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Lettre d'un chômeur à son fils

• Le Chapitre - Renaissance du R.A.D.
• Publications des ateliers d'écriture

• Le texte qui suit a été écrit par un chômeur de longue durée. Ce n'est pas la production d'un atelier d'écriture. Il est une production solitaire. Mais il n'a pu être rédigé qu'après un long travail amoureux sur les mots.

Son auteur avait suivi le stage Retrouver la mémoire de soi. Il a continué à utiliser l'écriture remède pour faire de son vécu une véritable expérience personnelle.

Son vécu lui semblait inexprimable. C'est à force de brouillons et de dialogues que l'indicible est devenu dicible. Tout au moins à lui-même et à une oreille particulièrement bienveillante. C'était déjà très important pour sortir de la mort du verbe et amorcer un chemin de renaissance.

Mais il fallait encore franchir une étape. Roger (ce prénom n'est pas plus garanti que les autres) devait rendre le texte de cette prise de parole audible par son destinataire. De nombreux textes préparatoires l'ont aidé dans cette démarche de réappropriation de ses émotions. C'est la fin du silence des sentiments. C'est le début de la renaissance.

Roger s'adresse à son fils. Celui-ci est étudiant. Il finance ses études par son travail. Il est très amoureux de Marie.

Quand Roger écrit, peu de temps après qu'il se soit séparé de sa femme, il a déjà trois ans de chômage.

Roger ne fait pas partie de ceux qui sont bloqués par le silence des mots. Contrairement aux auteurs des Premiers Textes, il ne manque de pratique linguistique ni de culture. Au contraire, il les manie plutôt bien.

Sa difficulté résidait soit dans le silence de la pensée, soit dans le silence des sentiments. Roger souffrait d'un blocage dans la percolation des émotions. La lettre que l'on va lire témoigne d'un réveil des sentiments.

Pour Roger, le chant des émotions (illustré par d'autres acteurs), a mis fin au silence des sentiments. Parallèlement, il a fait taire les bruits du corps (maladies psycho-somatiques) qui perturbaient sa vie.

C'est pourquoi les ateliers d'écritures ne sont ni des cours de français ni des exercices d'orthographes. Ils cherchent à développer, à partir du vécu et du ressenti personnels, une parole de vérité.

Mon cher Gregory.

J'ai tellement vécu d'émotions et je suis passé par des sentiments si divers depuis quelques temps qu'il m'était très difficile de m'y retrouver moi-même et donc de me faire comprendre des autres (Josie, Jacques, Annie, tous mes frères et soeurs, ...) et tout particulièrement de toi, mon fils.

Je commence à y voir beaucoup plus clair dans tout ce que j'ai vécu et ressenti. Et, tandis que tu construis un bel amour avec ta chère Marie, il me paraît d'autant plus nécessaire de te faire part de ce que je commence à peine à comprendre moi-même.

Même par amour, et surtout par amour, personne ne peux vivre à la place d'un autre. La vie est faite de bonheurs et de malheurs, dans des proportions variables pour chacun de nous. Mais personne ne peut vivre seulement dans le bonheur ou seulement dans le malheur sans se perdre. Et surtout, personne, même par amour, ne peut épargner à d'autres, surtout ses chers, leur part de difficultés, de douleurs voire de malheurs. Sois attentif à ta chère Marie, mais ne la protège pas trop. Laisse-la vivre sa vie et donc sa part de difficultés.

A ce jour, hormis mon amour filial, mon amour fraternel et mon amour paternel (devine pour qui), je n'ai connu que trois amours, plus ou moins longs et profonds, pour Josie (ta mère), pour Christine et pour Françoise.

• Josie a eu la chance d'avoir une enfance heureuse, ce qui lui a donné une forte aptitude au bonheur et à prendre la vie du bon côté. Tu as eu la merveilleuse intelligence de l'imiter sur ce point. J'en suis heureux et fier. Malgré mes réticences intellectuelles, j'ai commis, par amour, l'erreur d'accepter de protéger Josie de la part de difficultés (travail, soucis, douleurs) et de malheur inhérente à toute vie réellement vécue. Un jour, des circonstances externes massives (crise mondiale, trois expériences de chômage) m'ont valu de ne plus pouvoir supporter ce sac à dos un peu trop lourd que je m'étais imposé. Tu as d'ailleurs été la première personne (hormis Annie) à qui j'ai pu exprimer ce sentiment de trop plein. D'où l'urgence (économiquement renforcée par la perspective de la fin des indemnités) de vivre totalement ma vie et seulement la mienne. D'où ce sauve-qui-peut que j'ai adressé à Josie, à toi, puis à tout le reste de la famille. "Sauve-qui-peut" au sens de: la situation est suffisamment grave pour que chacun fasse son maximum pour essayer de s'en sortir, pour lui et pour les autres. Ce cri, vieux comme le monde, dans les situations extrêmes, n'a jamais voulu dire qu'il n'y avait pas d'amour entre ceux qui doivent se séparer pour mieux chercher à s'en sortir. Souviens-toi de Anua et de Pascha (Les Peaux-Rouges, bande dessinée de Hans Kresse), ou de Longue-Carabine et de Chingachook (Le dernier des Mohicans) face à un danger trop important.
• Christine, dont l'enfance a été marquée par la haine et par l'abandon, a été pour moi une passion surprenante et rapide en ce qu'elle m'a permis de reconnaître cette autre face de mon passé et de ma personnalité. Malgré une "parenté" qui nous lie, j'espère pour longtemps, je crois que l'amitié et non pas l'amour nous permettra de nous aider mutuellement.
• Françoise, comme Josie, a eu la chance d'une enfance heureuse plus celle d'une éducation plus profonde et moins conformiste. Son indépendance et sa liberté d'esprit l'ont poussé à vivre pleinement sa vie et de la manière la plus autonome possible. Les circonstances de la vie lui ont fait connaître une large part de malheur, sans lui faire perdre pour autant sa belle confiance dans la vie et sa volonté d'y répandre l'amour, même si elle sait que le malheur existe et que chacun doit l'assumer. C'est probablement cette expérience, proche de la mienne, qui me fait éprouver un très profond amour pour elle, alors que je n'ai pas fini de mettre en ordre ma situation ni mes sentiments à l'égard de Josie et de Christine.

Mon fils, aîné, aimé et unique dont je suis si fier, je voulais te dire tout cela au plus tôt, dès que cela m'est enfin apparu clair, et tandis que tu pars sur une route que je vous souhaite belle et responsable, avec ta chère Marie.

Je t'embrasse.

Ton père.

Roger

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Mise à jour: 16/07/2003