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Réseau d'Activités à Distance

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Le libre jeu des émotions permet les réminiscences


Hommage rendu aux premiers stagiaires du R.A.D. !

Nous prendrons un détour littéraire pour exprimer ce que nous ont dit les premiers stagiaires du Réseau d'Activités à Distance.


- La brutale situation de chômage est une expérience de l'exclusion. D'abord une exclusion de la vie professionnelle. Ensuite une exclusion de la parole politique. La pénible sensation d'être prétexte à discours. Accentuée par l'absence d'une réelle théorie du chômage. Philippe Séguin insistait, à très juste titre, sur l'insuffisance de la pensée économique sur le chômage. Pour la théorie classique, le chômage massif et durable que nous constatons ne peut pas exister. D'un point de vue macroéconomique, cela ne favorise guère sa résolution. D'un point de vue personnel, il aggrave la situation de ceux qui le subissent. Car ils vivent quelque chose qui n'est pas socialement exprimé. Ce qui est dit, même ou surtout en période d'élections, n'est pas ce qui est vécu. C'est pourquoi les chômeurs, bien que constituant la catégorie sociale la plus nombreuse, sont les moins entendus. Leur premier mouvement est apparu à la fin de 1997.

- L'écriture est un retour dans le monde du discours. Pour cela il faut que deux conditions soient réunies. Avoir la force de regarder cette mort en face, dans son présent, pour l'exprimer. Avoir une chance d'être entendu.

<<Mais peut-on raconter? Le pourra-t-on? Le doute me vient dès ce premier instant.

Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald. L'histoire est fraîche, en somme. Nul besoin d'un effort de mémoire particulier. Nul besoin non plus d'une documentation digne de foi, vérifiée. C'est encore au présent, la mort. Cela se passe sous nos yeux, il suffit de regarder. Ils continuent de mourir par centaines, les affamés du Petit Camp, les Juifs rescapés d'Auschwitz.

Il n'y a qu'à se laisser aller. La réalité est là, disponible. La parole aussi.

Pourtant un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l'expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d'un récit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. Ou de recréation. Seul l'artifice d'un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. Mais ceci n'a rien d'exceptionnel: il en arrive ainsi de toutes les grandes expériences historiques.

On peut toujours tout dire, en somme. L'ineffable dont on nous rebattra les oreilles n'est qu'alibi. Ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout...>> (page 23)

Pour beaucoup de chômeurs, a contrario de Jorge Semprun qui fut au contact des plus grands intellectuels avant son expérience de la mort sociale, l'écriture est une véritable difficulté. Les mots leur manquent. C'est pourquoi leur expérience leur semble indicible. D'où l'utilité des ateliers d'écriture.

<<Mais peut-on tout entendre, tout imaginer? Le pourra-t-on? En auront-ils la patience, la passion, la compassion, la rigueur nécessaires? Le doute me vient, dès ce premier instant, cette première rencontre avec des hommes d'avant, du dehors - venus de la vie -, à voir le regard épouvanté, presque hostile, méfiant du moins, des trois officiers.>> (page 24)

C'est dire que les sources inconscientes du révisionnisme et la nécessité du devoir de mémoire étaient en place dès le jour de la libération des camps. Le refus de voir et de savoir était contemporain des camps, comme il est contemporain du chômage.

<<Le Mal est l'un des projets possibles de la liberté constitutive de l'humanité de l'homme... De la liberté où s'enracinent à la fois l'humanité et l'inhumanité de l'être humain...>> (page 99)

<<Le bonheur de l'écriture, je commençais à le savoir, n'effaçait jamais ce malheur de la mémoire. Bien au contraire: il l'aiguisait, le creusait, le ravivait. Il le rendait insupportable.

Seul l'oubli pourrait me sauver.>> (page 171)

On sait que Primo Levi, autre rescapé des camps, n'a trouvé l'oubli que dans le suicide.

<<Voilà où j'en suis: je ne puis vivre qu'en assumant cette mort par l'écriture, mais l'écriture m'interdit littéralement de vivre.>> (page 174)

<<D'où l'impossibilité de décréter l'inhumanité du Mal... A Buchenwald, les S.S., les Kapo, les mouchards, les tortionnaires sadiques, faisaient tout autant partie de l'espèce humaine que les meilleurs, les plus purs d'entre nous, d'entre les victimes... La frontière du Mal n'est pas celle de l'inhumain, c'est tout autre chose.>> (page 175)

<<Mon problème à moi, mais il n'est pas technique, il est moral, c'est que je ne parviens pas, par l'écriture, à pénétrer dans le présent du camp, à le raconter au présent...>> (page 176)

<<A Ascona, dans le Tessin, un jour d'hiver ensoleillé, en décembre 1945, j'avais été mis en demeure de choisir entre l'écriture ou la vie. C'est moi qui m'étais mis en demeure de faire ce choix, certes. C'est moi qui avais à choisir, moi seul.

Tel un cancer lumineux, le récit que je m'arrachais de la mémoire, bribe par bribe, phrase après phrase, dévorait ma vie. Mon goût de vivre, du moins, mon envie de persévérer dans cette joie misérable.

... Seul un suicide pourrait signer, mettre fin volontairement à ce travail de deuil inachevé: interminable. Ou alors l'inachèvement même y mettrait fin, arbitrairement, par abandon du livre en cours.>> (page 204)

<<J'avais choisi une longue cure d'aphasie, d'amnésie délibérée, pour survivre.>> (page 205)

<<J'avais présumé de mes forces... Mais il s'avérait qu'écrire, d'une certaine façon, c'était refuser de vivre.>> (page 235)

<<Je suis devenu un autre, pour pouvoir rester moi-même... j'ai vécu plus de quinze ans, l'espace historique d'une génération, dans la béatitude obnubilée de l'oubli.>> (page 236)

<<A portée de la main, cette certitude: rien n'est vrai que le camp, tout le reste n'aura été qu'un rêve, depuis lors.>> (page 245)

Car le camp, comme toute expérience de l'exclusion, nous apprend à lire un fondement social que le discours social masque si bien: l'amour du même, la haine de l'autre, l' abstraction comme exclusion.

Mais nous pouvons témoigner que ce bonheur de vivre est au bout de ce travail d'écriture.

<<J'étais étrangement calme, serein. Tout me semblait clair, désormais. Je savais comment écrire le livre que j'avais dû abandonner quinze ans auparavant. Plutôt: je savais que je pouvais l'écrire, désormais. Car j'avais toujours su comment l'écrire: c'est le courage qui m'avait manqué. Le courage d'affronter la mort à travers l'écriture. Mais je n'avais plus besoin de ce courage... J'allais écrire pour moi-même, bien sûr, pour moi seul.>> (page 251)

Hubert Houdoy

Créé le 22 Avril 1997

Modifié le 24 Mai 1998


* Références bibliographiques

Jorge Semprun, "L'écriture ou la vie"

NRF, Gallimard, Paris, 1994.

Sur la difficile liberté:

Pascal Bruckner, "La tentation de l'innocence"

Grasset, 1995.

Sur l'émergence du Sujet:

Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble? Égaux et différents"

Fayard, 1997.

Nos commentaires

Sur les problèmes de l'écriture:

Jacques Poulin, "Le vieux chagrin"

Leméac éditeur, 1989


* Compléments

La mémoire trouve son origine dans les affects

Différencier les sensations

Théories du Chômage

Totalitarisme

Thématique de la Civilisation

Thématique de la Globalité

Thématique de la Totalité


* Avis de l'expert en sciences cognitives

André Bonaly


* Revue de Web

- Un beau texte sur l'exclusion

Le chômage d'exclusion

Interrogations éthiques sur fond religieux, par Éric Volant, spécialiste en éthique, ancien professeur au Département des sciences religieuses de l'Université du Québec à Montréal.

http://www.unites.uqam.ca/religiologiques


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Mise à jour: 16/07/2003