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A la Recherche des Déterminations Économiques de la Valeur




Cet article a été publié en Décembre 1976 dans les Cahiers “Analyse, Épistémologie, Histoire” de la Faculté des Sciences Économiques de l’Université Lyon 2. Présenté tel-quel, il porte la trace des débats théoriques de l’époque.


“A la Recherche des Déterminations Économiques de la Valeur” fait suite à un travail préalable, intitulé: Statut de la valeur et de la plus-value dans le cadre d’une articulation entre économie et psychanalyse. Présenté au colloque “Pratiques économiques et Pratiques Symboliques”, organisé par Serge Latouche à Lille en Juin 1974, ce document confrontait le principe de réalité des économistes ou celui du marxisme (très proches) au principe de plaisir de la psychanalyse historique .


“A la Recherche des Déterminations Économiques de la Valeur” fut la source de mes travaux ultérieurs sur la modélisation économique et la découverte de la fractalité. H. Houdoy


Remarque quant au style:


Nous nous efforçons de prendre Karl Marx aux mots de son projet. Nous pensons, en effet, que sa méthode (étude des contradictions) était bien supérieure au résultat auquel il a aboutit. D’ailleurs son travail, inachevé, a été publié par Engels, sans respecter le plan prévu.


Mais l’erreur fondamentale, la plus-value, avait déjà été publiée du vivant de Marx. Nous commençons donc par montrer ce qu’il aurait pu dire, dans le cadre du projet qui était le sien:


Ce n’est donc qu’en fins de paragraphes que nous réintroduisons notre point de vue .

A savoir:




A la Recherche des Déterminations Économiques de la Valeur




Sommaire


1 - Introduction

2 - La théorie substantialiste de la valeur

3 - Critique de cette théorie

4 - La valeur est une fiction méthodologique. L’hypothèse de reproduction

5 - La valeur et le mode de production capitaliste

6 - Le réseau physique du système productif

7 - Le réseau monétaire du système productif

8 - Le graphe des coûts en l’absence de biens de luxe

9 - Le capital constant et le travail mort

10 - La transformation des valeurs en prix de production





I - Introduction


Pour la plupart des économistes, la théorie de la valeur n’est pas une préoccupation. Pour des raisons liées à la mode, à leurs convictions idéologiques ou à leur souci de faire carrière, ils adoptent une formulation et s’y tiennent. Cette théorie est la base de leur économie politique . Pour certains, une valeur structurelle ou essentielle se cache derrière les prix conjoncturels ou apparents. En raisonnant a contrario ils démontrent que la valeur découle du travail. D’où la théorie de la valeur-travail. Pour les autres, il n’y a pas vraiment de théorie de la valeur. Grâce au sésame de l’ utilité, ils escamotent le problème et relèguent classiques et marxistes au musée des antiquités. Néanmoins, quelques francs-tireurs, comme A. Emmanuel et B. Schmitt, refusent les vérités établies de la valeur. Mais si nous saluons leurs recherches, nous refusons leurs réponses.


Pour nous, la théorie de la valeur est une préoccupation. Laissé insatisfait par les théories académiques, nous restâmes déçu devant la théorie marxiste (que l’on avait oublié de nous enseigner). Cette position n’est pas confortable. Quand on ne croit en aucune théorie révélée de la valeur, on ne peut porter foi en aucun des énoncés du bréviaire des économies politiques. Il ne reste qu’à reconstruire le concept de valeur. Notre objectif est une compréhension de la réalité sociale, en évitant la réduction qu’opère l’économie politique. Celle-ci n’est bien souvent qu’une science des prix. Formalisation savante de l’idéologie sécrétée par la pratique quotidienne de tous les manieurs d’argent. Le repérage des variations des prix des marchandises importe à ces agents économiques.


Pour nous, la valeur ne peut se résoudre à ce qu’en mesure le prix. Elle n’est pas une simple mise en équivalence avec la monnaie. Dans le découpage des sciences sociales, la valeur déborde l’économie politique. Ce découpage est fautif. Mais il ne suffit pas de condamner pour reconstruire. Avant d’élaborer l’objet multiforme de la science sociale, nous devons désigner les limites des disciplines actuelles. Notre propos est de montrer en quoi la valeur est économique, mais surtout que la valeur ne peut se réduire à l’économique.





II - La théorie substantialiste de la valeur


L’apport essentiel de la réflexion marxienne sur la valeur est la mise en évidence d’une confusion de termes chez les classiques. Marx dénonce chez Ricardo l’amalgame entre valeur de la force de travail et valeur créée par la force de travail. La plus-value se définit justement par la différence entre ces deux valeurs. Mais l’erreur principale de Marx réside dans le statut qu’il confère à la valeur et donc à la plus-value. La conception marxienne de la valeur est substantialiste. Pour Marx, dans l’acte de travail, i.e. lors de la dépense de la force de travail, une substance est produite en même temps que s’éteint “la flamme du travail vivant”. Il y a donc une transformation de la force de travail en valeur. Cette transformation est simultanément une aliénation puisque la valeur émigre dans le produit du travail. La valeur passe du sujet à l’objet. Réciproquement, lors de la consommation, i.e. reproduction de la force de travail, la valeur repasse de l’ objet au sujet du travail. Ainsi, la valeur de la force de travail est-elle égale à la valeur des marchandises nécessaires à la reproduction de la force de travail. Le mouvement est donc cyclique et assure une conservation de la valeur. C’est grâce à l’existence de cette conservation qu’une mesure est possible. On retrouve chez Marx l’intuition hégélienne “ce qui est supprimé est à la fois ce qui est conservé, mais a seulement perdu son immédiateté, sans être pour cela anéanti” ou “On ne supprime une chose qu’en faisant en sorte que cette chose forme une unité avec son contraire”.


Cette circulation de la valeur est représentée par Marx dans la formule M-A-M. Cette formule de la circulation simple signifie que, quelque soit la série des échanges successifs dans laquelle est prise une marchandise, sa valeur se conserve. L’échange ne peut ajouter ni retrancher à la valeur, issue de la seule dépense de la force de travail. L’argent (A) sert donc d’intermédiaire dans les échanges et d’étalon pour la mesure des valeurs. La mesure des valeurs est possible, d’une part parce que la valeur se conserve dans la circulation, d’autre part parce que l’argent, produit du travail, possède une valeur comme toute autre marchandise. Issues du travail, toutes les marchandises ont une substance commune, la valeur. Pour mesurer la valeur d’une marchandise, il suffit donc de rapporter la quantité de travail qu’elle incorpore à la quantité de travail qu’incorporent d’autres marchandises (on mesure la quantité du travail par sa durée). Si l’argent est l’étalon de cette mesure, la quantité de valeur exprimée en argent est le prix de la marchandise considérée. La connaissance de la valeur essentielle est donc nécessaire à la compréhension des prix apparents.


Mais si la circulation simple conserve la valeur, comment se fait-il que la valeur augmente au fur et à mesure des périodes productives ? Comment les capitalistes peuvent-ils accumuler productivement toujours plus de valeur ?


L’origine de cette valeur en plus (plus-value) réside dans une propriété spécifique de la force de travail selon laquelle elle peut produire plus de valeur qu’elle n’en a reçu.

Tandis que le procès de circulation conserve et répartit la valeur, le procès de production permet la mise en valeur de la valeur. D’où le Capital: “valeur grosse de valeur”, “argent qui fait des petits”, “valeur toujours grandissante”, < A-M-A’ >.


Ces deux principes (conservation et accroissement de la valeur) étant connus, il devient possible d’analyser le mouvement historique des formations sociales capitalistes à travers les contradictions du Capital.





III - Critique de cette théorie


On peut reprocher à cette théorie de la valeur de ne pas être prouvée ni réfutable. Personne n’a réussi à isoler la substance-valeur ni à la mesurer. Par exemple, on ne peut comparer des valeurs produites par des forces de travail différentes ou par des forces de travail dépensées dans des situations productives différentes. Ainsi la hiérarchie des salaires fait-elle l’objet de justifications tautologiques. De même, on ne peut mesurer, ni la valeur de la force de travail, ni la valeur créée par la dépense de la force de travail. On ne peut donc pas mesurer la plus-value. Dans le “Capital”, Marx est contraint de se donner un taux de plus-value hypothétique.


Certes le fait de ne pas voir la valeur n’est pas une preuve de son inexistence et les yeux de la foi ont des raisons que la raison... On nous dira que les physiciens parlent de particules qu’ils n’ont jamais vues. Mais justement, à défaut de voir toutes les particules dont ils postulent l’existence, les physiciens ont mis au point un système de mesure qui s’appuie sur des relations dûment constatées entre divers types de mesures. Ainsi les volumes sont-ils reliés aux poids, aux masses, aux longueurs... La masse est reliée au temps, à l’ énergie... Tout ce système de mesure, qui intègre les principes de conservation, est strictement déterminé et les relations sans cesse affinées et précisées mathématiquement. Il n’est donc pas nécessaire de “voir” tout ce que l’on mesure. Ce système rend les théories réfutables par l’expérience.


Or la théorie marxiste n’a jamais réussi à mettre sur pied un tel système de mesure (de la valeur, des prix, des temps de travail et des compositions organiques des capitaux...). Alors comment prouver ou réfuter l’existence d’une valeur invisible ? Non seulement la théorie marxiste n’a pas réussi à s’intégrer au système des mesures physiques, ce qui la rend très hypothétique; mais encore elle n’a pas réussi à expliquer la transformation des valeurs en prix au sein de ses hypothèses de conservation (somme des valeurs égale somme des prix, somme des plus-values égale somme des profits, etc), ce qui la rend incohérente intérieurement.


Alors, la théorie marxiste perd toute vertu critique vis-à-vis de la théorie néoclassique. “Vous pouvez bien nous traiter d’empiristes sous prétexte que nous nous intéressons à l’apparence des prix, disent les néoclassiques, mais de quoi sert votre valeur essentielle si l’on ne peut ni la constater sur le marché ni la mesurer par ailleurs. Mieux vaut se contenter des apparences mesurables que de mesurer l’ éther”. Le comble de l’ironie néoclassique est atteint lorsque l’on voit des économistes marxistes remonter des prix aux valeurs (transformation inverse) ou mesurer des taux de profit industriels pour se donner un taux de plus-value historique et concret ! Si la théorie marxiste de la valeur n’est pas prouvée, ni réfutable, ni même opératoire, elle n’est plus qu’une hypothèse fragile. Or cette hypothèse est inutile. En effet, la théorie substantialiste de la valeur a pour but de répondre à deux questions:

a) Comment peut-on mesurer la valeur économique des marchandises?

b) Comment peut-on expliquer l’existence de cette valeur et ses variations?

On peut apporter une réponse à ces deux questions en formulant des hypothèses beaucoup plus souples. Principalement, on expliquera la valeur économique des marchandises sans postuler l’existence d’une substance valeur. Alors il n’est pas besoin de “voir” la valeur et le problème de sa mesure se pose tout autrement.





IV - La valeur est une fiction méthodologique. L’hypothèse de reproduction simple.


La valeur n’a pas d’existence ontologique, mais elle est une nécessité épistémologique. Autrement dit, nous disons aux marxistes que la valeur n’existe pas dans la réalité matérielle, qu’elle est une abstraction, produit du cerveau humain. Simultanément, nous disons aux néoclassiques que la valeur est une abstraction nécessaire pour comprendre les prix. Nous ajouterons, pour les tenants de la logique formelle et de la mathématique classique, que la valeur est contradictoire.


Ce n’est pas à nous d’apporter la preuve de la non-existence matérielle de la valeur. Que ceux qui y croient le prouvent. En attendant, nous nous passons très bien de cette croyance et c’est cela qu’il faut montrer.


Par contre, les néoclassiques prétendent se passer de toute théorie de la valeur. Ils croient mesurer la marchandise et le capital. Mais ce dont ils parlent n’est pas ce qu’ils mesurent. Ils parlent des marchandises et du capital comme d’objets physiques immédiats (et non pas comme de rapports sociaux) et prétendent les mesurer par des prix. Mais la structure logique de ces prix (continuité, divisibilité infinie, transitivité, associativité, réversibilité des équations, etc) n’est pas adéquate aux objets physiques. L’histoire de la gelée de groseilles comme marchandise unique est convaincante. Malgré eux, les néoclassiques ne parlent pas des biens économiques en tant qu’objets physiques. Par le prix ils mesurent autre chose, une dimension abstraite, que l’on peut aussi bien appeler “valeur économique”.


Mais alors, cette dimension, quelle est-elle? Pour le dire, on se doit de construire une théorie.


Nous formulons l’hypothèse selon laquelle la valeur est de même nature que les êtres mathématiques. Elle n’est ni une substance comme le pain, ni une quantité de monnaie comme le “prix à payer pour” le pain.


Si la valeur n’est pas une substance, elle ne peut se conserver. La loi selon laquelle les échanges se font à la valeur n’a plus de sens. Il n’y a pas d’équivalence des échanges. On le montrera plus tard. La loi de la valeur opère une confusion entre différents aspects, incommensurables, de la réalité sociale. La difficulté propre à la théorie économique, c’est de dissocier le “physique” et le “monétaire”, la valeur d’usage de la valeur d’échange . Notre théorie économique de la valeur a pour but de montrer l’irréductibilité de ces deux niveaux et le pourquoi de leur confusion dans l’idéologie.


Quand nous parlerons de reproduction simple du mode de production et de conservation de la valeur, il s’agira d’une hypothèse d’école. Moment abstrait et irréel, nécessaire à l’analyse de la réalité concrète . De même que la thermodynamique suppose la réversibilité des opérations successives dans un moteur thermique, de même la théorie économique doit supposer la réversibilité des échanges économiques. Cette fiction de la réversibilité des opérations, complémentaire de l’hypothèse de conservation, est nécessaire pour élaborer un système de mesure. Un schéma de reproduction simple est donc une fiction grâce à laquelle on peut produire le concept de valeur et instaurer une quantification. Ce serait une erreur de croire que la reproduction simple appartienne au domaine de la réalité sociale. Sa probabilité est quasi nulle. Il n’y a pas d’instinct social de reproduction simple. Dans un schéma théorique de reproduction simple, tous les échanges sont réversibles et la valeur se conserve de période en période. Un tel schéma n’est pas dynamique, mais synchronique. Le temps est absent des schémas de reproduction simple, ce qui accroît leur irréalité. Sous l’ hypothèse méthodologique de reproduction simple , l’égalité des échanges et leur réversibilité permettent de représenter ces échanges par des équations. On sait que Marx a longtemps médité sur ce système d’équations, à propos de la mesure et de la forme de la valeur. Mais, à tort, il y voyait l’apparition historique d’un équivalent général: l’argent, avatar de la valeur. Une genèse historique, phénomène irréversible par excellence, ne peut se représenter que dans la diachronie. Les schémas de reproduction simple, et les formules de circulation simple ne peuvent donc servir de base à l’étude des successions chronologiques ou des genèses historiques. D’ailleurs, pour introduire le temps et la durée, la thermodynamique a dû poser un deuxième principe, contradictoire avec le premier. Tandis que le premier principe postule la conservation de l’énergie par l’égalité du travail et de la chaleur, le second principe constate la dégradation de l’énergie et l’asymétrie des transformations entre travail et chaleur. De la même manière, après avoir élaboré des schémas de reproduction-conservation et produit le concept de valeur, nous devons nier et contredire cette représentation synchronique par une représentation diachronique. Nous passerons du niveau abstrait de la valeur à celui des prix.


Loin d’être une substance matérielle, la valeur n’est qu’une prothèse théorique qui doit être niée et dépassée dialectiquement par le moment suivant de l’analyse. On perçoit mieux l’erreur des néoclassiques qui représentent un système de prix par un jeu d’équations simultanées. Qui dit équation dit égalité, conservation et réversibilité. Qui plus est, ils supposent que leurs fonctions sont continues et dérivables. Mais alors on raisonne dans la fiction de la synchronie et ce n’est pas des prix que l’on parle, mais de valeur. Pour parler des prix, il faut introduire le temps comme contradiction. Alors la formalisation mathématique des néoclassiques s’effondre.




V - La valeur et le mode de production capitaliste


Si la dépense de la force de travail produit une valeur substantielle, celle-ci remonte aux modes de production précapitalistes. Ainsi Engels fait remonter la valeur à plus de cinq mille ans et Marx constate que l’homme s’est toujours intéressé au temps comme mesure de travail. La valeur existe, même si l’homme n’a pas une conscience exacte de sa nature ni de sa mesure. L’ Histoire devient l’histoire des changements de forme de la valeur. Forme simple, forme développée, forme générale, forme monnaie ou argent. Au fur et à mesure que les échanges se développent entre et au sein des communautés, la valeur subit des avatars qui aboutissent au capital avec le rapport d’exploitation propre au capitalisme. La valeur est aussi ancienne que le travail, seul le capital émerge avec le salariat et l’appropriation privée des moyens de production.


Cette théorie du développement de la valeur encourt au moins deux reproches. Tout d’abord elle n’attire pas la conviction des historiens ni des ethnologues dans la description qu’elle fait des “échanges pré-capitalistes”. Ensuite, elle opère une réduction de la notion de valeur, en la limitant strictement à l’économique. Or la valeur déborde l’économique. Elle relève d’une logique sociale de reconnaissance et de différenciation, que les économistes appellent “ répartition”. Et loin que cette logique découle du problème économique de rareté et d’affectation des ressources, c’est le problème économique lui-même qui apparaît avec un certain type de “répartition”. Contrairement à l’opinion marxiste, la valeur-travail, mesurée par le temps de travail et quantifiée par la monnaie dans les échanges de marchandises, est spécifique au mode de production capitaliste. La mesure des temps de travail ne nous mènera pas bien loin dans la compréhension des formations sociales dont le mode de production n’est ni marchand ni capitaliste. Dans ces formations sociales, le temps intervient tout autrement et leur représentation du temps est différente. Notre représentation occidentale actuelle est tributaire de l’existence du salariat. Il n’y a que là où “le temps est de l’argent” (salariat) que la valeur des marchandises est déterminée par le temps de travail.


Le mode de production capitaliste se caractérise par la propriété privée des moyens de production, la division sociale du travai l et la vente de la force de travail i.e. le salariat. Ces caractéristiques constituent une base économique qui détermine le fonctionnement des formations sociales capitalistes. Cette base économique est contradictoire et cette contradiction introduit une déformation de la valeur. Il est alors impossible de passer directement du niveau physique au niveau monétaire . A défaut de repérer cette déformation, les économies politiques classique, marxiste et néoclassique regardent le niveau physique du système économique à travers la vitre de la valeur, sans savoir que cette glace est déformante. Il va sans dire que ce phénomène de déformation oblige à passer par le moment théorique de la valeur. Par ailleurs, cette déformation est spécifique au mode de production capitaliste. L’analyse d’un autre mode de production exigerait de construire une autre théorie de la valeur. L’anatomie de l’homme n’est pas toujours la clé de l’anatomie du singe.




VI - Le reseau physique du système productif


Une formation sociale comporte toujours un système productif . L’économiste étudie les formations sociales à partir de l’analyse des systèmes productifs, et n’a que trop tendance à les réduire à cela. La base matérielle du système productif est constituée par un réseau physique de production et de circulation des marchandises. Avec une précision moyenne, on peut décomposer le réseau physique à partir de cinq secteurs A, B, C, D et E, produisant respectivement: Énergies, Matières Premières , Moyens de Travail , Biens de Consommation et Biens de Luxe . Pour coller à l’argumentation de Karl Marx, la distinction entre biens de consommation et biens de luxe renvoie à la séparation des travailleurs et des non-travailleurs qui constituent deux classes antagoniques. Les biens de consommation assurent la reproduction de la force de travail sociale dont dispose le système productif. Cette force de travai l est dépensée dans les cinq secteurs productifs. On peut représenter le réseau physique par le schéma 1.


Le réseau physique s’insère dans des systèmes écologiques plus vastes, c’est pourquoi il constitue un “système ouvert”. Le réseau physique comporte deux entrées qui le relient à l’extérieur. Le secteur A produit l’énergie utilisée par l’ensemble du système productif en opérant un prélèvement irréversible dans le milieu environnant. De la même manière, le secteur B fournit la matière première dont a besoin le système productif en pillant la niche écologique. Les biens de luxe produits par le secteur E servent à reproduire l’ensemble des non-travailleurs. L’énergie et la matière première correspondantes ne sont pas recyclées dans le système productif, à la différence de la force de travail de la classe des travailleurs.


Le réseau physique constituant un système ouvert, il est impossible d’étudier son évolution sans connaître l’évolution de ses relations avec l’extérieur. L’analyse de ses relations pourrait constituer une “économie écologique”, complément indispensable de l’économie politique. La distinction est d’ailleurs formelle puisque la base matérielle du politique est écologique. Ainsi, la séparation politique entre travailleurs et non-travailleurs modifie le réseau physique en constituant un “ cul-de-sac” dans le système. Dans une formation sociale qui ne serait pas caractérisée par cette distinction, la forme du réseau physique serait différente.


La classe des non-travailleurs n’est pas une sortie vers le système environnant mais un cul-de-sac dans le réseau physique. Il n’y a pas de restitution au milieu environnant. Organisé par eux, le système productif fonctionne pour produire et reproduire les non-travailleurs, comme “ produit net ”. Dans la mesure où ceux-ci cherchent à gérer le système à leur avantage, un problème de rareté apparaît. Il serait absurde et vide de sens de parler de rareté au sein d’un cycle qui se perpétue. La rareté apparaît quand on cherche à dérouler un mouvement cyclique pour en faire un mouvement linéaire d’accumulation. D’ailleurs l’économie politique, comme discours sur la rareté, est apparue lors de la montée politique de la classe capitaliste.


Si on se donne comme objectif linéaire, la reproduction élargie des non-travailleurs capitalistes et des moyens de production qui les constituent comme tels, tout ce qui s’inscrit dans un cycle ressemblera à une perte. Le standing des travailleurs et la masse des biens de consommation apparaîtront comme un coût aux yeux des capitalistes accumulateurs. Le projet capitaliste est donc problématique par essence. C’est ce projet impossible qui constitue la rareté (il n’y a de rareté que relative) et non pas une rareté première (définie comment?) qui constituerait l’économique.




VII - Le réseau monétaire du système productif


Dans le réseau physique, les produits circulent de secteurs en secteurs. Si les non-travailleurs étaient unanimes et capables d’imposer aux travailleurs leur projet, la circulation matérielle des produits pourrait être planifiée. Mais les intérêts particuliers des non-travailleurs sont multiples et contradictoires. La circulation des produits s’opère dans l’anarchie. Chaque secteur est composé de plusieurs capitalistes qui cherchent tant à s’approvisionner qu’à écouler leurs produits. D’où une infinité de contrats d’achat et de vente. On aboutit à la première détermination du mode de production capitaliste: les produits du travail sont des marchandises. Pour cela, les capitalistes utilisent une invention qui n’est pas la leur: la monnaie. Chaque circulation de marchandise, d’un capitaliste à un autre, entraîne une circulation inverse de monnaie. Celle-ci parcourt un réseau isomorphe inverse du réseau physique. On passe du réseau physique au réseau monétaire en changeant la signification et le sens des flèches du réseau physique.


Parmi tous les produits du réseau physique, la force de travail a un statut particulier. Comme tous les produits, elle est d’abord une marchandise. Dans le mode de production capitaliste, à la différence d’autres modes de production marchands et a fortiori des modes de production non marchands, la force de travail est une marchandise. Les capitalistes qui organisent la production ne peuvent insérer la force de travail dans le procès de production que s’ils achètent le droit de l’utiliser. L’achat de l’usage de la force de travail est la définition minimale du salariat. Du fait de l’existence du salariat, les produits ne pourront être fabriqués que moyennant un coût salarial. Si le salaire est calculé en fonction du temps, celui-ci deviendra une catégorie économique. Le salariat est la deuxième détermination du mode de production capitaliste.


La première spécificité de la force de travail provient de son détenteur. Le travailleur qui vend l’usage de sa force de travail, n’est pas un capitaliste. En échangeant l’usage de sa force de travail contre de la monnaie, le travailleur s’insère dans le réseau monétaire constitué par l’échange des marchandises capitalistes. Le travailleur est contraint de vendre l’usage de sa force de travail pour se procurer la monnaie. Démuni des moyens de production, le travailleur prolétaire ne peut accéder aux biens de consommation que par le marché. Les travailleurs échangent leurs salaires contre des biens de consommation. L’aspect complémentaire de l’achat de la force de travail par les capitalistes est la vente des biens de consommation nécessaires à la reproduction de la force de travail. C’est par la propriété privée des moyens de production que les capitalistes se constituent comme tels et imposent aux travailleurs-prolétaires de s’insérer dans le réseau monétaire capitaliste.


Vu du côté du travailleur moyen, le problème parait simple comme un cercle. Le salaire est gagné par la vente de la force de travail, il est dépensé par l’achat des biens de consommation nécessaires à sa reproduction. Ce cercle, dans lequel circule la masse salariale, peut être considéré comme un circuit réversible. On peut poser un principe d’ équivalence des échanges et représenter cette circulation simple par la formule M-A-M. Le travailleur type échange sa force de travail (M) contre de l’argent (A) puis échange cet argent contre des biens de consommation (M). “Ce qui distingue le rapport capitaliste de tout autre régime de domination, c’est que le travailleur fait face au capital comme consommateur et acquéreur de valeur, en tant que possesseur d’argent et centre de la circulation simple” (Marx, Fondements... Anthropos, T. 1, p. 378).


Le circuit réversible de la circulation simple suppose l’équivalence des échanges et réciproquement. La masse salariale qui achète la force de travail sociale rachète donc l’ensemble des biens de consommation. Réversibilité et conservation vont permettre la mesure, pourvu que l’on se donne un indice arbitraire. Si une force de travail est reproduite grâce à une unité de biens de consommation, on peut écrire l’équation: 1 FdT = 1 BdC.


Il suffit alors de poser conventionnellement l’égalité:

1 FdT = 1 unité monétaire

pour avoir le taux de salaire de référence.

On obtient alors, par transitivité (du fait de la réversibilité):

1 FdT = 1 u.m. = 1 BdC = 1 FdT =...


Il devient possible de quantifier toutes les grandeurs du réseau monétaire en sachant que celui-ci est l’isomorphe inverse du réseau physique. On notera au passage que cette généalogie théorique n’est nullement une genèse historique de la valeur.


En faisant de la force de travail une marchandise, les capitalistes ont inséré le travailleur dans un système de comptabilité arithmétique.


La deuxième spécificité de la force de travail provient de l’instabilité du taux de salaire. Les capitalistes ont bouclé le réseau de la circulation simple et rendu possible la quantification, mais l’indice salarial est indéterminé. Certes on peut réduire la force de travail à une équivalence (énergétique et signifiante) avec un certain lot de biens de consommation et/ou une certaine quantité de monnaie. Mais cette réification, i.e. cette mise en équation, n’est que le constat d’un rapport de force. Par la lutte, les travailleurs peuvent imposer une hausse du taux de salaire nominal , voire une hausse du salaire réel . Mais chaque fois que le rapport de force aura été défavorable aux capitalistes, ceux-ci chercheront à maintenir le salaire réel quelque soit le niveau du salaire nominal. Quoiqu’il en soit, avant d’imposer l’abolition du salariat, le travailleur doit se contenter du triste privilège d’être “le centre de la circulation simple”.


La circulation simple, M-A-M, permet de quantifier la valeur des marchandises. Elle ne donne pas une valeur aux marchandises. Produits de l’activité humaine, les biens économiques ont une valeur complexe qui dépasse l’économique. Mais les capitalistes réduisent cette valeur à sa dimension économique, à savoir la valeur d’échange du produit. En insérant les travailleurs dans le réseau monétaire, ils leur imposent cette réduction de la valeur. Toutes les autres composantes de cette valeur doivent être refoulées de la conscience du travailleur. Les conditions de travail, mais aussi l’école, la prison et l’asile sont là pour faciliter ce refoulement, l’église et le parnasse canalisent le retour du refoulé... C’est la circulation simple, basée sur le salariat, qui permet de quantifier cette valeur d’échange. Dans la circulation simple, l’argent effectue un mouvement circulaire. Il s’échange tantôt contre la force de travail, tantôt contre les biens de consommation. Par transitivité, on peut écrire: 1 FdT = 1 BdC = 1 um, en mesurant les valeurs de ces deux marchandises au même étalon: l’argent. Certes cette égalité est variable et dépend du rapport de force, mais la mise en équation demeure tant que la force de travail appartient au marché capitaliste.


Pour construire le réseau monétaire, nous égalerons la masse salariale et la valeur des biens de consommation. Par suite du salariat, les marchandises sont produites moyennant un coût salarial. En vendant ses marchandises, chaque capitaliste récupère l’argent déboursé pour ses approvisionnements de moyens de production et pour l’embauche de la force de travail. Les coûts des marchandises se déterminent mutuellement et forment un système fermé. Ce système étant fermé, les valeurs des marchandises peuvent être mesurées à leur état d’ équilibre. Le réseau monétaire devient pour le calculateur un graphe des coûts des marchandises.


C’est alors qu’apparaissent l’intérêt et la nécessité de l’ hypothèse méthodologique de reproduction simple . Conservation de la valeur et réversibilité des échanges font du graphe des coûts un système fermé. L’élimination de la diachronie par la réversibilité en fait un système stable. Les coûts ont alors une valeur d’équilibre que l’on peut mesurer. Comme nous l’indiquions au départ, conservation et réversibilité permettent d’instaurer la mesure. Mais cette mesure devra être dépassée dialectiquement.


Du Karl Marx qui élaborait la formule de la circulation simple, en postulant la conservation de la substance-valeur, on pourrait dire qu’il jetait les bases d’une théorie des systèmes fermés. Car les hommes veulent la science qu’ils font, mais ne font pas la science qu’ils veulent !




VIII - Le graphe des coûts en l’absence de biens de luxe


Par simplification didactique, nous supposerons provisoirement que le réseau physique ne comporte pas de biens de luxe. La production “finale” se réduit aux biens de consommation. Soit le réseau physique 2. Il représente la reproduction d’une classe de travailleurs composée de 400 forces de travail, grâce à une production annuelle de 400 biens de consommation. Nous supposons arbitrairement que le taux de salaire est 1 FdT = 1 um. La masse salariale est de 400 unités monétaires. La valeur des biens de consommation sera, aussi, de 400 unités monétaires. Nous verrons qu’il s’agit d’une valeur d’équilibre pour le graphe des coûts.


Considérons le secteur A (énergie) produisant 200 Eng. Son coût salarial se monte à 100 um. La valeur provisoire des 200 Eng. sera donc égale à 100 um. Par la vente de ses marchandises, le secteur A récupère les 100 um avancées en salaires. Si toutes les marchandises se vendent au même prix, le prix unitaire sera 100 um / 200 Eng = 0.5 um. On en déduit le montant monétaire des achats d’énergie par les secteurs A, B, C et D.


Dans la phase actuelle du calcul, les coûts du secteur B produisant les matières premières se montent à 25 um pour l’énergie et 100 um pour la force de travail. Ce coût total de 125 um sera réparti sur les 420 Mat.1 ères vendues, soit 5.95 um pour le secteur C et 119.05 um pour le secteur D.


De la même manière, les coûts du secteur C produisant les moyens de travail se montent à 145.95 um. On en déduit les chiffres d’affaires du secteur C avec chacun des secteurs.


A la fin de la première phase du calcul, les coûts du secteur produisant les biens de consommation se montent à 243.64 um, ce qui est très inférieur au montant global des salaires. Mais une grande partie des coûts n’ont pas été répercutés dans le graphe des coûts. D’où les calculs itératifs, résumés dans le schémas monétaire 3, puis les schémas 4 et 5.


Dans la seconde phase du calcul, on impute aux secteurs A, B et C le montant de leurs achats de moyens de travail. De plus on impute au secteur A le montant de ses autofournitures d’énergie. Les calculs s’effectuent selon le même principe que dans la phase ci-dessus. Les résultats sont représentés dans le schéma monétaire 4.


Ainsi de suite, les 19 itérations se succèdent, jusqu’à l’obtention du résultat final. Le schéma monétaire 5 représente le graphe des coûts à son niveau d’équilibre. Il s’agit donc des valeurs des marchandises du système productif considéré, au taux de salaire donné. On constate que le réseau monétaire est équilibré. Chaque secteur égalise ses coûts et ses recettes. La masse salariale rachète exactement les biens de consommation à leur valeur définie par le graphe des coûts.


La circulation simple comporte néanmoins une contradiction. Elle est issue des deux déterminations contradictoires du mode de production capitaliste, à savoir:

1) les produits sont des marchandises

2) la force de travail est une marchandise.


Ces deux déterminations empêchent de considérer le rapport des travailleurs et des capitalistes comme le rapport entre un travailleur-type et un capitaliste-type. <<Quoiqu’il en soit, le rapport général, fondamental, entre le capital et le travail est celui de chacun des capitalistes avec ses ouvriers. (K. Marx, Fondements... T.1, p. 377)>>. Considérer la classe capitaliste comme un ensemble dans sa relation avec la classe laborieuse est une fiction. Car si les capitalistes emploient tous des travailleurs, tous ne vendent pas des biens de consommation. La masse salariale reflue vers un seul des secteurs.


Il en irait autrement dans un “hypothétique” capitalisme d’État. Les moyens de production seraient monopolisés par un état-classe qui serait le seul employeur et le seul vendeur de biens de consommation. Des paiements compensatoires circuleraient des magasins d’État aux firmes produisant les moyens de production, pour assurer la rotation de la masse salariale.


Comment les capitalistes des autres secteurs récupèrent-ils leurs avances salariales ? On retrouve la première détermination: les produits sont des marchandises. Les capitalistes qui vendent les moyens de production voient la valeur de leurs marchandises déterminée par le circuit fondamental de la reproduction de la force de travail. C’est l’égalité de la masse salariale et de la valeur des biens de consommation qui détermine la valeur d’équilibre des moyens de production. La valeur du capital variable détermine la valeur du capital constant. Mais ce faisant, la valeur-travail se contredit elle-même. D’où la plus value.




IX - Le capital constant et le travail mort


Dans la théorie marxiste, la valeur du capital constant provient de la quantité de travail directement ou indirectement incorporé dans les moyens de production. La valeur globale du capital est donc égale à la somme du travail vivant et du travail mort .


On ne trouve rien de semblable dans notre théorie de la valeur . La valeur du capital constant (pour parler comme K. Marx) n’est pas issue du travail effectué dans les périodes précédentes. La valeur du capital constant est déterminée immédiatement par le réseau monétaire de la circulation simple. C’est pourquoi nous disons que la valeur est déterminée synchroniquement . La circulation simple, et donc, la reproduction sans crise du mode de production, exigent que la masse salariale rachète les biens de consommation, pour une valeur égale à elle-même. Ce principe détermine la valeur du capital constant, quelque soit l’histoire concrète de celui-ci. Rien n’oblige que la valeur d’équilibre (synchronique) du capital constant soit égale à la valeur qu’il a hérité des périodes productives précédentes. Rien n’indique que la valeur du capital constant corresponde à la quantité de travail nécessaire à la production des moyens de production. La valeur-travail se contredit elle-même, car la valeur est contradiction en acte.


La valeur étant déterminée synchroniquement, elle entre en contradiction avec la diachronie du capital constant. La contradiction se manifeste surtout à propos du capital fixe qui appartient à plusieurs périodes de production. L’analyse du mouvement concret des formations sociales capitalistes exige donc d’introduire le temps comme contradiction entre la synchronie et la diachronie. Par suite de cette contradiction, il est impossible de passer des valeurs aux prix sans tenir compte du mouvement réel de la production. La transformation des valeurs en prix de marché ne respecte pas les principes synchroniques de la conservation et de la réversibilité. On ne peut donc produire, d’emblée, un système de prix de marché, comme le prétendent les néoclassiques.


La valeur est donc contradictoire, parce que le réseau monétaire de reproduction de la force de travail est cyclique mais non pas circulaire. La reproduction de la force de travail détermine une “ valeur-force-de-travail”. C’est l’égalité entre la masse salariale et la valeur des biens de consommation. Mais la circulation des marchandises au sein de la classe capitaliste détermine une valeur supplémentaire, la valeur du capital constant. Ainsi la valeur globale de la production de la période dépasse la valeur de la force de travail. Toute la valeur “découle” du travail, mais la force de travail “produit” plus de valeur qu’elle n’en reçoit. Ce problème avait été découvert par Marx, quand il étudiait Ricardo. On sait que Marx l’avait résolu en affirmant que la force de travail possédait cette propriété spécifique de produire plus de valeur qu’elle n’en avait reçu. Notre explication sera moins mythique.


La valeur de la production annuelle se limiterait à la valeur de la force de travail, ou des biens de consommation, si la classe capitaliste était homogène. Le circuit de la circulation simple se réduirait au cercle que suggère la formule M-A-M. L’Etat-classe du Capitalisme d’État réaliserait l’idéal de la circulation simple. Chaque citoyen-travailleur en serait le “centre”. Les moyens de production, propriété étatique, n’auraient pas de valeur d’échange . Des paiements compensatoires fermeraient le cercle de la masse salariale. Jusqu’à ce que des contradictions au sein de l’Etat-classe n’amènent à réintroduire le marché. On parlerait alors beaucoup de “réformes économiques” et l’on redécouvrirait le vieux problème théorique de la valeur capitaliste.


La classe capitaliste étant hétérogène, la masse salariale doit refluer du secteur D vers les secteurs A, B et C pour que soit bouclé le réseau de la circulation simple. Ce faisant, les moyens de production acquièrent une valeur, déterminée synchroniquement. Bien que tout soit reproduit dans la même période, la valeur globale dépasse la valeur de la force de travail. Jamais les travailleurs ne pourront acheter autre chose que les biens de consommation. Par le biais de la circulation intracapitaliste, les travailleurs sont perpétuellement séparés des moyens de production. La classe capitaliste réaffirme, à chaque période, sa propriété sur les moyens de production.


Si, pour parler comme Karl Marx, on appelle “plus-value” la différence entre la valeur de la production (valeur-travail) et la valeur de la force de travail (valeur-force-de-travail), cette plus-value mesure bien la valeur de la partie de la production qui échappe à la classe travailleuse. Mais la plus-value n’est pas tant une question de quantité qu’une question de forme, puisqu’elle est issue d’une contradiction interne de la valeur. La plus-value se définit moins par la différence arithmétique entre la valeur-travail et la valeur-force-de-travail, que par la forme du réseau de la circulation simple. Aussi, Deleuze et Guattari proposent de la définir par “l’incommensurabilité entre deux flux pourtant immanents l’un à l’autre”.




X - Transformation des valeurs en prix de production


Ayant réduit le travailleur à un détenteur de force de travail et ayant inséré celle-ci dans le réseau des marchandises, les capitalistes ont réussi un premier bouclage du réseau monétaire. Mais les capitalistes doivent réaliser un second bouclage, qui consiste à s’insérer eux-mêmes dans le réseau monétaire. Le réseau physique sur lequel nous venons de raisonner ne comportait pas de non-travailleurs. L’insertion des non-travailleurs dans le réseau monétaire n’est pas neutre. Pour le réseau physique, la classe des non travailleurs constitue un cul-de-sac. Quand à lui, le réseau monétaire doit être fermé sur lui-même. Pour boucler le réseau monétaire, des flux monétaires additionnels constituent le réseau des revenus des non travailleurs. Chaque secteur prélève une marge bénéficiaire qu’il distribue aux non travailleurs.


Dans ce réseau, la circulation monétaire ne correspond à aucune circulation physique inverse. La caractérisation du mode de reproduction capitaliste en reproduction simple exige une troisième détermination: le revenu des non travailleurs forme un réseau additionnel . Cette absence d’isomorphisme entre le réseau physique (ouvert) et le réseau monétaire (fermé) va entraîner une nouvelle déformation de la valeur. Nous appellerons cette déformation: “transformation des valeurs en prix de production”.


Soit le schéma 6 représentant le réseau physique d’un système productif capitaliste. Le passage du réseau physique au réseau monétaire se fera en deux étapes. Dans la première étape, nous partirons du taux de salaire: 1 FdT = 1 um et du niveau de reproduction de la force de travail 1 BdC = 1 FdT, pour construire le schéma monétaire 7. La procédure de calcul est la même que celle utilisée pour passer du schéma (physique) 2 au schéma (monétaire) 5. Il s’agit de déterminer la valeur des moyens de production à partir des coûts salariaux des secteurs A, B et C. La procédure itérative aboutit aux valeurs d’équilibre transcrites dans le schéma 7. A la lecture de ce schéma, on constate que la valeur des biens de consommation n’égale pas la masse salariale. Par ailleurs, en l’absence de revenu des non travailleurs, le secteur E ne peut vendre les biens de luxe à leur valeur. Par contre, on constate que la valeur globale des biens de consommation et des biens de luxe réunis égale le montant de la masse salariale. La valeur de la production “finale” est bien la valeur-force-de-travail, en l’absence de revenus des non travailleurs. La valeur des moyens de production est la plus-value. La valeur globale du capital est la valeur-travail.


Dans la deuxième étape, il s’agit de déterminer le taux de la marge bénéficiaire qui assure l’équilibre des flux monétaires des secteurs D et E. Les calculs itératifs s’effectuent comme précédemment, mais en ajoutant aux coûts d’approvisionnement et d’embauche une marge bénéficiaire , pour obtenir le chiffre d’affaire de chaque secteur. La recherche du taux de marge d’équilibre s’effectue par tâtonnements, en essayant successivement divers taux de marge. On constate que les déséquilibres des secteurs D et E sont simultanés. Par contre, la marge bénéficiaire d’équilibre restaure l’égalité des flux dans les deux secteurs simultanément. Il existe donc une marge bénéficiaire d’équilibre qui, appliquée au prix de revient de chaque secteur détermine des prix de vente tels que l’équilibre de chaque secteur soit assuré. Tous les bénéfices sont dépensés en biens de luxe servant à reproduire les non travailleurs et leur standing. L’équilibre des secteurs D et E est atteint simultanément. On aboutit à un réseau monétaire de reproduction simple d’un système productif en mode de production capitaliste schéma 8.


Pour chaque secteur nous obtenons un coût de production, un prix de production et un bénéfice selon un taux de marge moyen. On a donc: coût de production plus bénéfice égale prix de production du secteur. L’existence de ce taux de marge d’équilibre n’implique nullement l’égalité automatique des taux de profit des firmes au sein des secteurs et entre les secteurs.


C’est un fait mathématique qu’il existe un taux de marge “normal” ou “moyen” qui assure l’équilibre de l’ensemble des flux monétaires en situation théorique de reproduction simple.


Ce schéma monétaire permet de résumer les trois déterminations fondamentales de la valeur économique dans la reproduction simple du mode de production capitaliste.

1) Les produits sont des marchandises.

2) La force de travail est une marchandise.

3) Le revenu des non travailleurs forme un réseau additionnel.


Ces trois déterminations font de la valeur capitaliste un être contradictoire. Toutes trois sont nécessaires pour produire le concept de réseau monétaire. Il est impossible de diviser ce réseau monétaire en parties distinctes sans rompre son unité. On pourrait dissocier analytiquement trois réseaux:

Chacun de ces réseaux peut être le lieu d’une perturbation de la valeur. Mais aucun ne se ferme sur lui-même. La monnaie doit rouler sans cesse pour maintenir la circulation des marchandises et le fonctionnement du système productif.


La valeur ne peut se comprendre que dans l’unité contradictoire de ses déterminations. Le réseau monétaire permet de saisir la valeur sous le moment de l’unité. Mais cette unité n’est pas une simplicité.





* Auteur


Hubert Houdoy

Rédigé en Décembre 1976

Modifié le 25 Mars 1999





* Liens vers les illustrations


schéma 1, Le Réseau Physique du Système Productif

schéma 2, Réseau Physique en l’absence de Biens de Luxe

schéma 3, Réseau Monétaire, Phase 1 du Calcul


schéma 4, Réseau Monétaire, Phase 2 du Calcul

schéma 5, Réseau Monétaire, Phase Finale du Calcul


schéma 6, Réseau Physique d’un Système Productif Capitaliste

schéma 7, Valorisation du Capital Constant

schéma 8, Marge Bénéficiaire au Taux de 75%





* Compléments


Projet de recherche

Statut de la valeur et de la plus value dans le cadre d'une articulation entre économie et psychanalyse

Hubert Houdoy, Cursus


Théorie classique du chômage


Théorie classique du chômage



Théorie keynésienne du chômage


Théorie Keynésienne du Chômage


1. Originalité de Keynes

2. Le chômage classique

3. Les postulats classiques

4. La loi des débouchés

5. Le chômage involontaire

6. Bref résumé de la théorie de l’emploi

7. Les paramètres fondamentaux

8. Le principe de la demande effective

9. L’égalité de l’épargne et de l’investissement

10. La propension à consommer

11. Le multiplicateur d’investissement

12. L’incitation à investir

13. Le taux de l’intérêt

14. La préférence pour la liquidité

15. La théorie générale de l’emploi

16. Conclusions sur Keynes

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Mise à jour: 16/07/2003