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La
Contradiction entre l’Apprentissage et l’Organisation
Racine
Ce document appartient au Cycle des Apprentissages Individuels et
Organisationnels.
Plan
Introduction
Comté
Ouverture de la noblesse
Vacance de la noblesse
Justification pratique
de la féodalité
Essarts
Le Chevallard
Roche-en-Forez
Clôture
Fondation
Récupération
Conclusion
Introduction
Être une organisation
apprenante n’est pas l’état spontané
d’une organisation réelle . Pour accéder
à un tel fonctionnement, une organisation doit dépasser le
statut d’ institution dans lequel elle risque souvent
de s’enfermer. Pour cela, elle doit connaître ses
mobiles et les faire connaître sans vraie ni fausse
honte. Mais elle doit aussi nouer un dialogue entre ses nécessaires
mobiles institutionnels et les motivations personnelles de
ses participants. C’est à dessein que nous employons le terme de
participant (partenariat interne) plutôt que celui de
membre (du corps social) par l’ appartenance.
Seule la reconnaissance des motivations des
individus peut les aider à devenir des Sujets au
sens d’Alain Touraine ou des acteurs résolus
. Parmi ces motivations, seule la motivation à l’apprentissage individuel peut donner une
chance à l’organisation de devenir apprenante. Sinon, elle aura
toujours mille et une raisons d’imposer ses mobiles à ses
membres, au nom de leur appartenance. La contradiction entre
l’apprentissage et l’organisation est la forme que prend la
contradiction entre les mobiles et les motivations
quand elle est abordée du point de vue de la formation
ou de l’apprentissage.
L’entreprise, dite capitaliste, est la
plus importante et la plus dynamique des organisations réelles de notre
époque. Soyons clairs, parce qu’elle est totalement située
dans le marché, le mobile de l’entreprise est le
profit. Exprimé autrement: le profit est le
revenu de l’entreprise , tout comme le salaire
nominal est le revenu du travailleur salarié. Mais
revenu du non-travail n’est pas synonyme de
revenu sans travail . Pas plus qu’être
salarié n’empêche de se constituer des revenus du
non-travail qui sont toujours des revenus sans travail.
Toute
organisation réelle doit respecter ses mobiles institutionnels. Ils
sont la traduction psychologique des conditions de la survie de
l’organisation dans une hypothèse méthodologique
de reproduction simple de la société existante. Mais
une organisation peut aussi et doit, dans un monde de complexité, tenir
compte des motivations personnelles de ses participants. En outre, il est
toujours possible à une entreprise de participer à des
organisations virtuelles qui n’impliquent pas
d’appartenance ni de contrainte de profit.
Les
définitions qui suivent visent à créer une
distance pour mieux nous abstraire de nos contraintes
implicites. La crise du salariat provoque un
chômage considérable, qui paraît une fatalité aux
décideurs, du point de vue des mobiles de
l’organisation réelle. Aujourd’hui comme hier, il n’y
a pas de loi de reproduction automatique de la
société . Que l’on recherche le profit pour
l’entreprise (définition simple du capitalisme) tout en touchant
son salaire (il n’y a plus guère de capitalistes purs) ou que
l’on cherche à gagner le paradis pour son
âme (définition simple de la
Chrétienté) après avoir assuré la
survie de son corps plein (mobile plus que
motivation) rien n’assure la reproduction automatique de la
société réduite aux mobiles de ses organisations.
C’est ce que suggèrent les définitions suivantes.
Comté
(a)
Un Comté est un domaine géographique dépendant d'un
Comte. Le comté est resté une circonscription administrative
dans la plupart des pays anglo-saxons. Un Comté dépend
d’un Duché et se subdivise en Baronnies.
(b) Du fait des contradictions féodales , un
Comte peut aussi est le vassal d’un autre Comte. Tandis
qu’un Comte apanagé (Comtes de Forez ) ne
dépend que du Roi.
(c) L’accession au titre de Comte par
Simon de Montfort est révélatrice de ces contradictions. Simon
de Montfort est un petit seigneur d’Île-de-France (actuel
Montfort-l’Amaury) quand commence l’invasion du Languedoc par les
seigneurs du Nord (langue d’oil) sous prétexte de Croisade contre
les Cathares de l’Albigeois. Pour Pierre des
Vaux-de-Cernay, il s’agit d’une Croisade des Pauvres. Des gens
sans terre sont venus au pillage. Après la prise de Béziers, le
pillage, le massacre (“Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les
siens” disait l’abbé de Cîteaux) et l’incendie
de la ville, le 22 juillet 1209, le vicomte Raimond-Roger Trencavel
capitule à Carcassonne le 15 Août 1209. Sur proposition du
légat du pape, avec accord des seigneurs croisés, Simon de
Montfort se voit confier les terres des Trencavel. Après la
défaite du comte de Toulouse et du comte de Foix (son
vassal !) Simon de Montfort se fait attribuer leurs terres. A
Pamiers, en 1212, une assemblée d’évêques, de
seigneurs et de bourgeois élabore les statuts de ces domaines. Ces
statuts font référence au roi de France et non
pas au roi d’Aragon. Pierre II d’Aragon vient donc à
la rescousse de Raimond VI de Saint-Gilles, comte de Toulouse. À
Muret, le 12 septembre 1213, Pierre II d’Aragon est vaincu et
tué. En 1215, sur demande du pape Innocent III, le IV ème
concile de Latran prononce la déchéance de Raimond VI
(ancien chef d’une croisade vers Jérusalem). Son Comté est
attribué à Simon de Montfort.
Ouverture de la noblesse
(a) L’ouverture de la noblesse, particulièrement
forte dans le Forez, désigne les différents
mécanismes (guerre, alliance, achat, favori,
essarts, auto-défense, usurpation, mérite,
anoblissement) par lesquels des hommes qui ne sont pas nobles de naissance
peuvent accéder à la tenure d’un
fief et à la noblesse par la détention de
lettres de noblesse.
(b) Jeanne d’Arc est un
symbole des paysans qui ont rempli la fonction sociale
affichée de la noblesse. Ne serait-ce que pour continuer à
assumer leur fonction productive , ils assumaient la
fonction guerrière quand les invasions (grandes ou
petites) manifestaient la vacance de l’ auctoritas.
C’est ce que Jeanne d’Arc rappelle au roi par le sacre de Reims.
Son action est la dénonciation en acte des
contradictions entre la domination sans
phrase des guerriers et ses justifications théoriques
ou théologiques par les prêtres. Il était
normal que la Sorbonne, en la personne de Pierre Cauchon, la supprime au plus
vite pour hérésie.
Vacance de la noblesse
(a) La noblesse avait un rôle de domination sur les
populations serviles des communautés rurales des fiefs dont elle avait
la tenure féodale. Tenir les serfs, exiger la corvée,
éviter les fuites ou les défrichements sauvages, protéger
le domaine des invasions proches ou lointaines, telles étaient la
fonction guerrière de la domination sans phrase. Il s’agit de la
violence physique , celle qui s’exerce, ou celle qui
montre sa force, dans un spectacle social (tournoi, chasse à courre,
chevauchées multiples) <<pour ne pas avoir à s’en
servir (Louis Hubert Gonzague Lyautey, 1854-1934)>>.
(b) La
domination avec phrase ou la violence symbolique , est celle
qu’exercent les prêtres de la
Chrétienté moyenâgeuse en justifiant le
rôle du seigneur (à l’image de “Notre Seigneur
Jésus-Christ”) par une fonction de protection voire
d’évangélisation ou de “bras séculier”
dans le combat de l’ Inquisition contre
l’hérésie. Ainsi la corvée et les redevances se
justifient par une division politique du travail qui n’est pas encore un
contrat social (Jean-Jacques Rousseau) mais qui rentre dans un dessein divin.
(c) Une fois perçues les redevances
féodales que cette fonction de protection prétendait justifier,
il arrivait, parfois dans certaines régions, souvent dans
d’autres, que les seigneurs et le service d’ ost
soient absents quand les invasions barbares ou les grandes compagnies
(Villandrando, Écorcheurs) ravageaient les terroirs. Telle est la
vacance de la noblesse. Les initiatives paysannes (dont celle de Jeanne
d’Arc) lui répondaient par une des causes de l’ouverture de
la noblesse.
(d) L’inhibition des essarts en
l’absence de grande émotion populaire comme les nouveaux ordres
monastiques, le millénarisme ou les croisades des
pauvres est une forme endémique de la vacance de la noblesse ou des
monastères. Dans Le Nom de la Rose , le comportement
de l’abbé, campé par Michael Lonsdale, montre que le
défrichement et le sort des paysans voisins (dont la Rose dont on ne
connaîtra pas le Nom) ne fait plus partie ni de sa
motivation ni des mobiles de son
institution bénédictine vouée à
la copie des manuscrits prestigieux.
Justification pratique de la
féodalité
(a) Foin des justifications
religieuses, politiques et militaires, les Jacqueries et les émeutes
populaires, même temporaires et vouées à
l’échec, montrent que “ventre affamé n’a pas
d’oreille”. Dans ces instants où le retour du
refoulé , poussé par la
défiance, se fait violence, toutes les autres
justifications de la domination sont momentanément oubliées
quand la servitude volontaire est désactivée.
(b) Dans ces “instants de vérité”, la seule
justification pratique de la féodalité est celle de tenir la
terre face à l’envahisseur et de donner un accès au sol
pour les communautés rurales politiquement dominées. En
période d’accroissement démographique, la pratique des
essarts ou des défrichements forestiers est la
justification pratique, sans phrases, de la féodalité. Cela
suppose soit la capacité seigneuriale de faire des
“avances” au sens de Quesnay, soit simplement la
possibilité idéologique de laisser faire les initiatives
paysannes ou monastiques. En somme, les justifications pratiques de
l’Ancien Régime annoncent les nouveaux statuts du Tiers
État après la Révolution Française. Les uns
voudront devenir des entrepreneurs indépendants sur le marché.
Les autres voudront vendre leur force de travail à qui
fera les investissements et à qui leur fera l’avance du
salaire nominal . Quelle est la justification pratique du
capitalisme aujourd’hui ? Quels sont les équivalents
contemporains des essarts ? L’employabilité ou la capacité
d’initiative ?
(c) En cas de vacance de la
noblesse , les défrichements sauvages, les résistances
paysannes armées aux invasions ou l’afflux des bras disponibles
vers les monastères montrent, par l’ouverture de la noblesse qui
l’accompagne parfois, que la servitude volontaire suppose un minimum de
justification pratique à l’état de fait. Quand la
domination comme principe ne fonctionne plus comme
discours de vérité ou comme principe
d’intelligibilité , il lui faut un minimum de
principe d’organisation pour se maintenir.
Essarts
(a) Les
essarts désignent des terres essartées,
c’est-à-dire défrichées par brûlage ou par
arrachement du couvert végétal. Elles sont ensuite
employées à la culture ou à l’élevage. Dans
la toponymie (les noms des lieux), les défrichements se nomment:
Essarts, Noailles, Usclades ou Tronches. Celui qui fait la tronche est un
défricheur. Dans les Monts du Forez , le nom du
village d’Essertines-en-Châtelneuf, où se trouve Le
Chevallard , est tout un programme d’
essaimage ou d’ ouverture de la
noblesse .
(b) Pour les serfs des domaines
féodaux, le défrichement n’est pas un simple
problème de mise en valeur de nouvelles
terres. La division politique du travail n’est pas une
simple division technique du travail . Car le
défrichement sauvage est interdit aux Jacques. Il se fait toujours au
détriment d’un territoire de chasse jalousement gardé pour
sa valeur symbolique. Il n’est pas question de toucher à la
“réserve” seigneuriale. Pas plus que le serf ne
sacrifierait son lopin (hortus ou jardin). La réserve est au domaine ce
que le Parc est au Château de Versailles. Le Parc est un Écrin
pour le Château qu’il contient. L’un est le symbole de la
culture, l’autre est le symbole de la
nature, dominée. A fortiori le Parc des Écrins
pour la culture de l’alpinisme issue des aristocrates anglais.
(c) Ce sont généralement des moines
(bénédictins le plus souvent) qui obtiennent d’un seigneur
le droit (la protection) d’installer une abbaye dans un
“désert”. Cet établissement ou fondation est celui
d’un nouvel ordre ou celui d’une
dépendance (prieuré). Dans les deux cas, la
fonction religieuse remplace le chaos
naturel par un ordre culturel. Ce n’est pas le rôle du manant
d’établir l’ordre (prêtre) ni de maintenir
l’ordre (guerrier). C’est lui, le producteur fertile du
produit net , qu’on maintient en place. Rejoindre une
abbaye est, pour un serf, un moyen de coloniser de nouvelles terres. Mais cela
suppose que le seigneur soit trop affaibli pour faire usage de son droit de
suite ou trop attaché aux bénéfices de l’abbaye
pour y voir ombrage, puisque les serfs sont “attachés à la
glèbe”.
(d) Dans la seconde moitié du XIII
ème siècle, les seigneurs remplacent les
corvées par un cens ou une redevance
en monnaie. Les lopins ou jardins des serfs se réduisent. La
misère des travailleurs des villes marchandes et artisanales provoque
des troubles (Bruges, Douai, Tournai, Provins, Rouen, Caen, Orléans,
Reims, Béziers, Toulouse). Tout ceci manifeste une très grande
difficulté à mettre en culture de nouvelles terres, pour parler
comme Ricardo. Il semble que les raisons cumulées soient hautement
symboliques (dont la réserve ou domaine réservé,
l’institution et le Parc). Si le seigneur n’a pas
les moyens de faire les “avances” pour parler comme
Quesnay , les essarts spontanés des serfs remettent en
cause toute la justification pratique de la
féodalité .
Le
Chevallard
La mobilité et l’
ouverture de la noblesse dans le Forez
manifeste cette permanence de l’initiative paysanne pour sa propre
sécurité, surtout en cas de vacance de la
noblesse .
Des fermes fortifiées comme “
Le Chevallard ” sur la commune
d’Essertines-en-Chatelneuf (42940) ou comme le château de Sauvain
montrent que soit des paysans ont pris en charge leur propre
sécurité, soit des petits seigneurs, vassaux
ultimes, ne disposaient guère que d’une ferme fortifiée.
Leur maisonnée ne différait guère de celle des fermes
serviles.
Le même phénomène se retrouve dans
beaucoup de paysages montagneux tout au long de la
Chrétienté féodale.
Roche-en-Forez
(a) Les Comtes de Forez qui ont abandonné leurs
prétentions sur le Lyonnais en 1173 et qui doivent contenir la
puissance des châtelains de Couzan entre 1108 et 1226, investissent les
Monts du Forez . Dès 1201, ils confient à des
moines de l’abbaye de La-Bénisson-Dieu (en Roannais) des
pâturages autour de Roche-en-Forez. A la même époque est
construit le Château de Talaru à
Chalmazel.
(b) Nous avons une relation indirecte de
ces défrichements, essarts ou essertines par les
écrits d’ Anne d’Urfé , dans son
“Portrait du Pays de Forez”. Le texte est écrit trois
siècles plus tard. Mais on y voit les forêts, les pâturages
qui les remplacent, les vaches qu’on y élève et
l’usage du lait qui en est fait.
(c) Le fromage de Roche-en-Forez a donné
plusieurs variétés dont la fourme d’Ambert et la fourme de
Montbrison, qui, comme son nom l’indique, est produite à
Sauvain.
(d) La ferme fortifiée ou le
château féodal rural du lieu-dit Le Chevallard
(Essertines-en-Chatelneuf) n’est séparée du bourg de
Roche-en-Forez que par les pentes du Chaudabrit (1077 m) face au mont
Sémiol (1021 m). Dans ces parages, les alternances de
défrichements et de reprise du couvert boisé ont
multiplié les prairies dans les pins et les sous-bois de myrtilles,
selon la proportion de souches en décomposition. De nombreuses fermes,
isolées dans des bois profonds, sont autant d’occurrences de ce
symbole qu’ Henri Pourrat nomme Le
Château des Sept Portes .
Clôture
Les enclosures et la propriété
privée du sol ne représentent pas la première
forme de clôture. Même le paysan qui s’opposait farouchement
aux enclosures possédait un jardinet enclos. Le “
clos” avait sa clôture. La symbolique de la
clôture du jardin (garden ou hortus) est très
forte.
(a) La clôture monastique est une forme monumentale de la
ceinture de chasteté. Ceux qui entrent au couvent font voeux de
chasteté . Les autres, sauf les enfants de
choeur venus pour l’office divin, ne franchissent la
clôture, n’y pénètrent
(pénétration) que par
violence. Le viol de clôture est un
crime de lèse-majesté. Il est plus que cavalier
d’enjamber le mur de clôture.
(b) Parfois la clôture
est symbolique, immatérielle. Mais crime et châtiment ne
disparaissent pas. Diane le rappelle à Orion comme
à Actéon. Voir “Actéon déchiré par
les chiens” de Titien à la National Gallery de Londres. Dans
le cas d’ Artémis, Actéon ne s’est
pas aventuré dans un jardin de cloître (hortus), mais dans la
forêt sauvage (silva) où règne la vierge
farouche, la nature inviolée, la neige sans trace des skieurs et des
alpinistes.
(c) Avec la clôture, il peut s’agir d’une
barrière sociale. C’est le cas pour la complainte “Le
jardin qui est sur Saône”. On chante aussi cette clôture
invisible dans les Pastourelles où la barrière sexuelle de la
bergère vertueuse répond à la barrière sociale du
trop séduisant seigneur.
(d) Le viol de clôture justifie
toutes les vengeances privées. Au contraire, sa défense
chevaleresque fait la renommée de
Bayard.
Fondation
(a)
Pour une personne privée, créer une fondation revient à
affecter tout ou partie de sa fortune à une oeuvre
désintéressée qui peut être utile au bien commun.
(b) Histoire. Cette pratique est l’héritière des
fondations de béguinages, de monastères
(La Chaise-Dieu ou l’ Escurial) voire
d’ordres monastiques (Cluny, Cîteaux) tout au long de la
Chrétienté. Des récits de fondation
(Rome, Carthage, Troie) sont nombreux pour toute l’Antiquité,
mais généralement tardifs, ils ne montrent pas la
motivation des fondateurs. L’explication de la
fondation de Carthage et du sacrifice de
Didon était surtout un plaidoyer pro domo pour les
prêtres de son Tophet et leur pratique des
sacrifices humains à Baal. Une institution
n’aime pas toujours les motivations de ses propres fondateurs. Elles
l’interrogent probablement trop sur ses mobiles.
Combien de << Ave Caesar !>> pour un <<Tu
quoque ?>> ?
(B) Symbolisme et déviance
de la fondation monastique.
(a) Le grand mouvement des fondations de
monastères accompagne le millénarisme et les
croisades. Cette effervescence reflète une émotion populaire,
une grande peur. Une cause en est la pression démographique qui
multiple les serfs sans lopins et les chevaliers sans
fiefs. Elle se combine à une inhibition des
défrichements par des interdits inconscients et par des habitudes
coutumières.
(b) Les seigneurs sont des
guerriers. Leur fonction est la
tenure (tenir, garder) du domaine féodal du
suzerain, l’invasion et l’occupation de ceux de
l’ennemi (Albigeois, Maures) et l’exercice de la
domination sur les serfs producteurs. Accroître la
production, veiller à la productivité, se
préoccuper de l’ employabilité des bras
des vilains sont les cadets de leurs soucis. Ce ne sont pas les
mobiles de leur institution . Leur formation
guerrière est de garder ou de forcer les
clôtures, pas de les déplacer ou les abolir.
D’où une vacance de la noblesse qui remet en
cause la justification pratique de la féodalité
et provoque une profonde défiance populaire que
l’ Inquisition a peine à contenir.
(c)
Seule l’Église et plus précisément la
papauté pouvait lancer de grandes mobilisations collectives. En cela,
elle est l’héritière de la République puis de
l’Empire Romain. Inspirée par les convictions sociales et les
conceptions agraires des Gracques, la politique de colonisation suivie par la
République romaine était de procurer aux plébéiens
des terres nouvelles. Ce sont finalement les croisades qui élimineront
une partie du surplus relatif de la population (serfs, guerriers) sur les
tenures. Mais, ignorante du développement intensif, ne comprenant que
la croissance extensive , la papauté n’avait pas
déclaré de croisade contre la misère. Comme pour les
guerriers, la production n’est pas le souci des
prêtres ni du plus élevé d’entre
eux. Au contraire, la papauté s’installait dans un luxe qui
choquait autant à Rome qu’en Avignon. Par sa fonction
institutionnelle, sa préoccupation était l’expansion
géographique de la totalité chrétienne
et l’unicité de son échelle
hiérarchique interne (Querelle des
Investitures ). D’où un profond désarroi
populaire. Umberto Eco a diffusé et popularisé
la connaissance de cette émotion populaire
(Fracitelles, Apostoliques,
Spirituels) avec Le Nom de la Rose et sa
disputatio sur la pauvreté du Christ (Ubertin de
Casale , Michel de Césène ).
(d) A l’impuissance des mobiles institutionnels pouvaient se
substituer les motivations individuelles des fondateurs ou le
chaos du retour violent des émotions refoulées.
Dans une “Société bloquée” par la
division politique du travail , soit les bruits du
corps souffrant (ventre affamé n’a pas d’oreille)
sont masqués par les bruits de la foule des
Dolciniens et la fureur des armes des
Croisés, soit une percolation des émotions est
assurée par de véritables déviants
institutionnels , des religieux parfois issus de familles nobles. La
Chaise-Dieu est fondée en 1043 par Robert de Turlande, fils d’un
chevalier auvergnat. Guerriers, prêtres et défricheurs, comme Robinson Crusoé ou comme Waris Dirie, ils osent assumer les trois
fonctions . Dans certains cas, qui montrent une ouverture de
la noblesse , ils agissent à la demande de celle-ci. Les
Comtes de Forez font appel aux bénédictins de
La Bénisson-Dieu (près de Charlieu dans la
Loire) pour les essarts de Roche-en-Forez en
1201.
(e) Seuls des prêtres, en l’occurrence des moines,
semblaient pouvoir fonder. Ensuite, les mobiles de l’institution se
substituaient à la motivation du héros
fondateur . Incapable de transformation, l’institution
opérait une adaptation par la
récupération de la déviance. Telle est
la forme féodale et chrétienne de l’apprentissage organisationnel. Les
réductions du Paraguay opéreront une
véritable transformation, locale mais contagieuse,
dans la division politique du travail. C’est pourquoi elles seront
détruites, non sans peine, par des armées Espagnoles et
Portugaises réunies. La Compagnie de Jésus sera dissoute par le
Pape en 1773.
Récupération
(a) Toute innovation organisationnelle qui réussit dans son
objectif partiel passe par une phase de diffusion par
contagion et d’amélioration par
émulation. Ensuite de quoi elle rentre dans l’
ordre des institutions par un
mécanisme de récupération idéologique et
politique. La motivation du héros
fondateur ne peut se perpétuer dans les
mobiles de l’institution ou de l’
organisation réelle . L’abbé que campe
Michael Lonsdale dans Le Nom de la Rose n’a pas les
motivations de Robert de Turlande mais une salutaire
méfiance face à Bernardo Gui ,
le gardien des mobiles, qui pose toujours bien la bonne
question.
(b) L’espoir d’une vie
éternelle, exprimé par les Macchabées
victimes d’une horrible répression a été
récupéré par les prêtres de la
religion concernée. Le sacrifice de
Didon, dont la motivation nous est inconnue contrairement
à celui de Cléopâtre, fut largement
récupéré par l’idéologie des prêtres
de Baal. Sur la foi de cet exemple fameux, ils imposèrent des milliers
de sacrifices humains .
(c) La crise de l’
esclavage à Rome (saint Pierre), à Carthage
(saint Augustin), en Grèce (saint Paul) comme dans toute l’Asie
mineure (saint Jean, saint Irénée), après avoir servi de
ferment à la diffusion des idées de Jésus de
Nazareth sur l’émancipation, la liberté et la
dignité, a trouvé sa résolution dans
l’instauration du servage et dans la
récupération de l’idée de
Chrétienté pour maintenir (Constantin) ou
ressusciter (Charlemagne, Charles-Quint) la totalité
d’un Empire.
(d) Devant la vacance de la noblesse et les
émotions populaires, de l’An Mille à la Guerre de Cent
Ans, les initiatives de déviance organisationnelle que
furent la fondation de l’abbaye de La
Chaise-Dieu , Le Chevallard, les voix et les chevauchées de
Jeanne d’Arc et, dans d’autres troubles,
Le Château des Sept Portes , ont toutes fait
l’objet d’une récupération organisationnelle.
Restent pourtant des héros de légendes ou de
romans qui, comme tout mythe, peuvent garder une
possibilité de motivation. Reste aussi la
connotation euphorique qu’ils donnent à la
vision des paysages naturels ou urbains.
(e)
Ce qui ne peut être récupéré, comme les
réductions du Paraguay , doit être
détruit. C’est du moins le point de vue de la
totalité et de sa hiérarchie.
Conclusion
Les difficultés de
la Chrétienté féodale puis celles de la
monarchie ou de l’Ancien Régime qui ont
précédé tant la Révolution Française que l
’Économie de Marché , sont
décrites dans le cycle historique Des
Marchés et des Métiers.
Le mépris des
prêtres et des guerriers pour les producteurs, le plus souvent serfs,
est caractéristique de la domination féodale. Il est
renforcé par la recherche de l’
élévation du Verbe et la
dévalorisation de la chair. Il se retrouve dans toutes
les sociétés hiérarchiques ou les
totalités traditionnelles. Elles sont structurées par les trois
ordres de la division politique du travail . Elles sont
bloquées par la rigidité des mobiles des
institutions en quête d’
éternité. Le fait que chacun y fasse son
devoir d’état n’assure pas leur
reproduction automatique. D’où une
défiance que traduisent les émotions
populaires.
Animés par une réelle
déviance organisationnelle , des fondateurs se sont
manifesté. Ils avaient une forte motivation pour trouver des solutions
partielles. Leur réussite exemplaire a provoqué le
développement rapide de leur modèle, par la
contagion et par l’émulation. La fondation de
l’abbaye de La Chaise-Dieu puis sa récupération par des
prélats absentéistes sont un parfait symbole de
ces mouvements monastiques successifs. Pendant quelques temps, la production
prenait la priorité sur l’appropriation. Puis, tout rentrait dans l’ordre jusqu’à
la prochaine émotion (écorcheurs, Jacqueries, etc).
C’est à cette domination, à ce refus de la
reconnaissance, que les ministériaux,
les artistes (artisans célèbres) et les marchands ont réussi à échapper,
par la séduction. Dans le même temps, les
projets totaux du millénarisme n’ont aboutit
qu’aux bruits de la foule , à la fureur
des armes et à l’horreur des bûchers de l’
Inquisition. Sans aucun projet
délibéré, sans cible collective, mais
par la multitude de leurs projets relatifs et partiels, souvent inconscients,
toujours poussés (pulsion) par leurs machines
désirantes , ils ont adapté la société,
en provoquant tantôt une ouverture de la noblesse à leur profit
tantôt la mise en place d’universaux concrets (équivalence
des marchandises sur le marché par la monnaie) qui se moquaient de la
Querelle des Universaux .
C’est par une
considérable motivation à l’Apprentissage Individuel que, malgré
les freins parfois brûlants (Giordano Bruno) de l’organisation,
ils ont assuré le minimum d’ adaptation
d’une société basée sur une
culture qui se voulait sans ou au-dessus de la
nature. Si une société simple tournée
vers l’éternité pouvait se contenter d’une
adaptation très chaotique, nos sociétés complexes
à la recherche de la nouveauté auront besoin de cette
capacité de transformation que l’on nomme Apprentissage Organisationnel.
Voir aussi dans le glossaire
Apprentissage par adaptation
Apprentissage par transformation
Biens
de luxe
Ciel Primitif
Contagion démocratique
Controverse de Valladolid
Domination
comme principe
Échelle de Jacob
Escurial.
Fertilité
Fondateur d’une dynastie
Fondement
Fonder le réel
Guerre des Mercenaires
Guillaume
d’Auvergne
Inquisition
Jardin
Jardin des délices
Jeanne d’Arc
Joachim de Flore
Las Casas
Lettres de noblesse
Noblesse
Parc
Parc de Versailles
Quartiers de noblesse
Réaction nobiliaire
Spartacus
Suzanne au bain
Suzanne et les deux vieillards
Thomas
More
Auteur
Créé le 20 Juin 1999
Suite
Compléments
Les Mobiles et les Motivations
Économie Politique ou
Géologie Politique
Définitions
Les termes en
gras sont définis dans le glossaire alphabétique du
R.A.D.
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