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La Prise de Décision comme Représentation Sociale


* Plan

Introduction

1. Critique de la perspective décisionnelle

2. Critique de la perspective de l'action

3. Représentation sociale de la décision

4. Discussion

5. Prolongements

Conclusion


* Introduction

Dans un article intitulé "From Decision to Action in Organizations: Decision-making as a Social Representation", Hervé Laroche, de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris, rappelle qu'un ensemble de "recherches empiriques et théoriques - désignées ici comme la perspective décisionnelle - considère que la prise de décision est un élément fondamental du processus organisationnel (p. 62)". Il lui oppose une perspective de l'action qui "soutient que la décision et la prise de décision sont soit rares, phénomènes marginaux, soit des constructions artificielles produisant des observations biaisées (p. 62)". Pour réconcilier la décision et l'action dans une théorie organisationnelle, Hervé Laroche se propose de montrer que "la décision et la prise de décision sont mieux comprises en tant que représentations sociales: elles influencent la manière dont les membres des organisations se repèrent et se comportent dans les organisations. Elles influencent les processus, elles facilitent l'action, et elles donnent sens à ce qui se passe dans les organisations (p. 62)". Par un ensemble de citations, nous donnerons une présentation suffisante des arguments d'Hervé Laroche. Puis il sera temps de discuter ses apports et de suggérer d'utiles prolongements de cette approche par les représentations.


* 1. Critique de la perspective décisionnelle

Il est assez rapide de résumer les principales critiques rassemblées par H. Laroche à la perspective décisionnelle:

* 1.1. Une méthode qui produit son objet

Les théoriciens de la décision découpent le continuum de la dynamique organisationnelle en tranches qui correspondent à la matière de leur étude. Ils fabriquent ainsi l'objet discret qu'ils pensent observer.

* 1.2. Les décisions sans décideurs

"Les théories bureaucratique, organisationnelle et comportementale de la prise de décision (Cyert et March 1963, Carter 1971) ont montré que de nombreuses décisions sont produites sans l'intervention délibérée et significative d'acteurs humains. Les décideurs disparaissent fréquemment derrière les routines et les processus automatiques (p. 64)".

* 1.3. Les décideurs absentéistes

Il y a un écart entre l'image et la réalité. Les managers sont définis comme des décideurs mais "la plupart des recherches suggèrent que l'élaboration des décisions n'est pas l'élément central de leur emploi du temps (p. 64)".

Confrontées aux observations du terrain, les nombreuses critiques de la décision rationnelle finissent par se rassurer en montrant que les processus de prise de décisions non-rationnelles sont finalement assez rationnels. La perspective de la décision devient alors insaisissable.


* 2. Critique de la perspective de l'action

De leur coté, les nouveaux "théoriciens de l'action peuvent donner l'impression qu'ils sont plutôt impatients de se débarrasser des décisions et des prises de décisions. Ils semblent oublier que les managers se perçoivent comme des décideurs... pour cette raison, les décisions sont une part significative des processus organisationnels (p. 63)". Utilisant de nombreux auteurs, l'argumentation d'Hervé Laroche se déroule en quelques points:

* 2. 1. La décision suit l'action

"La prise de décision est la partie émergée d'un iceberg d'action irréfléchie. Cette action est rationalisée a posteriori par la pensée (Starbuck 1985) (p. 65)".

* 2. 2. La décision comme interprétation

"Dans la perspective de l'action, c'est l'interprétation et non le choix qui est au coeur de la vie organisationnelle (Weik 1969, March 1988)... L'action est suivie par des activités cognitives de création de sens, de rationalisation et de justification (p. 66)".

* 2. 3. L'évaluation interne à l'action

"L'action s'écoule mais elle est ponctuée par des moments d'interprétation et d'évaluation... En fait, l'évaluation n'est pas extérieure à l'action organisationnelle. Par elle-même, l'évaluation est une partie des processus de l'action. Elle est un processus endogène, créé par l'action et créant l'action en retour (p. 67)". Ce fait est confirmé par Françoise Darses et Nathalie Bonnardel.

D'où il découle que "la prise de décision est une part réelle et importante de la vie organisationnelle et devrait être incluse dans la théorie de l'action... mais comme une représentation sociale (p. 67)".


* 3. Représentation sociale de la décision

L'étude de la décision comme représentation sociale est l'apport d'Hervé Laroche à une théorie de l'organisation réconciliant la décision et l'action.

Les représentations sociales sont des "groupements, explicites ou implicites, plus ou moins organisés, d'idées, de jugements et d'images, qui sont utilisés pour décrire, interpréter ou justifier des actions collectives (Padioleau 1991) (p. 68)".

"Nous utilisons le concept de représentation sociale (Doise 1990, Jodelet 1991) pour décrire la décision et la prise de décision comme des formes du sens commun, socialement construit et socialement partagé, permettant aux managers de se comporter comme des managers dans leur contexte professionnel, organisationnel. En nous focalisant sur les effets pratiques de ces représentations, nous suggérons trois idées: premièrement, les décisions peuvent être analysées comme des prophéties auto-réalisatrices; deuxièmement, les managers utilisent l'idée de prise de décision pour devenir des acteurs dans le cours de l'action organisationnelle; et troisièmement, à travers l'idée de décision, les membres des organisations donnent sens à ce qui se passe autour d'eux, et particulièrement à ce dans quoi ils sont impliqués (p. 63)".

* 3. 1. Les prophéties auto-réalisatrices

Grâce à la prise de décision comme représentation sociale, "les membres de l'organisation ont la sensation de pendre part à ou d'être témoins de "décisions", et ils agiront ou réagiront en relation à cette sensation (p. 69)".

"La décision comme représentation tend à créer des situations concrètes qui rapprochent concrètement les représentations (p. 70)".

La réunion de décision comme prophétie auto-réalisatrice. "Ils croiront d'autant plus qu'ils auront participé à une réunion avec l'idée qu'ils ont à "décider", et qu'ils auront expérimenté un processus de prise de décision (p. 70)".

* 3. 2. Les illusions utiles

"La représentation sociale de la prise de décision pousse les participants à "inventer" des "décisions" là où un observateur serait tenté de décrire la réalité en des termes totalement différents (p. 70)".

"Cela ne veut pas dire qu'ils construisent des interprétations cohérentes, solides et durables.. en construisant des "décisions", les membres de l'organisation montrent des incohérences; ils révisent plus ou moins facilement leurs représentations; ils oublient; ils récrivent l'histoire, le présent ou le futur (p. 70)".

"La représentation sociale de la prise de décision conduit au paradoxe. Puisqu'ils pensent l'action organisationnelle à travers des représentations sociales, les membres de l'organisation sont d'une certaine manière déconnectés du processus "réel". En ce sens, nous avons raison de les nommer participants plutôt qu'acteurs. Mais comme leurs représentations les aident à s'engager dans l'action et à interagir avec les autres d'une manière productive, ils deviennent vraiment des acteurs plutôt que des participants plus ou moins absents (p. 71)".

* 3. 3. Les rationalisations

"La familiarité distante (Matheu 1986) permet aux managers de dissocier partiellement ce qu'ils font et ce qu'ils pensent, ce qu'ils pensent vraiment et ce qu'ils devraient penser (p. 72)".

Puisque la décision n'est que la partie émergée d'un iceberg constitué majoritairement d'actions irréfléchies, les décisions jouent un rôle de rationalisation a posteriori. Ainsi, pour Hervé Laroche, "l'idée de représentation sociale est une manière de reformuler l'idée de décision dans la perspective de l'action (p. 73)".


* 4. Discussion

Notre propre expérience professionnelle nous incite à considérer la prise de décision comme une représentation sociale, pour les raisons citées par Hervé Laroche et sous les formes que nous développerons plus loin. Mais il difficile de parler tantôt de décision comme processus réel et tantôt de "décision" comme représentation sociale. C'est la même décision qui contient les deux facettes, plus ou moins développées. Nous opposerons plutôt la décision comme choix a priori à la décision comme interprétation a posteriori. Nous distinguerons la bifurcation (décidée ou non) du spectacle décisionnel (partiel ou total). Nous verrons aussi qu'une partie des difficultés théoriques sont internes aux représentations des chercheurs. Les modèles qu'ils ont de la décision participent à une représentation de l'entreprise et du marché, de l'Etat et des administrations, de la nation et des votes des citoyens.

* 4. 1. Le choix a priori

La perspective de l'action a tendance à supprimer le concept de décision, hérité d'une certaine représentation de l'organisation, sous prétexte qu'on en rencontre peu sur le terrain. Il faut alors dire de quelle décision il s'agit. Il nous semble que la décision dont le sens est le plus fort et dont l'existence est la plus rare est le choix a priori, faisant suite à une analyse objective d'une situation et précédant l'action correspondante. Ce choix a priori est typiquement ce que la théorie économique appelle choix du producteur ou choix du consommateur. Il est très fréquent dans la littérature et très rare sur le terrain. Cela ne veux pas dire qu'il soit inutile ni impossible.

* 4. 2. L'interprétation a posteriori

La décision comme représentation sociale telle que nous la propose Hervé Laroche n'est pas un choix a priori, mais une interprétation a posteriori. Elle ne précède pas l'action mais la suit. Elle ne provoque pas de choix ni de rupture. Elle cherche au contraire à rassurer. Arrivée après coup, elle cherche à combler un retard temporel et un vide sémantique. Cette interprétation est aussi courante sur le terrain qu'elle est rare dans la théorie économique classique. Cette pratique, éminemment psycho-sociologique a toutes les caractéristiques des représentations sociales. L'interprétation a posteriori est d'autant plus nécessaire que les bifurcations ne résultent pas de décisions conscientes ni délibérées. L'interprétation est une tentative de retrouver, magiquement, après coup, la nature voire le moment de la bifurcation.

* 4. 3. La bifurcation

L'interprétation a posteriori suppose que quelque chose s'est passé. Elle implique un événement. La décision comme représentation sociale doit masquer une rupture de sens et d'équilibre provoquée par l'irruption de l'événement. Elle doit la recouvrir par un discours signifiant et rassurant. L'événement au sens le plus fort est une bifurcation au sens de la théorie du chaos. Il fait passer d'une situation à une autre. Il modifie la logique de la situation. Il faut donc établir le nouveau sens commun pour orienter les prochaines actions. Accordons à la théorie de l'action que beaucoup de bifurcations ne sont pas dues à des décisions délibérées. Beaucoup de bifurcations sont provoquées par l'environnement, la clientèle, les fournisseurs et par les non-décideurs de l'organisation. Une véritable décision, un choix a priori suivi d'une action transformatrice, est une bifurcation délibérée. Il est à noter que les modèles néo-classiques de l'équilibre prévoient des choix a priori (producteur, consommateur) mais pas de bifurcation puisque chaque vendeur est une goutte d'eau dans l'océan de l'offre et chaque acheteur une goutte d'eau dans l'océan de la demande. Contrairement au modèle, qui est une représentation sociale des chercheurs, les bifurcations existent en très grand nombre. Cela ne veut pas dire qu'elles ont toutes les mêmes conséquences.

* 4. 4. Le spectacle décisionnel

Quand les interprétations suivent les bifurcations, la prise de décision a posteriori n'est plus qu'un spectacle, une mise en scène. Or ce phénomène est de plus en plus courant sur le terrain des organisations. L'article d'Hervé Laroche est la reconnaissance, dans la théorie, de cette composante spectaculaire de la décision. L'écart croissant entre la fréquence du spectacle pur et celle du choix délibéré facilite la prise de conscience de la décision comme représentation. Spectacle est un des sens du mot représentation. Pourtant, il ne faudrait pas opposer radicalement un monde de l'action sans représentation et un monde de la décision qui ne serait que spectacle. La représentation, dans tous les sens du terme, est aussi présente dans l'action que dans la décision. L'inéluctable représentation fait partie de l'action la plus spontanée. L'action est aussi une représentation, individuelle ou sociale. Elle est un schème. Elle est une interprétation. Elle est une mémoire. Elle est un spectacle. La représentation n'est pas seulement a posteriori. Même le choix a priori est une représentation: un modèle, une interprétation et un spectacle.

* 4. 5. L'homo economicus

Une des faiblesses de la perspective décisionnelle est relative à l'ambiguïté quant au nombre des décideurs. Pour l'économie classique, le marché est constitué par une multitudes d'individus (producteurs, consommateurs, travailleurs) effectuant des choix avant d'exercer leur activité (production, consommation, travail). Il en va de même pour l'organisation. "Une des assomptions de base de la perspective décisionnelle est que, virtuellement, tous les membres de l'organisation sont des décideurs potentiels et peuvent influencer les processus d'une manière ou d'une autre (p. 62)". La théorie économique classique suppose que tous les individus sont des décideurs. Mais il faut dire que ce sont des décideurs de faible poids. Ils prennent des décisions qui ne provoquent pas de bifurcation (goutte d'eau dans l'océan classique). Nous découvrons alors que non seulement la décision et l'action sont des représentations, mais que nous devons prendre en compte les représentations véhiculées par les théories des chercheurs. Il faudra toujours confronter les représentations implicites des chercheurs aux représentations des hommes du terrain qu'ils observent. Si en physique quantique les instruments de l'observateur ne sont pas neutres, en sciences sociales les représentations des chercheurs ne sont pas indifférentes.

* 4. 6. Le privilège de décision

Il y a toujours un décalage entre le réel et sa représentation. Mais la décision pose un problème particulier du fait de la division du travail, de la hiérarchie des rôles et de la séparation des statuts. Nombre de décisions inévitables concernent la division et l'organisation du travail. La division taylorienne du travail crée des occasions de décision des uns à propos des autres. Il y a opposition entre la théorie qui fait de chaque individu un sujet rationnel opérant des choix ou prenant des décisions et l'organisation taylorienne qui limite cette possibilité à la catégorie des décideurs officiels. Ce privilège de la décision est une représentation de l'organisation dans tous les sens du terme. Les décideurs privilégiés sont la représentation officielle de l'organisation. Ils la matérialisent. Ils la concrétisent. Ils peuvent même la personnifier (L'Etat c'est moi). De même que la richesse des uns n'a de sens que relativement à la pauvreté des autres (Jean-Jacques Rousseau), la capacité de décider des uns n'a de sens que dans l'annonce ou le spectacle qui en est fait aux autres. Une décision a donc deux facettes inséparables: bifurcation et spectacle. Mais il semble exister un principe de compensation entre les deux facettes: plus la bifurcation est faible, plus le spectacle est nécessaire pour la représentation sociale du décideur ou de la décision. Pourtant, il serait dangereux de ne prendre en compte la composante spectaculaire qu'en situation d'interprétation a posteriori. C'est le défaut de la perspective de l'action quand elle prétend éliminer toute décision. Et le choix a priori provoquant une bifurcation est aussi une représentation, individuelle et sociale, dans l'organisation.

* 4. 7. Le sens révélé

La décision comme représentation sociale vise à produire un sens commun, une interprétation. Les décisions normalisent la compréhension de la situation. "La croyance des participants dans la prise de décision... est une part de leur compréhension "naturelle" de leur propre monde (p. 68)". Cette production de sens est d'autant plus nécessaire que les bifurcations ne sont pas dues à des choix a priori. Elles donnent une sensation de désordre organisationnel. Le spectacle vise à rétablir la signification. Le sens révélé est la spécialité du modèle centralisé. Mais, dans un monde instable cette manière de se rassurer est d'une efficacité douteuse. Constater et interpréter après coup les bifurcations n'est que partiellement rassurant. Le sens commun, révélé par quelques-uns à l'ensemble des autres, est au mieux un conformisme inefficace et au pire un dogmatisme dangereux. Nous sommes loin des conditions de l'organisation apprenante. Puisque les bifurcations incontrôlées proviennent en bonne part de l'extérieur (la fameuse dictature des marchés), la production interne de sens risque fort de manquer la signification réelle. Les grand'messes du sens commun finissent par réveiller le doute et l'esprit critique a force de servir de nouvelles explications rassurantes à chaque désordre perturbateur. Le "every thing is under control" ne s'use que si l'on s'en sert. Depuis la plus haute antiquité, le doute et la peur incitent à sacrifier aux forces obscures qui perturbent les habitudes et ruinent les projets.

* 4. 8. Le sens produit

Au sens révélé de l'organisation traditionnelle rêvant d'ordre et de stabilité, s'oppose le sens produit par le débat interne et le dialogue externe. C'est le cycle que nous avons décrit dans l' apprentissage organisationnel. C'est celui qui émerge avec la conception simultanée et le développement en partenariat. C'est encore celui qui stimule les organisations virtuelles. Le sens produit suppose la reconnaissance des représentations sociales. Il s'élabore par l'échange des modèles mentaux. Il favorise la capitalisation des connaissances. Loin des grand'messes (Nuremberg, Moscou, Pékin) qui prétendent fusionner directement les connaissances, le sens produit suppose le double mouvement d'explicitation des connaissances en informations et d'assimilation des informations en connaissances. Ce qui suppose de bien comprendre la différence irréductible entre les connaissances individuelles, subjectives et les informations partageables, objectivables et tranférables. C'est ce qui justifie les projets d'Encyclopédie d'Entreprise.

* 4. 9. L'organisation unitaire

La décision comme représentation sociale contribue à la personnalisation de l'organisation. Il est facile de parler de l'organisation comme d'une personne. Cette commodité de langage, trop souvent employée par les chercheurs, est trompeuse. Ils inventent facilement des décisions de l'organisation. D'où la tentation, pour la théorie de l'action, d'éliminer purement et simplement la perspective décisionnelle. Car l'unité de l'organisation est toujours à construire. Au lieu de toujours parler d'elle comme une entité consciente d'elle-même, il faut découvrir et décrire les mécanismes par lesquels elle élabore cette conscience et cette unité. Pour problématique qu'elle soit, cette unité n'est ni plus ni moins réelle (ou factice) que celle de la personne. Chez l'individu, c'est un formidable abus de langage qui fait dire "je" à un réseau de plusieurs milliards de neurones. L'apprentissage du langage chez l'enfant participe à ce coup de force, à cette représentation. Jacques Lacan y voyait la fente et la refente. Les anciens codes pénaux prévoyaient un oeil pour un oeil, une dent pour une dent, une main pour un crime. La Révolution Française a favorisé l'unité de la personne en coupant la tête pour punir la main qui tenait le couteau du crime. L'organisation n'est pas d'emblée une unité mais, comme l'individu, elle peut s'efforcer de l'être dans certaines conditions. Et l'organisation a justement conscience d'elle-même dans les rares moments de décisions réelles. A défaut, elle s'en donne périodiquement le spectacle. Bienheureux Auguste disant: "Je suis maître de moi comme de l'univers"!

* 4. 10. L'organisation chaotique

"Les représentations sociales de la prise de décision aident les participants à se frayer un chemin dans le désordre organisationnel (p. 70)". La raison principale de ce chaos est l'absence de décisions réelles au sens de choix a priori véritable générateur d'une bifurcation plus ou moins contrôlée. A défaut, le spectacle décisionnel donné par un cadre ayant le privilège de décision va révéler le sens commun restaurant l'unité magique de l'organisation. Mais "l'évidence persiste que les choses ne correspondent pas aux représentations (H. Laroche p. 70)". C'est l'évidence du doute. Celle qui génère le cynisme ou le scepticisme dans l'organisation. La cause réside dans l'écart entre la liste des décideurs officiels et la réalité des décisions de toutes natures (absentes, externes, accidentelles, clandestines, officieuses, routinières, automatiques). Le coût informel et émotionnel de la gestion de cet écart devient prohibitif. Il est temps d'abandonner certaines représentations théoriques et sociales dépassées. Autrement dit, la représentation est d'autant plus juste et efficace que la décision est réelle quant au problème et quant à la date. La décision comme représentation sociale permet de construire une théorie de l'organisation réconciliant perspective de la décision et perspective de l'action. Mais pour cela, il faut introduire la perspective représentationnelle dans l'action autant que dans la décision. Les schèmes de la Psychologie Génétique autant que les modèles (frames) de l'Intelligence Artificielle nous montrent qu'il n'y a pas d'action sans représentation.


* 5. Prolongements

Avant de conclure, nous indiquons quelques lignes de recherches visant à situer la décision et l'action dans les représentations sociales. On peut sortir du paradoxe (spectateur, acteur) en considérant l'inéluctabilité des représentations, tant dans la décision que dans l'action.

* 5. 1. Représentations

Considérons l'action comme un ensemble de représentations. Pour le théoricien, la décision est une réalité (théorie de la décision) ou une illusion (théorie de l'action). Ces deux points de vue sont irréductibles. Présenter la décision comme une représentation sociale est un moyen de concilier ces deux points de vue qui s'appuient sur des matériaux indéniables et apportent chacun des explications partielles. Mais ce nouveau point de vue doit construire sa propre cohérence. Il ne peut parler tantôt de décision réelle tantôt de "décision" (décision comme représentation sociale). Pour cela il faut une position claire sur la réalité et les représentations, qui ne s'applique pas qu'aux décisions. Le réel existe. Il est unique. Il existe même quand je ne pense pas à lui. Il reste identique à lui-même lorsque je me trompe ou que je mens à son sujet. Mais je ne peux jamais le connaître ou le décrire exhaustivement, ni dans l'espace d'une vie ni, a fortiori, dans le cadre d'une discussion ou dans l'intervalle d'une phrase. Ainsi donc, chaque fois que j'y pense ou que j'en parle, j'ai recours à des représentations qui sont au mieux des simplifications au pire des erreurs. Ces représentations peuvent être purement personnelles ou partagées par beaucoup d'autres. Elles sont toujours une représentation du réel visant à lui donner un sens et, si possible, à ma position dans celui-ci. Ce sens peut être simple ou complexe, radieux ou désespérant, vide ou absurde, cela ne change rien à l'existence du réel et à l'incontournabilité des représentations. Les représentations sont construites avec des signes, des icones ou des symboles. Elles obéissent aux lois de la linguistique, de la sémantique ou de la sémiotique. Le réel est certes le référent de ses représentations signifiantes, mais il n'est jamais atteignable que par l'ensemble infini de ses représentations. Ces représentations seront toujours multiples, car chacune d'entre elles est une spécialisation à but pédagogique, ne serait-ce que pour que la carte soit plus transportable que le territoire. Le réel ne sera jamais plus simple ni plus immédiat que chacune de ses très nombreuses représentations distinctes et simultanées. Certes il est le référent commun de toutes mais il n'est pas atteignable sans leur médiation.

* 5. 2. Repérage objectif des bifurcations

Dans la vie d'une organisation nous posons l'existence simultanée de:

Pour aller au-delà de ce constat, somme toute banal, il faut mettre l'accent sur les bifurcations. Plutôt que de se rassurer par des spectacles décisionnels qui tentent de restaurer à la fois le statut de décideur privilégié et le sens commun et plutôt que de les dénoncer en pure perte, il importe de construire des outils de repérage des bifurcations. Car les bifurcations ne sont pas toujours associées à des lieux de décision. C'est le retour de l'événement. C'est ce à quoi nous incite le thème grandissant de la conception simultanée. Nous avons amorcé ce mouvement de repérage des bifurcation avec le Graphe d'Exploration des Possibles.

* 5. 3. Autonomie

Toute organisation est basée sur une représentation de son action dans son environnement particulier. La division du travail qui y règne est basée sur ce modèle. Elle s'efforce de confiner les actions dans des lieux prévus lors de la conception de l'organisation (C. Midler, in Coopération et Conception). Hélas, l'environnement contemporain évolue beaucoup plus vite que les règles organisationnelles. C'est pourquoi, alors que les rivières ont la bonne idée de couler sous les ponts, les bifurcations prennent un malin plaisir à se produire en dehors des lieux de décisions. Il faut donc étudier l'évolution de l'autonomie ou de l'hétéronomie dans les organisations. Nous assistons à une évolution des prescriptions dans un sens favorable aux degrés de liberté.

Les raisons en sont multiples:

* 5. 4. Automatisation

Outre l'environnement extérieur qui multiplie les bifurcations, l'autonomie et l'hétéronomie sont à géométrie variable. La cause la plus importante de cette variation réside dans les nombreuses formes d'automatisation. Sans prétendre à l'exhaustivité, il est facile de donner rapidement quelques exemples:

a) Certaines activités passent dans le domaine de l'automatisation du fait des progrès de la programmation et de la multiplication des ordinateurs ou des automates programmables:

b) Certaines activités quittent le domaine de l'automatisation du fait de la variété croissante des demandes des clients ou de la complexité croissance du service à rendre:

c) Certaines activités quittent le domaine de l'automatisation du fait de la revendication d'autonomie des non-décideurs:

d) Apparition de nouvelles activités à l'initiative des non-décideurs, pour accroître leur autonomie:


* Conclusion

Pourquoi faut-il considérer la décision comme une représentation sociale?

Cette production classique du sens, par une caste de décideurs et dans une vision simple du monde, est de moins en moins efficace dans nos organisations. Le spectacle devient trop évident pour beaucoup de ses membres. Il ne parvient plus à masquer la sensation de chaos. Car les bifurcations se produisent en des lieux souvent éloignés du spectacle décisionnel. L'automatisation et l'autonomie se déplacent pour de multiples raisons. Il est urgent de dresser la carte des bifurcations, pour que la chaos soit perçu comme une complexité objective et non pas comme un désordre démobilisateur. Il n'est plus temps de lier le sens à la décision d'un acteur privilégié. Aujourd'hui, le sens ne pourra venir que du partage des modèles mentaux de tous les protagonistes. Le sens n'est pas révélé par une caste de prêtres. Le sens est découvert par l'exploration des possibles. L'organisation trouvera la conscience de sa complexité dans l'apprentissage organisationnel. C'est la leçon de l'expérience grandissante de la conception simultanée du produit, du process et de l'usage. Elle modifie considérablement nos représentations et perturbe la sémantique de nos termes les plus courants. Il faut passer du modèle de l'équilibre au modèle du chaos.

Hubert Houdoy

le 12 Août 1997


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* Bibliographie

From Decision to Action in Organizations:

Decision-making as a Social Representation

Hervé Laroche

Organization Science

Volume 6, Ndeg.1, January-February 1995

L'article de H. Laroche contient une très belle bibliographie en langues anglaise et française.

Les représentations sociales

D. Jodelet

Éditions PUF

Paris, 1991

Les représentations sociales

de W. Doise, dans:

Traité de psychologie cognitive

C. Bonnet, R. Ghiglione, J-F. Richard

3 tomes

Dunod, Bordas

Paris, 1989

The Link between Individual and Organizational Learning

Daniel H. Kim

MIT Sloan School of Management

Sloan Management Rewiew/Fall 1993

A Behavioral Theory of the Firm

R. M. Cyert et J. G. March

Englewood Cliffs

Prentice Hall, 1963

The Behavioral Theory of the Firm and Top Level Corporate Decisions

E. E. Carter

Administrative Science Quaterly, 1971

16, pages 412 à 428

Acting First and Thinking Later: Theory versus Reality in Strategic Chance

W. H. Starbuck, dans:

Organizational Strategy and Change

J. M. Pennings (Editeur)

Jossey Bass, San Francisco, 1985

The Social Psychology of Organizing

K. E. Weick

Addison Wesley, 1969

Decisions and Organizations

J. G. March

Blackwell

Oxford, 1988

L'action publique moderniste

J. G. Padioleau

Politiques et Management Public

1991, 19, pages 134 à 143

La familiarité distante

M. Matheu

Gérer & Comprendre

Annales des Mines, 1986,

Coopération et Conception

Gilbert de Terssac, Erhard Friedberg (sous la direction de)

Collection Travail

Éditions Octarès

Toulouse, 1996

330 pages,

180 F

Commenté dans:

L'entreprise à l'écoute

Apprendre le management post-industriel

Michel Crozier

Seuil, 1994

Commenté dans L'entreprise à l'écoute


* Bibliographie complémentaire
* Compléments

- Apprentissage Organisationnel


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Mise à jour: 16/07/2003