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Télétravail: quelles formations pour quelles compétences ?


Une publication du Chapitre - Culture:
* Introduction

Bien qu'il apparaisse communément comme un simple déplacement d'activités hors de l'entreprise, le télétravail contraint l'opérateur, surtout de moyenne ou de faible qualification, à de profondes mutations dans sa relation aux responsabilités de son poste, tant sur le plan des techniques, et donc des connaissances et compétences, que sur le plan des comportements, mutations qui entraînent des conséquences sur l'individu.


* Définition du télétravail

Selon la Fondation Européenne pour l'Amélioration des Conditions de Vie et de Travail (1984), "le télétravail consiste en un travail réalisé par un salarié délocalisé, c'est à dire séparé de son établissement ou un indépendant et dont l'activité nécessite l'utilisation intensive des moyens de télécommunications". Il semble important de préciser ce que l'on met sous le terme de télétravail car il existe une distance entre la définition que l'on en donne et les applications que l'on observe. On peut distinguer sept types de télétravail: les indépendants, le groupware, les cadres nomades, les entreprises de téléservices, l'offshore work, les télécentres et le travail à domicile des salariés par l'intermédiaire des télécommunications.

Dans la plupart des analyses produites jusque là, le télétravail apparait comme un élèment facilement assimilé par les cadres et responsables aux fonctions importantes, leur apportant même, parfois, sur le plan personnel, un surcroît de prestige. Il n'en va pas de même pour des exécutants de petites tâches qui, curieusement, voient se développer, avec leur éloigenement du lieu habituel d'activité, méfiance et accroissement des contrôles, de la part de leurs chefs, mais aussi de leurs collègues de même niveau. On supporte mal, dans les groupes de travail, l'éloignement de certains "qui en profitent pour rester chez eux, bien tranquilles". Nous avons donc choisi de nous intéresser à cette population de télétravailleurs à domicile.


* Bouleversement de l'organisation traditionnelle du travail

D'une manière générale, le travail est perçu comme une activité intellectuelle ou manuelle qui s'exerce dans un lieu particulier (l'entreprise, l'administration, l'association....) et dans un temps pré-défini (la pointeuse, le chronomètre...).

L'organisation traditionnelle du travail s'appuie sur ces notions spatio-temporelles et fixe ainsi des lois ou des rites qui permettent aux salariés de se situer dans l'organisation.

La localisation (étage, orientation), la taille des locaux, leur implantation et leur décoration, la qualité des équipements marquent significativement les niveaux hiérarchiques et l'identité sociale des occupants; souvent même, leur emplacement facilite le suivi et le contrôle des subordonnés.

Tout espace organisationnel est ainsi un lieu à la fois divisé et imposé que le personnel tente de s'approprier, un lieu riche symboliquement, un théâtre d'interactions, un lieu d'enracinement.

Or, dans le télétravail, ce lieu n'existe plus de façon complètement permanente, il se reconstruit, pour parti, dans un autre espace qui est privé.

Le télétravail, bien plus qu'une nouvelle méthode de travail, correspond à une nouvelle organisation du travail qui prend en compte les nécessités vitales de la famille et les pressions issues de la discipline propre aux comportements professionnels dans une organisation hiérarchique, voire à celles issues d'un contexte économique et géographique.

Le télétravailleur doit donc gérer en un même lieu une double identité, professionnelle et personnelle et donc gérer son temps entre ces deux pôles. Il reste souvent seul, face aux décisions à prendre, aux choix à effectuer aux risques inhérents au partage: comment hiérarchiser les tâches ?

Ainsi, le télétravail n'entraîne pas seulement une modification de la gestion de son temps, mais aussi un rapport nouveau avec sa propre autonomie. Le télétravailleur doit passer du statut de simple exécutant en entreprise à celui de responsable isolé, de "quasi travailleur indépendant".


* Changement des compétences

Une enquête, réalisée en 1994, dans le cadre du CNRS, a permis de constater que le télétravail entrainait un réel changement de compétences pour certains types de salariés.

Méthodologie de l'enquête:

Cette enquête s'est appuyée sur une dizaine de télétravailleurs, délocalisés à domicile un jour sur deux, et de faible qualification d'une grande entreprise française.

On disposait pour définir les critères de recueil de données, de points de repères que sont certains indicateurs permettant de cerner un comportement au travail: le sentiment général face au télétravail, l'interaction, le pouvoir, l'intégration par rapport à un groupe professionnel, le cadre de travail.

Tous les entretiens, de type semi-directif d'une durée comprise entre une heure et trois heures, se sont déroulés au domicile et en dehors des heures de travail des télétravailleurs.

Résultats de l'enquête:

Tout d'abord, il semblerait qu'inconsciemment les télétravailleurs enquêtés assimilent télétravail et manque d'interaction avec des collègues. En effet, s'ils estiment ne pas avoir eu de diminution de contacts dans la situation de télétravail, la grande majorité affirme que le télétravail ne peut pas convenir à quelqu'un qui a besoin de "bouger", de changer de milieu, de travailler en équipe ou d'entrer en relation.

Il apparaît ainsi que les télétravailleurs, du fait de leur délocalisation, ne participent pas réellement à une vie de l'entreprise. En effet, la participation à des réunions (syndicales ou de service avec la hiérarchie) par l'intermédiaire du téléphone ne semble pas être adéquate à leur besoin d'appartenance et a pour conséquence une certaine mise à l'écart du télétravailleur.

Mais surtout, on peut supposer qu'ils ne se sentent pas ou plus intégrés dans l'entreprise parce qu'ils ne sont pas reconnus pour ce qu'ils sont devenus. Ces télétravailleurs n'ont donc pas eu, semble-t-il, accès à un pouvoir de compétences nouveau.

En outre, le fait de devoir travailler à domicile dans un cadre personnel entouré de sa famille peut être difficile à gérer. Un des problèmes des télétravailleurs enquêtés est de faire comprendre à leur famille que malgrè leur présence physique, ils ne sont pas disponibles La fait de télétravailler engendre, c'est certain, une nouvelle forme d'organisation du travail mais aussi une autre organisation au sein de la famille.


Quels changements de compétences ?

Le télétravailleur, surtout peu ou pas qualifié, pour faire face à ces changements, doit acquérir de nouvelles compétences, liées aux nécessités d'agir seul puisqu'il est isolé, éloigné de l'entreprise, du moins la plupart du temps, lieu habituel de travail.

Il doit assumer des responsabilités qu'il n'avait pas jusque-là, notamment sur:

L'aménagement de son poste, parce qu'il est en relation avec l'extérieur (courrier, téléphone, télécopie, minitel, réseaux...) nécessite une organisation spatiale pertinente avec son classement, la documentation, pour répondre très vite aux correspondants.

Les conditions de télétravail à domicile supposent le partage spatio-temporel du logis avec la famille. Elles obligent les protagonistes à des efforts continus d'adaptation, en vue d'une organisation privée/professionnelle qui satisfasse les dimensions affectives qu'elle sous-entend. Cependant, le fonctionnement, que l'entreprise soit personnelle ou que le télétravailleur soit salarié, commande les conditions d'installation du lieu de travail.

Ne pouvant compter sur l'appui impromptu de ses collègues, sur un coup de main, pour résoudre un problème, le télétravailleur devra, pour aboutir dans sa démarche, disposer d'un ensemble de ressources capables de répondre à ses besoins (banques de données, personnes compétentes, documentation.). Ces éléments ont pour utilité essentielle de lui procurer une maîtrise quasi-totale de la technologie et des données qui lui sont nécessaires pour la réalisation de sa tâche, maîtrise garante d'une autonomie suffisante pour des initiatives. Ainsi pourra-t-il gérer les situations difficiles, inattendues, au mieux des objectifs assignés. L'ensemble de ces moyens lui permettra, par le renouvellement de ses connaissances, de construire sa culture professionnelle, en se formant au rythme des difficultés rencontrées et résolues.

Le télétravail, réalisé essentiellement sur des équipements télématiques, demande aux opérateurs, en plus de la connaissance des matériels bureautiques courants, celle des machines de télétransmission à la fois pour leur utilisation et pour une maintenance légère. Fréquemment des aléas passagers empêchent leur bon fonctionnement, mais ne nécessitent pas le déplacement d'un agent de maintenance.

Enfin, toutes ces situations nouvelles demandent des prises de décisions personnelles, rapides, comme peut être amené à le faire un chef d'entreprise dans son action quotidienne.

Un opérateur oeuvrant habituellement dans les locaux de son entreprise, et devenant subitement télétravailleur, n'est pas prêt à de telles modifications de son comportement, voire de ses responsabilités. Il devra vivre, en plus du stress lié au changement de situation, celui qui est créé plus directement par la perte de "l'irresponsabilité" antérieure. Même s'il le souhaitait, et donc se satisfait de son nouveau régime, le manque de préparation à cette prise de responsabilités risque de ralentir le processus d'évolution et même de mettre en danger sa réussite.


* Former à de nouvelles compétences

C'est pourquoi, toute action de transformation d'un poste, de travail en télétravail, notamment à domicile, doit être précédée d'une préparation à de nouveaux comportements d'autonomie, de jugement, de décisions dans l'esprit du projet personnel, familial du télétravailleur, et de celui de l'entreprise.

La formation capable de faciliter de tels changements agit sur trois plans principaux:

Il s'agit essentiellement de préparation à la décision et de prise de décision.

Le salarié n'est pas à l'aise dans ces activités, et/car il en redoute souvent les conséquences.

Il faut donc lui donner les compétences de décideur, de responsable de micro-entreprise.

Le salarié est toujours soumis à une organisation de son poste qui lui est extérieure. Il a rarement le choix des procédures, des moyens, des outils. Il ne connaît ni ne mesure les résultats de son action, qui lui permettraient d'en améliorer le déroulement futur. En un mot, il ne la "gère" pas.

La formation devrait lui apporter les moyens de la gestion: connaître les objectifs, choisir les priorités, définir les actions à mener, contrôler les résultats atteints.

L'identité humaine n'est pas donnée une fois pour toute à la naissance, elle se construit dès l'enfance et tout au long de la vie. Mais l'individu ne la construit jamais seul, elle dépend autant des jugements d'autrui que de ses propres orientations et définitions de soi; l'identité est un produit de socialisations successives. D'une manière générale, l'entreprise n'est pas seulement une unité de production mais une institution, un modèle d'intégration sociale. Or, être en organisation, c'est être en "structure de mise en relation" et par là-même, dans un processus de socialisation.

Le télétravailleur doit donc avoir le souci d'une inscription identitaire en dehors de l'entreprise.

Il devient indispensable alors de construire le programme de formation en conséquence.


* Evaluation d'un groupe de formation

Nous sommes chargés depuis octobre 1994 de suivre l'évolution d'un groupe de futurs télétravailleurs afin d'évaluer la progression de leur formation. Il s'agit d'handicapés moteurs dont l'insertion dans un cadre professionnel "normal" présentait quelques difficultés, et que la DDTE (Direction Départementale du Travail et de l'Emploi) a confiée à un organisme spécialisé dans ce type de public.

Notre mission consiste en plusieurs évaluations récurrentes:

Il semble pertinent, pour cette communication, de montrer quels étaient les besoins en formation et les objectifs personnels des formés. Cette analyse est partie d'une séance de photolangage. Le photolangage est à la fois une collection de dossiers photographiques et une méthode de travail en groupe à partir d'un choix personnel d'une ou de plusieurs photographies. Chaque participant doit se positionner par rapport à une question posée et par là-même dans le groupe. Chacun a ainsi la possibilité de relier, dans un registre personnel, des éléments de son expérience du thème choisi avec ce que lui suggère telle ou telle photographie.

Deux questions ont été posées au groupe:

"Choisissez une photographie vous permettant d'exprimer ce qui est le plus important pour vous, ce qui compte le plus dans le choix du télétravail comme mode de vie professionnel."

"Choisissez une photographie qui montre le mieux vos appréhensions par rapport au télétravail."

L'analyse de cette séance a permis de regrouper 7 thèmes permettant d'expliciter ce que les formés attendent dans le télétravail. Loin d'être spécifique à cette population particulière, ces besoins sont, à notre avis, généralisables à une bonne partie d'une population salariée ou de demandeurs d'emploi. En effet, notre expérience nous conduit à penser que les exigences, les craintes ne sont que très faiblement liées au handicap.

Nous trouvons le principal reproche fait au télétravail par ceux qui l'ont pratiqué, ou risque de le faire; les recherches, les ouvrages sur ce thème marquent la crainte absolue de cette imbrication des rôles, et des confusions qui en découlent. Personne ne sait où situer le télétravailleur, et donc comment l'identifier, ainsi que son activité pour et "dans" l'entreprise. La difficulté est d'autant plus grande que, dans notre esprit, "personne" signifie dans bien des cas les responsables de l'entreprise qui répondront alors par des contraintes, les collègues du télétravailleur (cf supra, les résultats de notre enquête) qui refusent le pouvoir des compétences nouvelles, l'entourage qui intègre mal une situation complexe, et enfin le télétravailleur lui-même, incapable de construire, pour l'imposer, son identité professionnelle.

Dans bien des cas, le télétravail permet d'éliminer certains obstacles au travail: l'éloignement des campagnes et des villages, l'inexistence d'un tissu industriel proche enlèvent tout espoir de création d'activité, et onligent à un exode loin des lieux familiers. L'installation de téléservices permet alors de rester sur place et de retrouver l'emploi qui paraissait impossible.

Intérêt de notre action

Il peut sembler étonnant que le choix d'un groupe témoin de télétravailleurs porte sur des handicapés, et non sur un échantillon plus courant de population, les résultats pourraient ne pas être transposables. Par ailleurs, dans la première étude, le choix de télétravailleurs non handicapés d'une grande entreprise, accroit encore ce décalage. Or, nous avons pu vérifier que les élèments ressortis, d'abord dans le photolangage, puis au cours des entretiens expriment les mêmes préoccupations, les mêmes espoirs que la plupart de ceux que nous avions entendus précédemment. Les quelques ouvrages parus évoquent aux aussi, les attentes comparables quels que soient les télétravailleurs, à partir du moment où ils appartiennent à des niveaux d'éxécution, et non de décisions.

Ces deux études sont donc complémentaires et nous ont permis cependant de constater que si les attitudes sonts emblables vis à vis du télétravail, chacune des personnes a ses propres objectifs, et les objectifs du groupe suivi en formation sont ceux de télétravailleurs dont la demande, à cause du handicap, est parfois plus insistante dans la volonté d'une intégration à un groupe d'actifs.


* Conclusion

Pour conclure, nous retiendrons deux notions essentielles pour cette problèmatique: les compétences, la formation.

Les compétences du télétravailleur renouvellent totalement les qualifications du travailleur "internalisé" plus particulièrement sur le plan des comportements. En effet, il y a peu de différences de qualification à utiliser l'informatique dans les locaux ou à l'extérieur. Ce sont presque toujours les mêmes matériels, logiciels ou procédures. Par contre, l'éloignement nécessite des qualités humaines différentes, liées à la gestion de situation immédiate: pannes et maintenance légère, reconnaissance de base d'informations, et d'indicateurs nécessaires au fonctionnement continu dans l'objectif de qualité des résultats, et surtout recherche d'harmonie spatio-temporelle entre vie familiale et nécessités professionnelles.

La formation doit être alors spécifiquement orientée. Au delà des connaissances d'un métier acquis ou à apprendre et bien que basée aussi sur des connaissances techniques, elle doit mettre l'accent sur le renouvellement des comportements personnels, adaptés aux nouvelles pratiques. Il faut que le télétravailleur assume au mieux, à la fois ses charges et responsabilités familiales, marquées par une présence continue - et cependant nécessairement intermittente - et son rôle professionnel. Le respect des conditions de son emploi atténue la nécessité pour l'entreprise de contrôles de visu de son activité, ou de tout contrôle substitutif. Créant ainsi une situation collaborative, le télétravail transforme la relation entreprise-salarié en une relation entreprise-collaborateur, dont l'efficacité doit rapidement s'imposer, tant à l'entreprise qui gagne un acteur déterminé, responsable et autonome qu'au télétravailleur qui, reconnu dans son identité professionnelle et personnelle, libre d'un certain niveau de décisions trouve dans ce fonctionnement les raisons d'une réalisation individuelle certaine.


* Auteurs

Louis Armellino, Véronique Montandreau

2ème colloque de l'A.I.M, "Vers des entreprises ouvertes ?", Namur, 16-18 mai 1995

CNRS - IRPEACS / Equipe METIS (MédiaTechnique et Interaction Sociale)

93, chemin des Mouilles - BP 167 - 69131 ECULLY Cedex


* Bibliographie restreinte

Armellino L., Montandreau V., Autonome ou dépendant, quelle identité professionnelle pour le télétravailleur ?, Actes de colloque international de Psychologie, Neuchâtel, 1994.

Dubar C., La socialisation: construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Colin, 1991.

Fondation Européenne pour l'Amélioration des Conditions de Vie et de Travail, Télétravail, impacts sur les conditions de vie et de travail, Dublin, 1984.

Kouloumdjian M.F., Montandreau V., L'identité professionnelle du télétravailleur, CNRS/Lyon II, 1994.

Meignant A., Manager la formation, Paris, Paris, Editions liaisons, 1993.


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Mise à jour: 16/07/2003