Guérir le harceleur
(a) Un des facteurs de l'emprise, particulièrement dans le harcèlement moral au sein du couple, est l'espoir ou l'illusion de la victime de protéger, de soigner et de guérir son harceleur.
- <<Les victimes paraissent naïves, crédules. Ne pouvant imaginer que l'autre est fondamentalement destructeur, elles essaient de trouver des explications logiques et tentent de déjouer un malentendu : «Si je lui explique, il comprendra et s'excusera de son comportement ! » Pour qui n'est pas pervers, il n'est pas possible d'imaginer d'emblée autant de manipulation et de malveillance. Pour se démarquer de leur agresseur, les victimes se veulent transparentes, et tentent de se justifier. Quand une personne transparente s'ouvre à quelqu'un de méfiant, il est probable que le méfiant prendra le pouvoir. Toutes les clefs que les victimes donnent ainsi à leur agresseur ne font qu'ajouter au mépris qu'il leur manifeste. Face à l'attaque perverse, les victimes se montrent d'abord compréhensives et essaient de s'adapter, elles comprennent ou pardonnent parce qu'elles aiment ou admirent : «S'il est comme ça, c'est parce qu'il est malheureux. Je vais le rassurer, je vais le guérir.» Comme par un sentiment de protection maternelle, elles considèrent qu'elles doivent l'aider car elles sont seules à le comprendre. Elles veulent remplir l'autre en lui donnant leur substance, parfois même elles se sentent investies d'une mission. Elles pensent pouvoir tout comprendre, tout pardonner, tout justifier. Persuadées qu'en parlant elles vont trouver une solution, elles permettent aux pervers, qui refusent tout dialogue, de les mettre en échec de la meilleure façon qui soit. Les victimes nourrissent l'espoir que l'autre change, qu'il comprenne la souffrance qu'il inflige, qu'il regrette. Elles espèrent toujours que leurs explications ou leurs justifications lèveront les malentendus, refusant de voir que ce n'est pas parce qu'on comprend intellectuellement et affectivement qu'il faut tout supporter. Alors que les pervers narcissiques sont fixés dans leur rigidité, les victimes essaient de s'adapter, de comprendre ce que veut, consciemment et inconsciemment, leur persécuteur, cherchant quelle est leur propre part de culpabilité. La manipulation marche d'autant mieux qu'il s'agit d'une personne à qui la victime avait donné sa confiance (père ou mère, conjoint, patron). Le pardon des victimes ou leur manque de rancune les met en position de pouvoir. C'est intolérable pour l'agresseur car cela marque le désistement de sa victime : «Je ne veux plus jouer avec toi !» L'agresseur est frustré. Sa victime devient un reproche vivant, ce qui ne peut que le conduire à la haïr encore plus. Il semble que cette vulnérabilité à l'emprise puisse s'acquérir dès l'enfance. On se demande souvent pourquoi les victimes ne réagissent pas. Nous voyons leur souffrance, l'abdication de leur propre vie, pourtant elles restent là et craignent même d'être abandonnées. Nous savons que partir serait leur sauvegarde, mais elles ne peuvent le faire tant qu'elles ne se sont pas dégagées des traumatismes de l'enfance. (Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement Moral, pages 148-149)>>.
(b) Ce comportement s'explique par l'ambivalence du harceleur, qui séduit en se faisant plaindre. Il met en avant ses faiblesses. La personnalité narcissique ressent un vide en elle. C'est pourquoi les victimes veulent " veulent remplir l'autre en lui donnant leur substance".
- <<En se présentant d'emblée en victime, il amène ainsi Anna à s'apitoyer sur lui et à lui manifester plus d'intérêt ou d'indulgence. Elle, qui avait tellement besoin d'être réparatrice, est rapidement séduite par ce petit garçon à consoler. (Marie-France Hirigoyen, "Le Harcèlement Moral", page 25)>>.
(c) Mais, une fois la relation nouée sur cette base (maternage), le pervers veut montrer (faire croire) qu'il est autonome et qu'il est le plus fort. D'où une communication faussée, paradoxale :
- <<Eliane s'est longtemps posé cette question : « En quoi suis-je responsable, par mon comportement ou par ce que je suis, de cette attitude ?» Elle comprend maintenant que Pierre ne fait que reproduire ce qu'il a lui-même subi dans son enfance, ce qu'il a vu en action dans sa propre famille, et qu'elle-même a eu du mal à sortir du rôle réparateur qui lui avait été assigné quand elle était enfant. Elle avait été attirée par le côté petit garçon malheureux, qu'il fallait consoler, de Pierre. Elle est maintenant piégée par cela même qui l'avait séduite. (Marie-France Hirigoyen, "Le Harcèlement Moral", page 39)>>.
(d) Une fois que les violences physiques ou que la violence symbolique se déchaînent, le pervers narcissique a l'art de se faire passer pour la victime de ses victimes.
- <<Les pervers absorbent l'énergie positive de ceux qui les entourent, s'en nourrissent et s'en régénèrent, puis ils se débarrassent sur eux de toute leur énergie négative. La victime apporte énormément, mais ce n'est jamais assez. N'étant jamais contents, les pervers narcissiques sont toujours en position de victime, et la mère (ou bien l'objet sur lequel ils ont projeté leur mère) est toujours tenue pour responsable. Les pervers agressent l'autre pour sortir de la condition de victime qu'ils ont connue dans leur enfance. Dans une relation, cette attitude de victime séduit un partenaire qui veut consoler, réparer, avant de le mettre dans une position de coupable. Lors des séparations, les pervers se posent en victimes abandonnées, ce qui leur donne le beau rôle et leur permet de séduire un autre partenaire, consolateur. (Marie-France Hirigoyen, "Le Harcèlement Moral", page 134)>>.
(e) "Guérir le harceleur" ne peut être qu'un travail de professionnel spécialiste, étranger au couple ou à l'entreprise. La condition expresse, très rarement remplie, est que le pervers se reconnaisse malade (souffrant) et veuille se soigner.
- <<La perversité ne provient pas d'un trouble psychiatrique mais d'une froide rationalité combinée à une incapacité à considérer les autres comme des êtres humains. Un certain nombre de ces pervers commettent des actes délictueux pour lesquels ils sont jugés, mais la plupart usent de leur charme et de leurs facultés d'adaptation pour se frayer un chemin dans la société en laissant derrière eux des personnes blessées et des vies dévastées. Psychiatres, juges, éducateurs, nous nous sommes tous fait piéger par des pervers qui se faisaient passer pour victimes. Ils nous avaient donné à voir ce que nous attendions d'eux, pour mieux nous séduire, et nous leur avions attribué des sentiments névrotiques. Quand ils se sont ensuite montrés sous leur vrai jour en affichant leurs objectifs de pouvoir, nous nous sommes sentis trompés, bafoués, parfois même humiliés. Cela explique la prudence des professionnels à les démasquer. Les psychiatres disent entre eux : «Attention, c'est un pervers !», sous-entendu : «C'est dangereux» et aussi : «On n'y peut rien.» On renonce ainsi à aider les victimes. (Marie-France Hirigoyen, "Le Harcèlement Moral", page 9)>>.
- <<Les pervers narcissiques sont envahis par un « autre » dont ils ne peuvent se passer. Cet autre n'est même pas un double, qui aurait une existence, seulement un reflet d'eux-mêmes. D'où la sensation qu'ont les victimes d'être niées dans leur individualité. La victime n'est pas un individu autre, mais seulement un reflet. Toute situation qui remettrait en question ce système de miroirs, masquant le vide, ne peut qu'entraîner une réaction en chaîne de fureur destructrice. Les pervers narcissiques ne sont que des machines à reflets qui cherchent en vain leur image dans le miroir des autres. Ils sont insensibles, sans affect. Comment une machine à reflets pourrait-elle être sensible ? De cette façon, ils ne souffrent pas. Souffrir suppose une chair, une existence. Ils n'ont pas d'histoire puisqu'ils sont absents. Seuls des êtres présents au monde peuvent avoir une histoire. Si les pervers narcissiques se rendaient compte de leur souffrance, quelque chose commencerait pour eux. Mais ce serait quelque chose d'autre, la fin de leur précédent fonctionnement. (Marie-France Hirigoyen, "Le Harcèlement Moral", page 130)>>.
(f) Lire "Harcèlement Moral".
Nota Bene. Les mots en gras sont tous définis sur le cédérom encyclopédique.