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Allons-nous vers la fin du travail ?


* Plan

Introduction

1. Pas la fin du travail

2. Une réduction du travail industriel

Conclusion


* Introduction

Un ouvrage de Jeremy Rifkin annonce "La Fin du travail". Michel Rocard, qui milite pour la réduction du temps de travail a préfacé la traduction française. Philippe Séguin nous demande de ne pas attendre l'emploi comme d'autres attendent Godot. Plus sectoriellement, Jacques Robin nous explique que "le travail quitte la société post-industrielle". Alors, comme les journaux nous rappellent le nombre des chômeurs et listent chaque semaine de nouveaux plans sociaux, on se demande si la condamnation divine ne prendrait pas fin. Et puisque Luc Ferry voit venir "l'homme dieu" nous n'aurons plus à "gagner notre pain à la sueur de notre front". D'autant que Jean-Marie Vincent publie une "Critique du Travail" et que Dominique Méda nous explique, avec érudition, que le travail est "une valeur en voie de disparition".

L'affaire est entendue. Les stagiaires du R.A.D. sourient. Comme Robinson Crusoé, les chômeurs se sentent une âme de pionniers. C'en est fini de l'anormalité. Finies la honte et l'exclusion. Leur situation va s'élargir à tous. L'espoir change de camp.

Ils se posent néanmoins une question accessoire: va-t-on, pour autant, leur verser une rémunération digne et suffisante comme le demande Bruno Lemaire? Et c'est le moment que choisit Dominique Schnapper, pour faire paraître un entretien avec Philippe Petit, intitulé "Contre la fin du travail".

La fille de Raymond Aron sait de quoi et de qui elle parle. Elle a étudié "L'Épreuve du chômage". Elle a multiplié les entretiens avec les blessés de ce sport. L'auteur de "La Communauté des citoyens" sait que l'exclusion récuse "La France de l'intégration".

Comparons son plaidoyer à ce que nous disent, jour après jour, les stagiaires du R.A.D.-Emploi. Ce qu'elle nous explique répond à leurs questions. Elle conforte leur volonté de rejoindre le monde du travail, même par des chemins détournés de l'économie solidaire.


* 1. Pas la fin du travail

Je ne crois vraiment pas que le travail soit une activité en voie de disparition. Mais je suis persuadé qu'il est en pleine transformation. Il se mêle de plus en plus à ce qui pouvait passer pour son contraire: le loisir, l'affectif, le développement personnel. D'où le terme, plus générique d'activités. En ce sens, les valeurs attachées au travail sont en pleine révolution. Il ne faut pas en déduire que l'activité soit condamnées. Ce serait vraiment très idéaliste que de déduire dans ce sens. Tant qu'il y aura de l'entropie, il y aura du travail. Mais, puisse-t-il ne plus jamais ressembler au tripalium.

Travaillez, prenez de la peine, c'est le fond qui manque le moins. On meurt encore de faim dans le monde. Je me suis laissé dire que certaines maladies n'avaient pas de remède. Il ne semble pas que nous soyons définitivement à l'abri des inondations, des sécheresses, des incendies de forêts. Il y a sûrement moyen de développer des travaux d'irrigation en France. Il doit y avoir quelque chose à faire au Bangladesh. Le Sahara ne recule pas, mais gagne sur le Sahel. Rien n'est jamais acquis, à l'homme ni à quiconque. A plus long terme, quand la terre se refroidira il faudra bien aller vivre ailleurs. Et les Shadocks n'auront pas fini de ramer ni de pomper!

Non, vraiment, nous n'assistons pas à "La fin du travail" et la formule est absurde. Elle ne correspond ni à la réalité économique, ni aux attentes sociales, ni aux valeurs qui sont à la base de nos démocraties.

"La société moderne est fondée sur la double valeur de l'individu-citoyen et du producteur. Elle est symboliquement née en 1776, date de la parution des "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations" d'Adam Smith - qui met l'activité des hommes au centre de la vie sociale -, et date de l'indépendance des Etats-Unis, c'est-à-dire de la naissance de la première grande démocratie moderne (D. Schnapper, p. 14)".

Ce rapprochement est d'autant plus intéressant que les Etats-Unis se libéraient du pacte colonial imposé par la Couronne. Pendant que l'école classique réfutait les principes du Mercantilisme. Oui, en occident, l'économie de marché, l'industrialisation, la citoyenneté et l'indépendance nationale se sont développées de pair.

Le discours sur la fin du travail n'est pas nouveau. Chaque révolution industrielle l'a connu. Chaque fois il a été suivi d'une nouvelle richesse et d'un nouvel emploi. Car il n'y a pas d'équilibre stable. D'ailleurs, il n'y a pas d'équilibre du tout. En économie, le modèle de l'équilibre est une dangereuse illusion ou simplification. Donnons-nous les moyens de comprendre et organiser le développement durable.

"On n'a pas cessé de détruire des emplois et d'en réinventer d'autres. Toute invention remet l'équilibre en question; et un nouvel équilibre se reconstruit, lui-même provisoire (p. 83)".

Non, le travail ne touche pas une limite externe. Il ne vient pas buter contre un mur. Si le chômage est important c'est parce que nous refusons de voir la situation en face. Nous nous illusionnons sur la productivité globale de nos activités, alors que nous ne nous donnons même pas les moyens théoriques de construire rigoureusement ce concept. D'où des querelles idéologiques sans fondements théoriques. Nous nous efforçons de conserver les avantages d'une situation provisoire. Nous appliquons des procédures de négociation qui accentuent les difficultés.

Si le travail progresse si peu, c'est qu'il rencontre des limites internes. Des rapports de proportionnalité ne sont pas respectés entre les différentes activités. Certains emplois ne peuvent se développer que dans la mesure où d'autres emplois les rendent possibles. Au bon niveau de généralité, la loi des débouchés est incontestable. Elle formule des contraintes: l'emploi se développe si une marchandise facilite le débouché des autres. Mais ce n'est pas donné automatiquement du seul fait de la production. Il n'existe pas de reproduction automatique de la société. La loi des débouchés ne nous protège pas des erreurs d'anticipation ni des travaux improductifs. Elle ne peut pas lutter contre les illusions de la facilité.

Historiquement, l'industrie ne s'est pas développée pour remplacer une agriculture qui aurait touché une limite externe. C'est le développement de l'agriculture, modernisée par l'industrie, qui a fourni à la fois la main-d'oeuvre et le débouché à l'industrie. Il serait plus juste de considérer l'industrie comme un développement interne à l'agriculture, un vaste détour de production, si nos représentations sociales étaient moins snobes et agrophobes. Il n'y a pas eu succession de l'une à l'autre, mais développements enchevêtrés.

Il n'y a pas de limites externes, mais des rapports internes à respecter. Tout le monde pense aux rapports démographiques entre population active, population en formation et population en retraite. Il y a aussi, de nature fiscale, un rapport entre les emplois privés et les emplois publics. Avec 24, 5% de la population active, la France atteint des records du secteur public. Et Dominique Schnapper remarque que "la plupart de ceux qui affirment que le travail n'a pas d'importance sont fonctionnaires - donc, depuis vingt ans, des privilégiés, au moins relativement (p. 17)".

Parmi les limites internes qui accentuent soit l'inflation soit le chômage "il ne faut pas refuser d'analyser le lien pervers entre la protection accordée aux membres de la fonction publique et aux salariés dotés d'un statut garanti par la puissance publique (SNCF, RATP, etc.) d'un coté, et, de l'autre, la précarité des salariés du secteur privé. La protection des uns se paie par la précarité des autres (p. 53)".

Non, Monsieur Rifkin, le travail n'a pas de limites externes. Non, Madame Méda, les sociologues de terrain ne constatent pas le recul de la valeur travail. Pour tous, le travail reste ce qui donne sens à la vie. Bien sûr, chacun se plaint de la fatigue du travail, beaucoup attendent le soir, le week-end, les vacances ou la retraite. Mais rien ne vaut la perte de l'emploi ou la difficulté à trouver le premier pour comprendre ce qui donne sens à la vie. Et bien que leur accès au travail salarié soit plus récent, les femmes ressentent ce besoin de la même manière. "Leur entrée massive dans le salariat depuis la seconde guerre mondiale est liée à la professionalisation de ces activités (p. 59)".

On peut dire que l'Etat-providence a été le principal employeur des femmes. "Aujourd'hui, le chômage touche les femmes en priorité. C'est parmi elles qu'on trouve les situations sociales les plus difficiles. Non, le travail ne disparaît ni comme besoin ni comme valeur. D'où ce mot d'ordre: "Exportons des robots Moulinex! Les besoins en machine dans le monde restent énormes et, chez nous, les besoins des hommes en soins et en culture sont illimités (p. 84)".


* 2. Une réduction du travail industriel

Non, le travail ne va pas disparaître. "En revanche, ce qui est vrai, c'est qu'on est en train de connaître une nouvelle révolution technologique. Après la révolution mécanique et la révolution électrique/chimique, nous faisons l'expérience de la révolution informatique. Il faut à nouveau moins d'actifs pour produire plus (p. 74)". Et c'est tant mieux. Sans cela, l'espèce humaine, qui ne sait pas contrôler sa croissance démographique, n'aurait aucun espoir de survie.

Chaque révolution industrielle a supprimé des emplois, dans des conditions très difficiles. Mais la richesse produite en plus grande quantité a permis de subvenir aux besoins de plus de travailleurs et d'offrir encore plus de commodités. Le déplacement des emplois est une condition de ce que nous appelons le progrès technique ou le développement de la productivité globale. Mais pour cela, il faudrait être capable de gérer ces déplacements dans une concertation, dans un réseau d'émergence des besoins, dans un échange sémantique sur les valeurs d'usage, précédant les échanges monétaires de la valeur d'échange. C'est l'anarchie de ces déplacements qui les rend humainement difficiles voire dramatiques. Ils sont économiquement renforcés par l'incertitude. Il faudrait éliminer la représentation monétaire des choses pour mieux comprendre la nature des problèmes. C'est ce que nous faisons avec le mythe de Robinson Crusoé durablement naufragé sur l'île du Désespoir.

La révolution informatique serait-elle différente des autres? Certes elle remplace non seulement les muscles mais la capacité de calcul et de mémorisation. "Mais cela ne signifie pas qu'on n'ait plus aucun besoin. Tout un secteur de la vie commune n'est pas touché par l'informatique. C'est l'ensemble de ce qu'on appelle le social au sens large: prendre en charge matériellement, moralement, intellectuellement les enfants, les adolescents et les vieux, les malades et les infirmes, et même les adultes actifs, c'est-à-dire les instruire, les soigner et les distraire. Les besoins des personnes, eux, sont illimités, donc également les "gisements d'emploi", comme on dit (p. 76)". A la condition d'y accroître la productivité.

Après l'agriculture, le secteur industriel subit un recul relatif et absolu. Mais, comme jadis pour l'agriculture, la productivité industrielle permet le développement de l'emploi dans les autres secteurs. Les services sont, à leur tour, un développement interne, un détour de production, dans l'agriculture et dans l'industrie.

"C'est seulement si la productivité du secteur concurrentiel est efficace et compétitive qu'on pourra financer les emplois, dont on a indéfiniment besoin, dans les domaines de l'éducation, du social et du culturel (p. 76)". Mais cela sera d'autant plus facile que ces activités sauront se moderniser en utilisant les NTCI.

Aujourd'hui, la productivité spécifique de l'industrie est considérable. D'où des réductions d'effectifs. Mais le chômage vient de ce que l'on n'a pas l'argent pour payer de nouveaux services. Car cet argent est dépensé de manière improductive, dans le vain espoir d'une civilisation des loisirs. C'est une grave erreur de croire qu'une mauvaise productivité dans les nouveaux emplois absorbera la population licenciée par l'industrie. A l'inverse, les emplois inutiles épuisent irrémédiablement les ressources dégagées par la productivité industrielle. Il n'y a pas d'autre cause au chômage. Mais les mécanismes sont difficiles à expliquer car les préjugés sont tenaces. L'économie politique beaucoup trop politicienne. Elle est aussi trop mathématique par rapport à la faiblesse de ses concepts.

Le progrès technique ne provoquera jamais de temps libre. Le temps n'est jamais libéré. Il est toujours déplacé. Un travail est productif de richesse et d'emploi quand il économise plus de temps au client qu'il n'en coûte au producteur. Bien qu'invisible, la productivité est toujours au coeur du développement. Quand elle n'est pas gaspillée par les stratégies d'appropriation.

Les "sociétés d'abondance", celles où l'on produit en deux heures par jour le double des besoins, sont les "sociétés primitives". Voilà la civilisation des loisirs. L'absence de médicaments et d'industrie les contraint à un très faible accroissement démographique. Ce n'est pas le cas de nos sociétés. Les unes, au Nord, sont très consommatrices. Les autres, au Sud, sont très peuplées. Aucun retour au temps libre des Indiens d'Amazonie n'est possible.

"La machine à laver a permis aux femmes de ne pas passer des heures à faire la lessive dans la rivière, comme elles le faisaient dans les campagnes encore au début du siècle. L'automatisation en tant que telle ne peut être condamnée. Le "temps libre", je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire... On a créé d'autres emplois et d'autres activités (p. 84)".

L'emploi industriel se réduit, mais la croissance de la productivité industrielle exige de plus en plus d'emplois dans le secteur de la connaissance. Comme ces emplois sont peu productifs, leur coût semble prohibitif. Les gains de productivité industrielle ne suffisent pas à financer des activités immatérielles beaucoup trop coûteuses. Nous sommes collectivement dans la position du paysan qui bien que se tuant au travail sur son araire ne pouvait se payer une charrue produite à la ville. La baisse du prix des charrues, permise par une production accrue et rationalisée, a mis fin à ce cercle vicieux. Voilà un exemple de limite interne. Puisque nous butons sur une limite de ce type, nous devrons faire de même avec le nouveau secteur de la connaissance. Baisser les coûts, accroître la productivité.

Erreur d'interprétation plus grave: alors que Keynes a expliqué ce phénomène en 1936, ses épigones lui attribuent des propositions radicalement inverses. L'emploi ne se développe pas quand l'incitation à investir est découragée par le taux de l'intérêt.

Cette explication n'a rien à voir avec une limite externe des besoins à satisfaire. Elle manifeste une autre limite interne: le rapport entre le taux d'intérêt et le taux de profit. Cherchons donc à baisser le taux d'intérêt, en jouant sur ses causes sociologiques, l'appropriation, plutôt que d'imaginer des plans de relance par la consommation.


* Conclusion provisoire

Non, le travail ne disparaît pas car les besoins restent considérables. Mais nos économies ne sont pas régies par les besoins. Elles suivent la demande solvable et les opportunités de profit que propose la valeur d'échange. Il n'y a pas de limite externe au développement de la production. Par contre nous devons analyser les limites internes, les proportionnalités qu'il est bon de respecter. Le rapport entre la population active et les populations inactives est une de ses limites. Les rapports entre les revenus initiaux, les prélèvements (impôts, cotisations) et les revenus de redistribution (prestations, traitements, subventions) sont soumis à des limitations graves. Ce sont donc ces limites internes que nous devons étudier de plus près.

Hubert Houdoy

Créé le 6 Juin 1997

Modifié le 9 Avril 1998


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* Suite

Une crise du travail salarié


* Définitions

Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du Réseau d'Activités à Distance.


* Bibliographie

Les citations sont tirées de:

Dominique Schnapper, "Contre la fin du travail", entretien avec Philippe Petit, Conversations pour demain, Textuel, Paris, 1997

111 pages

79 F

Voir aussi:

La Fin du travail

Jeremy Rifkin,

La Découverte, Paris, 1996

Le travail: une valeur en voie de disparition

Dominique Méda

Aubier, 1996

Quand le travail quitte la société post-industrielle

Jacques Robin

GRIT, 1994.

Les Moyens d'en sortir

Michel Rocard

Seuil, Paris, 1996

Critique du Travail

Jean-Marie Vincent

Collection "Pratiques Théoriques"

PUF, Paris, 1987

La logique de l'honneur

Gestion des entreprises et traditions nationales

Philippe d'Iribarne

Collection "Points essais"

Seuil, Paris, 1993

L'homme dieu

Le sens de la vie

Luc Ferry

Grasset, Paris, 1996


* Bruno Lemaire

Revenu Minimum de Dignité

Gagner dans l'Incertain

Bruno Lemaire et Christian Nivoix

Éditions d'Organisation

360 pages

Entrepreneurs et Entreprises du quatrième type

extraits sur le R.A.D.

Bruno Lemaire

Éditions d'Organisation


Liste des Bibliographies

Liste des Auteurs nommés sur le R.A.D.


* Compléments

A la recherche des Déterminations Économiques de la Valeur

Causes du chômage

Critiques à Keynes

Division du Travail

Économie plurielle

Flexibilité, Inflation et Chômage

Mode de Vie et Chômage

Organisations Virtuelles

Projet de recherche

Syndicats et Chômage

Théorie classique du chômage

Théorie keynésienne du chômage


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Mise à jour: 16/07/2003