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Économie du Temps


* Plan

Introduction

1. Organisation réelle et organisation potentielle

2. Organisation concrète et organisation abstraite

3. Définition et mesure du temps

4. Temps global et temps partiel

5. Temps individuel et temps collectif

6. Temps englobant et temps englobé

7. Définition du travail

8. Division du travail

Conclusion


* Introduction

Ce document inaugure une série de textes où se cherche une définition de la productivité. Ils analysent les causes profondes des changements que connaissent nos sociétés industrielles. Ils cherchent des outils conceptuels pour comprendre les phénomènes qui accompagnent l'ouverture des marchés et la mondialisation de la production. Nous tentons d'éliminer les aspects monétaires et conjoncturels. Nous analysons le progrès technique comme un changement d'affectation du temps global de la société.


* 1. Organisation réelle et organisation potentielle

Nous appellerons organisation un groupement humain, une population, que nous étudions sous l'angle de son travail ou de l'ensemble de ses activités. Dans la mesure où le travail et les autres activités mettent l'homme en relation avec la nature, une organisation ne contient pas que des hommes. Toute organisation agit dans un milieu qu'elle utilise en se l'appropriant. A défaut d'être consciemment organisé, ce milieu environnant est mis en mouvement par un système de forces qui interagissent. Une organisation humaine est toujours englobée dans un système plus vaste.

Une organisation réelle est une organisation délibérée, consciente d'elle-même et dotée de mécanismes de régulation. Un individu, une famille, une entreprise, un pays, sont des organisations réelles.

Une organisation potentielle existe mais n'est pas délibérée ni consciemment régulée. L'humanité est une organisation potentielle, tandis que l'ONU est une organisation, faible, mais réelle. Pour être inconscientes d'elles-mêmes, les organisations potentielles n'en sont pas moins soumises aux limitations internes, spatiales et temporelles, du travail qui s'y effectue. Elles sont aussi soumises aux contraintes externes des systèmes qui les englobent.


* 2. Organisation concrète et organisation abstraite

Dans notre discours, nous faisons référence soit à une organisation concrète soit à une organisation abstraite.

Nous ne pouvons parler d'une organisation concrète que dans son passé, quand ses actions sont devenues des faits et non plus des projets. Nous pouvons faire des mesures, a posteriori, sur les travaux d'un individu ou d'une entreprise.

Dans notre raisonnement, nous formulons des hypothèses sur des situations abstraites, dans lesquelles des individus abstraits pratiquent des activités abstraites pour le compte d'organisations abstraites. Il s'agit d'une généralisation des observations que nous pouvons faire sur nos organisations concrètes. D'une certaine manière, nous pouvons dire qu'un projet, avant son actualisation et la réalisation de ses artefacts, est une organisation abstraite

Ces abstractions nous permettent d'étudier les conditions de généralisation ou de perpétuation des comportements concrets observés. C'est ainsi que toutes les discussions sur la réduction du temps de travail ou l'abaissement de l'âge de la retraite portent sur des individus abstraits agissant dans des organisations abstraites. Il arrive néanmoins qu'elles tentent de généraliser des expériences concrètes. Ces raisonnements ou modèles peuvent être utiles aux organisations concrètes s'ils accroissent leur connaissance du champ des possibles et du réseau des contraintes.

Une organisation, si vaste ou englobante soit-elle, peut appartenir à une organisation réelle ou potentielle encore plus vaste. Quand les hommes n'y jouent pas un rôle majeur, nous parlerons plutôt de systèmes naturels ou de systèmes spontanés.

Bien que vaste et potentielle, l'humanité appartient au système écologique de la planète Terre, qui, à son tour appartient à une série d'organisations potentielles emboîtées (système solaire, galaxies) ou reliées (amas, super-amas). Et ce jusqu'à l'Univers. Ces organisations potentielles, largement inconnues, n'en sont pas moins contraignantes. Elles sont, le plus souvent, appréhendées comme des organisations abstraites, par des modèles mathématiques. Depuis Lavoisier, la méthode scientifique postule qu'y règne le principe de la conservation de l'énergie. Si nous voulons utiliser les connaissances apportées par d'autres disciplines scientifiques, nous devons respecter leurs hypothèses qui sont les conditions de validité de leurs résultats.


* 3. Définition et mesure du temps

Nous définissons conventionnellement et nous mesurons le temps avec des horloges. Nous pouvons choisir de mesurer en secondes, minutes, heures, jours, semaines, mois, années, décennies, siècles, millénaires ou toute autre division aliquote du temps abstrait et conventionnel qui nous conviendra.

Pour produire des raisonnements, nous devons rester cohérents avec nos définitions. Si l'année est définie comme "le temps que la Terre met pour effectuer une rotation autour du Soleil", méfions-nous de ne pas sortir du domaine de validité de notre définition. Quand nous disons "le big bang date de 15 milliards d'années", notre imagination se projette dans une époque sans Terre ni Soleil, où la définition de l'année n'a plus ce référent concret. Nous devons alors donner une autre définition de l'année (si possible compatible avec la première).

De la même manière, avant de sommer (agrégation, agrégats) des temps individuels pour faire un temps collectif, il faut vérifier que les rapports entre les organisations englobées et l'organisation englobante restent inchangés.


* 4. Temps global et temps partiel

Chaque fois que l'on parle d'un temps global, par opposition à un temps partiel, il faut dire de quelle organisation, réelle ou potentielle, il s'agit. Il faut dire à quel découpage des activités on procède.

S'agissant d'un individu, concret ou abstrait, le temps global est une succession d'instants dont dispose l'individu pendant un temps d'horloge choisi conventionnellement. La journée de travail d'un étudiant peut être un temps global. Elle peut se découper en temps de réflexion, temps de classement, temps de calcul, temps de rédaction et temps de vérification. Le temps global pour un individu n'est pas forcément la durée de sa vie.

Le temps global est posé comme un tout, dans le but d'être divisé et réparti. Par exemple, posons comme temps global, pour un individu, la durée de sa vie, mesurée en années. On peut poser ce temps global comme un ensemble de temps partiels, mesurés par le même temps conventionnel, l'année. On pourrait distinguer les années d'enfance, les années d'études, les années de service militaire, les années de travail et les années de retraite. Plusieurs découpages sont possibles. Ils diffèrent par leur point de vue. Les années d'études et les années de travail constituent deux temps partiels, non exhaustifs, qu'il est intéressant de comparer. On peut comparer, exhaustivement, les années de travail aux années de non-travail.

A la mort d'un individu concret, on peut effectuer un bilan. Mais le plus souvent, sur la base de mesures concrètes, on raisonnera, par généralisation ou induction, sur des individus abstraits.

Selon le même principe, on pourra poser un temps global pour n'importe quelle organisation réelle ou potentielle.

Le temps global ne vise pas forcément toute la durée de vie de l'organisation concernée. Le temps global peut être une tranche de vie:

Par définition, le temps global d'une organisation est découpé en une liste exhaustive de temps partiels. La liste des temps partiels est déterminée par un point de vue théorique. On peut produire autant de découpages différents que l'on peut imaginer de points de vue pertinents. Le temps global et les temps partiels d'une même organisation sont mesurés par le même temps d'horloge ou par des parties aliquotes de celui-ci. La somme des mesures précises des temps partiels d'une liste exhaustive doit égaler la mesure conventionnelle du temps global correspondant.

Une journée de travail de 8 heures pour un étudiant peut se découper en:

temps de réflexion 2 h 45 mn

temps de classement 1 h

temps de calcul 1 h

temps de rédaction 3 h

temps de vérification 0 h 15 mn


temps global 8 h 00 mn

La démarche qui relie le temps global, posé initialement, aux temps partiels, définis, listés et mesurés subséquemment, est une démarche analytique. Nous avons une mesure distributive. C'est le temps global qui se distribue analytiquement en temps partiels. Au fur et à mesure de l'amélioration de la méthode d'analyse, le théoricien pourra augmenter la liste des temps partiels et affiner la définition de chacun d'eux. Et ce jusqu'à l'infiniment petit. C'est ainsi que l'on pourrait affiner le "temps de réflexion" en constatant qu'il s'effectue tantôt sous forme d'écriture, tantôt sous forme de verbalisation, tantôt sous forme de marche fiévreuse dans le couloir, tantôt sous forme de rêverie apparente.


* 5. Temps individuel et temps collectif

Chaque fois que l'on parlera d'un temps collectif, par opposition à un temps individuel, il faudra dire de quelle organisation réelle il s'agit.

Méthodiquement, un individu peut être considéré comme une organisation individuelle. Tout aussi méthodiquement, un individu pourrait être considéré comme une organisation collective. Ce point de vue est plus souvent adopté par les sciences cognitives que par l'analyse économique. Mais il est tout aussi pertinent. L'opposition individuel/collectif est purement sémiotique, relative.

Un individu appartient souvent à plusieurs organisations collectives: couple, équipe, famille, école, club, entreprise, syndicat, parti, nation, église, o.n.g., humanité. Un individu appartient par naissance, entre délibérément ou se trouve enrôlé par force, dans une organisation englobante. Un individu peut sortir de lui-même, par accident ou par contrainte, d'une organisation englobante.

Le temps dépensé par une organisation collective est constitué par les temps dépensés par les organisations individuelles qu'elle englobe. Quand on parle du temps que la France consacre à la constitution et à l'entretien de sa force de frappe, on vise l'agrégation des temps consacrés à cet objet par un certain nombre d'organisations dont l'armée, des industries d'armement et des laboratoires de recherche.

Une organisation collective peut disposer du temps de ses organisations participantes par la contrainte, par la discipline, par la négociation ou par l'achat. Un propriétaire esclavagiste obtient le travail de ses esclaves par la contrainte et le chantage à la survie. Une association négocie avec ses bénévoles la participation de chacun à la préparation et à la réalisation d'une manifestation collective. L'autorité hiérarchique exige des militaires la réalisation des objectifs désignés. L'Etat français achète les produits des industriels de l'armement et commande aux chercheurs des algorithmes ou des technologies.

Le temps dont une organisation collective dispose est fonction de son pouvoir d'action, de domination, d'influence, de négociation ou d'achat vis-à-vis des organisations participantes. Dans une économie marchande, le pouvoir d'achat tend à remplacer ou acheter les autres pouvoirs. Tous ces pouvoirs, quelle que soit leur forme de manifestation, exigent un choix, une volonté et une détermination consciente. Ce pouvoir manifeste l'existence d'une organisation réelle. Une organisation centralisée trouve cette volonté d'existence à son sommet. Une organisation décentralisée trouve cette volonté dans chacun de ses membres individuels.

Selon notre définition, il existe une différence fondamentale entre le temps individuel et le temps collectif. Par définition du temps individuel, l'individu y fait une chose à la fois. L'organisation englobante réelle regroupe plusieurs individus qui réalisent simultanément des activités différentes et complémentaires. Mais nous pourrions changer d'échelle. Nous pouvons considérer l'individu comme une organisation collective. Mutatis mutandis, nous pourrions écrire: Le neurone fait une chose à la fois. Le cerveau regroupe plusieurs neurones qui réalisent simultanément des activités différentes et complémentaires. C'est le point de vue qui détermine les définitions. Il limite, ipso facto, le domaine de validité des propositions logiques conjecturées ou réfutées dans chaque hypothèse.

En forçant un peu le trait, on pourrait dire que le temps global s'analyse en une succession de temps partiels et que le temps collectif s'agrège en une simultanéité de temps individuels.

Pour découper un temps global en temps partiels, le chercheur n'a pas besoin de supposer une intention délibérée d'une organisation réelle. Il peut mettre en évidence des conséquences non voulues et des corrélations non perçues. On parlera plutôt d'intentionnalité.

Parler de temps collectif suppose une volonté consciente dans une organisation réelle, qui pratique la division ou l'organisation du travail.

Dans une simple corrélation, les organisations corrélatives peuvent être inconscientes de leur relation. Au niveau le plus englobant, celui de l'Univers, selon le principe de la conservation de l'énergie, toutes les organisations simultanément présentes sont virtuellement corrélatives. Mais de nombreuses corrélations peuvent être négligées.


* 6. Temps englobant et temps englobé

Puisque le temps collectif suppose une volonté consciente dans une organisation réelle, nous devons le distinguer du temps englobant.

Une organisation potentielle ou un système spontané n'ont pas de division consciente ni délibérée du travail. Par contre, une organisation englobée, mais réelle, peut organiser consciemment son travail dans le cadre d'une organisation potentielle ou d'un système spontané. C'est ce que fait l'entreprise industrielle quand elle observe les habitudes de consommation et d'achat de sa clientèle potentielle. C'est ce qui se passe chaque fois qu'une intelligence utilise des régularités, perçues à la suite d'une observation attentive. L'agriculture et l'élevage sont le fruit d'une telle attitude intelligente de nos ancêtres. Il est plus efficace de moissonner quand les épis sont jaunis et durcis que lorsque le blé est en herbe. Le même temps de travail englobé ne donne pas le même résultat selon la période du temps englobant dans lequel il se situe. Le système spontané ou l'organisation englobante impose sa temporalité à l'organisation englobée. Mais, inversement, l'organisation englobée projette sa subjectivité et son intentionnalité dans le système englobant.

Ce n'est pas la somme des temps des travaux consacrés aux labours et à la traite des vaches qui détermine la date des moissons. Mais il importe de ne pas manquer le rendez-vous que le Soleil nous donne au mois d'Août pour faire de la moisson un travail efficace. Pour cela, il faut des anticipations. Il ne faut manquer ni la période des labours ni le temps des semailles. Cette organisation temporelle ne s'effectue que dans la tête de l'agriculteur. Ce n'est pas cela qui fait tourner le Soleil ni la Terre ni même les horloges au beffroi de la ville voisine. Pourtant c'est de là que le travail tire sa productivité.


* 7. Définition du travail

Comment discuter de la durée du temps de travail sans donner une définition précise du travail?

Nous rencontrons ici trois difficultés:

(i) Pour distribuer, en temps partiels, le temps global d'une organisation potentielle, le chercheur doit donner son unité d'horloge, la liste exhaustive des activités et la définition précise de chacune d'elles. La définition lui incombe. Il n'a pas besoin de se référer à un ressenti des individus concernés. Le chercheur peut comparer les activités de peuples historiquement et géographiquement différents. La pertinence de son analyse réside dans la richesse de son point de vue et la rigueur de sa méthode. Tous les points de vue sont possibles. Ils doivent être rigoureux, cohérents. Leur richesse et leur pertinence n'apparaissent qu'après coup. La découverte scientifique peut mettre en évidence des corrélations ou des contraintes qui semblent échapper à la volonté ou à la conscience des acteurs. Cette distribution, interne à l'organisation, peut dégager et comparer des modes de vie. Mais elle laisse échapper la cause de la productivité: le prélèvement d'un produit net sur un système naturel englobant.

(ii) Il n'en va pas de même pour agréger des temps individuels en un temps collectif. Car le travail n'est pas la seule activité. A chaque époque les individus et les organisations ont un ressenti et une représentation du travail. Ce ressenti joue un rôle dans l'englobement des organisations. Il est relié à la manière dont les organisations réelles englobantes dirigent les activités des organisations réelles englobées. Étymologiquement, pour l'homme comme pour la femme, le travail (tripalium, accouchement) est synonyme de douleur. Ce n'est pas une fatalité, mais c'est un fait historique. Ce fut le cas des empires égyptien, babylonien, romain avec leurs communautés rurales dominées ou asservies. L'origine de notre travail moderne n'est pas un long fleuve tranquille. Le tripalium, la torture des sociétés esclavagistes, connote encore certains usages du mot travail. L'organisation consciente ne peut faire abstraction du ressenti ni de l'affect. Il faut savoir comment le travail collectif est obtenu des travailleurs individuels. Et cela déborde le temps de travail proprement dit. Il faut tenir compte de la reproduction des travailleurs et des non-travailleurs. Il faut donc élargir la notion stricte de travail et la remplacer par celle, plus vaste, d'activités. On passe aux conditions de reproduction de l'organisation collective concernée. C'est là que s'applique l'hypothèse de reproduction ou théorie de la valeur.

(iii) Mais ce ressenti concerne aussi les organisations potentielles. Les peuples projettent leurs désirs et leurs fantasmes sur les organisations englobantes. Ils ont un projet dans ou pour le système naturel qui les englobe. Une ethnie ne peut séparer son existence de celle de l'Univers. Un peuple se pense dans sa réalité. Son héros fondateur transforme le chaos en cosmos. Le mythe d'origine est le discours fondateur par lequel une organisation réelle se constitue. Elle projette sur l'Univers la conscience de sa propre existence. Dans sa conception prométhéenne, le travail est encore attaché au devoir. Nous ne pouvons isoler le travail des pulsions qui le mettent en mouvement et des représentations qui lui donnent sa signification. Elles définissent ce qui est travail. Elles définissent ce qui est non-travail. Elles conditionnent la mesure du temps de travail. Elles conditionnent l'ensemble des activités d'où découlent la société concernée, sa production et son produit net.

Bien que l'opposition entre salaire et profit soit centrale pour la gestion de l'entreprise capitaliste et la dynamique des prix, la réduction qu'elle opère sur la notion de travail ne permet pas d'étudier la gestion du temps dans la société. Nous devons adopter une définition plus large du travail ou le remplacer par le concept plus vaste d'activité. La reproduction de la société doit intégrer les mécanismes de domination par lesquels des organisations réelles englobantes dirigent les activités d'organisations réelles englobées. La productivité ne peut s'analyser que dans la manière dont une société projette ses désirs et ses fantasmes sur le système naturel pour le mettre à contribution de ses réalisations.


* 8. Division du travail

Un individu se situe toujours dans une certaine division du travail. La division ou l'organisation du travail peut se faire dans l'instant, entre plusieurs individus (simultanéité) ou dans la succession, pour un seul individu (durée). La division ou l'organisation du travail peut être réelle (consciente) ou potentielle (inconsciente).

Il y a division réelle du travail quand un organisateur ou chaque membre de l'équipe a une conscience claire de la complémentarité des travaux et veille à la maintenir à un niveau suffisant. L'organisateur ou les membres de l'équipe peuvent accroître la parcellisation des tâches pour augmenter l'efficacité de l'ensemble. La division consciente du travail exige une répétition suffisante de celui-ci. On ne peut élaborer des méthodes sans consacrer du temps à cette élaboration. Ce temps d'élaboration entre en concurrence avec celui de l'exécution. La division consciente du travail exige aussi une ampleur suffisante de la tâche collective à réaliser. On ne fera pas la chaîne pour transporter un seul seau d'eau. Cet exemple nous montre aussi que l'urgence peut être un facteur de division du travail. La peur du feu a suscité bien des méthodes et bien des interdits chez nos ancêtres.

Il y a division potentielle du travail quand la simplicité des taches n'est pas organisée. Cette simplicité spontanée peut découler de l'ignorance technologique. Dans ce cas, personne n'organise la complémentarité des travaux. Chaque individu vaque spontanément à ses occupations sans se préoccuper d'une quelconque coopération ou coordination. Des adaptations individuelles, inconscientes, peuvent se réaliser. Un système d'équilibration peut agir sans coordination délibérée. Une variété de travaux simultanés peut être considérée comme une division potentielle, inconsciente, du travail. Un observateur extérieur peut légitimement l'observer comme un travail global, mais pas comme un travail collectif. A lui de montrer, ultérieurement, la pertinence de son point de vue théorique. C'est ce que font, par exemple, la sociologie animale ou la zoopsychologie.


* Conclusion

Un travail est une activité partielle incluse dans une activité globale. Le travail s'oppose toujours à un non-travail. Même le travail le plus damné est suivi d'un temps de sommeil, pour des raisons biologiques. Une tranche de vie comporte des temps de travail et des temps de non-travail. Le non-travail est plus ou moins riche: sommeil, repos, formation, fête, loisir, culture, méditation, etc.

La liste des activités pourrait suffire à distinguer les sociétés et leurs époques. On pourrait caractériser les sociétés par le poids relatif des activités partielles dans le temps global. Cette relation numérique est intéressante. Une activité prend toujours sur le temps des autres. Une activité A peut remplacer une activité B parce que le temps dont la société dispose est limité. Ce remplacement peut être conscient ou inconscient, délibéré ou fortuit.

Pourtant, cette analyse purement numérique passerait à coté d'une relation plus importante. Car le sens d'une activité ne réside pas uniquement dans celle-ci. Une activité A peut remplacer une activité B bien que l'individu ou la société dispose d'un temps libre à consacrer à l'activité B. Le fait de s'adonner à l'activité A peut supprimer le sens préalable de l'activité B. Le sens des activités ne relève ni l'addition ni la soustraction. Ne confondons pas différenciation quantitative et différenciation qualitative.

L'économisme, théorie économique purement quantitative, risque de manquer son objet. Il nous faut donc examiner le sens des activités. C'est ce que nous ferons à partir du mythe littéraire de Robinson Crusoé.

Le héros de Daniel Defoe est possédé par le désir d'aller sur mer, là où se jouent les aventures commerciales de son époque. Cette quête est d'autant plus irrationnelle que l'aisance financière de son père lui permettrait de devenir avocat et de tenir son rang dans l'ordre social. Membre de la nouvelle classe, fils de marchand devenu propriétaire foncier, c'est par dégoût de la condition moyenne qu'il se lance dans l'aventure maritime. Celle qui, justement, réunit les deux extrêmes de la société de son époque: une noblesse historique endettée et des vagabonds enrôlés de force. Ce refus initial et les épreuves qui s'ensuivent, donnent à "Robinson Crusoé" la structure d'un conte.

"Quelle autre raison as-tu, (lui dit son père), qu'un penchant aventureux, pour abandonner la maison paternelle et ta patrie, où tu pourrais être poussé, et où tu as l'assurance de faire ta fortune avec de l'application et de l'industrie, et l'assurance d'une vie d'aisance et de plaisir? Il n'y a que les hommes dans l'adversité ou les ambitieux qui s'en vont chercher aventure dans les pays étrangers, pour s'élever par entreprise et se rendre fameux par des actes en dehors de la voie commune. Ces choses sont de beaucoup trop au-dessus ou trop au-dessous de toi; ton état est le médiocre, ou ce qui peut être appelé la première condition du bas étage; une longue expérience me l'a fait reconnaître comme le meilleur état du monde et le plus convenable au bonheur. Il n'est en proie ni aux misères, ni aux peines, ni aux travaux, ni aux souffrances des artisans: il n'est point troublé par l'orgueil, le luxe, l'ambition et l'envie des hautes classes".

Échoué sur une île déserte, Robinson est le parangon du naufragé moderne: [le chômeur, l'exclu]. Comme lui, dans une succession d'épreuves, qualifiante, décisive, ou glorifiante, il acquiert sa qualité et trouve de nouvelles raisons de se battre.

Voici ce que Jacqueline Kelen nous dit de "Robinson Crusoé". "Ce livre qu'on a voulu réserver à la littérature enfantine narre bien plus qu'une aventure pittoresque. C'est un apologue sur la condition humaine et sur l'incarnation, sur la liberté de l'individu et son perfectionnement possible. Bref, c'est un itinéraire alchimique qui nous est proposé là. Robinson n'est pas seulement l'homme courageux et travailleur qui peu à peu recrée autour de lui la civilisation, c'est un homme qui va transformer son désespoir en joie, sa cabane en château; qui va élargir sa solitude aux dimensions du monde et faire de son "île du Désespoir" un petit paradis. Le récit de Daniel Defoe retrace, à première vue, l'itinéraire qui mène de la vie sauvage à celui de l'homme de culture mais surtout il évoque le long chemin, semblable à la quête de Gilgamesh, qui ouvre sur un nouvel état de conscience. A l'époque où vit le romancier anglais, le texte sumérien n'a pas été découvert: il faudra attendre George Smith et les années 1872-1876 où le jeune savant, âgé d'une trentaine d'années, déchiffrera les tablettes qui composent l'essentiel de L'Épopée de Gilgamesh. Mais, étrangement, de nombreuses ressemblances unissent les deux récits, ce qui confirme que le Mythe est au coeur de l'homme, peut-être préexistant à lui, et que l'homme le comporte à travers les siècles et souvent à son insu (L'éternel masculin, p. 285)".

"Robinson Crusoé" est plus qu'un roman d'auteur. C'est un des rares contes modernes. Sa structure respecte la morphologie du conte décrite, plus tard, par Vladimir Propp. N'est-il pas un discours fondateur? Celui d'une nouvelle socialité. Celle des rescapés d'un typhon monétaire. Elle réunit des individus qui reconstruisent leur identité. Ils maîtrisent l'instrumentalité des nouvelles technologies. Le plus amusant est que "Vie et Aventures de Robinson Crusoé" a sorti Daniel Defoe du naufrage économique où l'avait jeté une des premières crises du capitalisme naissant.

Hubert Houdoy

Créé le 4 Mai 1996

Modifié le 23 Février 1998


* Suite

Robinson Crusoé


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* Bibliographie

Vie et aventures de Robinson Crusoé

Daniel Defoe

Maxi-Poche, Classiques étrangers

Bookking International, Paris, 1996

Tome 1, 348 pages, 10 Francs

Tome 2, 315 pages, 10 Francs

L'éternel masculin

Traité de chevalerie à l'usage des hommes d'aujourd'hui

Jacqueline Kelen

Robert Laffont

Paris, 1994

354 pages

109 Francs


* Définitions

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Mise à jour: 16/07/2003