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Évaluation de la Performance Industrielle




Une autre vision de l'entreprise


Dans la société d'information et de connaissance qui émerge lentement, l'entreprise industrielle devient une organisation apprenante . Bien sûr, la production ne disparaît pas. Bien au contraire. Mais l'innovation et la conception des produits nouveaux prennent une part considérable. L'organisation en services cloisonnés est remplacée par une collection d'équipes de projets. Chaque projet est un nouveau défi. Il doit se doter de sa propre organisation, très souple. L'ensemble de l'entreprise devient un lieu d'exploration du champ des possibles. L'activité de conception sort du ghetto du Bureau des Études. Toute l'entreprise est mobilisée pour se concevoir, concevoir de la nouveauté et s'adapter à un perpétuel mouvement.


Le retour de la valeur


La définition de la performance est changée. Aux critères monétaires et financiers (valeur d'échange ) s'ajoutent des critères technologiques et fonctionnels qui relèvent de la valeur d'usage . Ce retour aux deux faces de la valeur n'est pas anodin. Le prix et le profit ne sont plus des signaux pour un comportement réflexe. Ils sont la face signifiante d'un signe dont le signifié, toujours chargé de connotations, doit être interprété selon le contexte. Ce retour de la valeur transforme les méthodes d'organisation et les procédures de gestion. Cette transformation ne vient pas d'une critique, politique ou syndicale, externe à l'entreprise. Elle émerge des nouvelles pratiques de la conception simultanée . Elle accompagne la multiplication des partenariats.


Commentaires


Ce document est l'adaptation d'un "working paper". Il précède la publication, maintenant réalisée par L'Harmattan (voir plus bas), d'un ouvrage collectif. Les partenaires sont, par ordre de citation: J. Perrin, C. Pellegrin, N. Bonnardel, O. Sénéchal et P. Barthélemy.





* Plan


Introduction

1. La Conception Simultanée du Produit et de l'Usage.

2. Les Obstacles à l'Evaluation dans la Conception.

3. Nouvelle Représentation de l'Entreprise.

4. L'Exploration du Champ des Possibles.

Conclusion

Références





* Introduction


Nous considérons l'entreprise comme une organisation inventive. Notre représentation de l'activité de conception est celle d'un processus d'apprentissage (J. Perrin). Elle traduit notre expérience des bases de données , de la conception assistée par ordinateur et de l' hypertexte, de 1984 à 1997. Télémécanique (Schneider Electric) ne conçoit pas pour le grand public. La conception des constituants d'automatismes de son catalogue de produits participe à la conception du process industriel de ses clients. Par cet article, nous témoignons d'une conception simultanée du produit, du process et de l'usage .


Une évaluation externe de l’activité de conception, idéalement faite selon des critères stables, supposerait que le problème soit posé au début de l’ activité. Dans la pratique, le problème est défini au fur et à mesure de sa résolution. Le produit à concevoir (problème) et le produit conçu (solution) font l'objet d'un processus de définitions simultanées.


Nous en déduisons que l'activité de conception doit être évaluée par ses acteurs:

Les batteries de critères d’évaluation correspondent chacune à un modèle de l’activité (C. Pellegrin). Le contrôle financier et l'analyse monétaires de l'entreprise sont basés sur le point de vue de la valeur d'échange . Ils concernent un aspect de la position sur le marché. Réciproquement, l'évaluation implique un nouveau schéma de la conception et de l'entreprise. Cette auto-évaluation est une estimation basée sur la valeur d'usage . Nous y voyons un retour de la valeur, longtemps refoulée sous les prix.





* 1. La Conception Simultanée du Produit et de l'Usage


On présente généralement la conception comme la recherche d’une solution concrète à un cahier des charges précis. La pratique quotidienne amène à poser que la conception est un processus coopératif. Le client réalise la nature exacte de son besoin. C'est le (produit à concevoir). Le fournisseur prend la mesure de ses possibilités. D'où le (produit conçu).


1.1. Trois exemples vécus


Nous décrivons trois expériences de conception en partenariat. Elles concernent la conception assistée par ordinateur, les bases de données techniques et les bases de composants.


1.1.1. L'expression des utilisateurs


Dans chacun des cas, nous représentions les utilisateurs du logiciel chez le client. Les utilisateurs directs n'étaient pas véritablement admis comme interlocuteurs. Les causes en sont multiples. L'organisation classique freine l'expression des utilisateurs. La plupart des utilisateurs ne militent pas pour cette expression. Le développement du produit finit toujours par requérir cette expression. Ce paradoxe est lié à la complexité. Plus un produit, matériel ou logiciel, est complexe, plus son ergonomie cognitive est contraignante. Il ne s'agit pas seulement de la productivité opératoire (fonctions requises, économies de gestes). Il s'agit d'assimiler une nouvelle représentation (par exemple, du 2D au 3D).


1.1.2. Partenaires séparés


Dans le cas de la conception assistée par ordinateur, le client Télémécanique était seul partenaire de Dassault Systèmes. Le fournisseur était pris dans d'autres contrats de partenariat avec d'autres clients. Les clients partenaires ne se connaissaient pas entre eux. Dans notre cas, il s'agissait de développer de nouvelles fonctionnalités du modeleur géométrique. Le logiciel de base, élaboré pour les surfaces de la carrosserie automobile et de l'industrie aéronautique, ne pouvait suffire à générer les formes complexes, connexes et denses des produits électromécaniques. Pendant que nous développions les fonctionnalités requises par le métier de mouliste, d'autres sociétés développaient les fonctions qui leur faisaient défaut. Une pluralité de partenaires séparés permettait au fournisseur d'élargir la palette de ses clients, sans changer une base logicielle conçue pour l'automobile et l'aéronautique. La relation client-fournisseur dépendait surtout de la compétence technique des interlocuteurs et du pouvoir de marchandage des entreprises respectives.


1.1.3. Partenaires conjoints


Dans le cas des Bases de Données Techniques, le client Schneider Electric (Télémécanique + Merlin-Gerin + Square D) partageait son rôle avec d'autres partenaires. Chacun d'eux avait une vision précise de ses besoins. Chacun avait essayé de développer lui-même un produit ou de transformer un standard du marché. Il ne s'agissait pas d'ajouter de nouvelles fonctionnalités sur une base existante. Il s'agissait de produire, conjointement, une nouvelle base. Tous les partenaires, qu'ils soient client (Schneider), fournisseur (SDRC) ou futur développeur de fonctionnalités (Bull) avaient mesuré les limites des bases de données relationnelles (SGBDR). Plusieurs clients avaient envisagé de développer dans la technologie Orientée Objet (LOO). Les financiers ont imposé le développement externe et la démarche de partenariat. Le fournisseur construisait une nouvelle base avec une nouvelle technologie. La pluralité des partenaires conjoints définissait une base fonctionnelle capable de résoudre la combinaison la plus complexe des problèmes les plus délicats de chacun des partenaires. Le logiciel commun ne résoudrait pas tous les problèmes. Il fournirait les outils pour développer toutes les variantes préalablement repérées. Le jeu était clair pour tous les partenaires. L'intérêt commun était perçu par tous. La relation client-fournisseur dépendait surtout de la capacité des utilisateurs directs (opérationnels) ou indirects (fonctionnels) à anticiper leurs besoins et à formaliser leurs procédures de gestion des données techniques (SGDT).


1.1.4. Clients leaders


Dans le cas des Bases de Composants, Télémécanique a adhéré à un projet de normalisation française, à visée européenne puis mondiale, des futurs catalogues électroniques de composants mécaniques. Le projet était mené par des industriels liés aux dépenses de l'Etat: Aérospatiale, Giat, Dassault-Aviation, DCN. Peugeot puis Télémécanique représentaient l'industrie privée. Les clients du logiciel étaient leaders du projet. L'Association Française de Normalisation représentait la chambre d'enregistrement (AFNOR). La société SGAO, qui développait le logiciel, testait la faisabilité des contraintes cumulées des partenaires. Ce projet est un exemple extrême. Il témoigne d'une anticipation précoce par les directions fonctionnelles des industriels clients. Dans ce dernier exemple, le partenariat dépendait beaucoup de la clarification des objectifs particuliers des clients leaders. Les difficultés rencontrées provenaient d'un déficit de formulation initiale des attentes. Ce projet était dirigé par les clients, mais il excluait souvent les utilisateurs directs. Il s'agissait bien de produire un logiciel. SGAO espérait le vendre. Mais le logiciel était une preuve de la faisabilité des normes en cours d'élaboration. Le logiciel avait une valeur normative. Il n'avait pas toujours une valeur d'usage immédiate. Les utilisateurs opérationnels ne pouvaient se projeter dans un horizon aussi lointain.


1.2. Leçons à tirer


Ces trois expériences marquent, à des degrés divers, une tendance à la participation des clients de fournisseurs dans l'élaboration des produits. A ce titre, elles témoignent de la possibilité de faire remonter l'évaluation du produit vers l'auto-évaluation de l'activité de conception. Au marchandage sur le prix, par la Direction des Achats, le client ajoute une négociation sur les fonctions d'usage, voire sur les formes fonctionnelles et sur les formes technologiques .


Des entreprises clientes dialoguent avec le fournisseur lorsqu'elles acquièrent une compétence suffisante dans les techniques de production du fournisseur. Le développement des partenariats témoigne d'une plus grande culture hors du domaine de spécialité.


D'autres entreprises clientes dialoguent avec le fournisseur quand elles n'ont plus les moyens humains et financiers de développer elles-mêmes. L' externalisation des activités non stratégiques et le recentrage sur le métier de base accélèrent ce phénomène.


Des fournisseurs cherchent le partenariat avec des clients leaders pour:


Les futurs utilisateurs directs éprouvent des difficultés à exprimer leurs besoins:





* 2. Obstacles à l'Evaluation dans la Conception


Le dialogue avec l'utilisateur externe est un premier obstacle rencontré par le concepteur dans la nécessaire conception simultanée du produit et de son usage. Nous voudrions montrer une série d'obstacles, internes à l'entreprise, qui procèdent d'une fausse représentation de l'activité de conception.


2.1. La démarche opportuniste


Les recherches en psychologie cognitive sur la pratique des concepteurs ont mis en évidence un comportement opportuniste. Contrairement aux principes de l'analyse descendante et contrairement à leurs propres rationalisations, les concepteurs procèdent par allers et retours dans la définition d'une solution. Ils combinent de manière opportuniste deux démarches dont les buts sont complémentaires et les directions opposées. Ils se représentent alternativement le produit à concevoir (le problème évolutif) et le produit conçu (la solution temporaire). Sitôt invoquées, ces représentations sont évaluées. Le passage opportuniste d'un objet mental à un autre est régi par des associations d'idées. Elles permettent d'instancier des "référents évaluatifs" (N. Bonnardel). Parmi ceux-ci, des faisceaux de contraintes orientées "participent activement à la mise en oeuvre d'une démarche ascendante pour développer la solution" (F. Darses).


Une méthode descendante décompose le problème par la définition de sous-problèmes. Une méthode ascendante élabore le produit par un assemblage de bribes de solutions. Loin d'une planification rigoureuse et formelle, on assiste à un bricolage créatif. L'information préalable (cahier des charges) est très lacunaire. Les réponses aux questions du concepteur sont rarement précises. C'est pourquoi il est le véritable producteur du cahier des charges. Nathalie Bonnardel a mis en évidence l'intervention de l'évaluation tout au long de l'activité de conception. Ce résultat conforte les observations sur la démarche opportuniste des concepteurs. Françoise Darses montre que, comme les objets intermédiaires , l'usage des contraintes permet d'enjamber les niveaux intermédiaires qui séparent la représentation conceptuelle et la formalisation concrète de la solution. "La formulation de contraintes permet donc aux concepteurs de faire l'économie d'activités de planification relativement coûteuses" (F. Darses). Ce qu'une observation attentive et une pratique quotidiennes de la conception permet d'affirmer, c'est le grand nombre de solutions qui ne dépassent pas le stade d'une brève évocation mentale.


La pratique du concepteur est doublement opportuniste. Non seulement il ne respecte pas la méthode descendante dans l'analyse d'une solution, mais il se déplace (dérive) de solution en solution au gré de ses associations d'idées. Sa démarche n'est ni descendante ni linéaire. Ne cherchez pas à l'en empêcher. Vous bloqueriez le mécanisme de propagation de contraintes (Fr. Darses). Vous bloqueriez le processus d'évaluation qui sélectionne les solutions et révise les critères (N. Bonnardel).


Nous poserons que la conception est un processus exploratoire qui met en oeuvre des représentations successives . Il est courant de placer les représentations sur un continuum abstrait-concret. Sans être fausse, cette image peut masquer l'existence de ruptures entre les représentations et la non linéarité de la démarche. Nous mettrons l'emphase sur les ruptures. Le concepteur se déplace dans un univers mental de virtualités. Par son imagination, il invoque des connaissances compilées dans l'espoir d'obtenir des intuitions. Beaucoup d'entités ne dépassent jamais ce stade. Par une verbalisation, souvent muette, le concepteur s'efforce de " sémantiser" certaines candidates. Beaucoup ne franchissent pas l'obstacle. Par le crayonnage et l'esquisse, le concepteur " sémiotise" quelques élues. C'est ainsi qu'une faible partie de l'imaginaire accède au champ des possibles. Commence alors la partie visible du travail de conception, celle que l'on aimerait tayloriser sous prétexte qu'elle porte sur un objet externe. C'est oublier que ce travail est en partie manuel (CAO) et en partie mental.


Concevoir dans un arbre . Le concepteur est-il un "baron perché" ? Peut-être comme nos lointains ancêtres, le concepteur se déplace continuellement dans un arbre. Cette arborescence qu'il construit symbolise le champ des possibles. Sa démarche opportuniste l'amène à multiplier les branches qu'il abandonne plus ou moins rapidement. De ci, de là, il griffonne sur quelques feuilles de l'arbre. Ces feuilles sont les rares solutions visibles. Certaines se transformeront en plans, en modèles de CAO, en tests de laboratoire. Peut-être l'une d'entre-elles deviendra-t-elle un produit industriel ? C'est l'armature de cet arbre que nous nommons graphe d'exploration des possibles.



2.2. L’inadéquation de l'évaluation externe


Nous opposerons à l'évaluation réflexive par le concepteur toutes les évaluations externes, opérées par d'autres acteurs de l'entreprise, dans un but de pilotage externe de l'activité de conception. Ce pilotage est nécessaire. Mais il doit s'appuyer sur une représentation adaptée.


Tous les critères qui découlent d'une représentation erronée de l'activité de conception sont autant de freins ou d'obstacles à la démarche. Pire, ils peuvent pervertir les relations de travail au sein l'entreprise.


Tout critère d’évaluation externe est relatif à une représentation que les évaluateurs se font de l’organisation au sein de laquelle se déroule l’activité. Si les concepteurs effectuent le même métier, ils ne l'exercent pas dans les mêmes domaines technologiques. Ce n'est donc pas le même champ des possibles qu'ils explorent. Mais le contexte concurrentiel (externe) et organisationnel (interne) déterminent tout autant la nature des possibilités.


La différence constatée entre les modes d’évaluation vient de l’espace des contraintes dans lequel se déroule la conception. On restreint généralement la conception à celle qui s'effectue au seul niveau du Bureau des Études. A l'opposé, nous considérons l'ensemble du processus d' innovation comme un vaste processus de conceptions: conception politique de l'entreprise, conception stratégique du catalogue, conception tactique du produit.


Quand le nombre de salariés d'une entreprise peut s'accroître puis se réduire de plusieurs milliers de personnes entre le début et la fin de la conception d'un produit, on ne peut pas dire que l'entreprise soit plus stable au niveau politique qu'au niveau tactique. Quand un produit à concevoir dans le catalogue Télémécanique est élaboré par Schneider Electric avant de devenir un produit vendu dans le catalogue Parker, on ne peut considérer que le niveau stratégique soit plus stable que le niveau tactique. Le reengineering des entreprises prend à contre-pied le cloisonnement méthodique des disciplines scientifiques et la spécialisation longuement acquise des chercheurs.


Les niveaux d'organisation s’emboîtent dans cette activité récursive de conception. Mais nous ne sommes plus dans la Chrétienté. Les niveaux englobants n'ont pas de certitude (stabilité, dogme, vérité) à transmettre aux niveaux englobés. Toutes les informations utilisées dans ce vaste processus de conceptions simultanées ont un fort coefficient d'incertitude. Elles font de l'entreprise une organisation apprenante et polycellulaire (H. Landier). Cet emboîtement des organisations réelles doit permettre l'évaluation de chacune d'elle. Mais il est de plus en plus problématique quand on met du réseau dans les pyramides. La performance relative de chaque niveau peut avoir une incidence sur la rémunération de ses membres.


Évaluation et rémunération


Certaines entreprises commencent à couper les salaires en quatre:


Une telle pratique incite à développer des critères d’évaluation externe pour chacun de ces niveaux. Mais ces incitations financières deviennent des obstacles à la conception quand elles se combinent avec une fausse représentation de l'activité de conception.


Évaluation et comparaison


A défaut d'une grille immuable, l’évaluation externe d’une conception doit se faire relativement à des conceptions similaires et en fonction des objectifs assignés. Le graphe d’exploration des possibles est un moyen de garder la trace des conceptions précédentes et de la conception courante. Il est un outil d'aide à l'évaluation réflexive et la condition d'une évaluation externe. Sans cette objectivité, l’évaluation externe entraîne une multitude d’effets pervers. Ils empoisonnent la vie des entreprises. Hervé Sérieyx et Jean-Pierre Le Goff ont dénoncé le danger des outils d’évaluation qui morcellent les compétences sans tenir compte de la logique propre au métier et au projet. La pratique du "Je ne veux pas le savoir!" est une conséquence de ce hiatus croissant entre la tache et l' activité, entre les bifurcations et les décisions, entre le fonctionnement réel et le spectacle décisionnel . Depuis peu, la pratique du harcèlement moral a franchi la barrière du silence pudique ou coupable.


Évaluation et capitalisation des savoir-faire


A propos de la capitalisation de l’expérience acquise au cours d’un projet de conception, nous avons souvent entendu le refus suivant: “Nous développons une nouvelle gamme de produits tous les 10 ans. Quand on développera la prochaine, aucun concepteur de la gamme actuelle ne sera au Bureau d’Études. Pourquoi se fatiguer à noter nos idées puisque nous n’en profiterons pas ?”. En conséquence, une entreprise qui veut capitaliser son savoir-faire ne doit pas attendre le départ à la retraite anticipée de ses experts pour envisager de récupérer le contenu expérientiel de leurs cerveaux. Elle risque de se heurter à un refus ou à une mauvaise volonté chez celui qui n'a jamais été entendu dans ses propositions d'amélioration du travail quotidien. De même, l'accentuation de la concurrence est-elle défavorable aux entreprises trop généralistes. On ne peut courir trop de lièvres à la fois. La spécialisation est une condition de la capitalisation des diverses formes de connaissance. Dans la mesure du possible la formalisation des connaissances doit valoriser celui qui accepte de les manifester. Une entreprise ne peut fonctionner avec une rétention d'information qui profite à certains (valeurs pratiquées ) et une traduction des connaissances en informations qui se retourne contre ses auteurs (M. Crozier, "L'Entreprise à l'écoute, les valeurs professées). En conséquence, une entreprise qui ne conçoit pas en permanence (conception continuée ) ne peut capitaliser son savoir-faire ni optimiser son processus de conception (variété systématique ou délibérée ). Il est impossible d’élaborer des critères d’évaluation externe pour une activité qui n’est pas suffisamment fréquente. Dans un univers mouvant, la spécialisation de l'entreprise est une condition de l’évaluation de son activité globale de conception.



2.3. La réticence des sources d'information


Chaque service de l'entreprise détient des informations utiles au concepteur:

La politique de l’entreprise est la réalisation progressive du champ des possibles de son domaine de spécialité. La veille technologique et le dialogue avec la clientèle déclenchent la mise en chantier des nouveaux produits. Beaucoup d'informations pourraient être utiles au concepteur. Même sans lui dévoiler tous les tenants et aboutissants, un dialogue en logique floue pourrait permettre de lever des indécisions autrement que par le jeu de pile ou face.


Le service marketing entretient des relations soutenues avec la clientèle. Un projet de produit nouveau est l’intensification d’un dialogue permanent. Les clients leaders dans leurs domaines sont partenaires du projet. Les spécifications de la valeur d’usage sont élaborées en commun. Parce que leurs représentations ne sont pas identiques, le dialogue entre le marketing et la conception manque parfois de résolution mathématique ou de précision.


Le bureau d’études dispose de l’expérience des conceptions précédentes. Le dialogue du B.E. avec les clients permet d’affiner le cahier des charges. Il n'est pas toujours possible d'interroger les concepteurs des produits précédents. Cela se traduit par une perte de temps et l'exploration de voies sans issue.


La conception simultanée du produit et du process regroupe le B.E. et les Méthodes. On travaille avec un cahier des valeurs d’usage et un état de l’outil de production disponible. Ces deux entrants sont affinés en même temps que les livrables du projet. La tradition d'indépendance des services n'est pas favorable à la circulation optimale des expériences. Le fonctionnement en projet tend à favoriser le dialogue entre les membres de l'équipe. Mais chacun ne peut faire profiter les autres que de ce qu'il connait directement. La capitalisation dans chaque service et la facilité d'accès permettrait souvent de trouver des solutions plus pratiques.


Les unités de production sont choisies au départ du projet pour leurs technologies spécifiques. Elles fournissent des éléments de coûts pour chaque hypothèse. La discussion avec le client-partenaire est plus réaliste. Il demande des valeurs d’usage. Le prix proposé intègre le coût de production de l’unité concernée. Une véritable simulation de la production serait le moyen de fournir au concepteur les informations de coût les plus pertinentes (O. Sénéchal).


Les forces de vente et d’après-vente font remonter les remarques de la clientèle. Ces informations sont d’autant plus précises que le client sait que l’on en tient compte. L'existence d'une Base de Réclamations sur les produits similaires pourrait permettre au concepteur d'orienter son exploration dans une direction plus pertinente.



2.4. La fausse quantification


Les sciences quantitatives bénéficient d'un prestige supérieur aux sciences de la parole ou de l'image. Cela se traduit trop souvent par une quantification trompeuse. L'usage de la moyenne n'est pas toujours la bonne solution. Quand le service marketing hésite entre une estimation du marché à 10 000 produits et une estimation à 100 000, trois erreurs sont possibles: la solution haute, la solution basse et la solution moyenne. La seule réponse, la plus précise et la plus utile, est de dire: "A ce stade de l'analyse, nous ne savons préciser mieux que par la fourchette 10 000 à 100 000 produits". Le concepteur tirera plus d'informations de cet aveu que d'une fausse précision. Le dialogue avec un client-leader permet d'explorer en parallèle plusieurs hypothèses pertinentes. On choisit selon les avantages conjoints du client et du fournisseur. L'approfondissement simultané du besoin, du produit et du process facilite le dialogue interne. Le client peut alors réviser l'estimation quantitative de ses besoins. Un critère majeur de l’évaluation de l’activité de conception est, chez le client comme chez le fournisseur, la capacité à admettre l’incertitude. Toute fausse précision est dommageable au processus de conception. C'est à tort que nous représentons le champ des possibles par une cartographie numérique. Les fonctions de production chères aux économistes n'existent que pour ceux qui écrivent l' Histoire au futur antérieur . Pour ceux qui font l'histoire, une telle métrique n'existe pas. Ils explorent une Terra Incognita, sans boussole, sans GPS et sans télémètre. Ils ressemblent plus à Lewis et Clark cherchant le passage à travers les Montagnes Rocheuses qu'à une équipe de géomètres ou de cartographes.



2.5. Concilier les Évaluations Réflexive et Externe


Nous ne prétendons pas que l'évaluation réflexive puisse se suffire à elle-même. La logique exploratoire de génération de problèmes se combine avec une logique planificatrice de résolution de problèmes (C. Pellegrin). Pourtant, il est possible de lister quelques fausses évaluations. D'abord, l'évaluation par l'entreprise ne doit pas remplacer l'évaluation véritable par le client. Le dialogue avec l’extérieur remet en cause la division de la parole au sein de l’entreprise. La différenciation des produits vient buter sur l’organisation "à la française" de Fayol. De plus, une méthode de conception est une conjecture scientifique. Soumise à l’expérimentation, elle en sort indemne, améliorée ou réfutée. Dans le dernier cas, il faut complexifier la méthode: augmenter la combinatoire des cas prévisibles, prévoir les indicateurs, confier les responsabilités, organiser les passerelles informationnelles. Enfin, l'évaluation de l’activité de conception n'est pas l’évaluation de la capacité d’un individu à occuper un poste. Elle est au service du concepteur. Elle n'a rien à voir avec l'entretien annuel d'évaluation.





* 3. Nouvelle Représentation de l'Entreprise


L'image traditionnelle de l'entreprise correspond à un monde de positions, un monde figé et certain.





Seules varient les compétences individuelles, justifiant la hiérarchie des fonctions au sein de chaque métier, les règles de l'apprentissage et la courbe de l'évolution du salaire nominal en fonction de l'ancienneté. Dans un monde de parfaite stabilité, chaque individu passe sa vie à essayer d'apprendre et de mettre en pratique un chapitre de l'encyclopédie des connaissances et compétences transmissibles. Au moins dans les secteurs de hautes technologies et de forte concurrence, ce modèle statique, hiérarchique et linéaire est devenu totalement inadapté. Stabilité, information parfaite, fonctions continues et dérivables, séquentialité des processus et hiérarchie des responsabilités, si elles furent pertinentes, doivent faire place à l'instabilité, l'incertitude, la discontinuité, la rupture, la simultanéité et la pluridisciplinarité des équipes de projet. Dans une entreprise organisée sur le modèle de la bureaucratie, qui faisait d'elle une technostructure, le concepteur était le lieu d'une créativité mystérieuse. La conception semblait échapper à toute règle d'organisation.


Ces deux représentations sont aussi fausses que distantes. L'entreprise n'est plus une citadelle et la conception n'est pas une boite noire. On peut instrumentaliser la conception à la condition de bien la connaître. Au lieu de réduire la conception à une activité individuelle, locale, partielle et mystérieuse, c'est toute l'activité de l'entreprise que nous pouvons représenter comme un ensemble d'activités de conception. L' innovation devient alors le nouveau schéma (C. Pellegrin) de l'entreprise. Résumons-la à trois cercles où s'effectuent des démarches exploratoires de conception.


3.1. Le cercle politique


Au niveau politique, une innovation est un coup de force. Elle vise un changement de la position de l'entreprise sur le marché. L'innovation modifie les rapports de pouvoir, d'alliance et de séduction. On peut innover seul et jouer contre tous les autres (Walkman, Sony). On peut innover en accord avec les concurrents, pour établir une nouvelle norme (Net Computer, Oracle, Sun, Netscape, IBM, Apple, etc.). On peut innover en partenariat avec des clients leaders de leur marché (Catia, IBM, Boeing ; Métaphase, SDRC, Bull, Schneider, etc). Dans l'évaluation de l'innovation, les partenaires font le bilan critique de leur alliance. L'innovation commune renforce-t-elle le rapprochement prévu ? Relance-t-elle la concurrence sur la base choisie en commun? Les politiques évaluent le partenariat à leur niveau. Leur sémiotique est celle du pouvoir et de la survie. C'est le point de vue des assemblées générales des actionnaires (cf. remise en cause du rapprochement de Renault et de Volvo).


3.2. Le cercle stratégique


Au niveau stratégique, une innovation implique des négociations. En fonction des rapports d'alliance et de pouvoir, en fonction des réserves financières des entreprises, il faut conjecturer la valeur marchande du produit et les parts de marchés. Sur cette base, il faut choisir les lieux et les moyens de la production. Dans l'hypothèse d'un partenariat, la direction marketing du fournisseur négocie avec la direction des achats du client. En fonction des objectifs politiques et des moyens financiers du projet d'innovation, client et fournisseur définissent le cadre financier, organisationnel et temporel du produit à concevoir. Il est souhaitable de constituer un groupe stratégique. Ce groupe assure une représentation du projet pendant la durée de son déroulement. Il évite que les concepteurs et les utilisateurs de l'équipe de projet ne se sentent isolés. Dans l'évaluation du projet innovant, les partenaires font le bilan critique de leur organisation. Chacun a-t-il mis les ressources prévues ou requises ? Des obstacles institutionnels ont-ils empêché la circulation des informations ? Les engagements financiers ont-ils été respectés ? Leur sémiotique est celle du temps et de l'argent. C'est le point de vue du contrôle de gestion.


3.3. Le cercle tactique


Au niveau tactique, la conception proprement dite est une exploration du champ des possibilités technologiques. Chez le client, l'utilisateur explore les possibilités concrètes de son futur process de production, la valeur d'usage du produit à concevoir . Chez le fournisseur, le concepteur explore les possibilités concrètes d'incorporation, dans un nouveau produit, des connaissances technologiques capitalisées par l'entreprise. Cette double exploration se déroule au sein d'une équipe de projet. Le périmètre du projet est délimité par les rejets concomitants. L'équipe de projet regroupe les concepteurs du fournisseur et les utilisateurs du client. Les contraintes et les inconnues sont multiples:


L'organisation taylorienne ne facilite pas l'expression des besoins par les utilisateurs. Ils appartiennent à la sphère des exécutants. L'organisation à la française impose la remontée des informations par la voie hiérarchique. Or ce canal n'est pas sémantiquement neutre. Cette voie traduit les questions géométriques en questions d'argent. Au stade suivant, ce n'est pas mieux. Pour parvenir au niveau politique, les questions font l'objet d'une nouvelle traduction. À ce stade, elles sont devenues incompréhensibles par leurs auteurs et déformées pour leurs destinataires. C'est là que se situe le principal défi organisationnel pour la Tour de Babel contemporaine. Il ne s'agit pas seulement d'optimiser les canaux et d'ajuster la forme du réseau de communication. Ce n'est plus la théorie mathématique de l'information (Shannon) qui compte. L'émetteur et le récepteur ne disposent pas du même code. L'utilisation de l' équivalence générale de la monnaie , point de vue du contrôle de gestion, ne doit pas dispenser des nécessaires traductions.


Faute d'une remontée fidèle des interrogations des concepteurs, l'entreprise perd la trace du cheminement réel de la conception. Les décisions, formulées dans un autre système de représentation que la question, ne peuvent piloter l'action ni s'insérer dans une évaluation réaliste. L'évaluation d'une activité doit être formulée dans le langage ou la sémiotique de l'activité. Puisque chaque niveau dispose de sa propre sémiotique, chaque niveau doit s'auto-évaluer. Cette évaluation est inhérente à chaque activité de conception: entreprise, catalogue, produit. Le besoin se fait sentir d'une modélisation tactique de l'activité de conception. Une modélisation qui la replace dans son contexte relativement emboîté et permette un transfert des questions. Le produit doit s'emboîter dans le catalogue pour ne pas cannibaliser ses voisins. Par contre, les alliances ne sont plus des emboîtement de filiales dans des maisons-mères. Sur les réseaux socio-techniques en construction, la métaphore du réseau doit remplacer celle des pyramides.


L'absence d'un discours de la valeur d'usage impose des traductions. La tendance actuelle à tout traduire dans le discours monétaire de la valeur d'échange transforme les signes et les symboles porteurs de connaissances et d'informations en un signal réducteur. C'est la voie inverse qu'il faut adopter pour relever le défi de l'entreprise intelligente. Il faut enrichir le signal en information (signe) et l'information en connaissance (concept). Il faut construire un véritable discours capable de véhiculer plus que des réflexes: du sens et de l'intelligibilité. Le projet d'intelligibilité de la science est aussi celui de l'entreprise, pour un développement durable . L'émergence d'un discours de la valeur d'usage permettra la circulation transversale des questions. Les niveaux tactique, stratégique et politique trouveront un troisième langage commun. Le niveau réflexif trouvera plus souvent l'occasion et les mots pour s'exprimer.


L'évaluation externe de l'activité de conception est insatisfaisante.


Le contrôle de qualité s'effectue sur le produit quand sa conception est terminée. Le contrôle de gestion classique se trompe de niveau et de langage. La confrontation de la méthode de conception et du déroulement du projet n'instruit pas le bon procès. L'évaluation réflexive de l'activité de conception est une auto-évaluation indispensable à l'avancement du projet de produit nouveau. Chacun des trois niveaux impliqués dans le processus d'innovation doit auto-évaluer sa propre conception et mettre cette évaluation à la disposition des autres niveaux. Cette mise à jour permanente des référents évaluatifs et des chemins explorés est la condition de la synchronisation et de la cohérence des activités au sein de l'entreprise.





* 4. L'Exploration du Champ des Possibles


Nous proposons une représentation de l'entreprise comme organisation apprenante. A l'image de l'espèce humaine, elle se caractérise par son perpétuel "comportement curieux exploratoire" (K. Lorentz) à l'égard de son environnement. Sans pouvoir l'illustrer dans le cadre de ce document, nous proposons des outils de navigation hypertextuelle adaptés à cette vision de l'entreprise. Comme sur le World Wide Web, on se déplace de fichier en serveur sans avoir une idée précise de sa situation géographique, mais toujours en fonction d'un choix ou d'une recherche d'information. Dans cette navigation, c'est l'entreprise elle-même qui s'invente jour après jour.


Le graphe d'exploration des possibles est un graphe qui se développe par foisonnement. Sa forme représente la succession des bifurcations qui jalonnent un parcours de conception. Le concept de bifurcation est totalement étranger à la pratique du spectacle décisionnel. Dans un graphe de bifurcations, la valeur informationnelle d’un détail dépend de la connaissance du chemin qui y mène. La stratégie du secret et du "diviser pour régner" sont condamnées. Des arborescences retracent les choix qui conduisent de la première définition du produit à concevoir à la dernière modélisation du produit conçu . Ces choix traversent, dans le plus grand désordre, des domaines aussi divers que: la politique d’entreprise, l’analyse économique, la démarche marketing, la stratégie industrielle, le canal de distribution, les matériaux, le découpage en modules et la gestion des contraintes d’encombrement. Les bifurcations se suivent dans un ordre chaotique. Il s'agit de la succession imprévisible, des choix, des questions, des découvertes et des chocs en provenance de l'environnement. A chaque domaine correspond une organisation réelle (un service) et une sémiotique professionnelle (un métier) dans laquelle formuler la réponse aux questions du concepteur. Il serait surprenant que le concepteur individuel les possède toutes. Le déroulement d’une conception n’est jamais linéaire. Un choix initial est remis en cause au vu de conséquences proches ou lointaines. De question en question on progresse dans l' espace des solutions . On aboutit finalement à une solution ou à un constat d’impossibilité relative: matérielle, technique, économique, commerciale ou politique. Puisque la conception est une dérive - sémantique et sémiotique - de solution rejetée en solution alternative évoquée, l’entreprise doit évaluer ses cheminements. Idéalement, elle devrait tout mettre en oeuvre pour en garder la trace. C'est là que se joue la capitalisation de ses questions, de ses expériences et de ses connaissances


Le graphe d’exploration des possibles est un ensemble de graphes arborescents. Des graphes d'exploration communiquent entre eux. Ils permettent aussi d'accéder à des graphes descriptifs, par des liens hypertextuels.


On utilise trois catégories de graphes:


4.1. Les graphes de sélection


Les graphes de sélection se distinguent par leur horizon temporel et le niveau d’organisation concerné: politique, stratégique, tactique.


4.1.1. Le graphe politique de conception de l'entreprise


Au plus haut niveau de l'entreprise, le graphe politique relie les positions possibles de l’entreprise sur le marché. Il s’agit d’un graphe de sélection. Une seule terminaison de l’arbre reflète la situation actuelle de l’entreprise. Les autres feuilles de l'arbre représentent des positions alternatives. Il suffit d'un changement technologique externe, d'une initiative d'un concurrent, d'une innovation interne ou d'un nouvel impératif de rentabilité des capitaux pour que la direction générale adopte une autre politique (cf. la fermeture de Renault Vilvoorde). Elle décide alors de conquérir ou d'occuper une autre position. Au niveau politique, le graphe d'exploration des possibles est le graphe de conception de l’entreprise par la Direction Générale. La capacité de produire le graphe politique est un critère d’évaluation de l’activité de conception de l’entreprise. La capacité à le diffuser sous une forme lisible est un gage de fonctionnement des niveaux inférieurs. Le slogan: "Tout le monde connait la politique de l'entreprise!" est aussi peu réaliste que son équivalent Nemo censetur : "Nul n'est censé ignorer la Loi".


4.1.2. Les graphes stratégiques de conception du catalogue


Au second niveau, trois graphes stratégiques développent les conséquences possibles de la position de l’entreprise. La Direction Industrielle, la Direction du Marketing et celle de la Recherche & Développement élaborent chacune un graphe spécifique. Ces graphes dérivés alimentent le graphe politique qui les synthétise. Ce sont aussi des graphes de sélection. Une seule terminaison de l’arbre reflète l’action courante de l’entreprise. Les graphes stratégiques concernent la conception stratégique du catalogue des produits et des services vendus à la clientèle. Les hypothèses qui provoquent les bifurcations sont relatives aux ressources industrielles de l’entreprise et de ses partenaires, aux besoins de la clientèle et aux possibilités de la technologie. Le graphe “marketing” formule les hypothèses d’action, de réaction et de dialogue qui segmentent au mieux la clientèle. Le graphe “industriel” développe des variantes d’utilisation, de développement et de migration des ressources industrielles. Le graphe “R&D” explore les possibilités d’utilisation des technologies émergentes dans de nouveaux produits ou pour rajeunir les anciens.


4.1.3. Le graphe tactique de conception du produit


Au niveau tactique, le “graphe d’exploration des possibles” est l’arborescence qui retrace les choix menant de la première définition du “produit à concevoir” à la dernière modélisation du “produit conçu”. Il se construit tout au long du processus exploratoire pendant lequel dérivent les solutions. A la fin du processus, il serait possible de ne garder que le sous-graphe reliant le " produit à concevoir " racine de l'arbre au " produit conçu " feuille ou fruit de l'arbre. Cette partie de l'arbre est bien la définition progressive et a posteriori du produit à concevoir. Mais l'expérience acquise au cours du processus exploratoire est décrite dans le foisonnement des branches et des feuilles apparemment stériles.


4.2. Les graphes associés


Le graphe d’exploration des possibles ne doit pas être confondu avec la démarche descendante/ascendante de description du produit. La démarche descendante se manifeste par des graphes de décomposition des fonctions abstraites qui fournissent les critères conceptuels. La démarche ascendante se manifeste par des graphes de composition de formes géométriques. C'est ainsi que les arbres CSG (constructive solid geometry) décrivent une structure statique. Les trois types de graphes sont construits en parallèle et reliés par des liens d’hypertexte. On peut donc considérer qu'un graphe de décomposition descendante est dessiné sur une feuille de l'arbre tactique d'exploration des possibles. Les graphes de compositions sont internes au logiciel de CAO. Les technologies paramétrique et variationnelle permettent de spécifier des contraintes très opérationnelles sous la forme de relations géométriques entre les primitives formelles. Le graphe d’exploration mentionne les questions que l’on se pose et les hypothèses que l’on formule. Quand on abandonne une position du champ des possibles on mémorise la conception descendante du produit. Car une partie des contraintes structurant le problème spécifique à une hypothèse restera valable dans la nouvelle hypothèse, située à une autre fourche de l'arbre. Comme le montre Nathalie Bonnardel: "Les concepteurs ont tendance à s'engager spontanément dans la résolution des sous-problèmes que posent les solutions jugées insatisfaisantes." Un lien hypertexte relie la position abandonnée aux documents décrivant l’état de la conception.


Cette cartographie, non numérique, de la démarche exploratoire est un merveilleux outil de capitalisation et de réappropriation des expériences acquises. Nous l'illustrerons par de prochaines publications sur le site web du Réseau d'Activités à Distance.





* Conclusion


Les nouvelles formes de la concurrence, provoquées par la mondialisation de la production, les nouvelles technologies informatiques et la crise de l'emploi salarié mettent la conception et la communication au coeur de l'entreprise. Les critères d'évaluation de la performance industrielle en sont radicalement changés.


La performance ne relève plus de la logique du mérite élaborée par une entreprise-citadelle centrée sur elle-même et sûre de sa durée. L'érosion des économies d'échelles par les coûts de structure a provoqué une dynamique de la survie inventive. Il n'est plus temps d'élaborer des critères durables. La grande entreprise, au vaste catalogue, doit affronter la concurrence directe des petites entreprises innovantes capables de produire à la commande. Les économies d'échelles permises par des technologies stabilisées ne suffisent plus à la protéger. L'Histoire s'accélère. Les routines de travail et les traditions de métier sont perturbées. L'évaluation externe de l'activité, basée sur une norme intangible devient problématique. Ses indicateurs sont trop tardifs pour les choix quotidiens. Car la géométrie de l'entreprise est variable.

L'instabilité durable remet en cause le fonctionnement planifié de la technostructure. Elle n'est pas faite pour affronter les situations chaotiques. La réduction du temps de mise sur le marché (time to market ) ne peut se contenter d'une planification rigoureuse des taches routinières. Elle intègre une forme d'auto-organisation du travail en équipe. Cela ne veut pas dire qu'il soit impossible de définir des méthodologies de conception. Mais celles-ci doivent s'appuyer sur une connaissance intime des processus cognitifs.

La démarche opportuniste est incontournable. Le chemin qui mène de la formulation des objectifs à la matérialisation des solutions n'est ni continu ni linéaire. Il comporte des sauts et des bifurcations. Les points de rendez-vous sont l'occasion d'une redéfinition des enjeux politiques, stratégiques et tactiques du projet. Sur la base des acquis de la phase précédente, l'entreprise révise ses objectifs et l'équipe de projet redéfinit son organisation. Tous les référents évaluatifs peuvent changer de valeur à chaque point de bifurcation. Le contrôle de gestion sera d'autant plus utile qu'il saura réduire le coût cognitif des acteurs sans accroître la charge administrative des projets.

En situation de crise profonde, plus les aspects financiers sont importants pour la survie de l'entreprise moins les indicateurs monétaires ne peuvent indiquer où chercher une solution.





* Auteur


Hubert Houdoy



Créé le 15 Mars 1997

Modifié le 16 Mai 1999





* Publication en librairie


Pilotage et évaluation des processus de conception

Sous la direction de Jacques Perrin pour ECOSIP:

Pierre Barthélemy, Nathalie Bonnardel, Hubert Houdoy, Claude Pellegrin, David Raviart, Olivier Sénéchal, Christian Tahon.


Éditions L’Harmattan

5-7, rue de l’école-Polytechnique, 75005, Paris

55, rue Saint-Jacques, Montréal (Qc), Canada H2Y 1K9





* Références citées


"Vers l'entreprise intelligente", Hubert Landier , Calmann-Lévy, 1991.


“Le rôle de l’évaluation dans les activités de conception” Thèse de doctorat en psychologie cognitive, N. Bonnardel , Aix-en-Provence, 1992.


“Gestion des contraintes dans la résolution de problèmes de conception” Thèse de doctorat en psychologie cognitive, Fr. Darses , Paris VIII, Saint-Denis, 1994.


"L’entreprise à l’écoute, Apprendre le management post-industriel" Michel Crozier, Seuil, 1994.


"Travail et communication" Essai sociologique sur le travail dans la grande entreprise industrielle. Philippe Zarifian , Sociologie d'aujourd'hui, PUF, Paris, 1996.


“Les Illusions du Management”, Jean-Pierre Le Goff , Éditions La Découverte.

138 pages, 85 F


“Le Tournant de Décembre”, Jean-Pierre Le Goff , Éditions La Découverte.

169 pages, 89 F





* Compléments publiés sur le World Wide Web


“Une entreprise ne sera pas durablement compétitive dans un environnement qui le serait de moins en moins”. Hervé Sérieyx , Entretien avec Philippe Gauthier


Hervé Sérieyx


Dialogue Technique

http://rad2000.free.fr/dialtech.htm


Graphe d’Exploration des Possibles

http://rad2000.free.fr/hh960507.htm


Concevoir le Produit et l’Usage

http://rad2000.free.fr/hh960614.htm


Les Bases de Composants Mécaniques

http://rad2000.free.fr/plangene.htm


Chapitre 1: La Modélisation géométrique formelle des composants

http://rad2000.free.fr/mogeform.htm


Chapitre 2: La Modélisation géométrique fondamentale

http://rad2000.free.fr/mogefond.htm


Chapitre 3: Les Bases de composants paramétrés

http://rad2000.free.fr/bacopara.htm


Chapitre 4: Les Bases de composants simplifiés ou normalisées

http://rad2000.free.fr/bacosimp.htm


Chapitre 5: La Mise en famille des composants

http://rad2000.free.fr/misfamco.htm


Définitions des “Bases de Composants Mécaniques”

http://rad2000.free.fr/listdefi.htm


Origine complexe des Organisations Virtuelles

http://rad2000.free.fr/orgavirt.htm





* Définitions


Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du R.A.D.








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Mise à jour: 16/07/2003