Savoir


(a) Largu sensu. <Savoir> et <connaissance> sont souvent utilisés de manière identique, comme des synonymes. Mais il est possible d'introduire une distinction entre eux. Encore faut-il définir une convention.


(b) L'usage que Claire Héber-Suffrin fait du mot <savoir> est celui que nous faisons du mot <connaissance>.


- <<Croisement entre production des savoirs et échanges réciproques de savoirs. Bien sûr, chacune de ces deux démarches est constitutive de l'autre : on ne peut produire des savoirs sans échanger des savoirs avec d'autres. On ne peut échanger des savoirs sans en produire. Toutes nos expériences individuelles nous le disent ; l'expérience d'échanges réciproques dans les Réseaux le confirme : échanger des savoirs, c'est construire du savoir en soi, c'est produire des savoirs - ceux que nous proposons sont transformés, ceux que nous demandons et recevons, nous les transformons. C'est aussi produire des savoirs sur soi, sur autrui, sur le savoir, sur l'apprendre. De plus, l'expérience collective des Réseaux, et des "Inter-Réseaux" où des acteurs des Réseaux échangent sur leurs pratiques, a produit des savoirs sur la société, sur les organisations en réseaux ouverts, sur la pédagogie, sur la réciprocité et bien évidemment sur les Réseaux. (Claire Héber-Suffrin, chapitre 2, in Héber-Suffrin, coordinatrice, "Quand l'université et la formation réciproque se croisent". Histoires singulières et histoire collective de formation, L'Harmattan)>>.


(c) Il est pourtant possible d'opposer assez radicalement ces deux termes.


- <<On a tendance à se représenter la croissance du savoir scientifique comme un énorme banquet comportant une liste de plats d'une longueur surréaliste, en sorte qu'il est impossible à un seul et même individu de goûter chacun des mets, encore moins d'apprécier à sa juste valeur le savoir-faire du chef. Mais l'explication est une nourriture d'un genre particulier : il n'est pas forcément plus difficile d'en avaler une grosse portion qu'une bouchée. Car il arrive qu'une théorie soit remplacée par une autre qui, outre qu'elle explique plus de choses, de façon plus précise, est aussi plus facile à comprendre ; dans ce cas, on comprend plus de choses plus facilement. C'est ce qui s'est produit lorsque la théorie héliocentrique de Copernic est venue se substituer au système plus complexe de Ptolémée qui supposait que la Terre occupait le centre de l'univers. Il arrive aussi que la nouvelle théorie soit une simplification de celle qu'elle a remplacée, comme ce fut le cas lorsque la numérotation arabe (décimale) a remplacé les chiffres romains. (David Deutsch, professeur de physique, Université d'Oxford)>>.


(d) Stricto sensu. Le Savoir n'est pas la connaissance. Le Savoir est la sanctification du stock des informations. Tandis que la connaissance consiste à faire des liens entre les choses, les événements, les propriétés et les idées, tout en les respectant, le savoir est utilisé pour mettre des barrières entre les humains dans la hiérarchie auto-reproductible.


(e) Capitalisation du savoir. Les "sociétés savantes" tirent plus de distinction de leur trésor jalousement gardé qu'elles ne font d'efforts pour le divulguer, le mettre en circulation. La rétention d'information fait partie des rites courants du culte rendu au savoir. La transmission du savoir n'est pas la définition de la pédagogie, mais celle de la délivrance (de-livraison) du diplôme. Le terme <délivrance> fait peut-être référence au harcèlement moral en quoi consiste le bizutage.


(f) A l'opposé du savoir, la connaissance multiplie les instances au sein de la personnalité de l'individu qui développe son identité dynamique.


(g) Les institutions font du savoir la totalité des informations (les rouages d'une horloge). Avec le territoire des guerriers, le savoir des prêtres contribue a faire de chaque savant (petit ou grand) un rouage de la société totalitaire.


- <<Tous les enfants sont dans l'attrait de la découverte, mais l'école française est calée sur la transmission du savoir, pas sur sa construction. Elle est plus en harmonie avec la société du XIX ème siècle qu'avec le monde d'aujourd'hui. (Jacques Perriault, Paris X-Nanterre)>>.


(h) Les savoirs ne se confondent pas avec les valeurs. Dans l'éducation moderne, l'enseignant transmet des savoirs et n'impose plus ses valeurs.


- <<Nous faisons comme si nous ignorions que les valeurs que favorisent "spontanément" les individus résultent le plus souvent de déterminations inconscientes et mécaniques du désir et que ce sont elles, à leur tour, qui façonnent les valeurs sociales dont il s'agit d'assurer la transmission. Autrement dit, les mécanismes du désir individuel trouvent là un renforcement social par le biais d'une éducation tout entière accaparée par le savoir objectif et la recherche critique de la vérité. Le résultat est là aussi contre-productif : loin de préserver la diversité individuelle, ce système renforce la tendance uniformisante. L'objectivité du savoir scientifique et la détermination des projets par la seule mécanique du désir se renforcent l'une l'autre pour noyer la diversité des personnes dans l'uniformité et l'unidimensionnalité d'un désir socialisé. La consommation, sous l'apparence de la liberté et de la diversité, reproduit le même au niveau des personnes, tandis que les seules nouveautés déterminantes se produisent au niveau des machines, par l'innovation technologique. (Tout Non Peut-être, Henri Atlan, page 21)>>.


(i) Plus que la largeur du savoir, importe le sens de ses limites :


- <<Quand je l'eus quitté, je raisonnai ainsi en moi-même : je suis plus sage que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux ; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu'il ne sache rien ; et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc qu'en cela du moins je suis un peu plus sage, que je ne crois pas savoir ce que je ne sais point. (Platon, "Apologie de Socrate", traduction de Victor Cousin, 1822)>>.


(j) Le pouvoir doit-il est confié voire abandonné à ceux qui détiennent le savoir ?


- <<Il existe, en vérité, un argument "prudentiel" en faveur de la démocratie : à savoir que les différents groupes d'individus auront plus de chance de se faire respecter si tous les membres de tous les groupes sociaux partagent le pouvoir politique. C'est un argument convaincant ; en son fond même, il est étroitement lié à notre compréhension partagée de ce qu'est le pouvoir et de ce à quoi il sert. Mais ce n'est pas le seul argument qui fasse ou prétende faire ce lien. Au cours de la longue histoire de la pensée politique, les affirmations les plus communes sur la signification du pouvoir ont été de nature antidémocratique. Il me faut les examiner attentivement. Car il n'y a pas d'autre bien social dont la possession et l'usage soient plus importants que celui-ci. Le pouvoir n'est pas le genre de chose que l'on puisse garder pour soi-même ou admirer en privé, comme un avare son argent, ou le commun des mortels ses objets favoris. Le pouvoir doit être exercé pour être apprécié, et quand il est exercé, nous sommes tous dirigés, contrôlés, manipulés, assistés ou lésés. Cela étant, qui doit posséder et exercer le pouvoir étatique ? Il n'y a que deux réponses à cette question qui soient intrinsèques à la sphère politique : d'abord, que le pouvoir devrait être aux mains de ceux qui savent le mieux s'en servir ; ensuite, qu'il devrait être aux mainsou du moins sous le contrôle de ceux qui en subissent le plus immédiatement les effets. Les gens bien nés et aisés soutiennent des thèses qui sont à proprement parler extérieures à la signification sociale du pouvoir. C'est pourquoi ces deux groupes ont toutes les chances de parvenir, s'ils le peuvent, à une forme ou une autre d'argument fondé sur le savoir – prétendant posséder, par exemple, une compréhension spécifique des intérêts fixés et à long terme de la communauté politique, une compréhension inaccessible aux familles parties de rien ou aux hommes et femmes qui n'ont pas d'intérêt en jeu dans le pays. Prétendre avoir été installé là où l'on est par Dieu est aussi un argument extrinsèque, excepté, peut-être, dans ces communautés de croyants où toute l'autorité est conçue comme un don de Dieu. (Michael Walzer, "Sphères de Justice. Une défense du pluralisme et de l'égalité", 1983, Seuil, La couleur des idées, Paris, 1997, pages 395-396)>>.


(k) Le savoir ne se construit pas sur l'ignorance pure (une absence, totale ou relative, de savoir, un vide à remplir) mais contre un savoir antérieur (ce qui est plus difficile et douloureux).


- <<Cependant, les manuels, étant les véhicules pédagogiques destinés à perpétuer la science normale, sont à récrire, en totalité ou en partie, chaque fois que le langage, la structure des problèmes ou les normes de solution des problèmes de la science normale change ; bref, à la suite de chaque révolution scientifique. Et, une fois récrits, ils déguisent inévitablement non seulement le rôle mais l'existence même des révolutions qui sont à leur origine. A moins qu'il n'ait eu l'expérience personnelle d'une révolution au cours de sa vie, le sens historique du chercheur professionnel ou du lecteur non spécialisé de littérature scientifique ne peut dépasser ce qu'apportent les résultats des révolutions les plus récentes survenues dans le domaine. Les manuels commencent ainsi par tronquer le sentiment qu'a l'homme de science de l'histoire de sa discipline, puis ils fournissent un substitut de ce qu'ils ont éliminé. (Thomas Kuhn, "La structure des révolutions scientifiques", 1962, Flammarion, Champs, 1993 page 191)>>.


(l) Pour Hans Jonas, du fait des pouvoirs considérables de la technique et de ses dangers pour la nature et pour l'homme, le savoir et la prévision deviennent une nouvelle obligation morale, dans le cadre du <principe responsabilité>. Nous avons besoin d'élaborer une <science des prédictions hypothétiques, une "futurologie comparative">.


- <<Dans ces circonstances le savoir devient une obligation prioritaire au-delà de tout ce qui était dans le passé revendiqué comme son rôle, et le savoir doit être du même ordre de grandeur que l'ampleur causale de notre agir. Or le fait qu'il ne peut pas réellement être du même ordre de grandeur, ce qui veut dire que le savoir prévisionnel reste en deçà du savoir technique qui donne son pouvoir à notre agir, prend lui-même une signification éthique. Le gouffre entre la force du savoir prévisionnel et le pouvoir du faire engendre un nouveau problème éthique. Reconnaître l'ignorance devient ainsi l'autre versant de l'obligation de savoir et cette reconnaissance devient ainsi une partie de l'éthique qui doit enseigner le contrôle de soi toujours plus nécessaire de notre pouvoir excessif. Nulle éthique antérieure n'avait à prendre en considération la condition globale de la vie humaine et l'avenir lointain et l'existence de l'espèce elle-même. Le fait que l'enjeu présent porte précisément là-dessus exige, pour le dire en un mot, une nouvelle conception des droits et des obligations, dont nulle éthique et nulle métaphysique du passé n'offrent ne fût-ce que les simples principes, sans parler d'une doctrine achevée. (Hans Jonas, "Das Prinzip Verantwortung", Francfort, 1979, traduction française de Jean Greish, "Le Principe Responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique", Flammarion, Paris, 1995, Chapitre I, La transformation de l'essence de l'agir humain, pages 33-34, 2, Le rôle nouveau du savoir en morale)>>.


(m) <Reconnaître l'ignorance> est un aspect de ce que nous nommons <ouverture à la globalité>. C'est le refus de cette ignorance qui fabrique l'illusion d'une totalité.


(n) Voir Assumer les trois fonctions. Division politique du travail. Fétiche. Fétichisme. Signifiant Phallus. Savoir-combiner. Savoir-faire. Savoir-comprendre. Paramétrage. Le Monde de Sophie.


Lire "Domination Masculine".


Hubert Houdoy. Le 17 Mai 2008.


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