisations virtuelles créent les liens les plus divers.
Les mobilisations publiques sont complémentaires des actions individuelles. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les initiatives individuelles sont nombreuses. En témoignent les organisations de télétravailleurs que nous avons mentionné dans notre première partie. En France, le phénomène se développe avec un retard de deux ans environ. Nous sommes maintenant rentrés dans le processus. Outre l'Association Française du Télétravail et des Téléactivités, nous pouvons signaler le club des Cyberworkers.
La première initiative qui vient à l'esprit est la publication d'annuaires de compétences pour rapprocher l'offre et la demande de travail. Cela réduit le délai de recherche et augmente l'éventail du choix. Mais la concentration de l'offre et de la demande ne résout pas le problème de leur écart quantitatif.
Le renversement de la logique de développement de la technostructure désorganise la grande entreprise. L'émergence de nouveaux pays industrialisés au sein du développement inégal entre Nord et Sud provoque la délocalisation des emplois. La concomitance d'Internet et de bataillons de chômeurs très compétents (étudiants docteurs, cadres dynamiques, techniciens pointus) contribue à modeler un nouveau paysage économique. On constate la multiplication des initiatives chez ceux qui maîtrisent le "oueb", le "mulot" et la "biscotte" et qui téléchargent des fichiers aussi facilement qu'ils collent des post-it sur leur portable. Attendez-vous à voir se multiplier les organisations en projet et les réseaux de sites web complémentaires. Le réseau Européen pour l'Emploi, le Réseau d'Activités à Distance et ses Bureaux d'Accueil sont un exemple.
Comment les travailleurs indépendants doivent-ils s'organiser pour établir une complémentarité avec des entreprises de plus en plus virtuelles et des individus de plus en plus autonomes? N'est-ce pas en prenant en charge une fonction que l'entreprise externalise progressivement?
Le premier usage d'internet pour la création de nouveaux emplois est d'abord de favoriser l'accès à cette gigantesque et foisonnante bibliothèque virtuelle. Le dialogue technique, la veille technologique, l'intelligence économique, la traduction de sites sont les premières pistes qui viennent à l'esprit. Elles s'ajoutent aux organisations de programmeurs indépendants.
Seuls les projets subsistent dans les entreprises virtuelles. Avec la disparition des services traditionnels, gardiens du métier dans l'entreprise, comment s'effectuera la capitalisation des connaissances?
L'entreprise virtuelle est-elle compatible avec l'apprentissage organisationnel? Sur ce point, il faut se garder d'une confusion. L'entreprise peut stocker des informations. Seuls les cerveaux contiennent des connaissances. L'entreprise possède et développe des technologies coûteuses. Seul l'individu détient et met en pratique des compétences. Les directions des ressources humaines, les systèmes experts et les arbres de connaissances ne changent rien à ce fait. Au fur et à mesure que l'entreprise virtualisée ne pourra garantir l'emploi, ni l'employabilité, à l'issu d'un projet, l'individu aura à coeur d'y veiller lui-même. La Gestion des Ressources Humaines fait maintenant partie des services externalisables. A partir de ce point, l'entreprise et l'individu ne sont plus dans un rapport d'appartenance, mais dans une relation de participation. C'est en quoi la crise du travail salarié fait suite à celle de l'esclavage et à celle du servage, dans un mouvement progressif d'autonomisation.
Pour l'entreprise, la connaissance est-elle vraiment un capital? Est-elle un stock d'informations ou une occasion de dialogues? La connaissance, traduite en informations, peut-elle se ranger dans le coffre-fort d'un Système de Gestion de Données Techniques? N'est-ce pas le meilleur moyen de ne pas l'utiliser en temps voulu? Ne faut-il pas plutôt la cacher à la manière de la lettre volée (Edgar Poe), en la faisant circuler le plus vite possible? C'est dans l'intérêt du travailleur, du seul détenteur de la connaissance. Aucune capitalisation n'est possible sans son propre travail de rédaction. Et l'entreprise n'est peut-être pas le meilleur lieu pour cela. Bien avant le dégraissage des effectifs, l'entreprise sous-estimait la rédaction des connaissances. La priorité à l'opérationnel n'arrange pas les choses. Ce travail de rédaction sera donc fait par l'individu et dans le lieu le plus propice.
L'entreprise est le lieu de l'instrumentalité, pas celui de la culture. L'école est le lieu des apprentissages fondamentaux, pas celui de leur mise à l'épreuve. Les livres sont le lieu d'une écriture élaborée et d'une lecture tranquille. Les journaux supposent une lecture rapide de messages éphémères. La télévision privilégie la contemplation passive du spectacle. Le World Wide Web est le lieu de la culture vivante, foisonnante, active et partagée. Le web est le forum actif où se construisent l'identité de chacun et, non pas une culture nationale mais des réseaux de cultures. Si l'entreprise, par son instrumentalité, est l'acteur fondamental de la société d'informations, c'est par l'individu et sur le web que se construit la société de connaissances. Il n'y a pas d'apprentissage organisationnel fermé dans l'entreprise. L'apprentissage organisationnel implique que les individus dialoguent par delà les frontières hiérarchiques et institutionnelles. Aux entreprises sédentaires de capitaliser les informations relatives à leurs matériels pendant la durée de leurs processus. Aux individus nomades de compiler leurs expériences pour construire leurs compétences. Les objectifs poursuivis ne sont pas les mêmes. A ce jour, pour l'individu, le World Wide Web nous paraît le lieu le plus approprié. C'est ainsi que se développeront les organisations virtuelles pour relier les individus au-delà des organisations réelles.
Curieusement, ce nouveau lieu, où se construisent l'identité individuelle et une société multiculturelle, est aussi une réponse au mouvement économique de dénormalisation qui produit l'anomie. Nos pays développés souffrent du chômage parce que le coût de production de nos compétences dépasse les gains de productivité de notre système productif progressivement automatisé. Le corporatisme de la formation initiale (diplôme), de l'encadrement hiérarchique (métier) et des échelles de salaires avait résisté aux forces du marché par la bureaucratie et la technostructure. Le marché mondial met fin aux particularismes nationaux des hiérarchies corporatives. Un ratio salarial bien français, comme le rapport "pilote de ligne/hôtesse de l'air", ne résistera pas longtemps à la concurrence internationale. Maintenant que les bas salaires étrangers délocalisent les emplois, nous devons accroître la productivité globale non seulement par l'automatisation (productivité matérielle) mais par la baisse du coût des compétences (productivité immatérielle). C'est peut-être la fin d'une notabilité sociale basée sur une aristocratie scolaire. C'est le seul moyen de maintenir ou d'accroître le salaire réel malgré une baisse inéluctable du salaire nominal. Mais cela veut dire que le panier de la ménagère, qui décrit le pouvoir d'achat du salaire, comportera une moindre proportion de produits matériels destinés aux loisirs et une proportion croissante de services immatériels destinés à la compétence et dont le prix unitaire sera décroissant. Au fur et à mesure que le marché détruit la hiérarchie institutionnelle des métiers, le réseau procure à des nomades les moyens d'un recyclage mutuel par des échanges de savoirs.
Dans le prolongement d'Alain Touraine, il apparaît que ni l'Etat ni l'entreprise n'ont pas la capacité de réconcilier le mouvement d'industrialisation de la planète et la recherche personnelle d'identité. Ces deux aspects de la modernité ne sont plus associés. Dans la société nationale, la constitution de l'espace public et celle de l'espace privé sont des processus divergents. D'où la destruction du Moi.
La démodernisation est le développement et la conscience de cette dissociation. Elle met l'individu au centre, non pas comme un atome insécable sur lequel construire, mais comme un problème à résoudre, une inconnue à valoriser. Tandis que le post-modernisme est le constat désabusé de cet écart, la démodernisation est la volonté de l'individu d'assumer ces deux expériences. Il devient acteur de sa vie. Si la modernité est la séparation des pouvoirs, elle doit se poursuivre au fur et à mesure que l'individu les assume. La virtualisation de l'entreprise accentue cette dissolution des pouvoirs traditionnels. Tandis que l'homo economicus assimile passivement les conditionnements du système, l'acteur choisit sa trajectoire dans un faisceau de contraintes à solutions multiples.
Pour Touraine, la désinstitutionnalisation désigne cette réduction de l'importance des institutions au profit de l'autonomisation des individus. Les Sujets se libèrent des normes sociales qui reproduisaient les institutions. Ce qu'il appelle désocialisation caractérise le fait que la société, jadis régulée par les institutions et leurs rôles, est tiraillée par les forces des marchés et les initiatives des acteurs. La société (nationale) perd sa belle unité structurelle, intégratrice et excluante. Du coup, le système des rôles sociaux perd de sa force contraignante. C'est la représentation d'une société rationnelle, produisant à la fois sa richesse nationale et son identité culturelle, qu'il faut abandonner. La double régionalisation accentue cette divergence. Puisque la modernisation se traduit par l'autonomisation croissante des sphères de la vie sociale, la société perd ce rôle unificateur. C'est à chacun de donner sens à son action économique et à sa recherche d'identité. Les organisations virtuelles, dont les rôles ne sont jamais définis par avance puisque chacun y est responsable de lui-même, sont le lieu de cette perpétuelle production d'un sens.
De nombreux facteurs ont contribué à la fluidification des frontières de l'entreprise. La sous-traitance puis le partenariat l'amènent à nouer des contacts, autant basés sur la valeur d'usage que sur la valeur d'échange. L'intensification du dialogue avec ses clients, avec ses fournisseurs voire ses concurrents, aboutit parfois à l'entreprise étendue. Puis l'accentuation de la crise et le renversement de la logique économique la poussent à changer la définition même de son activité. Le mouvement croissant d'externalisation confie à des filiales ou à des intervenants extérieurs des activités classiquement réalisées en son sein. Du fait de la concurrence des nouveaux pays industrialisés, ces activités ne sont plus considérées comme stratégiques dans le nouveau contexte du marché mondial.
Dans le même temps, les laboratoires de la recherche militaire et le monde universitaire élaborent une nouvelle technologie de communication. Elle culmine avec l'invention des outils du World Wide Web par le CERN. Une nouvelle culture se répand, relayée et amplifiée par les outils du multimédia. Les premiers navigateurs stimulent une nouvelle génération de start-up. Netscape et Yahoo en témoignent.
Dans un univers où rien ne reste figé très longtemps, la libération de forces de travail éduquées, inventives et fortement motivées provoque l'appropriation rapide de ces nouveaux outils et un élargissement de la culture hypertextuelle. Les travailleurs indépendants du cyber espace économique ne sont pas longs à créer des organisations virtuelles. Elles sont le moyen de réunir des acteurs compétents et motivés qui ne se trouvent pas toujours dans la même ville. Ils disposent enfin des moyens de se rencontrer. Sans faire les investissements immobiliers et technologiques de l'entreprise traditionnelle, les travailleurs indépendants contournent les barrières à l'entrée qui protégeaient les marchés oligopolistiques. Comme d'autres découvrent le facility management, ils utilisent à leur avantage la souplesse de l'économie de location. Les entreprises virtuelles, spécialisées dans les domaines de la connaissance, ne nécessitent pas autant de capitaux que de compétences multiples. Elles se développent dans un milieu propice, constitué de sites web, de newsgroups spécialisés et de listes de discussions thématiques. Elles émergent avec les régions et les organisations virtuelles.
Dans les organisations virtuelles cohabitent des mondes qui se fréquentaient peu. L'idéologie étatique les enfermait soit dans l'économie publique soit dans l'économie marchande. Les organisations virtuelles sont contemporaines d'un décloisonnement des chapitres de la vie: travail, famille, loisir et citoyenneté. Internet est un lieu commun où les individus peuvent nouer des contacts et participer à des projets indépendamment de la sphère d'où proviennent leurs revenus. La polyactivité est aussi un moyen de diversifier les sources de revenus. Cette multiplicité des solidarités transforme l'appartenance normée en participations créatrices. A la suite d'Alain Touraine, appelons "Sujet ce désir de construction d'une vie vraiment individuelle". Même si, par définition, les entreprises virtuelles sont plus aptes que les associations à produire des bénéfices et à les réinvestir, le milieu dans lequel elles évoluent est encore régi par une culture de la gratuité. Nous sommes persuadé que ces deux catégories se développeront en complémentarité. D'où notre préférence pour le terme plus générique et pour le pluriel "organisations virtuelles".
Créé le 18 Mai 1997
Modifié le 25 Novembre 1997
Présenté le 3 Avril 1998 à Serre Chevalier.
Les termes techniques d'Economie, de Télétravail, de Sociologie ou des N.T.C.I. sont définis dans le glossaire alphabétique du RAD. http://rad2000.free.fr/glosalph.htm
Les références bibliographiques, les adresses électroniques des personnes (e-mail), celles des organisations (web) et de nombreux liens hypertextuels sont présents dans la version évolutive de ce document. http://rad2000.free.fr/orgavirt.htm