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La Contradiction entre l’Apprentissage et l’Organisation





* Racine


Ce document appartient au Cycle des Apprentissages Individuels et Organisationnels.





* Plan


Introduction

Comté

Ouverture de la noblesse

Vacance de la noblesse

Justification pratique de la féodalité

Essarts

Le Chevallard

Roche-en-Forez

Clôture

Fondation

Récupération

Conclusion





* Introduction


Être une organisation apprenante n’est pas l’état spontané d’une organisation réelle . Pour accéder à un tel fonctionnement, une organisation doit dépasser le statut d’ institution dans lequel elle risque souvent de s’enfermer. Pour cela, elle doit connaître ses mobiles et les faire connaître sans vraie ni fausse honte. Mais elle doit aussi nouer un dialogue entre ses nécessaires mobiles institutionnels et les motivations personnelles de ses participants. C’est à dessein que nous employons le terme de participant (partenariat interne) plutôt que celui de membre (du corps social) par l’ appartenance.


Seule la reconnaissance des motivations des individus peut les aider à devenir des Sujets au sens d’Alain Touraine ou des acteurs résolus . Parmi ces motivations, seule la motivation à l’apprentissage individuel peut donner une chance à l’organisation de devenir apprenante. Sinon, elle aura toujours mille et une raisons d’imposer ses mobiles à ses membres, au nom de leur appartenance. La contradiction entre l’apprentissage et l’organisation est la forme que prend la contradiction entre les mobiles et les motivations quand elle est abordée du point de vue de la formation ou de l’apprentissage.


L’entreprise, dite capitaliste, est la plus importante et la plus dynamique des organisations réelles de notre époque. Soyons clairs, parce qu’elle est totalement située dans le marché, le mobile de l’entreprise est le profit. Exprimé autrement: le profit est le revenu de l’entreprise , tout comme le salaire nominal est le revenu du travailleur salarié. Mais revenu du non-travail n’est pas synonyme de revenu sans travail . Pas plus qu’être salarié n’empêche de se constituer des revenus du non-travail qui sont toujours des revenus sans travail.


Toute organisation réelle doit respecter ses mobiles institutionnels. Ils sont la traduction psychologique des conditions de la survie de l’organisation dans une hypothèse méthodologique de reproduction simple de la société existante. Mais une organisation peut aussi et doit, dans un monde de complexité, tenir compte des motivations personnelles de ses participants. En outre, il est toujours possible à une entreprise de participer à des organisations virtuelles qui n’impliquent pas d’appartenance ni de contrainte de profit.


Les définitions qui suivent visent à créer une distance pour mieux nous abstraire de nos contraintes implicites. La crise du salariat provoque un chômage considérable, qui paraît une fatalité aux décideurs, du point de vue des mobiles de l’organisation réelle. Aujourd’hui comme hier, il n’y a pas de loi de reproduction automatique de la société . Que l’on recherche le profit pour l’entreprise (définition simple du capitalisme) tout en touchant son salaire (il n’y a plus guère de capitalistes purs) ou que l’on cherche à gagner le paradis pour son âme (définition simple de la Chrétienté) après avoir assuré la survie de son corps plein (mobile plus que motivation) rien n’assure la reproduction automatique de la société réduite aux mobiles de ses organisations. C’est ce que suggèrent les définitions suivantes.





Comté


(a) Un Comté est un domaine géographique dépendant d'un Comte. Le comté est resté une circonscription administrative dans la plupart des pays anglo-saxons. Un Comté dépend d’un Duché et se subdivise en Baronnies.

(b) Du fait des contradictions féodales , un Comte peut aussi est le vassal d’un autre Comte. Tandis qu’un Comte apanagé (Comtes de Forez ) ne dépend que du Roi.

(c) L’accession au titre de Comte par Simon de Montfort est révélatrice de ces contradictions. Simon de Montfort est un petit seigneur d’Île-de-France (actuel Montfort-l’Amaury) quand commence l’invasion du Languedoc par les seigneurs du Nord (langue d’oil) sous prétexte de Croisade contre les Cathares de l’Albigeois. Pour Pierre des Vaux-de-Cernay, il s’agit d’une Croisade des Pauvres. Des gens sans terre sont venus au pillage. Après la prise de Béziers, le pillage, le massacre (“Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens” disait l’abbé de Cîteaux) et l’incendie de la ville, le 22 juillet 1209, le vicomte Raimond-Roger Trencavel capitule à Carcassonne le 15 Août 1209. Sur proposition du légat du pape, avec accord des seigneurs croisés, Simon de Montfort se voit confier les terres des Trencavel. Après la défaite du comte de Toulouse et du comte de Foix (son vassal !) Simon de Montfort se fait attribuer leurs terres. A Pamiers, en 1212, une assemblée d’évêques, de seigneurs et de bourgeois élabore les statuts de ces domaines. Ces statuts font référence au roi de France et non pas au roi d’Aragon. Pierre II d’Aragon vient donc à la rescousse de Raimond VI de Saint-Gilles, comte de Toulouse. À Muret, le 12 septembre 1213, Pierre II d’Aragon est vaincu et tué. En 1215, sur demande du pape Innocent III, le IV ème concile de Latran prononce la déchéance de Raimond VI (ancien chef d’une croisade vers Jérusalem). Son Comté est attribué à Simon de Montfort.





Ouverture de la noblesse


(a) L’ouverture de la noblesse, particulièrement forte dans le Forez, désigne les différents mécanismes (guerre, alliance, achat, favori, essarts, auto-défense, usurpation, mérite, anoblissement) par lesquels des hommes qui ne sont pas nobles de naissance peuvent accéder à la tenure d’un fief et à la noblesse par la détention de lettres de noblesse.

(b) Jeanne d’Arc est un symbole des paysans qui ont rempli la fonction sociale affichée de la noblesse. Ne serait-ce que pour continuer à assumer leur fonction productive , ils assumaient la fonction guerrière quand les invasions (grandes ou petites) manifestaient la vacance de l’ auctoritas. C’est ce que Jeanne d’Arc rappelle au roi par le sacre de Reims. Son action est la dénonciation en acte des contradictions entre la domination sans phrase des guerriers et ses justifications théoriques ou théologiques par les prêtres. Il était normal que la Sorbonne, en la personne de Pierre Cauchon, la supprime au plus vite pour hérésie.





Vacance de la noblesse


(a) La noblesse avait un rôle de domination sur les populations serviles des communautés rurales des fiefs dont elle avait la tenure féodale. Tenir les serfs, exiger la corvée, éviter les fuites ou les défrichements sauvages, protéger le domaine des invasions proches ou lointaines, telles étaient la fonction guerrière de la domination sans phrase. Il s’agit de la violence physique , celle qui s’exerce, ou celle qui montre sa force, dans un spectacle social (tournoi, chasse à courre, chevauchées multiples) <<pour ne pas avoir à s’en servir (Louis Hubert Gonzague Lyautey, 1854-1934)>>.

(b) La domination avec phrase ou la violence symbolique , est celle qu’exercent les prêtres de la Chrétienté moyenâgeuse en justifiant le rôle du seigneur (à l’image de “Notre Seigneur Jésus-Christ”) par une fonction de protection voire d’évangélisation ou de “bras séculier” dans le combat de l’ Inquisition contre l’hérésie. Ainsi la corvée et les redevances se justifient par une division politique du travail qui n’est pas encore un contrat social (Jean-Jacques Rousseau) mais qui rentre dans un dessein divin.

(c) Une fois perçues les redevances féodales que cette fonction de protection prétendait justifier, il arrivait, parfois dans certaines régions, souvent dans d’autres, que les seigneurs et le service d’ ost soient absents quand les invasions barbares ou les grandes compagnies (Villandrando, Écorcheurs) ravageaient les terroirs. Telle est la vacance de la noblesse. Les initiatives paysannes (dont celle de Jeanne d’Arc) lui répondaient par une des causes de l’ouverture de la noblesse.

(d) L’inhibition des essarts en l’absence de grande émotion populaire comme les nouveaux ordres monastiques, le millénarisme ou les croisades des pauvres est une forme endémique de la vacance de la noblesse ou des monastères. Dans Le Nom de la Rose , le comportement de l’abbé, campé par Michael Lonsdale, montre que le défrichement et le sort des paysans voisins (dont la Rose dont on ne connaîtra pas le Nom) ne fait plus partie ni de sa motivation ni des mobiles de son institution bénédictine vouée à la copie des manuscrits prestigieux.





Justification pratique de la féodalité


(a) Foin des justifications religieuses, politiques et militaires, les Jacqueries et les émeutes populaires, même temporaires et vouées à l’échec, montrent que “ventre affamé n’a pas d’oreille”. Dans ces instants où le retour du refoulé , poussé par la défiance, se fait violence, toutes les autres justifications de la domination sont momentanément oubliées quand la servitude volontaire est désactivée.

(b) Dans ces “instants de vérité”, la seule justification pratique de la féodalité est celle de tenir la terre face à l’envahisseur et de donner un accès au sol pour les communautés rurales politiquement dominées. En période d’accroissement démographique, la pratique des essarts ou des défrichements forestiers est la justification pratique, sans phrases, de la féodalité. Cela suppose soit la capacité seigneuriale de faire des “avances” au sens de Quesnay, soit simplement la possibilité idéologique de laisser faire les initiatives paysannes ou monastiques. En somme, les justifications pratiques de l’Ancien Régime annoncent les nouveaux statuts du Tiers État après la Révolution Française. Les uns voudront devenir des entrepreneurs indépendants sur le marché. Les autres voudront vendre leur force de travail à qui fera les investissements et à qui leur fera l’avance du salaire nominal . Quelle est la justification pratique du capitalisme aujourd’hui ? Quels sont les équivalents contemporains des essarts ? L’employabilité ou la capacité d’initiative ?

(c) En cas de vacance de la noblesse , les défrichements sauvages, les résistances paysannes armées aux invasions ou l’afflux des bras disponibles vers les monastères montrent, par l’ouverture de la noblesse qui l’accompagne parfois, que la servitude volontaire suppose un minimum de justification pratique à l’état de fait. Quand la domination comme principe ne fonctionne plus comme discours de vérité ou comme principe d’intelligibilité , il lui faut un minimum de principe d’organisation pour se maintenir.





Essarts


(a) Les essarts désignent des terres essartées, c’est-à-dire défrichées par brûlage ou par arrachement du couvert végétal. Elles sont ensuite employées à la culture ou à l’élevage. Dans la toponymie (les noms des lieux), les défrichements se nomment: Essarts, Noailles, Usclades ou Tronches. Celui qui fait la tronche est un défricheur. Dans les Monts du Forez , le nom du village d’Essertines-en-Châtelneuf, où se trouve Le Chevallard , est tout un programme d’ essaimage ou d’ ouverture de la noblesse .

(b) Pour les serfs des domaines féodaux, le défrichement n’est pas un simple problème de mise en valeur de nouvelles terres. La division politique du travail n’est pas une simple division technique du travail . Car le défrichement sauvage est interdit aux Jacques. Il se fait toujours au détriment d’un territoire de chasse jalousement gardé pour sa valeur symbolique. Il n’est pas question de toucher à la “réserve” seigneuriale. Pas plus que le serf ne sacrifierait son lopin (hortus ou jardin). La réserve est au domaine ce que le Parc est au Château de Versailles. Le Parc est un Écrin pour le Château qu’il contient. L’un est le symbole de la culture, l’autre est le symbole de la nature, dominée. A fortiori le Parc des Écrins pour la culture de l’alpinisme issue des aristocrates anglais.

(c) Ce sont généralement des moines (bénédictins le plus souvent) qui obtiennent d’un seigneur le droit (la protection) d’installer une abbaye dans un “désert”. Cet établissement ou fondation est celui d’un nouvel ordre ou celui d’une dépendance (prieuré). Dans les deux cas, la fonction religieuse remplace le chaos naturel par un ordre culturel. Ce n’est pas le rôle du manant d’établir l’ordre (prêtre) ni de maintenir l’ordre (guerrier). C’est lui, le producteur fertile du produit net , qu’on maintient en place. Rejoindre une abbaye est, pour un serf, un moyen de coloniser de nouvelles terres. Mais cela suppose que le seigneur soit trop affaibli pour faire usage de son droit de suite ou trop attaché aux bénéfices de l’abbaye pour y voir ombrage, puisque les serfs sont “attachés à la glèbe”.

(d) Dans la seconde moitié du XIII ème siècle, les seigneurs remplacent les corvées par un cens ou une redevance en monnaie. Les lopins ou jardins des serfs se réduisent. La misère des travailleurs des villes marchandes et artisanales provoque des troubles (Bruges, Douai, Tournai, Provins, Rouen, Caen, Orléans, Reims, Béziers, Toulouse). Tout ceci manifeste une très grande difficulté à mettre en culture de nouvelles terres, pour parler comme Ricardo. Il semble que les raisons cumulées soient hautement symboliques (dont la réserve ou domaine réservé, l’institution et le Parc). Si le seigneur n’a pas les moyens de faire les “avances” pour parler comme Quesnay , les essarts spontanés des serfs remettent en cause toute la justification pratique de la féodalité .





Le Chevallard


La mobilité et l’ ouverture de la noblesse dans le Forez manifeste cette permanence de l’initiative paysanne pour sa propre sécurité, surtout en cas de vacance de la noblesse .

Des fermes fortifiées comme “ Le Chevallard ” sur la commune d’Essertines-en-Chatelneuf (42940) ou comme le château de Sauvain montrent que soit des paysans ont pris en charge leur propre sécurité, soit des petits seigneurs, vassaux ultimes, ne disposaient guère que d’une ferme fortifiée. Leur maisonnée ne différait guère de celle des fermes serviles.

Le même phénomène se retrouve dans beaucoup de paysages montagneux tout au long de la Chrétienté féodale.





Roche-en-Forez


(a) Les Comtes de Forez qui ont abandonné leurs prétentions sur le Lyonnais en 1173 et qui doivent contenir la puissance des châtelains de Couzan entre 1108 et 1226, investissent les Monts du Forez . Dès 1201, ils confient à des moines de l’abbaye de La-Bénisson-Dieu (en Roannais) des pâturages autour de Roche-en-Forez. A la même époque est construit le Château de Talaru à Chalmazel.

(b) Nous avons une relation indirecte de ces défrichements, essarts ou essertines par les écrits d’ Anne d’Urfé , dans son “Portrait du Pays de Forez”. Le texte est écrit trois siècles plus tard. Mais on y voit les forêts, les pâturages qui les remplacent, les vaches qu’on y élève et l’usage du lait qui en est fait.

(c) Le fromage de Roche-en-Forez a donné plusieurs variétés dont la fourme d’Ambert et la fourme de Montbrison, qui, comme son nom l’indique, est produite à Sauvain.

(d) La ferme fortifiée ou le château féodal rural du lieu-dit Le Chevallard (Essertines-en-Chatelneuf) n’est séparée du bourg de Roche-en-Forez que par les pentes du Chaudabrit (1077 m) face au mont Sémiol (1021 m). Dans ces parages, les alternances de défrichements et de reprise du couvert boisé ont multiplié les prairies dans les pins et les sous-bois de myrtilles, selon la proportion de souches en décomposition. De nombreuses fermes, isolées dans des bois profonds, sont autant d’occurrences de ce symbole qu’ Henri Pourrat nomme Le Château des Sept Portes .





Clôture


Les enclosures et la propriété privée du sol ne représentent pas la première forme de clôture. Même le paysan qui s’opposait farouchement aux enclosures possédait un jardinet enclos. Le “ clos” avait sa clôture. La symbolique de la clôture du jardin (garden ou hortus) est très forte.

(a) La clôture monastique est une forme monumentale de la ceinture de chasteté. Ceux qui entrent au couvent font voeux de chasteté . Les autres, sauf les enfants de choeur venus pour l’office divin, ne franchissent la clôture, n’y pénètrent (pénétration) que par violence. Le viol de clôture est un crime de lèse-majesté. Il est plus que cavalier d’enjamber le mur de clôture.

(b) Parfois la clôture est symbolique, immatérielle. Mais crime et châtiment ne disparaissent pas. Diane le rappelle à Orion comme à Actéon. Voir “Actéon déchiré par les chiens” de Titien à la National Gallery de Londres. Dans le cas d’ Artémis, Actéon ne s’est pas aventuré dans un jardin de cloître (hortus), mais dans la forêt sauvage (silva) où règne la vierge farouche, la nature inviolée, la neige sans trace des skieurs et des alpinistes.

(c) Avec la clôture, il peut s’agir d’une barrière sociale. C’est le cas pour la complainte “Le jardin qui est sur Saône”. On chante aussi cette clôture invisible dans les Pastourelles où la barrière sexuelle de la bergère vertueuse répond à la barrière sociale du trop séduisant seigneur.

(d) Le viol de clôture justifie toutes les vengeances privées. Au contraire, sa défense chevaleresque fait la renommée de Bayard.





Fondation


(a) Pour une personne privée, créer une fondation revient à affecter tout ou partie de sa fortune à une oeuvre désintéressée qui peut être utile au bien commun.

(b) Histoire. Cette pratique est l’héritière des fondations de béguinages, de monastères (La Chaise-Dieu ou l’ Escurial) voire d’ordres monastiques (Cluny, Cîteaux) tout au long de la Chrétienté. Des récits de fondation (Rome, Carthage, Troie) sont nombreux pour toute l’Antiquité, mais généralement tardifs, ils ne montrent pas la motivation des fondateurs. L’explication de la fondation de Carthage et du sacrifice de Didon était surtout un plaidoyer pro domo pour les prêtres de son Tophet et leur pratique des sacrifices humains à Baal. Une institution n’aime pas toujours les motivations de ses propres fondateurs. Elles l’interrogent probablement trop sur ses mobiles. Combien de << Ave Caesar !>> pour un <<Tu quoque ?>> ?

(B) Symbolisme et déviance de la fondation monastique.

(a) Le grand mouvement des fondations de monastères accompagne le millénarisme et les croisades. Cette effervescence reflète une émotion populaire, une grande peur. Une cause en est la pression démographique qui multiple les serfs sans lopins et les chevaliers sans fiefs. Elle se combine à une inhibition des défrichements par des interdits inconscients et par des habitudes coutumières.

(b) Les seigneurs sont des guerriers. Leur fonction est la tenure (tenir, garder) du domaine féodal du suzerain, l’invasion et l’occupation de ceux de l’ennemi (Albigeois, Maures) et l’exercice de la domination sur les serfs producteurs. Accroître la production, veiller à la productivité, se préoccuper de l’ employabilité des bras des vilains sont les cadets de leurs soucis. Ce ne sont pas les mobiles de leur institution . Leur formation guerrière est de garder ou de forcer les clôtures, pas de les déplacer ou les abolir. D’où une vacance de la noblesse qui remet en cause la justification pratique de la féodalité et provoque une profonde défiance populaire que l’ Inquisition a peine à contenir.

(c) Seule l’Église et plus précisément la papauté pouvait lancer de grandes mobilisations collectives. En cela, elle est l’héritière de la République puis de l’Empire Romain. Inspirée par les convictions sociales et les conceptions agraires des Gracques, la politique de colonisation suivie par la République romaine était de procurer aux plébéiens des terres nouvelles. Ce sont finalement les croisades qui élimineront une partie du surplus relatif de la population (serfs, guerriers) sur les tenures. Mais, ignorante du développement intensif, ne comprenant que la croissance extensive , la papauté n’avait pas déclaré de croisade contre la misère. Comme pour les guerriers, la production n’est pas le souci des prêtres ni du plus élevé d’entre eux. Au contraire, la papauté s’installait dans un luxe qui choquait autant à Rome qu’en Avignon. Par sa fonction institutionnelle, sa préoccupation était l’expansion géographique de la totalité chrétienne et l’unicité de son échelle hiérarchique interne (Querelle des Investitures ). D’où un profond désarroi populaire. Umberto Eco a diffusé et popularisé la connaissance de cette émotion populaire (Fracitelles, Apostoliques, Spirituels) avec Le Nom de la Rose et sa disputatio sur la pauvreté du Christ (Ubertin de Casale , Michel de Césène ).

(d) A l’impuissance des mobiles institutionnels pouvaient se substituer les motivations individuelles des fondateurs ou le chaos du retour violent des émotions refoulées. Dans une “Société bloquée” par la division politique du travail , soit les bruits du corps souffrant (ventre affamé n’a pas d’oreille) sont masqués par les bruits de la foule des Dolciniens et la fureur des armes des Croisés, soit une percolation des émotions est assurée par de véritables déviants institutionnels , des religieux parfois issus de familles nobles. La Chaise-Dieu est fondée en 1043 par Robert de Turlande, fils d’un chevalier auvergnat. Guerriers, prêtres et défricheurs, comme Robinson Crusoé ou comme Waris Dirie, ils osent assumer les trois fonctions . Dans certains cas, qui montrent une ouverture de la noblesse , ils agissent à la demande de celle-ci. Les Comtes de Forez font appel aux bénédictins de La Bénisson-Dieu (près de Charlieu dans la Loire) pour les essarts de Roche-en-Forez en 1201.

(e) Seuls des prêtres, en l’occurrence des moines, semblaient pouvoir fonder. Ensuite, les mobiles de l’institution se substituaient à la motivation du héros fondateur . Incapable de transformation, l’institution opérait une adaptation par la récupération de la déviance. Telle est la forme féodale et chrétienne de l’apprentissage organisationnel. Les réductions du Paraguay opéreront une véritable transformation, locale mais contagieuse, dans la division politique du travail. C’est pourquoi elles seront détruites, non sans peine, par des armées Espagnoles et Portugaises réunies. La Compagnie de Jésus sera dissoute par le Pape en 1773.





Récupération


(a) Toute innovation organisationnelle qui réussit dans son objectif partiel passe par une phase de diffusion par contagion et d’amélioration par émulation. Ensuite de quoi elle rentre dans l’ ordre des institutions par un mécanisme de récupération idéologique et politique. La motivation du héros fondateur ne peut se perpétuer dans les mobiles de l’institution ou de l’ organisation réelle . L’abbé que campe Michael Lonsdale dans Le Nom de la Rose n’a pas les motivations de Robert de Turlande mais une salutaire méfiance face à Bernardo Gui , le gardien des mobiles, qui pose toujours bien la bonne question.

(b) L’espoir d’une vie éternelle, exprimé par les Macchabées victimes d’une horrible répression a été récupéré par les prêtres de la religion concernée. Le sacrifice de Didon, dont la motivation nous est inconnue contrairement à celui de Cléopâtre, fut largement récupéré par l’idéologie des prêtres de Baal. Sur la foi de cet exemple fameux, ils imposèrent des milliers de sacrifices humains .

(c) La crise de l’ esclavage à Rome (saint Pierre), à Carthage (saint Augustin), en Grèce (saint Paul) comme dans toute l’Asie mineure (saint Jean, saint Irénée), après avoir servi de ferment à la diffusion des idées de Jésus de Nazareth sur l’émancipation, la liberté et la dignité, a trouvé sa résolution dans l’instauration du servage et dans la récupération de l’idée de Chrétienté pour maintenir (Constantin) ou ressusciter (Charlemagne, Charles-Quint) la totalité d’un Empire.

(d) Devant la vacance de la noblesse et les émotions populaires, de l’An Mille à la Guerre de Cent Ans, les initiatives de déviance organisationnelle que furent la fondation de l’abbaye de La Chaise-Dieu , Le Chevallard, les voix et les chevauchées de Jeanne d’Arc et, dans d’autres troubles, Le Château des Sept Portes , ont toutes fait l’objet d’une récupération organisationnelle. Restent pourtant des héros de légendes ou de romans qui, comme tout mythe, peuvent garder une possibilité de motivation. Reste aussi la connotation euphorique qu’ils donnent à la vision des paysages naturels ou urbains.

(e) Ce qui ne peut être récupéré, comme les réductions du Paraguay , doit être détruit. C’est du moins le point de vue de la totalité et de sa hiérarchie.





* Conclusion


Les difficultés de la Chrétienté féodale puis celles de la monarchie ou de l’Ancien Régime qui ont précédé tant la Révolution Française que l ’Économie de Marché , sont décrites dans le cycle historique Des Marchés et des Métiers.


Le mépris des prêtres et des guerriers pour les producteurs, le plus souvent serfs, est caractéristique de la domination féodale. Il est renforcé par la recherche de l’ élévation du Verbe et la dévalorisation de la chair. Il se retrouve dans toutes les sociétés hiérarchiques ou les totalités traditionnelles. Elles sont structurées par les trois ordres de la division politique du travail . Elles sont bloquées par la rigidité des mobiles des institutions en quête d’ éternité. Le fait que chacun y fasse son devoir d’état n’assure pas leur reproduction automatique. D’où une défiance que traduisent les émotions populaires.


Animés par une réelle déviance organisationnelle , des fondateurs se sont manifesté. Ils avaient une forte motivation pour trouver des solutions partielles. Leur réussite exemplaire a provoqué le développement rapide de leur modèle, par la contagion et par l’émulation. La fondation de l’abbaye de La Chaise-Dieu puis sa récupération par des prélats absentéistes sont un parfait symbole de ces mouvements monastiques successifs. Pendant quelques temps, la production prenait la priorité sur l’appropriation. Puis, tout rentrait dans l’ordre jusqu’à la prochaine émotion (écorcheurs, Jacqueries, etc).


C’est à cette domination, à ce refus de la reconnaissance, que les ministériaux, les artistes (artisans célèbres) et les marchands ont réussi à échapper, par la séduction. Dans le même temps, les projets totaux du millénarisme n’ont aboutit qu’aux bruits de la foule , à la fureur des armes et à l’horreur des bûchers de l’ Inquisition. Sans aucun projet délibéré, sans cible collective, mais par la multitude de leurs projets relatifs et partiels, souvent inconscients, toujours poussés (pulsion) par leurs machines désirantes , ils ont adapté la société, en provoquant tantôt une ouverture de la noblesse à leur profit tantôt la mise en place d’universaux concrets (équivalence des marchandises sur le marché par la monnaie) qui se moquaient de la Querelle des Universaux .


C’est par une considérable motivation à l’Apprentissage Individuel que, malgré les freins parfois brûlants (Giordano Bruno) de l’organisation, ils ont assuré le minimum d’ adaptation d’une société basée sur une culture qui se voulait sans ou au-dessus de la nature. Si une société simple tournée vers l’éternité pouvait se contenter d’une adaptation très chaotique, nos sociétés complexes à la recherche de la nouveauté auront besoin de cette capacité de transformation que l’on nomme Apprentissage Organisationnel.





* Voir aussi dans le glossaire



Apprentissage par adaptation

Apprentissage par transformation

Biens de luxe

Ciel Primitif

Contagion démocratique

Controverse de Valladolid

Domination comme principe

Échelle de Jacob

Escurial.

Fertilité

Fondateur d’une dynastie

Fondement

Fonder le réel

Guerre des Mercenaires

Guillaume d’Auvergne

Inquisition

Jardin

Jardin des délices

Jeanne d’Arc

Joachim de Flore

Las Casas

Lettres de noblesse

Noblesse

Parc

Parc de Versailles

Quartiers de noblesse

Réaction nobiliaire

Spartacus

Suzanne au bain

Suzanne et les deux vieillards

Thomas More





* Auteur


Hubert Houdoy



Créé le 20 Juin 1999





* Suite


L’Apprentissage Individuel





* Compléments


La Confiance et la Méfiance


La Défiance et le Refoulement


Les Mobiles et les Motivations


Comment définir l’Utopie ?


Économie Politique ou Géologie Politique





* Définitions


Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du R.A.D.









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Mise à jour: 16/07/2003