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12. L'incitation à investir


Le multiplicateur d'investissement explique que les périodes de prospérité sont des cercles vertueux pendant lesquels le pari sur l'avenir que font les entrepreneurs alimente certains réseaux du revenu national et revient aux industriels sous la forme d'une demande de consommation (productive ou finale) de leurs produits. Même si la formulation abstraite n'insiste pas assez sur ce point, le multiplicateur ne fonctionne que si les industriels qui investissent sont ceux qui profitent de leur "mise au pot". Cette analyse keynésienne montre l'importance de certaines industries motrices. Ce fut le cas de l'automobile, de Henry Ford jusqu'à nos jours. Mais le moteur tourne à la hausse comme à la baisse.

Outre le besoin d'agir, qui est fondamental, la décision rationnelle des entrepreneurs est basée sur l'efficacité marginale du capital. Comme chaque fois que le mot marginal est présent, il ne s'agit pas de l'efficacité de tout le capital investi, mais celle de la toute dernière portion. Dans les modèles mathématiques, il s'agit même de portions infinitésimales. Depuis la théorie quantique on devrait éviter de telles fictions.

"Nous définirons l'efficacité marginale d'un capital le taux d'escompte qui, appliqué à la série d'annuités constituée par les rendements escomptés de ce capital pendant son existence, rend la valeur actuelle des annuités égale au prix d'offre de ce capital (Keynes, p. 150)".

Cette formulation n'invoque aucun moyen de mesure. Il s'agit toujours d'une opinion. La formalisation financière correspond à la question sous-jacente: ne ferais-je pas mieux de placer mon capital chez mon banquier habituel?

"L'efficacité marginale du capital est définie en fonction de la prévision de rendement d'un capital et de son prix d'offre courant (Keynes, p. 151)".

Puisque chaque entrepreneur compare le rendement de son investissement industriel à celui d'un placement bancaire alternatif, il n'y a d'investissement que tant que le rendement escompté est supérieur au taux courant de l'intérêt. Contrairement aux classiques pour qui le taux d'intérêt équilibre l'offre d'épargne et la demande d'investissement, pour Keynes, l'efficacité marginale du capital est comparée à un taux d'intérêt courant régi (fixé) par ailleurs.

"L'investissement tend à grossir jusqu'à ce que, sur la courbe de la demande de capital, l'efficacité marginale tombe au niveau du taux d'intérêt du marché (Keynes, p. 151)".

La course poursuite de l'efficacité marginale du capital et du taux d'intérêt est à l'origine des fluctuations économiques.

"On peut décrire et analyser l'alternance d'essor et de dépression en fonction des variations de l'efficacité marginale du capital par rapport au taux de l'intérêt (Keynes, p. 159)".

Noter que les classiques, avec leur modèle de fluctuations autour de l'équilibre, n'avaient pas de théorie cohérente du cycle. Un processus d'équilibration permanente à la marge, c'est-à-dire par quantités infinitésimales, ne saurait expliquer des mécanismes d'emballement comme le sont la phase d'euphorie spéculative et la crise brutale.

L'explication des cycles économiques requiert une explication de leur périodicité. C'est la durée de vie de l'équipement qui donne la clé de la périodicité. Une fois encore, pour Keynes, il ne s'agit pas d'un effet retard physique ou comptable, mais d'un phénomène mental d'anticipation. S'il peut exister des lois, c'est dans la tête des humains qu'il faut les chercher. C'est pourquoi Keynes se réclame si souvent de la psychologie ou de la "nature humaine". Nous avons déjà vu que les anticipations d'hier se matérialisent par l'équipement d'aujourd'hui.

"C'est l'existence d'un équipement durable qui rattache l'économie future à l'économie présente. Que le futur influe sur le présent par l'intermédiaire du prix de demande des biens durables, c'est un fait qui se concilie et même s'accorde pleinement avec notre sentiment intuitif (Keynes, p. 161)".

Toute période de prospérité est impulsée par les paris des entrepreneurs. Le revenu des salariés est conditionné par cette stratégie. Elle suppose la croyance que le pouvoir d'achat distribué en salaires fera retour comme demande de biens de consommation ou de biens d'équipement. Il n'y a aucun déterminisme mathématique à la croissance.

"L'état de la confiance... les économistes ne l'ont pas analysé avec soin... ils n'ont pas clairement indiqué que son importance dans les problèmes économiques vient de l'influence considérable qu'elle exerce sur la courbe de l'efficacité marginale du capital (Keynes, p. 163)".

Et, dans le discours de Keynes, cette phrase est presque une tautologie puisque la courbe de l'efficacité marginale n'existe que dans les têtes des entrepreneurs. Le seul moyen de la connaître est de les interroger sur leurs intentions d'investissement.

Et puisque la confiance est une affaire entre le coeur du décideur et le porte-feuille de l'investisseur, cette relation psychologique entre le cerveau droit et le cerveau gauche change complètement de nature quand les deux hémisphères n'appartiennent plus au même cerveau. Une société anonyme et un marché boursier ne relèvent plus de la psychologie mais de la sociologie.

"La scission entre la propriété et la gestion du capital, qui prévaut à l'heure actuelle, et l'extension prise par les marchés financiers organisés ont fait intervenir un nouveau facteur d'une grande importance, qui facilite parfois l'investissement, mais qui parfois aussi contribue à aggraver l'instabilité du système (Keynes, p. 165)".

Cette division du travail marque une rupture entre l'intuition de l'entrepreneur et la recherche de placement de l'investisseur. Les boursiers cherchent à anticiper les fluctuations des activités industrielles. Mais les cours de bourse ont leur logique propre. C'est à la bourse que les boursiers gagnent ou perdent leur argent. L'anticipation de la profitabilité de l'entreprise se transforme en anticipation du changement de l'opinion des boursiers sur la profitabilité relative des entreprises. Une fois cette nouvelle logique enclenchée, elle se développe sans lien avec le problème initial. La profitabilité d'une entreprise peut rester stable. Il suffit que celle d'un autre groupe d'entreprise évolue pour que la profitabilité relative change. Enfin, il suffit que la moyenne des boursiers se fasse une certaine opinion pour que ce soit un fait boursier. Le jeu de la bourse est interne à la bourse.

"Ainsi certaines catégories d'investissement sont-elles gouvernées moins par les prévisions véritables des entrepreneurs de profession que par la prévision moyenne des personnes qui opèrent sur le Stock Exchange, telle qu'elle est exprimée par le cours des actions (Keynes, p. 166)".

Nous passons alors de la psychologie de l'entrepreneur individuel à la psychologie des foules. Et dans ce cas, les instruments d'analyse des "chartistes" sont plus pertinents que les "fondamentaux" des économistes.

"S'il nous est permis de désigner par le terme de spéculation l'activité qui consiste à prévoir la psychologie du marché et par le terme entreprise celle qui consiste à prévoir le rendement escompté des capitaux pendant leur existence entière, on ne saurait dire que la spéculation l'emporte toujours sur l'entreprise. Cependant le risque d'une prédominance de la spéculation tend à grandir à mesure que l'organisation des marchés financiers progresse (Keynes, p. 174)".

Cette anticipation est à mettre au crédit de l'intuition keynésienne.

Et le taux d'intérêt, qui concerne lui aussi le choix entre des opinions sur l'avenir, ne peut fournir le moindre élément de stabilité. Keynes regrette l'époque de l'entreprise individuelle autofinancée sur la base du travail à la commande.

"Le seul remède radical aux crises de confiance qui affligent la vie économique moderne serait de restreindre le choix de l'individu à la seule alternative de consommer son revenu ou de s'en servir pour faire fabriquer l'article de capital qui, même avec une faible évidence, lui paraît être l'investissement le plus intéressant qui lui soit offert (Keynes, p. 176)".

Keynes ne semble pas faire de la science économique le dernier bastion du rationalisme défaillant. La confiance dans les affaires est plus une question de foi que de calcul.

"Outre la cause due à la spéculation, l'instabilité économique trouve une autre cause, inhérente celle-ci à la nature humaine, dans le fait qu'une grande partie de nos initiatives dans l'ordre du bien, de l'agréable ou de l'utile procèdent plus d'un optimisme spontané que d'une prévision mathématique (Keynes, p. 177)".

Le désir de création est primordial. Le calcul ne saurait le conditionner. Il ne peut intervenir que pour sélectionner des variantes au sein de ce projet. Pourvu qu'elles procèdent encore de la même motivation.

"Les décisions humaines engageant l'avenir sur le plan personnel, politique ou économique ne peuvent être inspirées par une stricte prévision mathématique, puisque la base d'une telle prévision n'existe pas; c'est que notre besoin inné d'activité constitue le véritable moteur des affaires, notre intelligence choisissant de son mieux entre les solutions possibles, calculant chaque fois qu'elle le peut, mais se trouvant souvent désarmée devant le caprice, le sentiment ou la chance (Keynes, p. 178)".

Cette vision réaliste des marchés financiers est en accord avec le phénomène actuel de "bulle financière". Les marchés à terme ont une logique propre. Keynes la compare aux concours où le jeu consiste à prévoir combien de personnes répondront juste à la question consistant à savoir combien de personnes donneront la bonne réponse. Un tel exercice est auto-référentiel. Il est inutile d'attendre de lui qu'il soit corrélé à un quelconque phénomène externe. C'est ce qui pousse Keynes à confier à l'Etat, non pas l'investissement, mais la mission de faire converger les anticipations des entrepreneurs et des consommateurs.

"L'Etat étant en mesure de calculer l'efficacité marginale des capitaux avec des vues lointaines et sur la base des intérêts sociaux de la communauté, nous nous attendons à le voir prendre une responsabilité sans cesse croissante dans l'organisation directe de l'investissement (Keynes, p. 179)".

Cette phrase est une des seules où Keynes attribue à l'Etat une autre mission que de faire baisser le taux de l'intérêt. Keynes ne parle jamais de la moindre nationalisation. Et le déficit public est étranger à sa culture.

Le besoin inné d'activité étant la base de l'incitation à investir, il faut comparer le rendement escompté des investissements à la rentabilité des capitaux placés sur les marchés financiers, si l'on veut avoir une chance d'être suivi par les banquiers et les autres investisseurs institutionnels. D'où l'analyse du taux de l'intérêt.

Hubert Houdoy

Créé le 2 Mai 1997

Modifié le 8 Novembre 1997.


* Précédents

1. Originalité de Keynes

2. Le chômage classique

3. Les postulats classiques

4. La loi des débouchés

5. Le chômage involontaire

6. Bref résumé de la théorie de l'emploi

7. Les paramètres fondamentaux

8. Le principe de la demande effective

9. L'égalité de l'épargne et de l'investissement

10. La propension à consommer

11. Le multiplicateur d'investissement


* Suite

13. Le taux de l'intérêt


* Définitions

Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du RAD.


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Mise à jour: 16/07/2003