Domination Masculine


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Domination Masculine et Domination


**Document en cours de reprise**

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Cinquième document du Cycle Division du Travail.


Il est la suite de Harcèlement Moral. "Le Harcèlement Moral au Travail" (harcmora.htm)


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Position du problème



- <<Pourquoi l'humanité a-t-elle développé pendant des millénaires des systèmes de pensée valorisant le masculin, alors que l'infériorité féminine n'est pas biologiquement fondée ? Pourquoi a-t-on si longtemps interdit aux femmes les portes du pouvoir, mais aussi du savoir ? Pourquoi a-t-on fini par considérer ces inégalités comme naturelles ? (Anne Chemin, "Le vade-mecum du mâle dominant", in Le Monde 2, le 3 février 2007)>>.


Force est de constater que la prétendue infériorité féminine est longtemps passée pour naturelle. Par la naturalisation, une différence arbitraire (mais motivée) est perçue comme une différence naturelle. C'est qui fait entrer une inégalité imaginaire des sexes dans ce qui semble être l'immuable ordre des choses. Au lieu de se révolter contre l'arbitraire, on s'efforce d'assimiler ce qui semble nécessaire ou fatal.


Le mécanisme même de cette naturalisation est une illustration de ce que le sociologue Pierre Bourdieu nomme le paradoxe de la doxa. A l'inverse, une tentative fructueuse pour comprendre la genèse historique et la perpétuation institutionnelle de la domination masculine doit permettre de procéder à son historicisation.


D'un point de vue théorique, la permanence de la domination masculine impose de prendre en considération le rôle des institutions (la famille, la parenté, l'Etat, l'Ecole, l'Eglise) qui ont procédé et qui procèdent à une permanente déshistoricisation de la domination.


D'un point de vue historique, il n'y a pas eu de matriarcat, c'est-à-dire de pouvoir des femmes, stricto sensu ou au sens plein du terme. La mise en place de la domination masculine est donc aussi la mise en place de la domination sociale et politique dans les sociétés humaines. Mal choisi, le terme <matriarcat> désigne cette époque qui précède le patriarcat. Ce choix du terme (par des auteurs comme Bachofen ou Morgan) reste révélateur d'une époque.


D'un point de vue biologique, il faut couper court à des illusions tenaces. Hormis la maternité proprement dite, la division sexuelle du travail n'a aucune base naturelle. Même la différence de taille des individus des deux sexes n'a rien de naturel (au sens de nécessaire ou d'originel). Le processus de dévalorisation du féminin n'est pas seulement mental ou culturel, la minoration prend un aspect physique, par le processus biologique de l'alimentation.


La domination masculine, véritable invariant (à ce jour) ou universel au sein de l'humanité, semble provenir d'une première interrogation sur la reproduction, influencée par une pensée du même.


- <<Anne Chemin : Comment cette interrogation sur la reproduction a-t-elle conduit à la domination masculine ?

Françoise Héritier, Collège de France : Le fait que les hommes soient obligés de passer par le corps des femmes pour avoir des fils - un véritable scandale pour l'esprit - a assis pour des millénaires le destin des femmes et leur rapport avec les hommes. Compte tenu du temps qu'il faut pour fabriquer un être humain - neuf mois de grossesse, une longue période d'allaitement et des soins constants jusqu'à l'âge autonome pour survivre aux maladies et aux accidents -, les hommes se sont approprié les femmes car elles constituaient un bien absolument essentiel à la survie du groupe. Toute une série d'usages ont conduit à l'impossibilité pour les femmes de disposer librement de leurs corps : en raison de la prohibition de l'inceste, elles ont été données par leurs pères ou leurs frères en échange d'autres femmes venant d'autres groupes. Elles ont également été privées de l'accès au savoir : le seul qui leur était autorisé, c'est le savoir concret, l'usage des plantes, le ménage, la cuisine, les enfants. Elles ont enfin été privées, dans toutes les sociétés humaines, de l'accès à l'ensemble des fonctions d'autorité. Ces trois piliers ont construit, avec une force inouïe, un modèle d'infériorité, y compris dans la tête des femmes. Ce modèle ne relève pas d'usages culturels qui varieraient d'une société à une autre : la domination masculine constitue un modèle universel qui régit l'ensemble de nos sociétés. Le monde aurait sans doute été tout à fait différent - un certain nombre de mythes, d'ailleurs, le postulent - si les hommes avaient eu le pouvoir de faire leurs fils et les femmes celui de faire leurs filles. (in Le Monde 2, le 3 février 2007)>>.


Les oppositions paradigmatiques que l'on trouve dans toutes les langues combinent l'opposition homme / femme à des oppositions du type grand / petit, dominant / dominé ou actif / passif. Mais les diversités entre les langues naturelles interdisent tout autant de naturaliser ces oppositions. Ainsi, le genre grammatical des langues européennes voire indo-européennes connaît les modalités masculin, féminin et neutre. Mais cette association du genre et du sexe n'est pas universelle. Le polonais connaît même deux modalités pour le masculin : le masculin animé et le masculin personnel. Il peut s'agir du souvenir d'autres genres depuis longtemps abandonnés. L'opposition entre animé et inanimé se retrouve dans d'autres langues. La langue kivunjo a seize classes de genres, sans utiliser d'opposition entre les sexes.


La domination masculine trouve son origine dans des mécanismes inconscients. Ils ne relèvent pas du langage, qui nous les transmet. Ils peuvent même s'imposer à la logique, qui les renforce en croyant les fonder sur des faits. En effet, il serait dangereux de prendre pour naturelles ou neutres les catégories avec lequelles nous procédons au classement des faits que nous pouvons distinguer dans l'Univers. Le prétendu ordre des choses est plus une projection de nos fantasmes qu'une lecture de la réalité, à livre ouvert.


La compréhension de la domination masculine nous oblige à un travail archéologique à l'égard de notre inconscient. Ce qui suppose de le considérer à la fois comme un inconscient individuel, un inconscient collectif et un inconscient historique.


La Biologie d'Aristote magnifie le mâle et considère la femelle comme une matière, un réceptacle passif, un vase, dont le "sperme" est stérile. Ce point de vue est élargi par les stoïciens. Ils établissent un système d'analogie ou de correspondances entre l'organisme humain et la structure de l'univers. Il y a homologie entre le microcosme et le macrocosme.


Une vision marxiste du monde présentera la domination des prêtres et des guerriers sur les producteurs comme un moyen d'extorsion de la plus value du travailleur par le non-travailleur. Dans ce contexte, du fait de la division sexuelle des émotions, que Karl Marx n'a jamais mise en doute, la domination masculine est secondaire. Elle est seconde par rapport à la lutte des classes, dans laquelle il voit le véritable moteur de l'Histoire. La domination découlerait de l'exploitation. D'une manière similaire, une vision sexiste (machiste ou féministe) du monde présentera la domination masculine comme un moment de l'inévitable guerre des sexes. Il nous semble que ces deux points de vue sont à courte vue. Ils veulent rendre nécessaire ou naturel, ce qui est arbitraire ou culturel. Dans le double chaos de la nature externe et de la nature interne, la domination comme principe fonctionne comme un principe d'organisation et comme un principe d'intelligibilité. Ainsi s'explique, pour les classes ou pour les sexes, la prégnance de la servitude volontaire. Il n'y a qu'à l'écouter parler pour comprendre que le mâle dominant est dominé par le principe de la domination.


La séduction marchande atténue la domination physique, comme la séduction féminine aménage la domination masculine.


Construction sociale des corps


Construction du corps plein ou du corps social de l'individu par les normes de la société, à partir du corps biologique.




Relation de dominations en symbiose La prostitution ou le mariage considéré comme une relation sexuelle professionnalisée (pour l'homme ou pour la femme) sont des relations de sujet à objet dans lesquelles les positions de sujet et d'objet peuvent être interverties en passant du monde du travail au monde de l'amour. La possibilité de renversement des positions est un mieux par rapport à une domination masculine uniformisée et constante dans les deux mondes. Ceci étant, une relation sexuelle fonctionnant comme une relation de domination réversible reste une relation de domination. C'est ce que les amants refusent dans leur relation amoureuse.




Relation de domination réversible


La relation de domination réversible, entre deux individus, est une relation de sujet à objet dans laquelle les positions de sujet et d'objet peuvent facilement être interverties. Les modèles mentaux de la domination comme principe sont si bien assimilés que le dominant apparent et le dominé apparent sont tous deux dominés par le conformisme. La relation de domination réversible est d'autant plus facile à obtenir que les individus sont pris dans des chaînes hiérarchiques où la relation de domination est le véritable invariant. Un hierarchique sort d'un bureau en position de dominé et rentre dans un autre en position de dominant. Il s'agit alors de relation de domination transitive. Mais les aléas de carrière sont si nombreux ! Le mariage est une situation institutionnelle dans laquelle la relation de domination est facilement réversible selon les lieux et les temps.



Domination réversible


La relation de domination réversible entre deux individus (mariage) est une illustration de ce que la domination comme principe est plus fondamentale que la domination masculine.



Relation sexuelle professionnalisée


La prostitution est l'exemple typique d'une relation sexuelle professionnalisée. Mais elle n'est pas le seul exemple d'interpénétration du monde du travail et du monde de l'amour, au détriment de l'amour. Jusqu'à nos jours, à de très rares exeptions près, la domination masculine et l'emploi intermittent (à l'échelle individuelle ou historique) des femmes ont fait que les normes du monde du travail étaient exportées vers celui de l'amour.

- Dans certains cas, le mariage de deux partenaires d'une relation sexuelle durable peut être considéré comme une relation sexuelle professionnalisée. L'expert en caresses comme l'experte en caresses peut vendre l'usage de son expertise à un partenaire-conjoint qui a d'autres compétences à vendre sur le marché des activités (salariées ou non). Bien souvent, dans le passé, l'institution du mariage a fonctionné comme une relation sexuelle professionnalisée. C'est comme cela que l'on peut comprendre le devoir conjugal de la femme bourgeoise dispensée de vendre l'usage d'une autre force de travail à l'usine ou au bureau. La femme soumise n'est pas forcément un type de caractère mais le choix d'une stratégie professionnelle et amoureuse. La relation sexuelle professionnalisée n'est pas ce que nous nommons le travail amoureux du nomade moderne dont Robinson Crusoé nous paraît l'anticipation littéraire. La différence réside dans le refus de la domination voire de la division politique du travail et de la division sexuelle des émotions.


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o Auteur


Hubert Houdoy


Créé le 17 Octobre 1998.

Modifié le 22 Octobre 2002, le 5 Février 2007


o Suite Possible


Cycle Historique. "Des Marchés et des Métiers"


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o Bibliographie


La domination masculine

Pierre Bourdieu

Editions du Seuil

Paris, 1998

142 pages.


o Complément


paranorm : "Paradoxe de la Normalité".


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o Définitions


Nota Bene. Les mots en gras sont tous définis sur le cédérom encyclopédique.