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14. La préférence pour la liquidité


La propension à consommer

Nous nous souvenons que la première décision d'un individu, en fonction de son attitude psychologique vis-à-vis du temps, est de consommer son revenu ou de garder le pouvoir d'achat. C'est ce que mesure la propension à consommer.

La préférence pour la liquidité

La seconde décision de l'individu, désignée par la préférence pour la liquidité, est celle de donner une forme plus ou moins immédiate, plus ou moins liquide, au résultat des épargnes préalables.

"L'option ouverte à chaque individu entre le maintien et l'abandon de la liquidité porte non sur son revenu mais sur l'ensemble de ses épargnes accumulées (Keynes, p. 210)".

Keynes distingue 4 motifs poussant à conserver de la monnaie plutôt que de consommer son revenu.

"1er Le motif de revenu.... Dans une décision de conserver un certain montant global de monnaie, ce motif intervient avec une force qui dépend principalement du montant du revenu et de la longueur normale de l'intervalle entre son encaissement et son décaissement. Le concept de transformation de la monnaie en revenu convient exactement à cet aspect de la question (Keynes, p. 211)".

"2ème Le motif d'entreprise... L'intensité de cette sorte de demande dépend principalement de la valeur de la production courante (i.e. du revenu courant) et du nombre de mains entre lesquelles elle passe (Keynes, p. 211)".

"3ème Le motif de précaution. Le souci de parer aux éventualités qui exigent des dépenses inopinées, l'espoir de profiter d'occasions imprévues pour réaliser des achats avantageux, et enfin le désir de conserver une richesse d'une valeur monétaire immuable pour faire face à une obligation future stipulée en monnaie sont autant de nouveaux motifs à conserver de l'argent liquide (Keynes, p. 212)".

"4ème Reste enfin le motif de spéculation. Ce motif appelle une étude plus détaillée, d'abord parce qu'il est moins bien compris que les autres, et ensuite à raison du rôle particulièrement important qu'il joue en transmettant les effets d'une variation de la quantité de monnaie (Keynes, p. 212)".

Les motifs liés au revenu

Les trois premiers motifs n'ont pas la même source ni les mêmes effets que le motif de spéculation. Keynes sera amené à considérer deux masses monétaires différentes, même si rien ne les distingue formellement dans la circulation. L'une est fonction du revenu. L'autre est particulièrement sensible aux variations du taux de l'intérêt.

Rappelons que la nature keynésienne de la monnaie est relative aux anticipations, c'est-à-dire aux opinions sur l'avenir. Cette opinion change à l'occasion d'informations nouvelles sur la technique, l'état des récoltes, la situation sociale ou la politique du gouvernement.

"Les changements propres de la fonction de liquidité, résultant de changements dans les informations qui entraînent une révision des prévisions, sont souvent discontinus et engendrent des discontinuités correspondantes dans les variations du taux de l'intérêt (Keynes, p. 214)".

Comme les fluctuations boursières, la théorie monétaire relève de la psychologie des foules. Deux phénomènes peuvent être envisagés: ce qui se passe en cas d'identité des vues sur l'avenir et la situation où les opinions divergent.

La convergence des espoirs ou des craintes

"Ainsi, dans le cas le plus simple où les individus ont tous des opinions et des intérêts semblables, un changement dans les circonstances ou dans les prévisions ne déterminera aucun déplacement de monnaie. Son seul effet sera de faire varier le taux d'intérêt dans la mesure nécessaire à contrebalancer le désir qu'au niveau antérieur de l'intérêt chaque individu éprouvait d'ajuster ses avoir liquides aux circonstances ou aux prévisions nouvelles; et, puisque chacun fera subir à son appréciation du taux qui le déciderait à modifier son avoir liquide une correction égale, aucune transaction ne s'ensuivra (Keynes, p. 214)".

La compensation des opinions différentes

"Cependant, dans le cas général, un changement dans les circonstances ou les prévisions amène certains rajustements dans les avoirs liquides individuels; car, en pratique, les effets produits par un tel changement sur les idées diffèrent suivant les individus, d'abord parce qu'ils ne se trouvent pas tous dans les mêmes circonstances et n'ont pas tous les mêmes raisons de conserver de la monnaie, ensuite parce qu'ils connaissent et interprètent la situation nouvelle chacun à sa façon (Keynes, p. 215)".

Les phénomènes d'emballement

Finalement, les phénomènes d'emballement dus à une convergence des espoirs ou des craintes, sont beaucoup plus puissants que les phénomènes de compensation permis par une variété des analyses de la situation. L'explication keynésienne du cycle économique réside dans cette analyse des emballements.

"Le phénomène essentiel est celui qui se produit dans le cas le plus simple (Keynes, p. 215)".

Les deux masses de monnaie

La fonction de liquidité comporte deux composantes différentes selon que la monnaie est demandée ou non pour le motif de spéculation.

"Soient M1 le montant de monnaie détenu pour les motifs de transactions et de précaution, et M2 le montant conservé pour le motif de spéculation. En regard de ces deux compartiments de la masse monétaire totale, nous avons deux fonctions de liquidité L1 et L2. L1 dépend principalement du montant du revenu et L2 dépend principalement de la relation entre le taux de l'intérêt courant et l'état de la prévision. Par suite, M = M1 + M2 = L1(R) + L2(r) où R est le revenu et r le taux de l'intérêt (Keynes, p. 215)".

L'analyse des mouvements de la masse monétaire doit chercher à distinguer les deux classes de motifs et leurs effets sur les compartiments monétaires.

"1er La relation entre les variations de M et celles de R et r dépend d'abord de l'origine des variations de M (Keynes, p. 216)".

Keynes analyse les conséquences d'une augmentation subite de la masse monétaire disponible. L'augmentation de la masse monétaire fait baisser le taux de l'intérêt, en réduisant la pénurie de monnaie. Reste à savoir à quels motifs les agents économiques vont l'employer.

"Supposons que M consiste en monnaie d'or... (ou) d'émissions de papier monnaie faites par le Gouvernement pour couvrir ses dépenses courantes... une portion de la monnaie cherchera un débouché dans l'achat d'obligations ou d'autres capitaux et fera décliner r jusqu'à ce que la baisse de l'intérêt ait déterminé, dans le montant de M2 et en même temps dans le revenu, des accroissements suffisants pour que la monnaie nouvelle soit absorbée ou par M2 ou par M1 lorsque cette dernière quantité de monnaie se sera ajustée à la hausse du revenu provoquée par la baisse de r (Keynes, p. 216)".

Les deux mécanismes ne sont pas sans incidence l'un sur l'autre. Le taux d'intérêt conditionne l'investissement qui détermine le revenu généré par l'emploi ou revenu global et partant les besoins de monnaie.

"On peut admettre qu'une variation de M produit son effet en faisant varier r; et une variation de r conduit à un équilibre nouveau d'une part en modifiant M2 et d'autre part en modifiant R et par conséquent M1. Dans la nouvelle position d'équilibre, le partage de la monnaie additionnelle entre M1 et M2 dépendra de la réaction de l'investissement à une baisse du taux de l'intérêt et celle du revenu à une augmentation de l'investissement (Keynes, p. 217)".

M1, la masse de monnaie liée au revenu

Voyons d'abord les facteurs qui déterminent la forme de L1. C'est ce que les classiques appelaient la vitesse de transformation de la monnaie en revenu. Keynes reprend le terme, même si son usage en dehors de la théorie quantitative déplace le sens de la formule.

"Si la vitesse de transformation de la monnaie en revenu est V, on a donc L1(R) = R/V = M1. Il n'y a, bien entendu, aucune raison de supposer que la valeur de V soit constante. Cette valeur dépendra du caractère de l'organisation bancaire et industrielle, des habitudes sociales, de la répartition du revenu entre les différentes classes, et du coût effectif de la détention d'argent oisif (Keynes, p. 217)".

M2, la masse de monnaie liée au taux d'intérêt

"3ème Reste enfin la question de la relation entre M2 et r. L'incertitude au sujet des variations futures du taux de l'intérêt est la seule explication intelligible de la préférence pour la liquidité du type L2, qui justifie la conservation d'un avoir liquide M2. Il s'ensuit qu'entre un certain montant M2 et une certaine valeur de l'intérêt r, il n'y a pas de relation quantitative définie - ce qui importe ce n'est pas le niveau absolu de r, mais l'écart entre ce niveau et celui qui, au regard des calculs de probabilité sur lesquels on s'appuie, paraît offrir une sécurité suffisante (Keynes, p. 217)".

Là encore, nous constatons qu'il n'y a pas de déterminisme mathématique chez Keynes. Et l'écart dont il parle est encore un phénomène d'opinion. Les acteurs sont toujours les humains et jamais les marchandises.

"Il est donc évident que le taux de l'intérêt est un phénomène psychologique au plus haut degré (Keynes, p. 218)".

Il se trouve au coeur d'un vaste ensemble de déterminations. Le plein emploi est une situation limite pour le taux d'intérêt. Pour les entrepreneurs comme pour les salariés, il délimite deux univers bien distincts. En dessous du plein emploi, situation la plus spontanée pour Keynes, le taux d'intérêt n'échappe pas à des fluctuations conjoncturelles, du fait de la diversité des motifs de la préférence pour la liquidité.

"Nous verrons au Livre V qu'il est impossible qu'il reste en équilibre à un niveau inférieur à celui qui correspond au plein emploi; car à un tel niveau il s'établirait un état d'inflation véritable où M1 absorberait des quantités croissantes de monnaie (Keynes, p. 218)".

Dès que l'on atteint le plein emploi, il y a mille et une raison, pour chacun, de détenir de la monnaie. Les anticipations optimistes convergent. Elles provoquent des emballements spéculatifs. La demande de monnaie est sans limite. C'est en ce point que l'Etat doit modérer l'emballement positif qui entraînera, tôt ou tard, une crise brutale, du fait de la convergence des anticipations pessimistes. C'est quand les marchés demandent la lune qu'il faudrait leur donner des projets concrets plutôt que cette monnaie spéculative qui brûle les doigts. C'est sur sa capacité à construire une confiance dans un avenir concret que se joue le maintien durable au niveau du plein emploi. Sinon, les marchés brûleront ce qu'ils ont adoré.

"Mais, au-dessus du niveau qui correspond au plein emploi, le taux d'intérêt à long terme du marché dépendra non seulement de la politique courante de l'autorité monétaire, mais aussi de sa politique future, telle que le marché la prévoit (Keynes, p. 218)".

La marge de manoeuvre des autorités monétaires est assez faible car elles ne peuvent aller contre les comportements de précaution ou de spéculations qui sont dictés par des espoirs ou des craintes dans l'avenir. Toute tentative de manipulation se traduirait par une perte catastrophique de la confiance. C'est alors que les marchés spéculent contre la politique gouvernementale.

En termes lacaniens, aux abords du plein emploi, la monnaie symbolique doit maintenir dans un réel serein des anticipations imaginaires qui risquent de basculer brutalement du ciel de la spéculation à l'enfer de la crise. Or, à elle seule, la monnaie ne peut contenir cette psychologie des foules. Il y faut le dialogue concret des acteurs. C'est en quoi la valeur d'usage et le partenariat complètent utilement la valeur d'échange quand elle ne peut plus échapper au motif de spéculation.

"Un état quelconque de la prévision étant donné, il existe dans l'esprit du public une tendance à détenir de l'argent liquide en quantité supérieure à celle que requièrent le motif de transactions et le motif de précaution, et cette détention potentielle se réalise en détention effective dans une mesure qui dépend des conditions auxquelles l'autorité monétaire est disposée à créer de la monnaie. C'est cette détention potentielle que traduit la fonction de liquidité L2 (Keynes, p. 220)".

Finalement, la monnaie sert moins à mettre en mouvement les marchandises et les équipements qu'à régler les préférences que les individus ont pour le présent (consommation) ou les diverses tentatives de mise en réserve du pouvoir de consommation non immédiatement utilisé. Mais la monnaie ne peut construire un projet d'avenir. Pour éviter les bulles financières, il faut construire un réseau de percolation. Lui seul permet de rester ou de redescendre sur terre, là où résident non pas les fantasmes, mais les équipements disponibles et les biens de consommation.

"Les transactions du système bancaire et de l'autorité monétaire portent sur la monnaie et les créances et non sur les capitaux ou sur les marchandises consommables (Keynes, p. 221)".

On comprend pourquoi Keynes expliquait que la meilleure solution serait de ne laisser le choix qu'entre la consommation immédiate ou la production sur commande du produit que l'on voudrait pour plus tard. Au lieu de s'emballer à spéculer sur un avenir boursier purement abstrait, il vaudrait mieux coopérer de manière concrète et concevoir, par avance, le produit et l'usage.

Keynes se présentait volontiers comme un conservateur. Il est pourtant instructif de lire son programme de réforme qui consiste, presque exclusivement, à maintenir le taux de l'intérêt à un niveau qui ne dissuade pas l'incitation à investir. Les discours les plus violemment révolutionnaires ne sont pas toujours les plus transformateurs.

"Supposons que l'on prenne des mesures pour que le taux d'intérêt soit compatible avec le flux d'investissement qui correspond au plein emploi. Supposons, en outre, que l'action de l'Etat entre en jeu comme élément compensateur pour ralentir le grossissement du capital et empêcher qu'il ne tende vers son point de saturation à une vitesse qui impose à la génération présente une réduction excessive de son niveau de vie. Nous estimons que, dans ces hypothèses, une communauté correctement gouvernée, équipée de ressources techniques modernes, et dont la population n'augmente pas rapidement, serait capable en l'espace d'une seule génération d'abaisser l'efficacité marginale du capital à un niveau d'équilibre voisin de zéro; ainsi se trouveraient réalisées les conditions qui caractérisent une économie quasi stationnaire... Un instant de réflexion montrera en effet les énormes changements sociaux qu'entraînerait la disparition progressive d'un taux de rendement propre à la richesse capitalisée. Un homme serait encore libre d'économiser le revenu de son travail afin de le dépenser à une date ultérieure. Mais sa richesse capitalisée ne s'accroîtrait pas... Malgré la disparition des rentiers, il y aurait encore place pour l'entreprise et pour l'habileté dans l'estimation des rendements escomptés susceptibles d'être appréciés diversement (Keynes, p. 237)".

L'élément le plus instructif de cette longue citation est l'explication de l'efficacité marginale du capital non par une productivité physique, mais par une rareté sociale. Keynes pourrait reprendre à son compte la définition du capital comme un "rapport social" (Karl Marx). Et de fait, il dénie au capital le qualificatif de productif. Le capital ne produit rien mais il rapporte plus d'argent qu'il n'a coûté.

Dans le chapitre consacré à la réfutation de diverses théories du capital, Keynes ne reconnaît qu'au travail le qualificatif de productif. Par contre, en l'absence de toute référence à une productivité physique ou écologique, il n'est pas surprenant que la fin de l'avantage sociologique accordé par la propriété du capital soit envisagée comme un état stationnaire. Ricardo et Marx aboutissaient à la même conclusion. C'est qu'en fait, avant l'émergence des grandes interrogations écologiques sur le développement durable, aucune école ne s'est jamais intéressé aux causes physiques de la croissance. Il va de soi que ce n'est pas dans la convention monétaire que l'on peut trouver l'explication. Par contre l'étude des sources énergétiques successives permettrait de comprendre les grandes phases d'expansion et les limites internes de tout développement durable.

Mais nous ne reprocherons pas à Keynes de ne pas avoir fondé une écologie politique. Son apport essentiel est une auto-critique cohérente de la théorie de l'équilibre. Il insiste sur le rôle néfaste de la monnaie quand elle est détenue dans un but de spéculation. L'origine de cette spéculation est la vaine recherche de la sécurité individuelle dans une société qui n'organise pas son avenir.

La citation suivante pourrait être un résumé de la Théorie Générale de l'Emploi, de l'Intérêt et de la Monnaie.

"Le taux d'intérêt de la monnaie semble donc jouer dans la limitation du volume de l'emploi un rôle particulier, puisqu'il fixe un seuil que l'efficacité marginale d'un type de capital est obligée d'atteindre pour que ce capital puisse faire l'objet d'une production nouvelle (Keynes, p. 238)".

Et toute la politique keynésienne se résume à la baisse du taux de l'intérêt sans aller contre les grandes préférences psychologiques de la nation concernée. En d'autres termes:

"Le chômage se développe parce qu'on demande la lune. Les hommes ne peuvent être employés lorsque l'objet de leur désir (i.e. la monnaie) est une chose qu'il n'est pas possible de produire et dont la demande ne peut être facilement endiguée (Keynes, p. 252)".

Peut-être, historiquement, serait-il temps de voir s'il n'y a pas un moyen plus direct de rechercher la sécurité sans décrocher la lune monétaire. Mais ce serait aller au-delà de l'apport keynésien. Commençons donc par résumer, puis conclure, la théorie keynésienne de l'emploi.

Hubert Houdoy

Créé le 2 Mai 1997

Modifié le 8 Novembre 1997.


* Précédents

1. Originalité de Keynes

2. Le chômage classique

3. Les postulats classiques

4. La loi des débouchés

5. Le chômage involontaire

6. Bref résumé de la théorie de l'emploi

7. Les paramètres fondamentaux

8. Le principe de la demande effective

9. L'égalité de l'épargne et de l'investissement

10. La propension à consommer

11. Le multiplicateur d'investissement

12. L'incitation à investir

13. Le taux de l'intérêt


* Suite

15. La théorie générale de l'emploi


* Définitions

Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du RAD.


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Mise à jour: 16/07/2003