Stratégie basse


(a) La stratégie basse est la stratégie de ceux qui appliquent des sanctions antisociales contre les gens honnête ou vertueux.


- <<La morale a ses ruisseaux d'où les gens déshonorés essaient de faire jaillir sur les plus nobles personnes la boue dans laquelle ils se noient. (Honoré de Balzac, "Le Lys dans la vallée", 1836, 2. Les premières amours)>>.


(b) La stratégie basse, dans la théorie des jeux et dans la vie quotidienne, est la stratégie du pervers.


- <<A peut décider de livrer à B sa chaise contre une certaine quantité de monnaie. Mais il n'agira de cette manière que pour autant qu'il anticipe que, dans le futur, grâce au signe monétaire qu'il vient d'acquérir, il lui sera possible d'obtenir la montre de B. Ce n'est plus B qui fait l'objet de la confiance de A mais le signe monétaire dans sa capacité présumée à conserver sa valeur. Que se passe-t-il lorsque des individus se trouvent dans une telle relation ? La théorie économique analyse cette situation en supposant que les agents A et B sont parfaitement rationnels, ce qui signifie en particulier qu'ils agissent toujours de manière à maximiser leur utilité. Très clairement, la coopération ( 5 , 5 ) est meilleure pour tous que la situation ( 0 , 0 ). Cependant A, analysant la situation, voit bien que s'il fait confiance à B et si B est rationnel, celui-ci va nécessairement choisir

de tricher puisqu'ainsi il obtiendrait une utilité de 20 supérieure à celle de 5 qu'il aurait obtenue en coopérant avec A. Aussi, si A ne fonde son action que sur la stricte rationalité, il ne fera pas confiance à B et n'entrera pas en relation avec lui, car il sait que la rationalité conduit B à trahir. Ce résultat est troublant dans la mesure où il indique que la rationalité ne peut fonder la coopération entre A et B. Pour éviter ce résultat insatisfaisant, B pourrait être amené à faire des promesses à A : il promet à A que, si A lui fait confiance, il honorera cette confiance. La théorie des jeux montre alors simplement, en répétant le raisonnement précédent, que cette promesse n'est pas crédible. B aura beau promettre, A sait qu'une fois qu'il aura passé la main à B, ce dernier aura intérêt à revenir sur sa parole. Ce résultat est intéressant car il montre que, même si la volonté de coopération de B était véritablement sincère, B n'aurait aucun moyen de communiquer à A son authentique désir de coopérer : l'interaction rationnelle bloque les individus dans une situation de suspicion généralisée dont ils ne peuvent sortir, même si tous deux la jugent néfaste. B ne peut réussir à convaincre A de lui faire confiance. Ce blocage correspond à ce que nous avons appelé «l'incomplétude de la logique marchande pure» ; à savoir une configuration où la stricte «horizontalité» de la relation, au sens où les individus en présence ne partagent rien si ce n'est leur désir de maximiser leur utilité

personnelle, conduit à une impasse. Si, dans une première approximation, on identifie la valeur économique au principe collectivement reconnue selon lequel chaque agent agit de façon à maximiser son intérêt personnel, il apparaît que la seule mobilisation de cette valeur ne suffit pas à engendrer la confiance et à sortir de l'état de nature. Examinons maintenant les différentes solutions imaginées par les économistes pour que, malgré tout, la coopération soit rendue possible. On en distinguera trois : le contrat, le serment et la réputation. (André Orléan, "La Théorie économique de la confiance et ses limites", in "La Confiance en question", L'Harmattan, 2000)>>.


(c) L'individu pervers cherche non seulement l'affrontement (le jeu à somme nulle) plutôt que la coopération (le jeu à somme positive), mais les méthodes les plus basses (vulgarité, non-communication, anonymat, harcèlement, fourberie) qui ne peuvent mener qu'à une destruction (le jeu à somme négative).


(d) La stratégie du pervers s'explique par le fait que l'image qu'il a de lui-même est si mauvaise, qu'il ne voit pas d'autre solution que de rabaisser les autres pour se rehausser relativement. Dans la "Liste de Schindler", le film de Steven Spielberg ("La Couleur Pourpre"), la stratégie basse est celle de Amon, le chef SS du camp.


(e) A l'opposé, dans les situations de concurrence, sur le marché, quand la coopération n'est pas possible et que l'affrontement s'impose, la stratégie haute est celle de l'émulation. La théorie des marchés suppose, un peu naïvement (ou pour affirmer l'autonomie de la prétendue science économique à l'égard des autres "sciences sociales"), que la stratégie haute soit la seule possible.


(f) La stratégie haute est celle de la compétition sportive, quand elle n'est pas un spectacle social (c'est-à-dire loin des stades, des retransmissions, des monopoles de retransmission, des juges manipulés et du dopage). La stratégie haute est celle de Schindler dans "La Liste de Schindler".


(g) Voir Main Invisible. Stratégie d'ignorance. Graphe stratégique. Agression masquée.


(h) Lire "Harcèlement moral".



Nota Bene. Les mots en gras sont tous définis sur le cédérom encyclopédique.