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M.A.U.S.S.,
l’économie de don
Plan
1. De Marcel Mauss au M.A.U.S.S.
2.
L’Utilitarisme est-il un égoïsme?
3. La triple
obligation: donner, recevoir, rendre.
4. Économies
emboîtées.
5. Utilité ou Valeur d’Usage?
6. Calcul ou Exploration?
1. De Marcel Mauss au
M.A.U.S.S.
En 1923 et 1924, l’anthropologue
français Marcel Mauss (1872-1950) rédige un “Essai sur le
don, forme et raison de l’échange dans les sociétés
archaïques”.
Le don est une
réalité très embarrassante pour ceux qui voudraient faire
remonter la monnaie, les échanges monétaires et
la recherche du profit à la nuit des temps. Car le don n’est pas
l’intérêt économique. Pourtant le don n’est
pas la gratuité. Il crée un lien social par trois obligations:
donner, recevoir, rendre.
Il y a quelques années,
après le Colloque “Pratique Économiques et Pratiques
Symboliques” (Éditions Anthropos), Alain Caillé, Serge
Latouche et quelques autres créent le “Mouvement
Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales”. Par son titre, le
M.A.U.S.S. provoque l’ économisme triomphant.
Mais les temps changent rapidement:
Loin d’avoir
définitivement disparu, le don revient en force dans nos
sociétés. La dissimulation du travail
domestique, dénoncée par Louise Vandelac, en témoigne
largement. Le chômage perpétue les relations de solidarité
familiale en repoussant l'âge de l’autonomisation
financière des enfants. La crise de
l’emploi salarié et le besoin d’un nouveau lien social
réveillent une pratique qui semblait archaïque il y a moins de 10
ans. Même sans chômage , le nombre des jeunes en
formation et des anciens à la retraite renforce la circulation
familiale, non marchande, des biens et l’échange de services
entre les générations. Au point que l’on constate une
crise de la conciliation .
2. L’Utilitarisme est-il un
égoïsme?
Les doctrines utilitaristes
affirment que la recherche du bonheur constitue la grande
affaire des hommes. Elles affirment que ce bonheur est obtenu par un calcul
rationnel. Les éléments qui le composent:
plaisirs, absence de peine, intérêts,
utilités, préférences, sont supposés calculables.
Cette hypothèse est à la source de la Pensée Économique Classique pour Adam
Smith, Thomas Robert Malthus (1766-1834) , David
Ricardo (1772-1823), John Stuart Mill (1806-1873). Cette
hypothèse est la base de la théorie de l’
Utilité pour l’École Néo-Classique
de Léon Walras (1834-1910), William Stanley Jevons
(1835-1882) et Vilfrido Pareto (1848-1923).
Le
coeur de la théorie est l’image de la main
invisible d’ Adam Smith . Selon cette
métaphore, la richesse de la nation et
l’intérêt collectif ne sont jamais aussi bien atteints que
lorsque chacun poursuit son intérêt personnel.
Avec
un tel postulat, il est important de savoir si
l’intérêt individuel est l’égoïsme,
l’altruisme ou le revenu monétaire maximal. De même
importe-t-il de savoir si la morale participe à la définition de
l’intérêt collectif ou si la satisfaction du plus grand nombre est la richesse
nationale mesurée par la comptabilité du même nom.
On comprend alors que le même mot
utilité soit revendiqué pour
l'égoïsme ou pour l’altruisme. Chacun part de sa propre
vision de l’homme pour illustrer le mécanisme de la main
invisible. Car ce qui n’est jamais remis en cause est la double
hypothèse de la calculabilité des plaisirs et de l’équilibre général des
intérêts.
Si les intérêts individuels correspondaient
toujours à l’intérêt collectif, les deux
propositions utilitaristes n’entreraient jamais en conflit et ce
débat n’aurait pas lieu. La question se pose alors de savoir si
les fondateurs de l’économie politique (Bentham, Smith) ont
réellement cru en l’hypothèse de “l’harmonie
pré-établie des intérêts” ou s’ils ont
donné à l’Economie Politique, à la Morale et au
Droit la mission de construire cette convergence.
Il est certain
que les fondateurs de l’ économie politique ont
lutté contre l’absolutisme royal qui se drapait dans
l’intérêt général. Tributaires d’un
discours religieux fortement relié à l’État
Monarchique (Anglicanisme) ils ne pouvaient qu’invoquer une autre vision
de la Providence. Leur démarche consistait à remplacer
l’argument d’un Dieu éternel inspirant le Prince par celui
d’un Créateur agissant à travers l’ensemble de ses
créatures. La main invisible relève plus du
libre-arbitre que de l’absolutisme. Ils ont critiqué le
conservatisme des corporations, prôné le libre-échange, la
libre-circulation des grains et des marchandises, la
liberté tout court. Croyaient-ils, pour autant, que la
démocratie qu’ils appelaient de leurs voeux se résumait
à l’anarchie des marchés?
Adam Smith
(1723-1790) n’est pas seulement l’auteur des “Recherches sur
la Nature et les Causes de la Richesse des Nations” (1776). Il a aussi
écrit une “Théorie des Sentiments Moraux” (1759)
dont le dernier chapitre, nous rappelle Jean-Pierre Dupuy,
s’intitule:”De la corruption de nos sentiments moraux,
résultant de notre disposition à admirer les riches et les
grands, et à mépriser ou négliger les personnes pauvres
et misérables”. Pour Adam Smith, le comportement moral tient
compte du jugement de l’autre. Smith suppose qu’il ne
s’identifie pas au spectacle social qu’il juge
comme une corruption des sentiments moraux. L’homme se comporte de
manière à gagner la sympathie de ses contemporains. Et les
richesses attirent à la fois l’admiration et l’envie. On
retrouve ainsi, aux sources de l’Economie Politique, l’image
spéculaire, la recherche d’une appartenance dans
le regard de l’autre. D’où l’importance du
sens de la vision dans le lien social entre
les corps pleins .
3.
La triple obligation: donner, recevoir, rendre.
Écoutons Alain Caillé: “il nous semble, au
MAUSS et dans le sillage de l’Essai sur le don de Marcel Mauss, que la
grande source de l’agir humain réside dans l’obligation
doublement paradoxale de donner et de rivaliser de
générosité. Dans l’obligation en somme de ne
pouvoir satisfaire son intérêt que par le détour du
désintéressement.”
Ce
paradoxe est tiré d’une analyse du
potlatch nord-amérindien. Nous citons cette critique
des fondements de l’Economie Politique car les personnes qui perdent
leur emploi et les régions qui se trouvent exclues de la
division internationale du travail , en perdant les
signes économiques de la
reconnaissance sociale, doivent réinventer ce
qu’Alain Caillé nomme la “socialité primaire”.
Le Réseau d’Activités à
Distance se donne pour premier objectif de créer un sentiment d’existence, plus que
d’appartenance, entre ses acteurs. Il n’est pas une doctrine
économique de l’intérêt individuel. Il n’est
pas une doctrine morale de l’intérêt collectif. Il ne
remplace pas le lien social et monétaire du travail
salarié . Il crée un sentiment d’existence et de
participation dans la recherche de l’emploi
et dans la création d’activités. C’est à ce
titre seulement qu’il renouvelle la triple obligation: donner, recevoir,
rendre.
Il ne s’agit pas de proposer un autre
modèle de société. Nous constatons que
notre société est plurielle. Elle ne se limite pas à ce
qu’en résume un modèle. Nous ne confondons pas la
réalité du marché et les représentations sociales ou les jugements de
valeur à son sujet. Il s’agit de reconstruire des solutions
intermédiaires entre l’ exclusion
économique et sociale par le licenciement et le retour à
l’ économie monétaire par le travail
salarié (chercheur d’emploi) ou par l’entreprise
(créateur d’activité).
Le don des
sociétés primitives est une des formes que prend la vie sociale.
Il n’est pas un paradis terrestre . Ce don n’est
pas perdu. Il persiste, au moins dans la famille, quand l’
économie capitaliste est triomphante. Il se manifeste
là où le capital ne réussit pas à englober la
population dans ses relations marchandes et salariales. Car le
marché , englobé dans la
société , passe par des alternances d’inclusion et d’exclusion.
Nous cherchons à comprendre et à développer les
mécanismes d’ inclusion (principalement l’
amour inclusif ) en réponse et en compensation aux
mécanismes d’exclusion (la domination
comme principe , le principe d’exclusion ).
4. Économies
emboîtées.
L’économie
capitaliste est un sous-ensemble de l’économie
marchande. Elle concerne les entreprises qui connaissent la triple
compétition des marchandises offertes, du recrutement des
compétences rares et de la rentabilité des capitaux investis.
Lieu des réalisations et des réussites spectaculaires, elle est
un moteur de l’ouverture des communautés traditionnelles. Le
marché mondial n’aurait jamais existé sans cette triple
compétition. Cette rivalité économique ne doit son
dynamisme qu’à elle même. Elle ne saurait prétendre
devoir sa rentabilité qu’à elle-même. Elle a
toujours un terreau dans lequel elle se développe et dont elle ne
reproduit pas toujours la fertilité.
L’économie marchande est un
sous-ensemble monétaire de l’économie
d’échanges. Elle concerne toutes les activités humaines
qui s’échangent contre un paiement monétaire.
L’existence de la monnaie et d’un marché concurrentiel
permet un développement des activités bien au-delà des
collectivités locales. L’économie capitaliste y puise une
part non négligeable de son efficacité. Parmi les
activités marchandes, l’économie publique joue un
rôle considérable dans la fourniture des infrastructures,
l’entretien et la reproduction des compétences.
L’économie publique ne
relève pas de l’économie capitaliste mais
n’échappe pas à l’économie monétaire.
Ses ressources, qui proviennent de l’impôt, dépendent de la
richesse produite par l’ensemble de l’économie marchande.
Ses dépenses contribuent à redistribuer les flux
monétaires. La redistribution sociale contribue à irriguer les
zones sinistrées par la disparition des entreprises capitalistes et des
activités marchandes qui les accompagnent. Elle contribue au maintien
de l’économie marchande. Son efficacité joue un rôle
considérable dans la compétitivité internationale et le
maintien des emplois nationaux. Une irrigation non productive ne fait que
répartir les revenus sans maintenir les conditions de la
créativité. Maintenir des revenus monétaires à
court terme aux sans-emploi tout en provoquant la fuite des emplois à
l’étranger par l’augmentation du coût du travail
serait une très détestable euthanasie.
L’économie non-marchande est une
partie de l’économie d’échanges. La fermeture des
entreprises, pour une région, et la perte de l’emploi, pour une
personne, les font sortir de l’économie monétaire. Le
danger est alors celui de l’isolement social, assisté (Assedic,
RMI) ou non (marginalité, SDF). C’est pourquoi
l’économie des échanges non-monétaires ou à
monnaies de substitution S.E.L. joue
un rôle fondamental à la fois dans le maintien du lien social et
dans la restauration de la solvabilité.
Il serait
catastrophique de sortir durablement de l’économie marchande ou
de ne s’y maintenir que sous perfusion. L’économie
non-marchande joue un rôle crucial dans le maintien du lien
social , de la cohésion régionale et de la compétitivité nationale.
L’économie de don est une partie
de l’économie non-marchande. L’économie de don
n’est pas une forme de passéisme, un refus de l’
instrumentalité, loin des techniques. Elle n’est
pas une forme de refuge, loin des méchants capitalistes. Elle est une
forme de mobilisation psychologique et sociale. Elle est une manière de
créer des activités utiles non-marchandes avant
de créer des activités utiles et marchandes. Ces
activités font appel aux mêmes règles de
professionnalisme, d’efficacité et de créativité
que les activités marchandes ou capitalistes sur lesquelles elles
doivent se brancher. Elle participe au parcours
d’un chemin de renaissance pour la personne
cassée par la crise du travail salarié
. Elle permet à un Sujet de se construire,
au coeur de l’ individu, par la conciliation toujours
personnelle de l’ identité dynamique et de
l’ instrumentalité adaptée.
Le meilleur rôle que puisse avoir l’économie
sociale à l’égard de l’économie de don est de
simplifier les cadres réglementaires. Les règles de
l’assistance sociale font plus facilement du chômeur un
assisté malgré lui qu’un créateur
d’activités nouvelles. Au lieu de condamner les indemnisés
à rechercher un emploi qu’il ne faut plus
attendre il faut leur donner l’occasion de naviguer dans une
“économie plurielle” sans jugement idéologique. Il
s’agit de restaurer des vaisseaux capillaires, si fins soient-ils, pour
permettre la percolation des revenus nécessaire
à la reproduction de l’économie de marché. Car,
contrairement aux illusions de toutes les théories économiques, il n’existe
pas de loi de reproduction automatique de la
société .
Le meilleur rôle que
puisse avoir le fisc à l’égard de l’économie
marchande est de favoriser la création de son propre emploi par
quiconque. Il n’y a plus d’impôt quand il n’y a plus
d’assiette. C’est la leçon de l’
étreinte mortelle de l’
État et de l’ entreprise.
C’est le danger de l’ implosion pour
l’entreprise qui recherche son noyau
restreint. C’est le danger de la dissolution de l’
État-nation par un échec de
l’État-Providence.
Le Réseau
d’Activités à Distance utilise les Nouvelles Technologies de la Communication et de
l’Information, dont le World Wide Web et la
Messagerie Électronique , pour élargir le
réseau des échanges non marchands bien au-delà de la
sphère des solidarités traditionnelles (famille, paroisse et
commune). Cette ouverture à la globalité est
à la fois une multiplication des opportunités de
complémentarité et une sensibilisation au nouveau
secteur de la connaissance .
Le secteur de la
transmission de la connaissance est fortement perçu, en France
particulièrement, comme celui de la gratuité apparente. Cela est
du à notre tradition d’École Laïque Gratuite et
Obligatoire. Cette gratuité trompeuse, mystificatrice, coûte
à l’Etat. Elle pèse sur les contributions des citoyens.
Internet a aussi une forte culture de la gratuité. Et cela est une
bonne chose dans la mesure où elle permet une plus grande distribution
des connaissances. Mais cette gratuité rendra l’Internet
dépendant de la publicité sur les réseaux
socio-techniques . Car la gratuité absolue
n’est pas une Utopie. Elle est une
contradiction dans les termes . Le rêve de la
gratuité absolue témoigne de la fascination pour le plus
dangereux des totalitarismes.
Il s’agit,
par exemple, de trouver des méthodes de partage de connaissances,
d’ assimilation mutuelle et de rédaction
coopérative des informations, aboutissant à une publication
collective au moindre coût. Cette gratuité doit
s’accompagner de la reconnaissance de l’antériorité
des apports et du respect des règles de
citation.
Dans quels domaines peuvent s’exercer ces
activités non-marchandes d’élaboration et de diffusion des
connaissances? Dans tous les domaines pour les retraités qui ne sont
pas à la recherche d’un revenu. Dans les domaines qui permettent
une remontée progressive du non-marchand vers le marchand pour les
chercheurs d’emploi et les créateurs d’activités.
Sans entrer en compétition directe avec les secteurs les plus
capitalistes.
5. Utilité ou
Valeur d’Usage?
L’économie de don et
l’économie de connaissance ont en commun de créer une
relation de personne à personne. La relation marchande, celle de
l’achat par l’un et de la vente par l’autre, clôture
une production anonyme et inaugure un usage privé. La
relation de don (cadeau, présent, compliment,
dialogue, amitié) instaure un rapport (plus ou moins durable) de
personne à personne, intuitu personae. Elle ne crée pas, pour
autant, une organisation réelle (ménage,
société, club, association).
Par son
abstraction, la relation marchande ou capitaliste est bien
adaptée à la production de masse. La relation de don et la mise
en commun des connaissances sont des relations concrètes. Elles sont
bien adaptées à des projets spécifiques,
limités et temporaires. Les acteurs, la fin, les moyens et
l’objet sont inséparables.
Il ne s’agit pas
de restaurer l’équivalent primitif (kula) du marché
mondial par une circulation généralisée des biens
de luxe ou de prestige. La société du
spectacle y pourvoit largement. Il ne s’agit pas de
reconstituer la destruction festive de la richesse (le carnaval de la
transgression, le potlatch agonistique ). Le cinéma
catastrophe américain se charge pour nous de détruire “La
Part Maudite ” (1949) de Georges
Bataille (1897-1962).
Le don fait sens
(local, relatif) pour le donateur et le
donataire. Foin de la rivalité
d’érudition, l’échange de connaissances est utile,
par l’usage, à tous les partenaires. Cette valeur
d’usage n’a de sens que par un projet commun, fut-il
limité, simple et bref. Le don n’est pas une fin en soi. Il ne
cherche pas à perpétuer la relation qu’il crée. Il
est une manifestation de l’ amour inclusif , comme la
particule éphémère est une manifestation du vide
quantique . De même, la jeune pousse de fougère, en
crosse d’évêque, manifeste l’existence d’un
réseau de racines sous-jacent. En ce sens, nos
sociétés sont définitivement différentes des
sociétés “sans Histoire” (Claude
Lévi-Strauss, né en 1908). Nous pensons que le
don est utilitaire. Il est un moyen au service d’un
retour à l’économie la plus ouverte possible (le
marché mondial ). Cela peut passer par des
échanges en monnaie de S.E.L. à très grande
échelle. C’est pourquoi le don peut s’exprimer dans les
technologies modernes (internet) et mettre en relation des partenaires
distants.
L’économie de don qui peut se
développer de nos jours est à la fois permanente dans son
ensemble (le réseau) et transitoire pour ses acteurs (le nomade
moderne ).
L’économie publique
(école, université) reste le lieu de la transmission des
connaissances initiales. Comme l’économie capitaliste, elle est
le lieu de la transmission de masse (programmes standardisés) des
connaissances générales (lois, principes, formules,
méthodes). Elle est organisée pour un support de diffusion (de
un à tous) qu’il soit local (salle de classe) ou distant (CNED).
L’économie d’échange de
connaissances trouve ses acteurs en dehors de
l’économie marchande (capitaliste ou publique). Il s’agit
de chômeurs, d’étudiants et de retraités, voire de
bénévoles en sus de leur occupation
rémunérée. Les connaissances sont envisagées sous
l’angle de leur personnalisation:
Mais ces connaissances n’en sont pas moins
capitalisées pour réduire leur coût de collecte et
permettre une large diffusion sur la toile mondiale. Cette diffusion est la
forme moderne de la mise en circulation (kula). Le don de personne à
personne n’est pas duel ni exclusif. Il est un moment particulier
d’une mise en circulation et d’une plus grande ouverture. En ce
sens il n’est pas une nostalgie de la communauté familiale ou
villageoise. Même si l’intensité des échanges
mobilise parfois toutes les richesses de la vie affective. La personnalisation
est mise au service d’une circulation, transitive ou infinie, des
connaissances.
En ce sens, cette personnalisation
concrète se distingue autant de l’égoïsme que de
l’altruisme abstraits et indécidables. Nous ne sommes pas dans la
sphère du marché, réglée par l’
équivalence générale de la monnaie et la
standardisation des marchandises. Nous ne visons ni
“l’intérêt” des classiques ni
“l’utilité” des néo-classiques. Nous
rejoignons la thèse, défendue par Jean-Joseph Goux, selon
laquelle: <<la régulation des échanges économiques
par l’équivalent général,
l’hégémonie croissante de l’argent (en tant que
monnaie) comme mesure des valeurs, comme moyen d’échange, et
comme forme privilégiée de la richesse, a comme double effet
d’induire simultanément la notion de plus en plus insistante
d’intérêt, mais aussi, d’une façon tout
à fait corrélative quoique distincte et même
opposée, celle non moins envahissante d’utilité.>>.
En sus de l’anonymat du marché, nécessaire
pour produire des biens standards dont l’utilité,
particulière pour chacun, renvoie à l’originalité
de son désir, les échanges personnalisés
sont régis par une valeur d’usage qui existe au sein d’un
projet.
Cette économie du don est une
médiation. Elle n’est pas le moyen de créer une
totalité ethnique (identité statique ). Elle
n’est pas le désir tendu d’une
organisation réelle construite comme une
citadelle. Cette économie du don permet
l’élaboration d’une culture personnelle et non pas
collective. Les connaissances restent personnelles
quand l’information est collective.
Seule une véritable culture personnelle donne
accès à la nouvelle citoyenneté économique
(mondiale) et politique (locale). En ce sens, si le chômage la rend
urgente à ceux qui ont perdu la perfusion de
l’appartenance , l’économie de don est tout sauf
un ghetto de marginaux. Elle est tournée vers un projet commun
d’entrée dans ou de retour au monde du travail et de la monnaie.
L’échange gracieux des connaissances ne met pas en oeuvre
d’autres compétences que celles qui
émergent dans l’industrie même, chez ceux qui
s’efforcent de Concevoir le Produit et
l'Usage.
Comme l’exprime Jean-Joseph Goux:
6. Calcul ou Exploration
?
Car il ne faut pas idéaliser le système
du don dans les sociétés primitives pendant que l’on
critique l’abstraction des échanges monétaires. La
circulation des biens de prestige et de pouvoir
n’est pas différente de la compétition des entreprises et
de leurs dirigeants. Ni la valeur d’échange
capitaliste ni la valeur politique des biens de prestige ne
relèvent de l’usage concret et de
l’appropriation matérielle et cognitive du monde.
Ni le potlatch ni les marchés financiers
ne peuvent constituer une main invisible guidant les actions
individuelles vers un improbable équilibre
économique doublé d’un optimum social.
Les marchés sont aveugles. Ils ne produisent aucune connaissance.
Justement parce que les prix, purs indices du passé
révolu, ne signalent rien, ne mesurent rien du tout. Ni le
travail incorporé ni le travail
commandé . Ni le désir ni la satisfaction.
Toute la problématique de la maximisation de
l’utilité est tautologique et mystificatrice.
Ce que les stagiaires du Réseau d’Activité
à Distance savent bien, pour ne plus être pris dans la
pseudo-culture d’entreprise , c’est qu’ils
doivent donner eux-même un sens à leur démarche de
recherche d’emploi ou de création d’activité.
Il n’est pas possible de:
On peut
maquiller son corps plein aux couleurs du jour. On ne
transforme pas ipso facto sa peau d’échange ni
son corps virtuel . Et c’est heureux. Le ferait-on ? On
se condamnerait à une mort du verbe souvent pire que
la mort de la chair .
Ce que le chômage de longue durée démontre,
c’est l’aliénation tranquille de l’
appartenance à une entreprise qui ne
peut plus garantir ni votre emploi ni votre
employabilité . Ce que découvrent les
chômeurs avec qui nous dialoguons chaque
jour, c’est qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes
pour donner sens à leur démarche. Sur ce point, ils ressemblent
beaucoup à Robinson Crusoé .
Leur
démarche est alors une démarche exploratoire. Pas question de se
donner une cible et de s’y tenir mordicus. La
probabilité d’embauche ou de décollage est trop faible. Il
faut savoir surfer sur les circonstances, saisir les opportunités,
“Rebondir” sur les rencontres comme sur les obstacles. Et
pourtant, cette ligne fractale produite par un
chaos de circonstances donne sens à une vie nouvelle.
Ce travail est vécu comme une narration. La
démarche du chercheur d’emploi et du créateur
d’activité ressemble au Graphe
d'Exploration des Possibles que mettent en oeuvre les concepteurs les plus
au fait des méthodes de conception simultanée
du produit, du process et de l’usage.
Conclusion
L’économie
solidaire est un élément d’une société plurielle. Elle se rapproche de
l’économie de don. Pourtant elle n’appartient pas à
une autre planète. Elle soutient l’économie marchande et
sa pointe extrême l’économie capitaliste. Son dynamisme est
le garant de la Productivité Globale et de
la compétitivité pacifique de la nation.
Auteur
Créé le 2 Juillet 1996
Modifié
le 19 Mai 1999
Citations
Elles
sont tirées de l’ouvrage collectif:
“Qu’est-ce que l’utilitarisme? Une
énigme dans l’histoire des idées ”
Revue semestrielle du M.A.U.S.S. N°6, 2° semestre 1995.
Éditions La Découverte, Paris, 1995.
Voir aussi:
Informations
Le Monde, 16
Avril 1996
Peter Drucker se fait l’avocat, à
côté de l’entreprise et de l’Etat, d’un
troisième secteur, non lucratif et concurrentiel, permettant aux
citoyens de prendre en main l’école, l’hôpital et les
services collectifs de proximité.
Structures et
Changements ,
Balises pour un monde différent,
Peter Drucker
Village mondial
Paris
320 pages,
148 F.
Liste des Auteurs
nommés sur le R.A.D.
Compléments
Concevoir le Produit et l'Usage
Graphe d'Exploration des Possibles
Nouvelles Technologies de la Communication et de
l'Information
NTCI et
Développement local
Quelles Informations, quelle Communication ?
Quelles Nouvelles Technologies ?
Relations entre NTCI et développement du
territoire
Initiatives illustrant
l’impact des NTCI sur le développement
Liens
http://www.chc-ccs.org/solidaire/
Bibliographie
complémentaire
L’Esprit du
don
J. Godbout, A. Caillé
La
Découverte
Paris, 1992
Le Sacrifice et
l’envie
J.-P. Dupuy
Calmann-Lévy
Paris, 1992
Homo
oeconomicus.
Enquête sur la constitution d’un
paradigme
P. Demeulenaere
P.U.F.
Paris, 1996
Théorie de la justice
J. Rawls
Traduction française C. Audard
Seuil
Paris, 1987
Qu’est-ce
qu’une société juste ?
P. Van Parijs
Seuil
Paris, 1991
Définitions
Les termes
en gras sont définis dans le glossaire
alphabétique du R.A.D.
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