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16. Conclusion sur la théorie keynésienne du chômage
La théorie keynésienne est une critique de la théorie classique de l'équilibre automatique sur tous les marchés. La détermination des prix sur les marchés n'est pas le reflet d'une fatalité de la production des marchandises par les marchandises. Il n'y a pas de loi naturelle des marchandises comme celle qui règle la gravitation des étoiles et des planètes. Tous les paramètres fondamentaux de la théorie keynésienne sont des paramètres psycho-sociologiques. Les autorités gouvernementales et monétaires n'ont pas de pouvoir sur les propensions. Keynes est à égal distance du déterminisme de la physique sociale et du volontarisme étatique. C'est dans cette marge étroite, du possibilisme, que se situent la liberté, la responsabilité et la philosophie de l'action.
La théorie keynésienne n'est pas une justification des mécanismes de répartition inhérents à l'économie de marché. Keynes justifie le profit par le fait que seul l'investissement peut procurer le plein emploi. Ni le consommateur ni l'épargnant ne peuvent se prévaloir d'un tel éloge. Il explique l'intérêt par la rareté des capitaux. Il refuse de le justifier par le sacrifice d'une consommation. Il ne reconnaît au capital aucun vertu productive. Le capital rapporte plus qu'il ne coûte parce qu'il est rare. Cette rareté n'est ni naturelle, ni fatale ni définitive. La baisse prolongée du taux de l'intérêt peut mettre fin à cette pénurie circonstancielle.
La monnaie joue un rôle considérable dans l'explication keynésienne. Mais il n'y a aucun fétichisme. La monnaie a plus de liquidité que toutes les autres marchandises. Son coût de détention et de conservation est le plus faible de tous (nous n'avons pas développé ce point). C'est la monnaie qui fait diverger le salaire nominal et le salaire réel. C'est dans cette faille que Keynes enfonce le coin. Il déconstruit la théorie classique dont il fut longtemps un enseignant zélé.
Keynes révise la loi des débouchés de J B Say. Non pas au niveau de la théorie de la valeur, puisqu'il admet l'égalité du revenu et de la valeur de la production. Keynes n'est donc pas un malthusien. Il n'explique pas la crise par la sous-consommation. Le profit n'est pas la cause de la crise. Mais Keynes réfute la loi de Say au niveau de la théorie des anticipations. Si les entrepreneurs attendent que la consommation suffise à justifier leurs investissements, leur prudence provoque la crise. Car la consommation productive (investissement) est partie intégrante de la consommation. Il n'y a pas réfutation de la loi des débouchés mais précision des conditions dans lesquelles on peut l'invoquer. C'est toute la différence entre le fatalisme prétendument physique et les paradoxes de la libre décision humaine.
Tout comme les classiques, Keynes pense que la production et le revenu ne peuvent s'accroître sans que diminue le salaire réel. C'est une nécessité de la loi des rendements décroissants, au delà des conditions optimales de production en courte période. Mais Keynes ne croit pas que les employeurs et les employés puissent stipuler des contrats d'embauche en termes de salaires réels. Les contrats concernent le salaire nominal. C'est la hausse du prix des biens de consommation qui fait baisser le salaire réel. Il est donc inutile de chercher à faire baisser le salaire nominal.
Tandis que les classiques préconisent une politique de flexibilité (surtout baissière) des salaires nominaux, Keynes préconise une politique de flexibilité (surtout baissière) du taux de l'intérêt. Car sur le plan des salaires réels, le résultat final est le même. Par contre la flexibilité du taux de l'intérêt évite de réduire l'incitation à investir. Car l'emploi n'augmente qu'avec l'investissement. Et les entrepreneurs n'investissent que lorsque l'efficacité marginale du capital reste supérieure au taux de l'intérêt.
Le développement des sociétés par action, des marchés boursiers et financiers augmente la liquidité du capital mais réduit l'horizon des anticipations. Contrairement au motif d'entreprise (point non développé ici) qui consiste à détailler les conditions concrètes de l'action prévue, le motif de spéculation se limite à avoir quelques jours ou quelques heures d'avance sur l'opinion grégaire des autres boursiers. Keynes regrette que les plus vives intelligences soient mobilisées par ce travail sans justification sociale. La baisse du taux de l'intérêt est le seul moyen de tourner les intelligences vers la construction de l'avenir.
La théorie classique de l'emploi est une tautologie. Elle explique l'équilibre par un plein emploi qu'elle suppose réalisé. Elle se contente de montrer que puisque tout est déjà pour le mieux, rien ne pousse à sortir de cet Eden. Keynes montre que le plein emploi est un cas particulier peu probable et très éphémère. Il y faudrait une configuration très particulière de la propension à consommer et de l'incitation à investir. En dehors de ce cas très improbable, le taux d'intérêt est le principal obstacle au plein emploi. Mais, pour réduire le taux d'intérêt et assurer le plein emploi, aucune manipulation monétaire n'est possible. Le seul remède est une convergence positive et sereine des anticipations, un projet de l'économie nationale. C'est ce que les milieux d'affaires nomment la confiance. C'est ce dont les économistes classiques n'ont jamais su donner une explication suffisante.
Par contre, le multiplicateur d'investissement explique à quelles conditions le pari des investisseurs peut se trouver confirmé puis renforcé par une consommation adéquate et renouvelée. Rien n'autorise à le transformer en une baguette magique du déficit public. Rien n'autorise à penser que les entrepreneur qui investissent sans voir leurs ventes augmenter participeront aux nouvelles vagues d'investissement. Une analyse plus concrète du multiplicateur d'investissement aurait pu limiter les dérives qui se réclament de lui. Une théorie des industries motrices et des réseaux de percolation aurait été plus pertinente.
La critique du modèle de l'équilibre peut se retourner sur l'argumentation keynésienne. Keynes réfute le second postulat des classiques mais garde le premier. L'un et l'autres supposent la neutralité de la monnaie. L'un vis-à-vis de la technique, l'autre vis-à-vis de la motivation. En introduisant la psychologie, Keynes détruit le modèle classique. En introduisant la production on pourrait détruire la théorie keynésienne. En contestant l'égalité du salaire et de la désutilité du travail, on peut contester les autres égalités postulées par le modèle de l'équilibre. Pourquoi continuer à admettre l'égalité tautologique entre le salaire et la productivité marginale du travail? On peut sortir définitivement du modèle de l'équilibre.
Keynes critique les agrégats de la comptabilité nationale. Les catégories qu'il utilise sont limitées à la masse salariale et à la masse monétaire. Ces quantités n'ont pas de véritable existence comptable. Elles n'existent que dans la tête des entrepreneurs. Keynes répète souvent que les prévisions n'ont pas de base mathématique. L'investissement n'existe que parce qu'il est un pari. C'est pourquoi les concepts les plus solides sont la propension à consommer, l'efficacité marginale attribuée au capital et la préférence pour la liquidité. Aucune logique de conservation de la somme ne lie ces paramètres entre eux. C'est ce qui fait leur pertinence. La masse salariale est un fait transitoire mais réel dans le porte-monnaie. Le taux de l'intérêt est une réalité fluctuante mais réelle dans les choix d'investissements. Les paramètres keynésiens sont à la hauteur des critiques qu'il adresse à ceux de ses adversaires. L'usage qu'en font ses disciples n'est pas exempt du même reproche.
La faiblesse de l'argumentation keynésienne réside dans l'égalité nécessaire de l'épargne et de l'investissement. Ce sont deux agrégats comptables bien difficiles à construire. La démonstration s'appuie sur l'égalité supposée du revenu et de la valeur de la production. C'est en quoi la théorie keynésienne reste une théorie de l'équilibre. En écrivant Épargne = revenu - consommation et Investissement = valeur de la production - consommation, l'égalité supposée du Revenu et de la Valeur de la production amène à conclure à la nécessaire égalité de l'épargne et de l'investissement. Mais cela suppose que les marchandises s'échangent à leur valeur. Il est alors difficile de distinguer la théorie des prix et celle de la valeur. Marx en a fait l'amère expérience. Émettre des doutes sur la loi des débouchés impliquerait de ne pas trop s'appuyer sur elle. L'usage qu'en fait Keynes nous paraît licite. Par contre, les formulations mathématiques ultérieures ont fait des symboles un usage illicite. La réversibilité des équations n'a de sens que dans les hypothèses classiques. Keynes a reconnu leur cohérence ("génie de Ricardo") pour mieux critiquer leur pertinence.
Le pas suivant, pour dépasser Keynes, est l'abandon du postulat de l'égalité du revenu et de la valeur de la production. C'est alors une autre théorie non euclidienne. Il n'y a pas un équilibre classique de plein emploi, il n'y a pas non plus une multitude d'équilibres keynésiens de sous-emploi. Il n'y a aucun équilibre nécessaire. Le modèle d'intelligibilité des fluctuations autour de l'équilibre est certes facile à utiliser. Mais il suppose des fluctuations sinusoïdales que jamais on ne constate. Le modèle est cohérent et pédagogique, mais il n'est pas pertinent. Toutes les courbes de prix ou de production ont une fâcheuse tendance à être des fractales. Il faut remplacer Isaac Newton par Benoît Mandelbrot. Le mouvement économique est bien ce que perçoit l'homme de la rue: un chaos.
Il faut abandonner l'hypothèse simplificatrice de l'équilibre. Le revenu n'est pas égal à la valeur de la production. Il s'agit de deux déterminations contradictoires des prix. Les déterminations diachroniques des coûts de production n'ont aucune raison d'égaler systématiquement les déterminations synchroniques du pouvoir d'achat de la monnaie. C'est le pas que nous avons fait dans les années 1970 en critiquant la théorie marxiste de la valeur. cf. A la recherche des Déterminations Économiques de la Valeur. Mais ceci est une autre histoire.
Créé le 7 Mai 1997
Modifié le 10 Novembre 1997.
6. Bref résumé de la théorie de l'emploi
7. Les paramètres fondamentaux
8. Le principe de la demande effective
9. L'égalité de l'épargne et de l'investissement
11. Le multiplicateur d'investissement
14. La préférence pour la liquidité
15. La théorie générale de l'emploi
Les citations sont tirées de:
J. M. Keynes, "Théorie Générale de l'Emploi, de l'Intérêt, et de la Monnaie", Payot, Paris, 1966
Nous incitons vivement à la lecture de cet ouvrage. Nos citations sont loin d'être exhaustives. Elles escamotent les argumentations pour sauter aux conclusions. Elles peuvent donner une pauvre idée de la nuance keynésienne. Les chapitres sur la nature du capital, les propriétés de la monnaie, l'explication des cycles, les auteurs mercantilistes et la philosophie sociale valent le détour d'une lecture attentive.
Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du RAD.