illustration

Réseau d'Activités à Distance

rad2000.free.fr

Sommaire


Vous lisez

http://rad2000.free.fr/montan02.htm

Autonomie et lien social dans le télétravail salarié


Une publication du Chapitre - Culture:
Résumé

Bien qu'il apparaisse communément comme un simple déplacement d'activités en dehors de l'entreprise, le télétravail entraîne de nombreuses modifications tant dans l'organisation du travail que dans la place du télétravailleur au sein de l'entreprise et de l'institution. En se basant sur une enquête sur l'identité professionnelle du télétravailleur, effectuée au CNRS en 1994, nous essayerons de mettre en évidence l'articulation possible entre exigence/ besoin d'autonomie du professionnel par rapport à son organisation de rattachement et nécessité/ revendication d'appartenance.

Mots clés

Télétravail salarié, autonomie, subordination, lien social, socialisation, rôle.


Introduction

Le télétravail, bien plus qu'une nouvelle méthode de travail, correspond à une nouvelle organisation du travail. Il semble d'abord important de préciser ce que l'on met sous le terme télétravail. En France, la définition de T. Breton (1994) peut être une base de réflexion:

"Le télétravail est une modalité d'organisation et/ou d'exécution d'un travail exercé, à titre habituel, et à titre principal en ce qui concerne les éléments constitutifs du travail lui-même, dans les conditions cumulatives suivantes:

d'une part, ce travail s'effectue:

d'autre part, ce travail s'effectue au moyen de l'outil informatique et/ou des outils de télécommunications et implique nécessairement la transmission au moyen d'une ou de plusieurs techniques de télécommunications au sens de l'article L.32 du code des PTT, y compris au moyen de systèmes informatiques de communication à distance


* Formes de télétravail

Sous cette définition unique, il existe en fait différentes formes de télétravail:

Indépendants: Parfois sous-traitants d'entreprises, ils proposent des services très variés, qu'ils diversifient suivant les besoins ponctuels de leurs clients. Exemples: Professions libérales (informaticien, comptable, secrétaire, traducteur...)

Groupware: Coopération par télématique d'équipes dispersées, locales, nationales, internationales, travaillant sur un même projet. Exemples: Projets de recherche, marketing international pour des chercheurs, consultants du secteur privé ou public...

Cadres nomades: Ils poursuivent les échanges professionnels par télématique à partir des lieux où ils se trouvent. Exemples: Commerciaux, managers internationaux...

Entreprises de téléservice: Sous-traitance de travaux indirects. Exemples: Télésecrétariat, télégestion, téléconception. (Remarque: ces entreprises peuvent résulter d'une externalisation de départements d'une moyenne et grande entreprise, non directement liés aux métiers spécifiques de celles-ci.)

Offshore work: Sous-traitance de traitements de données ou de conceptions informatiques dans les pays à bas salaires ou à fuseaux horaires différents. Exemples: saisie d'annuaires, de textes juridiques, développement informatique de grandes entreprises (banques, ventes par correspondance)...

Télécentres: A proximité de son domicile, le salarié travaille dans un local professionnel avec d'autres salariés. Exemples: Télécentres ruraux mettant un local équipé à disposition de différents emplois administratifs ou techniques, secrétariat, gestion, prise de rendez-vous...

Travail à domicile de salariés: Exemples: Emplois de bureaux, sur dossiers, gestion de télégrammes...


* Le télétravail de salariés à domicile

Nous allons nous centrer dans cette communication sur le télétravail de salariés à domicile.

En effet, les conditions de travail, le lien avec l'entreprise, l'intégration à un collectif professionnel s'y trouvent bouleversés. Comme le rappelle P. Bernoux (1995), l'entreprise est un lieu où se crée du lien social, où coexistent des identités, des accords, des réseaux, bref un lieu d'apprentissage de la coopération. Système d'appartenances multiples, l'entreprise a dû, dès l'origine, composer avec ses différentes communautés. Des salariés à profils sociaux, qualifications, fonctions différents doivent dans le plus mauvais des cas, coexister, dans le meilleur, coopérer.

Or, la singularité de la structure organisationnelle dans le télétravail engendre un regard nouveau sur la question de l'autonomie et des liens sociaux professionnels dans ce contexte. En effet, le salarié, délocalisé par définition, doit occuper une nouvelle place par rapport à l'organisation traditionnelle du travail. Il se retrouve seul, à domicile, tout en ayant le même statut de salarié d'une entreprise.

Le concept d'individualisme coopératif de C. Thuderoz (1995) peut ainsi être utilisé pour désigner ces nouvelles attitudes au travail où on demande à la fois à des individus de prendre en charge de façon autonome leur travail et en même temps de s'inscrire dans un collectif de travail qui devient de plus en plus virtuel. Il y a ainsi, selon lui, reconfiguration du lien social. Mais comment des salariés (surtout de faible qualification) qui ont été habitués à obéir, peuvent-ils passer d'un état d'exécutant soumis à celui de responsable autonome ?

Nous étudierons donc quel type de lien le télétravailleur à domicile établit avec son entreprise et si, dans cette nouvelle forme d'organisation du travail, le télétravailleur devient plus autonome.

Nous nous appuierons, en particulier, sur une enquête effectuée, dans le cadre du C.N.R.S., sur l'identité professionnelle du télétravailleur. Cette enquête s'est centrée sur des télétravailleurs de faible qualification d'une grande entreprise française, délocalisés à domicile un jour sur deux.


* Autonomie ou dépendance

Dans le télétravail, le salarié n'a pas les mêmes relations avec la hiérarchie; le chef n'est plus aussi présent, en tout cas physiquement.

En effet, les Technologies d'Information et de Communication (T.I.C.), dans une configuration de télétravail, bousculent les critères classiques de subordination, liés spécifiquement à la surveillance de la présence physique et du temps de travail. Le fait de travailler en dehors de l'entreprise implique, nous l'avons vu, de nouvelles relations avec la hiérarchie pour le contrôle du travail et donc un nouveau style de management. Les plus concernés semblent être les cadres intermédiaires qui changent de rôle dans l'entreprise et qui ont l'impression de voir s'envoler une partie de leurs tâches et une partie de leur pouvoir dans ce nouveau type de management.

Or, comme le constate le sociologue J-C. Marot (1993), "on oublie trop souvent que la culture d'entreprise est fondée sur le contrôle de la présence de l'employé et sur la disponibilité à la demande de ses supérieurs hiérarchiques. Il est des cadres qui ne peuvent gérer s'ils n'ont pas des contacts directs avec leurs subordonnés".

La modification de leur fonction de contrôle présentiel peut donc entraîner de fortes résistances de leur part: "on constate parfois des situations de blocage, où des cadres manifestent une réelle mauvaise volonté à accompagner l'introduction du télétravail".

Dans l'étude sur "L'identité professionnelle du télétravailleur", les télétravailleurs ont bien ressenti et exprimé cette gêne chez leur hiérarchie: "les chefs n'ont pas compris qu'au site ou à domicile, on fait le même emploi."

Deux solutions peuvent alors se présenter pour la hiérarchie:

Ces différents moyens sont d'ailleurs trés mal perçus par les télétravailleurs: << Si au bout de 5 minutes il n'y a pas d'opération sur Minitel, la communication est coupée automatiquement >>; << Il y a un regard, c'est vicieux, on voit qu'elle (la hiérarchique) a visionné nos télégrammes. >>.

En réalité, ce n'est pas seulement un nouveau contrôle qu'entraîne le télétravail mais aussi un nouveau type de management c'est-à-dire de la fonction d'encadrement des cadres. L'entreprise ne peut plus fonctionner sur un mode hiérarchique horizontal mais doit se reconfigurer selon une structure de type réseau.

Le manager doit mobiliser ses collaborateurs autour de projets vivants et renouvelés. Il doit être capable de faire travailler efficacement une communauté d'individus tous différents et de s'assurer de l'adhésion aux valeurs communes de l'entreprise, point important, nous le verrons, pour l'intégration des télétravailleurs.

Le télétravail suppose donc des relations de confiance, de collaboration dans l'entreprise. La relation hiérarchique s'établit alors sur la fixation et l'atteinte d'objectifs.

C'est d'ailleurs une des critiques les plus vives des syndicats: progressivement, selon eux, l'idée d'une rémunération au résultat va faire son chemin et battre en brèche la notion de salaire garanti. Au bout du compte, concluent-ils, les salariés vont devenir des prestataires de services.

Sans méconnaître le bien-fondé de certains point de vue des organisations salariales, nous pensons que le télétravail - sous conditions précises - permet au salarié de devenir plus responsable de son travail, d'être acteur dans des projets, d'avoir des relations de collaboration et non plus de seule subordination avec la hiérarchie. Mais cela suppose une auto-évaluation de la part du télétravailleur et non plus un contrôle unidirectionnel des supérieurs. Finalement, le télétravailleur doit gérer son travail d'une façon autonome.


* Vers une gestion autonome du travail

En reprenant la typologie de la Fondation Européenne pour l'Amélioration des Conditions de Vie et de travail (1984), on peut distinguer quatre types d'autonomie possibles selon les formes de télétravail qu'elle répertorie comme:

le télétravail-dépannage social

le télétravail-récompense

le télétravail-rapprochement

le télétravail-éloignement

Le télétravail-dépannage, social à la fois pour des individus et pour des entreprises en difficulté, peut être rapproché du type de télétravail étudié dans l'enquête sur l'identité professionnelle du télétravailleur. Les télétravailleurs y ont en général, une faible qualification et les t, ches réalisées sont les mêmes que dans l'entreprise, segmentées. On peut comparer l'organisation de ce type de télétravail à du néo-taylorisme où l'autonomie est quasiment inexistante.

Le télétravail-récompense (pour les salariés), au contraire, marque une évolution par rapport à l'organisation du travail dans l'entreprise. Les tâches du télétravaillleurs se trouvent à la fois élargies et enrichies. Le télétravailleur peut ainsi avoir accès, dans certains cas, à beaucoup plus d'autonomie.

Le télétravail-rapprochement concerne des salariés qui travaillent à domicile ou dans des télécentres à proximité de leurs habitations. Il peut être comparée à de la sous-traitance où le groupe de travailleurs délocalisés est totalement autonome par rapport à la direction.

Le télétravail-éloignement, enfin, concerne une main d'oeuvre très qualifiée qui s'est volontairement délocalisée de l'entreprise afin d'avoir accès à de meilleurs conditions de vie, par exemple, en changeant de région. Il peut être vu comme un luxe: meilleure condition de travail, reconnaissance sociale et très forte autonomie.

Il nous semble important de souligner que si le télétravail peut avoir une chance de se développer en suscitant une réelle adhésion chez les salariés, il ne doit pas s'appuyer sur la formule télétravail-dépannage social, mais au contraire favoriser l'autonomie du salarié.

Il est clair que lorsque l'on parle d'un télétravail non taylorisé, le salarié doit de plus en plus faire preuve d'autonomie, être capable d'initiative et savoir prendre des responsabilités, il apparaît que les contours de ce qui est considéré comme du travail salarié traditionnel perdent de leur précision.

Le télétravailleur doit assumer des responsabilités qu'il n'avait pas en tant que salarié classique, notamment sur:

Son propre travail:

L'aménagement de son poste, parce qu'il est en relation avec l'extérieur (courrier, téléphone, télécopie, Minitel, réseaux...) nécessite une organisation spatiale pertinente avec son classement, la documentation, pour répondre trés vite aux correspondants.

Le partage vie privée/vie professionnelle:

Les conditions de télétravail à domicile supposent le partage spatio-temporel du logis avec la famille. Elles obligent les protagonistes à des efforts continus d'adaptation, en vue d'une organisation privée/professionnelle qui satisfasse les dimensions affectives qu'elle sous-entend.

L'évolution technologique:

Ne pouvant compter sur l'appui impromptu de ses collégues, sur un coup de main, pour résoudre un probléme, le télétravailleur devra, pour aboutir dans sa démarche, disposer d'un ensemble de ressources capables de répondre à ses besoins (banques de données, personnes compétentes, documentation.). Ces éléments ont pour utilité essentielle de lui procurer une maîtrise quasi-totale de la technologie et des données qui lui sont nécessaires pour la réalisation de sa tâche, maîtrise garante d'une autonomie suffisante pour des initiatives. Ainsi pourra-t-il gérer les situations difficiles, inattendues, au mieux des objectifs assignés. L'ensemble de ces moyens lui permettra, par le renouvellement de ses connaissances, de construire sa culture professionnelle, en se formant au rythme des difficultés rencontrées et résolues.

La maintenance des équipements:

Le télétravail, réalisé essentiellement sur des équipements télématiques, demande aux opérateurs, en plus de la connaissance des matériels bureautiques courants, celle des machines de télétransmission à la fois pour leur utilisation et pour une maintenance légére. Fréquemment des aléas passagers empêchent leur bon fonctionnement, mais ne nécessitent pas le déplacement d'un agent de maintenance.

Enfin, toutes ces situations nouvelles demandent des prises de décisions personnelles, rapides, comme peut être amené à le faire un chef d'entreprise dans son action quotidienne.

Un opérateur oeuvrant habituellement dans les locaux de son entreprise, et devenant subitement télétravailleur, n'est pas prêt à de telles modifications de son comportement, voire de ses responsabilités. Il devra vivre, en plus du stress lié au changement de situation, celui qui est créé plus directement par l'accès à de nouvelles responsabilités.

La psychologie sociale a largement montré comment l'élaboration des connaissances et même de la personnalité d'un individu passaient par des échanges et confrontations interpersonnels. La situation du télétravailleur isolé pose donc problème. Par exemple, D. Lievin et G. Krawsky (1990) ont mis en évidence qu'une incertitude trop grande sur l'état d'un système pouvait entraîner un déséquilibre émotionnel chez un opérateur et une réaction inadaptée en cas de situation imprévue. Faut-il, à propos de cette incertitude et dans le cas du télétravailleur, se poser la question du stress et de la santé mentale du salarié isolé ? Une certaine tension affective inhérente au sentiment de responsabilité au travail se transformerait ainsi en véritable stress sous l'effet renforçateur de l'isolement. Certains salariés vivent ainsi difficilement l'absence de contact direct avec leur hiérarchie. Loin d'y trouver une plus grande liberté, ils y voient une frustration parce qu'ils ont le sentiment ou simplement la crainte de perdre quelque chose du message qui leur est destiné, et, par conséquent, de ne pas remplir complètement la mission qu'on leur confie

Synthèse partielle:

Dans notre enquête, il a été montré que la relative liberté du télétravailleur, l'encadrement de son activité dans des tâches prédéfinies et télécontrolées ne diminuent en rien sa dépendance vis-à-vis de l'entreprise. Le télétravailleur ne devient pas un acteur dans son travail, dans son entreprise. Il reste un exécutant qui est seulement délocalisé.

Si l'entreprise veut que le télétravail soit une réussite, elle doit donc tout mettre en oeuvre pour favoriser une appropriation de son travail par le télétravailleur.

une reconfiguration du lien social


* Y a-t-il intégration à un collectif de travail ?

L'enquête réalisée en 1994 a également permis de constater que le télétravail risquait d'entraîner un réel isolement social chez les télétravailleurs

Tout d'abord, il semblerait qu'inconsciemment les télétravailleurs enquêtés assimilent télétravail et manque d'interaction avec des collégues. En effet, s'ils estiment ne pas avoir eu de diminution de contacts dans la situation de télétravail, la grande majorité affirme que le télétravail ne peut pas convenir à quelqu'un qui a besoin de "bouger", de changer de milieu, de travailler en équipe ou d'entrer en relation.

Il apparaît aussi que les télétravailleurs, du fait de leur délocalisation, ne participent pas réellement à une vie de l'entreprise. En effet, la participation à des réunions (syndicales ou de service avec la hiérarchie) par l'intermédiaire du téléphone ne semble pas être adéquate à leur besoin d'appartenance et a pour conséquence une certaine mise à l'écart du télétravailleur.

Pour la médecine du travail, l'isolement est d'abord un risque lié à la disparition du collectif de travail et des relations sociales qu'il implique. L'isolement est lié aussi à la perte du cadre spatio-temporel "habituel" du travail avec notamment l'absence d'horaires fixes et la nécessité d'une autodiscipline stricte pour l'organisation de son travail, nous l'avons vu. Par conséquent, la notion d'isolement est assez spécifique de l'activité du télétravailleur à domicile. M. Lallement (1990) souligne que, mis à l'écart des normes de l'emploi, les télétravailleurs sont également confinés aux marges de la collectivité salariale.


* Y a-t-il appartenance à une Culture d'entreprise ?

Ce concept de << culture d'entreprise >> nous semble être intéressant à étudier dans le cadre du télétravail car il est l'expression du problème de l'intégration, dont la représentation est forte dans la société actuelle. Comme toute organisation, l'entreprise façonne sa propre culture, qui lui donne son identité particulière. La culture est un système de représentations et de valeurs partagées par tous les membres de l'entreprise mais elle a surtout deux effets importants:

Elle mobilise les énergies et les focalise sur quelques objectifs majeurs: elle fait agir

Elle canalise les comportements autour d'un certain nombre d'actions: elle dirige.

Les nouveaux se reconnaissent au fait qu'ils ignorent la culture de l'entreprise; les inadaptés au fait qu'ils la rejettent ou qu'ils sont incapables de l'utiliser. Quid des télétravailleurs ?

Une culture d'entreprise est façonnée par les finalités, les orientations politiques, les projets et les stratégies individuelles et institutionnelles, la distribution et l'exercice des pouvoirs et contre-pouvoirs, les structures formelles et informelles, les relations, les comportements et attitudes professionnels et sociaux, les coutumes, habitudes et traditions, les idéologies et les croyances, les tabous et interdits, les valeurs, les conditions matérielles d'existence et de travail. La question qui se pose dans le cas du télétravail est de savoir comment créer ou recréer une unité dans des entreprises, unité qui tend à être éclatée. Nous pouvons reprendre chacun de ces éléments et voir ainsi que le télétravail les modifie.

Le fait qu'une entreprise choisisse de mettre en place une plate-forme de télétravail entre, normalement, dans sa finalité, ses orientations politiques (ou bien ce n'est qu'un effet de mode...). Le fait de se lancer dans une expérience de télétravail a pour beaucoup d'entreprise tout d'abord une finalité économique: réduire des charges fixes, des frais de transports mais peut aussi avoir une finalité sociale: concilier les conditions de travail de ses salariés.

La culture d'entreprise est en grand risque de s'affaiblir, voire de disparaître au grand dam des grandes organisations professionnelle des travailleurs+: les réunions, les discussions plus ou moins informelles, le recrutement d'adhérents, bref la possibilité même de militer s'estompe et ces organismes redoutent la parcellisation du contre-pouvoir qu'ils représentent.

Le télétravail change la nature des interactions entre salariés. Celles-ci ont toujours une finalité précise, aucun des contacts informels qui avaient lieu à l'intérieur de l'entreprise ne sont possibles lors d'une délocalisation à domicile.

Bref, tout ce qui constitue les coutumes, les valeurs, les traditions est aussi beaucoup plus difficile d'accès pour un télétravailleur.

Sans compter que l'écart entre des permanents et des "périphériques" peut aussi nuire à l'apprentissage des savoir-faire, à la connaissance de certains "tuyaux", de "tours de main", à l'acquisition des connaissances informelles qui permettent habituellement la réalisation du travail.

Les messageries électroniques ou les conversations téléphoniques peuvent-elle remplacer, dans ces différents cas, le présentiel+? On peut faire remarquer que les télétravailleurs peuvent s'approprier les T.I.C dans cet objectif, en particulier dans des sessions préalables de formation ad hoc.

Dans notre étude, il est apparu qu'un certain nombre de télétravailleurs avaient l'impression d'être un groupe à part au sein de l'entreprise, d'appartenir à une catégorie particuliére de personnel: << on est à part, c'est humain, à chaque fois qu'on fait quelque chose de nouveau, on est à part. >>. cela entraîne un sentiment de non-intégration au sein de l'entreprise.: << quand les chefs comptent les effectifs, ils ne prennent pas en compte les télétravailleurs, on a le sentiment de ne pas exister puisqu'on n'est pas sur le site. >>

Mais, le fait de former une sorte de sous-groupe entraîne du coup une certaine solidarité de principe au sein des télétravailleurs; le fait de percevoir une << menace externe >> renforce la cohésion du groupe des télétravailleurs. Il peut donc se créer une sous-culture communautaire entre les télétravailleurs qui leur permettra d'appartenir à un collectif de travail. Celui-ci est cependant pour partie virtuel.


* Conclusion

Paradoxalement, les télétravailleurs doivent être autonomes et en même temps ont un besoin d'appartenance.

Ce n'est donc qu'à la condition d'une préparation coopérative que l'entreprise peut déléguer des pouvoirs à des télétravailleurs exercés à la décision, pr'ts aux responsabilités. En effet, le télétravail n'est pas seulement une externalisation d'un travail qui était jusque là effectué à l'intérieur de l'entreprise. Il suppose de nouvelles compétences et donc, aussi bien une nécessaire formation pour les télétravailleurs et leur encadrement, qu'une information à l'intérieur de l'entreprise pour l'ensemble des autres salariés.

Créant une situation potentiellement-collaborative, le télétravail peut transformer la relation entreprise-salarié en une relation entreprise-collaborateur dont l'efficacité peut rapidement s'affirmer, tant à l'entreprise qui gagne un acteur déterminé, responsable et autonome qu'au télétravailleur. Celui-ci, reconnu dans son rôle professionnel et personnel, libre à un certain niveau de décisions, trouve alors dans ce fonctionnement les raisons d'une possible réalisation individuelle tout en tenant sa place dans l'entreprise et l'institution.


* Auteur

Véronique Montandreau

Groupe de recherche ICTT / Ecole Centrale de Lyon

36; av. Guy de Collongue, B.P. 163, 69131 Ecully

Tel: 04-72-18-61-25

Email: Montandreau@ictt.ec-lyon.fr


* Bibliographie

Armellino L., Montandreau V. (1995), La formation au télé-travail, Lyon, Rapport à LADAPT.

Armellino L., Montandreau V. (1995), Télétravail: quelles formations pour quelles compétences?, Actes du Congrés A.I.M., Namur, Belgique.

Armellino L., Montandreau V. (1994), Autonome ou dépendant, quelle identité professionnelle pour le télétravailleur ?, Actes du Congrés international de psychosociologie du Travail, Neuchâtel. Suisse.

BERNOUX P.(1995), La sociologie des entreprises, Paris, Points, Seuil.

BRETON T., (1994), Le télétravail en France, situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques, Paris, La documentation française.

ETTIGHOFFER D. (1992), L'entreprise virtuelle ou les nouveaux modes de travail, Paris, Odile Jacob.

Fondation Européenne pour l'Amélioration des Conditions de Vie et de Travail, (1984) Télétravail, Impact sur les conditions de vie et de travail, Dublin.

GIRARD H. (1995), Comprendre le télétravail, un guide pour l'entreprise, Paris, Les éditions du téléphone.

GONTIER G. (1994), Le télétravail, vague de fond ou engouement passager, Paris, Dossier du Centre d'Etudes de l'Emploi, N4.

Kouloumdjian M.F., Armellino L., Montandreau V. (1995), French report about the social dimension of telework, rapport à la Communauté Européenne, DG V.

KOULOUMDJIAN M.F., MONTANDREAU V. (1994), l'identité professionnelle du télétravailleur, Rapport C.N.R.S.

Lallement M. (1990), Des P.M.E. en Chambre, Paris, Logiques Sociales l'Harmattan.

Lievin D., Krawsky G. (1990), Le travail isolé et ses risques: une analyse sociotechnique, Le travail Humain, Tome 53, N1.

Marot J-C. (1993), Le journal du téléphone, N15, Déc.

Nora D. (1995), Demain vous travaillerez comme ça, Le Nouvel Observateur, 14-20 septembre.

Ray J-E. (1992), "Nouvelles technologies et nouvelles formes de subordination, Droit Social, N6, juin.

Sainsaulieu R. (1985), l'Identité au Travail, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.

Thuderoz C. (1995), Du lien social dans l'entreprise, Revue française de Sociologie, XXXVI.

VanOost V. (1993), "Plus de temps pour le vie", L'idée N13, sept/oct/nov.

M.F. Kouloumdjian, V. Montandreau, L'identité professionnelle du télétravailleur, Rapport CNRS/Lyon2, 1994.

H. Girard (1995), Comprendre le télétravail, Paris, Les éditions du téléphone.

J-E. Ray (1992), "Nouvelles technologies et nouvelles formes de subordination, Droit Social, N6, juin.

D. Lievin, G. Krawsky (1990), Le travail isolé et ses risques: une analyse sociotechnique, Le travail Humain, Tome 53, N1.


* Pour publier sur le site du R.A.D.
* Retours
* Pour votre prochaine visite

Quoi de Neuf sur le Réseau d'Activités à Distance?


Reproduction interdite
Association R.A.D. - Chez M.Houdoy - 18, rue Raoul Follereau - 42600 Montbrison - FRANCE.
* Fax: 04 77 96 03 09
Mise à jour: 16/07/2003