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Thématique, Silences et Bruits

Bruits de la foule, manifestations de rue, émeutes de la misère, violences du désespoir, pogroms de la haine. Autant de formes collectives d'un malaise dans la civilisation dont les formes individuelles sont les bruits du corps (maladies psycho-somatiques). La percolation des émotions ne se fait plus dans la société. Le discours officiel (illusion de totalité, promesse d'éternité, refus de la mort, déni de l'exclusion) ne permet pas à chacun de tenir une parole de vérité à partir de son propre ressenti. Le discours de vérité remplace l'élaboration d'une parole personnelle. Le vécu individuel restant indicible, inexprimable, la mort du verbe provoque, en cascade, le silence des mots, le silence de la pensée et le silence des sentiments. C'est alors que les corps pleins des individus se regroupent pour se sentir exister dans et par le nombre. Ils font masse. Jean-Paul Sartre a décrit le groupe en fusion. Wilhelm Reich a démonté les mécanismes inconscients de la frustration sexuelle qui conduit à la psychologie de masse du fascisme. Les machines désirantes se transforment en machines sociales. Elles refusent toute médiation imposée, y compris le corps plein de l'individu. Le corps virtuel n'a plus le moindre espace d'intimité pour se développer dans le travail amoureux. Confrontés depuis trop longtemps à l'exclusion, à la question de la mort, à la mort du verbe et à la question du suicide, les corps pleins dont la survie n'est pas garantie affrontent la possibilité de la mort de la chair avec un véritable plaisir libératoire (enfin, l'orgasme collectif !). La liberté ou la mort. La jouissance ou la mort. D'où les mots d'ordre de sinistre mémoire: "viva la muerte", "mort aux juifs", "mort aux affameurs", "mort aux koulaks", "mort aux étrangers" et tant d'autres, à Nuremberg, à Moscou, à Pékin et ailleurs.

Voir Fureur des armes. Horreur des camp.

Bruits du corps, maladies psycho-somatiques, forme douloureuse de la mémoire corporelle, symptômes, stigmates. Impossibilité de faire sens, de donner une signification à ses bruits. Les douleurs s'enkystent dans le corps. La souffrance manifeste une résistance incompréhensible à un désir qui reste mystérieux. Blocage de la percolation des émotions. Le ressenti ne peut pas déboucher sur une parole de vérité. Le vécu ne peut se transformer en une expérience enrichissante, faute de trouver comment se dire. Le vécu est inexprimable, car il est à la fois indicible par le sujet souffrant et inaudible par les gens normaux qui constituent la société comme totalité et tiennent son discours de vérité. Le silence des mots est provoqué par cette mort du verbe. Il entraîne le silence de la pensée et le silence des sentiments. C'est pourquoi les bruits du corps prennent la relève dans ce processus de fusion des individualité qui fait disparaître les corps virtuels et impose la pensée du même.

Voir Bruits de la foule. Fureur des armes. Horreur des camp. Expérience de la mort.

Chaîne hiérarchique. L'expression de <chaîne hiérarchique> indique que la relation hiérarchique est itérative ou récursive. Pour chaque maillon élémentaire, il s'agit d'une relation de sujet à objet. Chaque relation hiérarchique est une simple relation de sujet dominant à objet dominé.

Une organisation hiérarchique de grande taille peut se développer par la constitution d'une chaîne. Le principe est simple. Il suffit d'ajouter des maillons. Et cela en n'importe quel point de la chaîne.

Que survienne une défaite militaire ou une OPA subie ? Ce sont des maillons nouveaux qui s'ajoutent au sommet de la chaîne.
Que l'organisation poursuive une croissance naturelle (développement démographique ou technique) ? Ce sont de nouveaux maillons qui se créent en bas de la chaîne.
Que la direction décide de réorganiser la chaîne ? Ce sont des maillons centraux qui s'insèrent ici ou qui disparaissent là.

Le terme de <hiérarchie auto-reproductive> désigne la possibilité d'enchaîner des maillons de hiérarchie dans une chaîne hiérarchique.

Voir Relation de domination. Similitude récursive de la hiérarchie. Domination.

Chant des émotions, texte. Le chant des émotions est la formulation, par des mots d'amour, de ce réveil des sentiments qui manifeste que la personne cassée par les crises amorce un chemin de renaissance. Le chant des émotions est l'expression, dans l'intimité, d'une première parole de vérité. Elle ne doit rien au discours officiel. Elle assure la percolation des émotions. Elle fait taire les bruits du corps en assurant une première formulation de ce qui semblait indicible ou inexprimable. Il faudra trouver d'autres langages, d'autres sémiotiques pour tenir cette parole en public. Mais, qu'importe. Demain est un autre jour. Il y a déjà un germe de bonheur, ici et maintenant. Un sujet prend conscience de lui-même dans la présence. Ce qui importe avec l'apparition du chant des émotions, c'est l'émergence d'un processus de renaissance.

Voir Dicible. Audible. Inaudible. Mort du verbe. Langage du corps. Sémiotique corporelle.

Fureur des armes. La fureur des armes (guerres racistes, attentats politiques, terrorismes nationalistes ou totalitaires) est la sixième étape d'un processus de silences et de bruits, de nuits et de brouillards, qui va de la mort du verbe à l'horreur des camps. Les premières étapes sont:

Le silence des mots.
Le silence de la pensée.
Le silence des sentiments.
Les bruits du corps.
Les bruits de la foule.

Elles décrivent un processus par lequel la percolation des émotions est bloquée par un discours de vérité et l'impossibilité de proférer une parole de vérité à partir du ressenti. Pour chaque individu, le vécu de la domination et/ou de l'exclusion ne peut trouver à se dire. Les émotions ne pouvant s'exprimer et construire des sentiments élaborés, elles fusionnent dans la masse, le bruit et la fureur de la foule. La foule réclame la mort de la chair pour les autres. (La Terreur dans la Révolution Française et ailleurs). Il n'est plus de pensée individuelle possible. Les mécanismes régressifs ne poussent qu'à la fusion des individualités et à la masse des corps pleins. Ainsi s'affrontent des blocs, les armes à la main.

Voir Pensée du même. Pensée de la diversité.

Horreur des camps, manifestation puis découverte de l'inhumanité de l'homme. Découverte qu'il n'y a pas de limite à la violence de l'homme sur l'homme quand la parole individuelle n'est pas reconnue.

Toute société est totalitaire quand elle se veut une totalité. Il n'y a pas de fond pour l'horreur et pour la descente aux enfers tant qu'il n'y a pas de sujet. Il n'y a pas de sujet quand l'individu ne se reconnaît pas le droit à l'existence par la diversité et dans la diversité.
L'illusion de la fusion des individualités dans la masse du même et du conformisme provoque l'élimination de tout ce qui dépasse de ce lit de Procuste. Car il n'y a pas de norme naturelle. La recherche fusionnelle d'une identité (ethnique, culturelle, nationaliste, prolétarienne) n'a pas de limite, car elle ne trouvera jamais cette identité à soi-même où faire fond.
L'horreur des camps est le développement lointain, mais sans limite externe assignable, du processus de blocage de la percolation des émotions. Ce blocage empêche toute pensée de la diversité au nom de la pensée du même.
Cette recherche passionnée du même, de l'identité, de la similitude mène à la domination. La domination offre la simplicité d'une succession, indéfiniment répétable, de relations hiérarchiques.

Voir Silence des mots. Silence de la pensée. Silence des sentiments. Bruits du corps. Bruits de la foule. Fureur des armes. Parole de vérité. Discours de vérité.

Inexprimable, texte. Quand un vécu nous semble inexprimable, il importe de savoir s'il est indicible par soi-même ou s'il est inaudible par les autres. Le silence des mots est normal. Il n'est pas définitif. Il ne doit surtout pas devenir le silence de la pensée ni le silence des sentiments. Car c'est alors que se développent les bruits du corps pour l'individu. L'Histoire nous montre qu'ils sont suivis par les bruits de la foule, la fureur des armes et l'horreur des camps. Pour éviter le silence de la pensée et les bruits du corps, il faut rendre le vécu personnel exprimable. C'est le but de l'écriture remède, face à soi-même. C'est aussi le but des ateliers d'écriture locaux ou à distance, avec d'autres. L'indicible devient dicible. Puis la parole de vérité devient audible. C'est le seul moyen de soulager la mémoire corporelle de sa souffrance. On transforme ainsi le vécu en une expérience dont on peut tirer la leçon, pour soi et pour d'autres.

Voir Vie. Mort. Mort sociale. Mort du verbe. Mort de la chair. Discours anti-suicidaire. Discours de vérité.

Norme naturelle. L'expression <norme naturelle> est une contradiction dans les termes. La nature est à la fois interne et externe à l'individu. Elle est un processus qui le traverse. Nous pouvons connaître la nature externe dans son extériorité d'objet et la nature interne dans son intériorité de sujet. La nature est diversité des formes visibles et créativité des machines désirantes. Son mode de fonctionnement "naturel" ou spontané est chaotique. Son état "normal" est le chaos. Le normal est normatif. Le normal est celui qui dit la norme. Ce faisant, le normal est celui qui produit la norme. Il n'est pas possible d'être normal sans se poser comme norme. On devient alors le lit de Procuste qui sert à normer, exclure ou éliminer les anormaux.

Relation de domination. La relation de domination est à la base des organisations hiérarchiques. En effet, chaque relation hiérarchique est une simple relation de sujet dominant à objet dominé. La relation de domination s'impose souvent par la force. Mais elle impose surtout la simplicité de la domination comme principe. N'était l'exclusion qu'elle implique, la domination n'aurait pas de principe concurrent.

Rappelons les données du choix organisationnel qui aboutit à la domination comme principe d'organisation:

La domination offre la similitude récursive de la hiérarchie.
La réalité offre la complexité chaotique des machines désirantes.
La liberté offre l'autonomie et le risque dans la diversité des sujets.

Il n'est pas surprenant que le choix de la domination comme principe soit reproduit, jour après jour, depuis des millénaires. Il est plus simple d'éliminer la réalité et la liberté. Au moins par principe. C'est le principe d'exclusion qui introduit la contradiction dans la belle organisation hiérarchique de la domination. Chassez le naturel (interne et externe) et la réalité revient au galop.

Voir Chaîne hiérarchique. Relation hiérarchique.

Relation hiérarchique. La relation hiérarchique est itérative ou récursive. Il s'agit d'une relation de sujet à objet. La caractéristique majeure de l'organisation hiérarchique est sa très grande stabilité de principe. Bien sûr il peut arriver que la réalité (interne ou externe) vienne perturber cette belle construction de l'imaginaire. La hiérarchie auto-reproductive désigne cette capacité à enchaîner des maillons de hiérarchie dans une chaîne hiérarchique. Chaque relation hiérarchique est une simple relation de sujet dominant à objet dominé.

Silence de la pensée. Conséquence d'un trop long et d'un trop profond silence des mots. Le silence de la pensée est toujours celui de celle de l'individu. Mais les causes peuvent provenir des trois niveaux d'organisation.

Au niveau de l'individu: le divertissement permanent, la drogue et l'alcool sont des moyens courants pour réduire au silence notre propre pensée.
Au niveau de l'organisation: la domination comme principe fonctionne comme principe d'organisation. Dans l'organisation hiérarchique, la domination et la pensée du même qui sous-tendent la hierarchie auto-reproductible sont favorables au conformisme qui est une forme de silence de la pensée.
Au niveau de l'ethnie ou de l'humanité: la domination comme principe fonctionne surtout comme principe d'intelligibilité. Cette réduction de la diversité par la pensée du même est encore une forme de silence de la pensée.

Voir Silence des sentiments. Bruits du corps. Bruits de la foule. Fureur des armes. Horreur des camp.

Silence des mots. Nous avons tous fait cette expérience du silence des mots. Ce que nous vivons ici et maintenant ou ce que nous avons déjà vécu nous semble indicible ou inaudible, en tout cas inexprimable. Cette définition même est l'illustration de ce qu'un tel vécu n'est jamais définitif. Le lourd silence des mots finit toujours par se résorber, comme la nuit et le brouillard, pourvu qu'on le veuille. Mais cela nécessite un travail de l'écriture, un amour des mots et une distance gardée à l'égard des maux. C'est cette combinaison gagnante que nous considérons comme un travail amoureux. A l'inverse, à cultiver le silence des mots par honte (je suis trop nul), par orgueil (ils sont trop cons), par vanité (ils sont trop vulgaires), par masochisme (je souffre trop) ou pour toute autre déraison, nous risquons de produire notre silence de la pensée et le dangereux silence des sentiments qui l'accompagne.

Voir Crise du travail. Crise des relations. Bruits du corps. Bruits de la foule. Fureur des armes. Horreur des camp.

Silence des sentiments. Représenté à l'écran par Daniel Auteuil, entouré d'Emmanuelle Béart et d'André Dussolier dans "Un coeur en hiver". Refus d'exprimer, de manifester ou même de ressentir des sentiments, pour mieux maintenir notre silence de la pensée, sous prétexte que nous souffrons et nous enfermons dans un silence des mots. Ce peut être le refus d'être amoureux ou l'impossibilité apparente de développer une amitié. L'art-thérapie peut provisoirement pallier au silence des mots en mettant d'autres sémiotiques (dessin, peinture, musique, danse) au service de l'expression du vécu douloureux. C'est le but des ateliers de créativités. C'est une première manière de réduire la souffrance gardée par la mémoire corporelle. On évite de trop développer les bruits du corps. Les ateliers d'écriture peuvent alors attaquer de front le silence des mots qui a provoqué la mort du verbe et parfois, la tentation de la mort de la chair. Ils amorcent un chemin de renaissance qui passe par le réveil des sentiments et le chant des émotions.

Voir Question de la mort. Question du suicide. Discours anti-suicidaire. Bruits de la foule. Fureur des armes. Horreur des camp. Expérience de la mort.

Hubert Houdoy

Créé le 13 Octobre 1998

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Mise à jour: 16/07/2003