Fétiche



(A) Généralités.



(a) Apparition. Le mot <fetisso> est écrit en 1605 par Marees. Il prend la forme <fétiche> en 1669 sous la plume de Villaut.


(b) Définition. Un fétiche est :


- une "idole des sociétés primitives" ;


- un "objet qui porte bonheur" ;


- un "objet ou une partie du corps qui, sans l'être en eux-mêmes, deviennent des objets sexuels (c'est-à-dire érotiques)".


(c) Etymologie. Le mot portugais <feitiço> signifie "artificiel". Puis il a pris le sens de "sortilège". Il vient de l'adjectif latin <facticius, a, um> "artificiel", "factice", qui a donné le français <factice>.


- Le mot <fétichiste> apparaît en 1824 sous la plume de Benjamin Constant.


(d) Références littéraires :


- <<En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. "Eh ! mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons au sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère." Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous ; les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germain. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible. (Arouet le Jeune, dit Voltaire, "Candide ou l'Optimisme", 1759, Chapitre XIX, Ce qui leur arriva à Surinam, et comment Candide fit connaissance avec Martin)>>.


- <<J'hésitais entre un dragon de porcelaine tout constellé de verrues, la gueule ornée de crocs et de barbelures, et un petit fétiche mexicain fort abominable, représentant au naturel le dieu Witziliputzili, quand j'aperçus un pied charmant que je pris d'abord pour un fragment de Vénus antique. Il avait ces belles teintes fauves et rousses qui donnent au bronze florentin cet aspect chaud et vivace, si préférable au ton vert-de-grisé des bronzes ordinaires qu'on prendrait volontiers pour des statues en putréfaction : des luisants satinés frissonnaient sur ses formes rondes et polies par les baisers amoureux de vingt siècles ; car ce devait être un airain de Corinthe, un ouvrage du meilleur temps, peut-être une fonte de Lysippe ! (Théophile Gautier, "Contes fantastiques", 1831, Le Pied de momie)>>.


- <<S'il y avait des principes et des lois fixes, les peuples n'en changeraient pas comme nous changeons de chemises. L'homme n'est pas tenu d'être plus sage que toute une nation. L'homme qui a rendu le moins de services à la France est un fétiche vénéré pour avoir toujours vu en rouge, il est tout au plus bon à mettre au Conservatoire, parmi les machines, en l'étiquetant la Fayette ; tandis que le prince auquel chacun lance sa pierre, et qui méprise assez l'humanité pour lui cracher au visage autant de serments qu'elle en demande, a empêché le partage de la France au congrès de Vienne : on lui doit des couronnes, on lui jette de la boue. (Honoré de Balzac, "Le Père Goriot", 1835, II, L'entrée dans le monde)>>.


- <<Les Abaddirs, pierres tombées de la lune, tournaient dans des frondes en fils d'argent ; de petits pains, reproduisant le sexe d'une femme, étaient portés sur des corbeilles par les prêtres de Cérès ; d'autres amenaient leurs fétiches, leurs amulettes ; des idoles oubliées reparurent ; et même on avait pris aux vaisseaux leurs symboles mystiques, comme si Carthage eût voulu se recueillir tout entière dans une pensée de mort et de désolation. Devant chacun des tabernacles, un homme tenait en équilibre, sur sa tête, un large vase où fumait de l'encens. (Gustave Flaubert, "Salammbô", 1862, Chapitre 13, Moloch)>>.


- <<La réponse était dure, mais elle allait au but avec la rigidité d'une pointe d'acier. L'évêque en tressaillit ; il ne lui vint aucune riposte, mais il était froissé de cette façon de nommer Bossuet. Les meilleurs esprits ont leurs fétiches, et parfois se sentent vaguement meurtris des manques de respect de la logique. (Victor Hugo, "Les Misérables", 1862, Partie I, Livre I, Chapitre X, L'évêque en présence d'une lumière inconnue)>>.


- <<Il y a assez de matières pour quinze ou seize volumes in-folio ; mais nous aurons pitié du lecteurs, et nous nous bornerons à quelques lignes, - bienfait pour lequel nous demandons une reconnaissance plus qu'éternelle. - A une époque très reculée, qui se perd dans la nuit des âges, il y a bien tantôt trois semaines de cela, le roman moyen âge florissait principalement à Paris et dans la banlieue. La cotte armoriée était en grand honneur ; on ne méprisait pas les coiffures à la hennin, on estimait fort le pantalon mi-parti ; la dague était hors de prix ; le soulier à poulaine était adoré comme un fétiche. - Ce n'étaient qu'ogives, tourelles, colonnettes, verrières coloriées, cathédrales et châteaux forts ; - ce n'étaient que demoiselles et damoiseaux, pages et valets, truands et soudards, galants chevaliers et châtelains féroces ; - toutes choses certainement plus innocentes que les jeux innocents, et qui ne faisaient de mal à personne. (Théophile Gautier, "Mademoiselle de Maupin", 1835, Préface)>>.


- <<Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied

Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée

Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance

Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances

Adieu Adieu

Soleil cou coupé.

(Guillaume Apollinaire, "Alcools", 1913, )>>.


- <<Notre maison respirait le calme. Les vrais pressentiments se forment à des profondeurs que notre esprit ne visite pas. Aussi, parfois, nous font-ils accomplir des actes que nous interprétons tout de travers. Je me croyais plus tendre à cause de mon bonheur et je me félicitais de savoir Marthe dans une maison que mes souvenirs heureux transformaient en fétiche. (Raymond Radiguet, "Le Diable au corps", 1923)>>.


(e) Voir Fétichisme.




(B) Développements.



(a) <Fétiche> est un terme abandonné par l'ethnologie, mais gardé par la psychanalyse pour rendre compte d'observations analytiques. Pourtant, Sigmund Freud donne du fétichisme des explications qui manquent de clarté. Cette théorie souffre des conséquences de la misogynie freudienne.


- <<Le fétiche est le "phallus" au sens précisément où il symbolise (n'oublions pas en effet que le phallus, en tant qu'il représente un manque, a d'abord une valeur symbolique) l'absence du pénis maternel, que d'une certaine manière il remplace. L'enfant qui dit non à la castration maternelle forge ainsi un compromis, d'une tout autre nature que le symptôme névrotique : il a bien perçu cette castration (le manque maternel), et l'a enregistrée inconsciemment (sinon il serait psychotique), mais dément quand même cette abomination en interposant le fétiche (par exemple les chaussures, ou la culotte venant former in extremis un voile salvateur). Le fétiche est ce "…quand même". Avantage notable, le fétiche facilite la jouissance sexuelle en assurant une illusoire possession de l'objet manquant. Mais il ne faut pas s'y tromper, le voile où se projette le fétiche vient souvent à se déchirer et il ne reste alors que le point d'horreur (la castration féminine), la rencontre traumatisante du réel qui provoque panique et fuite. D'où une jouissance finalement précipitée, non exempte de déconvenues. (Perversions, Déni, in "Etudes lacaniennes", site web de Didier Moulinier)>>.


(b) En tenant compte des sémiotiques discontinues, le fétichisme, perçu comme comme processus de clivage entre deux représentations, pourrait se comprendre comme la domination d'une sémiotique sur les autres. Le fétichisme serait un échec de l'intersémioticité. Par exemple : dans le fonctionnement des organisations réelles, parmi les sémiotiques corporelles, celle du sens de la vision qui permet une relation panoramique à faible ou moyenne distance, dominerait souvent celle du sens du toucher qui implique une relation corporelle intime sans distance géographique.


(c) Un Freud misogyne a tellement dévalorisé le sexe de la femme et le clitoris par rapport au sexe de l'homme (pénis érigé en phallus), que l'interprétation du clivage constitutif du fétichisme mérite d'être nuancée.


(d) On peut distinguer un fétiche de l'individu propre à l'individu qui souffre de fétichisme (le fétichisme du pied, montré par Rétif de la Bretonne) et un fétiche de la totalité propre à la société qui se prend pour une totalité. Le premier découlerait plus ou moins directement du second.


(e) D'où un fétichisme de l'individu (que Freud explique d'autant moins bien qu'il en souffre lui-même) hérité d'un fétichisme de la totalité (sur lequel la psychanalyse historique est totalement muette).


(f) D'où, aussi, un déni par l'individu, dérivé d'un déni par la totalité.


(g) Le fétiche (les biens de luxe par exemple) est censé donner à l'individu qui le détient ou le consomme les vertus magiques (la distinction sociale) qui lui sont attribuées.


- <<De son cigare, il ne restait déjà plus qu'un tronçon qui lui brûlait les doigts, mais la bonne chaleur du vin et du café fort courait encore dans ses artères. Il se sentait satisfait, repu sans lourdeur, alerte et hardi. Songeant aux mets succulents qu'il avait mangés, au bordeaux généreux qu'il avait lampé à plein verre, il marchait en se dandinant un peu, ployant quelquefois les jarrets, comme pour s'assurer de leur souplesse, et caressait sa moustache légère d'un geste un peu fat. Quand il laissait courir ses regards sur les gens qui l'entouraient et passaient à côté de lui, il lui venait cette idée un peu méprisante que c'étaient des barbares ; qu'il était séparé d'eux par des différences essentielles : l'allégresse de son sang plus chaud, la richesse des aliments préparés avec art, à la française, dont il s'était nourri et qui semblaient déjà s'être fondus en lui, et une certaine prodigalité d'idées et de sensations, fuyantes, rapides, diverses, qui défilaient dans son cerveau en sautillant. (Louis Hémon, "Monsieur Ripois et la Némésis", Chapitre I, page 12)>>.


(h) L'amoureux, le fan de la vedette ou le fétichiste font de la moindre épingle un fétiche chargé d'affects.


- <<Une nuit, Jacques, qui commençait à faire quelques pas dans sa chambre, s'étant levé et approché de la fenêtre, vit une lanterne aller et venir chez Misard : sûrement, l'homme cherchait. Mais, la nuit suivante, comme le convalescent guettait de nouveau, il eut l'étonnement de reconnaître Cabuche, dans une grande forme sombre, debout sur la route, sous la fenêtre de la pièce voisine, où dormait Séverine. Et cela, sans qu'il sût pourquoi, au lieu de l'irriter, l'emplit de commisération et de tristesse : un malheureux encore, cette grande brute, plantée là, ainsi qu'une bête affolée et fidèle. Vraiment, Séverine, si mince, pas belle lorsqu'on la détaillait, était donc d'un charme bien puissant, avec ses cheveux d'encre et ses pâles yeux de pervenche, pour que les sauvages eux-mêmes, les colosses bornés, eussent ainsi la chair prise, jusqu'à passer les nuits à sa porte, en petits garçons tremblants ! Il se rappela des faits, l'empressement du carrier à l'aider, les regards de servitude dont il s'offrait à elle. Oui, certainement, Cabuche l'aimait, la désirait. Et, le lendemain, l'ayant surveillé, il le vit qui ramassait furtivement une épingle à cheveux, tombée de son chignon, en faisant le lit, et qui la gardait dans son poing, pour ne pas la rendre. (Emile Zola, "La Bête humaine", 1890, Chapitre XI)>>.


(i) Voir Clivage de la pulsion. Clivage des représentations. Élévation. Les voies de la régression. Michael Balint. Ocnophilie. Philobatisme. Préjugé patriarcal de Freud. Psychanalyse ocnophile.




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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Dimanche 25 Mai 2008



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