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13. Le taux de l'intérêt
"Nous pouvons dire que la courbe de l'efficacité marginale du capital gouverne les conditions auxquelles on demande des fonds à placer pour de nouveaux investissements et que le taux d'intérêt gouverne les conditions auxquelles ces fonds sont offerts à chaque moment (Keynes, p. 180)".
C'est dans ce point de l'exposé de Keynes qu'il est important de constater que la science économique n'est pas une version de la science physique s'appliquant à des macro-objets. Les lois de l'économie politique ne sont pas celles de la production des marchandises par les marchandises. La science économique est une partie de la science sociale. A sa base, Keynes voit trois phénomènes psychologiques relatifs à la représentation personnelle de l'avenir.
"Pour réaliser pleinement ses préférences psychologiques relatives au temps un individu a deux sortes de décisions à prendre. Les premières ont trait à cet élément de la préférence relative au temps que nous avons appelé la propension à consommer... qui détermine pour chaque individu la partie de son revenu qu'il consomme et la partie qu'il réserve sous la forme d'un droit quelconque à une consommation future.
Mais, une fois que cette décision est prise, une autre lui reste à prendre. Il doit choisir la forme sous laquelle il conservera le droit à une consommation future qu'il s'est réservé soit dans son revenu courant, soit dans ses épargnes antérieures. Désire-t-il lui conserver la forme d'un droit immédiat, liquide (i.e. la forme de monnaie ou d'équivalent monétaire)? Ou au contraire est-il disposé à aliéner ce droit immédiat pour une période spécifiée ou indéfinie, le taux auquel il pourra en cas de besoin convertir son droit différé à des biens déterminés en un droit immédiat à des biens indéterminés devant alors être fixé par les conditions futures du marché? En d'autres termes, quel est le degré de sa préférence pour la liquidité (Keynes, p. 181)".
Cette formulation keynésienne des causes du taux de l'intérêt rompt radicalement avec la vision classique de l'intérêt comme récompense de l'épargne.
"Le taux de l'intérêt n'est pas le "prix" qui amène à s'équilibrer la demande de ressources à investir et la propension à s'abstenir de consommations immédiates. Il est le "prix" auquel le désir de maintenir la richesse sous la forme liquide se concilie avec la quantité de monnaie disponible (Keynes, p. 182)".
Jusqu'au mot désir, opposé au concept d'équilibre, pour marquer l'écart entre la représentation mentale d'une pulsion et un modèle de rotation des prix autour de l'équilibre, inspiré de la rotation des planètes autour du soleil.
Les phénomènes quantitatifs ne viennent qu'après les phénomènes psychologiques dus à la nature humaine.
"Pour autant que cette explication soit correcte, la quantité de monnaie est le second facteur qui, joint à la préférence pour la liquidité, détermine en des circonstances données le taux effectif de l'intérêt (Keynes, p. 182)".
Et puisque Keynes limite la validité de la théorie quantitative de la monnaie à la situation, rare et précieuse, de plein emploi, il donne une formulation plus générale, valable en situation courante de sous-emploi.
"Si r est le taux de l'intérêt, M la quantité de monnaie et L la fonction représentative de la préférence pour la liquidité, on a M = L(r) (Keynes, p. 183)".
Pour éviter que la préférence pour la liquidité ne soit confondue avec un fétichisme de la monnaie ou l'auri sacra fames, Keynes lui donne une explication économique, cohérente avec son système d'axiomes, puisqu'il s'agit encore d'incertitude sur l'avenir.
"Toutefois il faut qu'une condition nécessaire soit remplie pour que puisse exister une préférence pour l'argent liquide en tant que moyen de conserver la richesse. Cette condition nécessaire est l'existence d'incertitudes quant à l'avenir du taux de l'intérêt, i.e. quant aux gammes des taux d'intérêt à différents termes appelées à prévaloir à des dates futures (Keynes, p. 183)".
Et puisque la monnaie a tendance à former son propre monde, elle développe ses lois propres.
"La préférence pour la liquidité trouve une nouvelle raison d'être dans l'existence d'incertitudes quant à l'avenir du taux d'intérêt lorsqu'il existe un marché organisé où se traitent les créances (Keynes, p. 184)".
Les marchés où s'offre et se vend la monnaie sont réglés par des professionnels qui cherchent à anticiper de quelques jours sur les opinions de leurs collègues.
"Ce phénomène offre beaucoup d'analogie avec celui que nous avons assez longuement étudié au sujet de l'efficacité marginale du capital (Keynes, p. 184)".
Dans les deux cas, nous ne pouvons en attendre aucune prévision sur l'avenir.
"Le prix du marché se fixe au niveau où les ventes des baissiers équilibrent les achats des haussiers (Keynes, p. 185)".
Il importe alors de connaître les motifs de cette préférence pour la liquidité:
"1er, le motif de transactions, i.e. le besoin de monnaie pour la réalisation courante des échanges personnels et commerciaux;
2ème, le motif de précaution, i.e. la volonté de soustraire aux risques de variation la valeur monétaire future d'une certaine proportion de ses ressources totales;
et 3ème, le motif de spéculation, i.e. le désir de tirer profit du fait qu'on sait mieux que le marché ce que réserve l'avenir (Keynes, p. 185)".
Ces motifs ne sont pas indépendants. L'existence même des marchés tend à modifier le rapport entre ces motifs. Les marchés monétaires, les marchés à terme et les marchés financiers, créés pour réduire l'encaisse de précaution développent leur propre logique spéculative en accroissant l'encaisse de spéculation.
"En l'absence d'un marché organisé la préférence pour la liquidité due au motif de précaution serait sensiblement plus forte, mais d'autre part l'existence d'un marché organisé permet de larges fluctuations de la préférence pour la liquidité due au motif de spéculation (Keynes, p. 185)".
C'est encore au crédit de Keynes d'avoir prévu le développement des marchés spéculatifs et leur fonctionnement auto-référentiel. Peut-être serait-il moins surpris que Philippe Séguin de voir la bourse monter à l'annonce des licenciements. Cette autonomisation de la bulle financière est dans la nature des marchés d'opinions. La bourse monte quand les opinions des haussiers l'emportent sur celles des baissiers. Cela ne l'empêchera nullement de baisser le lendemain si les haussiers décident de prendre leurs bénéfices.
De tels marchés d'opinions ne peuvent fonctionner que si les opinions divergent a priori et sont capables de resister au conformisme.
"On doit se féliciter que la stabilité du système et sa sensibilité aux variations de la quantité de monnaie soient étroitement subordonnées à la diversité des opinions sur les choses incertaines. Le mieux serait que nous connaissions l'avenir. Mais à défaut d'une telle connaissance, si nous devons gouverner l'activité du système en faisant varier la quantité de monnaie, il importe que les opinions diffèrent (Keynes, p. 187)".
Et le taux national de consensus détermine la vitesse à laquelle se montent et se résolvent les opérations spéculatives. Un anglais est capable de rester longtemps sur une position différente de celle de son voisin. Il y aura toujours de la diversité à la bourse comme chez les bookmakers. Par contre, le besoin de conformisme américain provoque plus rapidement le rapprochement des positions. Tant et si bien que si un anglais spécule sur plusieurs mois, un américain spécule sur plusieurs heures. Mais, dans un cas comme dans l'autre, cela n'a rien à voir avec le futur objectif de l'économie nationale.
Pour ceux qui se souviennent des formules mathématiques keynésiennes, souvent dues à ses disciples, et qui ignorent les textes qui leur donnent sens, rappelons que les chiffres ne permettent aucune jonglerie avec la masse monétaire.
"Mais, si nous sommes tentés de voir dans la monnaie un élixir qui stimule l'activité du système, rappelons-nous qu'il peut y avoir plusieurs obstacles entre la coupe et les lèvres. Alors qu'on peut espérer que, toutes choses restant égales, un accroissement de la quantité de monnaie fasse baisser le taux de l'intérêt, ceci ne se produira pas si les préférences du public pour la liquidité augmentent plus que la quantité de monnaie; alors qu'on peut espérer que, toutes choses restant égales, la baisse du taux de l'intérêt fasse croître le flux d'investissement, ceci ne se produira pas si la courbe de l'efficacité marginale baisse plus que le taux de l'intérêt; alors enfin qu'on peut espérer que, toutes choses restant égales, une augmentation du flux d'investissement accroisse l'emploi, ceci ne se produira pas si la propension à consommer décline (Keynes, p. 188)".
Le privilège de créer de la monnaie doit être le plus rare possible, car le privilège de donner du pouvoir d'achat à la monnaie n'est donné à personne d'autre qu'à la collectivité, c'est-à-dire, nommément, à personne. Il n'est pas possible d'agir contre l'opinion et les propensions. Il est surprenant que ce soient les politiques prétendument keynésiennes qui s'y essayent le plus. Ce n'est pas pour rien que les paramètres fondamentaux de Keynes cherchent à traduire des attitudes devant l'avenir. Les mécanismes économiques ne peuvent se manipuler contre les tendances culturelles de chaque nation.
Cette vision keynésienne est aussi lointaine d'une physique sociale (néo-classicisme) que d'une morale de la répartition (Ricardo).
"L'habitude de négliger la relation existant entre le taux de l'intérêt et la thésaurisation contribue peut-être à expliquer le fait qu'on ait généralement considéré l'intérêt comme la récompense des décisions de ne pas dépenser alors qu'il est en réalité la récompense des décisions de ne pas thésauriser (Keynes, p. 189)".
La différence par rapport à la théorie classique du taux de l'intérêt et de l'apologie morale de l'épargne est alors flagrante.
"L'Epargne et l'Investissement sont les facteurs déterminés et non les déterminants. Ils sont les résultantes jumelées des déterminants du système, qui sont la propension à consommer, la courbe de l'efficacité marginale du capital et le taux d'intérêt (Keynes, p. 198)".
Le taux d'intérêt lui-même s'explique par la préférence pour la liquidité. On pourrait aussi bien la nommer peur de l'avenir. Elle est le contraire de la confiance. Elle résulte de l'absence d'un réseau de percolation.
Pour Keynes, les idées mènent le monde parce que même les intérêts dits matériels sont fonctions des représentations que l'on s'en fait. C'est pourquoi il attache tant d'importance à la compréhension des déterminants ultimes.
"Les économistes ont presque toujours fondé leurs conseils pratiques sur le principe que, toutes choses égales d'ailleurs, une diminution de la dépense tend à faire baisser le taux d'intérêt et une augmentation du flux d'investissement à le faire monter. Toutefois, si ces deux quantités déterminent non le taux de l'intérêt mais le volume global de l'emploi, le fonctionnement du système économique nous apparaîtra sous un aspect bien différent (Keynes, p. 199)".
Au lieu de faire l'apologie de l'épargnant, Keynes ferait plutôt celle de l'investisseur. Et loin de vanter les avaricieux, il cite volontiers la Fable des Abeilles de Bernard de Mandeville. Pour lui, c'est toujours la dépense qu'il faut privilégier, de manière à ce que le taux de l'intérêt ne dissuade pas d'investir et ne détourne pas l'argent de la production vers la spéculation.
La nature et le rôle du taux de l'intérêt étant connus, il est temps d'étudier en détail la préférence pour la liquidité qui lui sert de support.
Créé le 2 Mai 1997
Modifié le 8 Novembre 1997.
6. Bref résumé de la théorie de l'emploi
7. Les paramètres fondamentaux
8. Le principe de la demande effective
9. L'égalité de l'épargne et de l'investissement
11. Le multiplicateur d'investissement
14. La préférence pour la liquidité
Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du RAD.