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La mise en valeur mutuelle


Ce document est la suite de La Haine de l'Autre
* Plan

Introduction

1. La mise en valeur mutuelle

2. La conception euclidienne

3. L'abstraction

4. Productivité masculine absolue

5. Séductions masculine et féminine

Conclusion


* Introduction

A la fin de son épreuve décisive, Robinson découvre le cannibalisme primitif. Au risque de sa vie, il manifeste sa présence et sauve la vie de Vendredi. Robinson réprouve toute mort inutile. Il le montrera plus tard à Madagascar. Robinson est hostile à toute forme de fétichisme. Il le prouvera en Sibérie, dans la seconde partie de ses aventures. Ces faits montrent qu'il a changé ses représentations. Il s'est transformé par un long dialogue du verbe et de la chair. S'y combinent le travail, l'amour de l'île et la méditation.

Au cours de son épreuve glorifiante, Robinson est confronté au cannibalisme social. Les coutumes de son époque l'autorisent à se comporter à la fois comme esclavagiste, comme nationaliste, comme propriétaire foncier, comme employeur capitaliste ou comme guerrier conquérant. Dans chaque rapport social, il peut affirmer une domination. Il ne choisit aucun d'entre-eux. Il quitte l'île et la laisse à ses successeurs.

Ancien esclave à Sallé, puis esclavagiste naufragé, Robinson affronte la tentation du cannibalisme social. Vainqueur de ce combat, il accorde à Vendredi sa liberté. Il partage avec lui le travail et la culture.

Puis la population de l'île s'accroît considérablement. Reconnu gouverneur de l'île, Robinson surmonte le cannibalisme social des autres. Il maîtrise des marins mutinés qui voulaient se livrer au pillage et à la piraterie. Puis il leur fait grâce de la vie. C'est dire si ce long dialogue du verbe et de la chair, dans la mise en valeur mutuelle, lui a permis de résister à la tentation de l'amour du même. Ses formes sont pourtant multiples.


* 1. La mise en valeur mutuelle

Le projet de l'organisation Crusoé est la mise en valeur réciproque ou mutuelle entre Robinson et l'île. Dans ce projet qui crée des sujets, la réciprocité du verbe est aussi importante que la mise en valeur de la matière. Cette médiation entre l'individu et l'Univers n'a pas du tout le même but que l'ethnie, la nation, l'entreprise ou l'Etat qui furent les formes dominantes des organisations réelles. Les buts classiques des organisations réelles sont: la durée par l'accumulation, la recherche de l'éternité par la filiation, la recherche de la sécurité par l'alliance, la recherche du pouvoir par la domination, la recherche de l'influence ou de la puissance par la séduction. Ces buts imaginaires relèvent le plus souvent de la compulsion. Ils ne sont jamais atteints. Ils sont toujours repris.

L'organisation Crusoé ressemble plus aux réseaux socio-techniques des partenariats de demain qu'aux organisations marchandes, coloniales ou esclavagistes de l'époque où Daniel Defoe écrit "Robinson Crusoé". Son refus de la propriété préfigure le développement de l'économie de location, la plus compatible avec le développement en réseau.

La mise en valeur mutuelle est bien différente de la domination du verbe sur la chair. Car la mise en valeur mutuelle, entre un sujet conscient (l'individu Robinson) et une multitude de sujets inconscients (les machines désirantes de l'île de Robinson), reconnaît déjà une réciprocité de sujets.

Cette réciprocité n'est pas une dualité, comme pourrait l'être une domination de type sujet/objet. La dualité exclut tout autre terme que ceux de la dialectique. La relation de dualité est exclusive. Elle crée une totalité entre deux termes. Ce n'est pas ce qui se passe entre Robinson et son île. Ce n'est pas l'amour passion ni le travail pour l'appropriation des richesses. Sa relation montrera qu'elle n'est pas exclusive ni possessive. La réciprocité n'exclut pas d'autres termes. La relation des termes réciproques est en contact avec un extérieur de la relation. La relation de réciprocité crée une globalité.

Dans le cas de Robinson, la mise en valeur réciproque n'est pas de type marchand, faute de marché ou de propriété privée. La mise en valeur de l'île dépasse l'horizon vital de l'individu Robinson. Mais elle est le moyen de la mise en valeur des capacités de Robinson. La mise en valeur mutuelle est la base de l'organisation Crusoé. A partir de l'épisode de la pirogue, elle permet à Robinson de changer ses schémas de représentation.

L'organisation Crusoé remplace l'ethnie ou la nation. Elle élimine le phallocentrisme et l'anthropocentrisme qui tenaient lieu de motivation (domination et séduction ou rivalité, jalousie, haine). Robinson retrouve, sans phrases, ce que la culture ethnique refoulait depuis la préhistoire: la production de la nature par la nature. Robinson s'insère avec respect dans ce processus. Son intelligence consiste à combiner l'assimilation et l'accommodation. La solidarité de la matière et de l'information s'exerce en l'absence de conscience ou de pensée réflexive. Robinson se contente de mêler ses symboles aux signaux naturels. C'est ainsi qu'il noue une infinité de liens qui lui font un monde. Dans le monde de Robinson, les signaux de la nature sont des symboles affectifs pour Robinson et des signes utiles pour l'organisation Crusoé. A la réalité empirique (signaux) qui se passe de lui et qu'il pourrait subir, il combine la réalité indépendance qu'il interprète (signes). Il s'investit symboliquement dans la matérialité de l'île. Elle est son refuge quand il arrive. Elle est sa matière première quand il produit. Elle est sa partenaire quand ses forces s'ajoutent à la sienne. Elle est sa chair, par la consommation de leurs produits. Elle devient son esprit par sa méditation. Il ne crée pas ex nihilo, comme sur une table rase. La conception de Robinson n'oppose pas le plein et le vide. Elle n'est pas une conception comme création.

Par contre, dans l'organisation ethnique, la production du tissu social se fait par l'alliance et par la filiation, l'échange de femmes entre hommes. L'auto-production de la nature par la diversité est refoulée, au profit de la pensée du même. Le langage masculin fait de la nature un territoire et une matière première, une surface et une collection d'objets. L'illusion ethnique de l'engendrement de la société par elle-même dénie à la nature sa capacité d'auto-production relative. Avec le verbe, le langage masculin refoule les machines désirantes et s'attribue le premier moteur. Tandis que, dans le monde de l'imaginaire, la domination fait de la femme une marchandise, dans le monde de Robinson, l'amour fait de la nature une femme partenaire. Car la femme n'est pas un vase (vide) et la nature n'est pas une table rase (vide) pour y culbuter la première. La symbolique du plein et du vide.


* 2. La conception euclidienne

La conception euclidienne de l'espace, comme volume vide où se positionnent des formes géométriques pleines, est révélatrice. Elle reflète la production de cette première surface d'inscription. La conception euclidienne participe à la dichotomie du plein et du vide. Elle refoule le déjà-là du système naturel, comme la représentation peut refouler la présentation qui la permet. La conception euclidienne introduit, dans l'instrumentalité conceptuelle des mathématiques, la culture du verbe créateur ex nihilo: Soit un plan... Soit un point sur ce plan... Soit une droite dans ce plan... "Que le plan soit!". Et le plan fut. Nous avons déjà comparé le tissu social homogène de la filiation et de l'alliance à l'espace plan d'Euclide. Cette conception euclidienne de l'espace vide est aussi une théorie de l'engendrement de la société par elle-même, dans l'opposition de la nature et de la culture. Elle participe de l'illusion ethnique.

L'assemblée des hommes est une conception euclidienne. Le groupe s'engendre lui-même. L'ordre du discours est une théorie de l'engendrement de l'individu par lui-même. Il se pose en s'opposant. Il naît dans l'opposition duelle de son discours à celui de l'autre. Cette théorie confond la présentation (diachronie de la prise de parole) et la représentation (synchronie de la cohérence globale) dans l'oubli de la confrontation au réel (réfutation de la conjecture). Elle mène au scepticisme de la rhétorique. Lutte spectaculaire d'une cohérence apparente contre une cohérence apparente. Logos contre logos. "Mon papa est gendarme". `Moi, mon papa, il est pompier !". "Eh bien moi, mon papa, il est super-gendarme !!". Palabre, joute oratoire, débat de rhéteurs. Comme si l'arbitre du débat n'était pas déjà-là, avec sa capacité de réfutation. Il faudra Socrate pour lutter contre ce point de vue de sophistes. La prise de parole est importante. Mais elle n'est que conjecture. Tout le spectacle de la représentation sociale n'y changera rien. Le débat des rhéteurs devant la foule massée sur l'Agora est une affirmation collective de la supériorité de la culture sur la nature, de la domination du verbe sur la chair. Dans l'hommo-sexualité de Créon, il s'agit toujours de se payer de mots, entre hommes.

La conception euclidienne est aussi une théorie de l'engendrement du masculin par le masculin: par l'opposition du plein ou du vide, par la théorie cartésienne selon laquelle la femme n'est qu'un vase dans la conception. La conception euclidienne consiste donc à croire que le verbe se fait chair. De nos jours encore, malgré nos connaissances en embryologie qui dépassent largement les hypothèses formulées par Descartes, ("De la formation du foetus"), bien des illusions relatives au paramètrage dans l'usage des logiciels de Conception Assistée par Ordinateur laissent à penser que le mot conception pèse de tout le poids de ses connotations phalliques.

Un raisonnement de conception n'est pas l'isomorphe d'un processus de production. Utilisant la force des connotations, les menus déroulants des logiciels de C.A.O. investissent un vocabulaire dérivé de celui de la production (cut, rib, corner, round). Mais il y aura toujours une distance, une coupure, entre la production du raisonnement dans le domaine du verbe et la production de la pièce dans le domaine de la matière. C'est l'inévitable coupure du verbe et de la chair, qui ne dialoguent que dans l'individu. Qu'il médite ou qu'il travaille. Admettre cette coupure, c'est ce libérer des connotations trop prégnantes et mieux comprendre ce qui différencie et rend complémentaires:

La force de l'abstraction ne doit pas supprimer les différences. Elle doit les classer. Faut-il que la peur de l'autre soit forte pour provoquer un tel amour du même?


* 3. L'abstraction

Comment peut-on confondre un raisonnement théorique et une transformation matérielle avec tant de facilité? C'est encore par un usage exclusif de l'abstraction. Cet usage, cet abus de langage, sont inscrits au plus profond de notre usage inconscient de la langue par la pensée. Ils sont au coeur de nos mécanismes de compréhension. Là où la présentation et la représentation s'enchevêtrent. Là où le signe est solidaire du symbole. Là où l'affect et la représentation sont indissociables.

Les différences entre le monde du raisonnement (logos, verbe), le monde de la production (transformation matérielle) et le monde de la reproduction humaine (chair) doivent être reconnues. Le même terme de conception les recouvre et les charge de connotations. Ces différences sont masquées par le processus d'abstraction. Sa nature et son usage doivent être précisés.

L'abstraction consiste dans la suppression de certaines déterminations considérées comme des détails non-significatifs. L'abstraction est le moyen de la généralisation. L'abstraction est une forme de l'induction. Cette dernière a été critiquée par David Hume et par Karl Popper.

L'abstraction permet d'élaborer une combinatoire de déterminations. Celles-ci sont très appréciées en taxinomie. De même, dans les Bases de Composants un ensemble de déterminations (critères, modalités, paramètres, fonctions, formes, cotes), rigoureusement définies, doit pouvoir caractériser chaque composant avec une garantie d'unicité. Par les déterminations qu'elle extrait de l'objet, l'abstraction prépare une formalisation des raisonnement symboliques. Grâce à quoi, l'instanciation des valeurs des variables génère une variété de résultats particuliers. Nous en avons donné un exemple avec la modélisation fondamentale d'une variante de la dynastie du levier.

Mais le raisonnement reste toujours au niveau de généralité permis/imposé par l'abstraction et ses outils: fonctions d'usage exprimées par des verbes, points et droites immatériels, formes géométriques simples. Le raisonnement de conception, parce qu'il est général (raisonnement oblige), ne peut aller jusqu'à la forme exacte de la pièce. D'où la distinction fondamentale entre les fonctions d'usage (décrites par des mots), les formes fonctionnelles (décrites par une géométrie encore paramétrable) et les formes technologiques (optimisées pour un produit unique, dans ses déterminations les plus précises, même s'il est reproduit en très grandes séries). En programmation-objet ou en théorie des classes, une classe (concept) a des instances multiples qui sont des objets. Chaque objet, bien que correspondant aux attributs de la classe, se différencie des autres par la valeur d'au moins une variable. Par contre, l'objet peut être en plusieurs exemplaires. Nous disons qu'il y a plusieurs occurrences du même objet. L'unicité (abstraite) d'un objet n'empêche pas la multiplicité de ses occurrences (matérielles ou logicielles).

Nous ne devons pas nous mystifier nous-mêmes par nos capacités d'abstraction. Il faut choisir entre la généralisation imaginaire du verbe (formes fonctionnelles) et les réalisations, matérielle (formes technologiques) ou charnelle (enfant), particulières.


* 4. Productivité masculine absolue

Pour Robinson Crusoé, dans la solitude de l'île du désespoir, tant la reproduction charnelle que l'illusion du verbe qui se fait chair, lui sont impossibles. L'une physiquement. L'autre psychiquement. Pour vivre, il doit aimer durablement. Pour aimer, il doit reconnaître un autre sujet. D'où le dialogue. Dialoguer amoureusement avec un sujet, c'est renoncer à le posséder. Dialoguer durablement, implique d'élaborer un projet commun. Un projet pour l'île est un paradoxe pour Robinson. Faire un projet, c'est rester dans l'île. L'épisode de la pirogue l'y contraint. Faire un projet pour l'île, c'est dépasser l'horizon de sa vie, locale ou globale. Robinson doit être dans l'île et ne pas être de l'île. C'est le paradoxe de Robinson. Pour vivre il doit intégrer la perspective de sa mort. Il ne peut pas être sédentaire ni propriétaire. Il doit renoncer à la propriété de l'île pour se l'approprier. C'est pourquoi il est un nomade moderne. Mais le paradoxe n'est qu'apparent, car la mort fait partie de la vie. Elle est une de ses conditions.

Robinson doit assumer le statut du nomade moderne sur les réseaux naturels. Il les aménage du mieux qu'il peut. Il n'a plus la moindre illusion d'appropriation ou d'affectation individuelle. Car la propriété suppose l'illusion de l'éternité par la filiation. Cet horizon infini de l'éternité est aussi ce qui rend absurde l'optimisation des choix intergénérationnels des économistes. Tout cela, instauré par la filiation et l'échange des femmes entre hommes, n'a plus de sens pour Robinson. C'est l'impossibilité ou l'absurdité de cette appropriation qui permet à Robinson de découvrir l'auto-production de la nature.

La production de la nature par la nature est la profonde solidarité qui lie Robinson aux systèmes naturels, si longtemps refoulés par la culture. Cette solidarité, reconnue, assumée, lui permet de profiter pleinement d'une culture re-visitée par la méditation. Robinson échappe à l'illusion ethnique du verbe se faisant chair. Il refuse l'engendrement de la société par elle-même, car il ne peut l'appliquer ni à l'individu Robinson ni à l'organisation Crusoé. A l'arrivée, très tardive, de Vendredi, (comme le fait remarquer Jacqueline Kelen, il pourrait être le fils de Robinson et de son île), l'individu Robinson ne pratiquera pas sur lui l'homosexualité de Laïos. A l'arrivée de nombreux naufragés, lui reconnaissant le titre de gouverneur, l'organisation Crusoé ne leur imposera aucun tribut, aucune taxe, aucune rente. Il ne pratique pas, non plus, l'hommo-sexualité de Créon.

Robinson évite un anthropocentrisme qui, combiné à la solitude, l'aurait conduit du désespoir à la folie. Seule la reconnaissance de la nature, refoulée par la culture ethnique, lui permet d'échapper à la solitude sociale. Loin du mythe du bon sauvage, peut-être serait-il pertinent de comprendre comment le contact avec la nature, par le silence qu'il impose au bavardage social, est un remède à bien des maladies dites mentales mais réellement sociétales. Robinson n'a ni le goût, ni le loisir, de se payer de mots entre hommes.

Le verbe et la chair, de même que la sémantique et la sémiotique qui les concernent, sont dans une relation de différence irréductible et de solidarité indissociable. Ce n'est pas le verbe qui se fait chair. Le verbe et la chair évoluent selon des mécanismes spécifiques. Ils cohabitent, de manière plus ou moins harmonieuse, dans chaque individu. L'un et l'autre participent au chaos structurant des machines désirantes. Leur solidarité indissociable se traduit par la convergence des organisations réelles englobées et des organisations potentielles englobantes. Historiquement, la solidarité du verbe et de la chair a été marquée par un primat de la pensée du même sur la pensée de la diversité. Cette priorité de l'homo sur l'hétéro peut correspondre à une étape au cours de laquelle se met en place un système de représentations. Mais l'amour du même a trop souvent montré sa parenté avec la haine de l'autre pour qu'il ne nous paraisse pas urgent de compléter la pensée du même par une pensée de la diversité. C'est ce que propose Luce Irigaray dans "Ce sexe qui n'en est pas un". Elle explore les causes de la profonde méconnaissance de la différence des sexes. Nous savons que cette stratégie d'ignorance ne va pas sans les quiproquos relatifs à toute conception.

L'échange des femmes entre hommes met en place une organisation homosexuelle de chasseurs-guerriers. Ils instaurent et perpétuent une relation de pillage à l'égard de la nature. La productivité naturelle relative, mais réelle (produit net), est niée au profit d'une productivité masculine absolue, mais fantasmatique (signifiant phallus, création ex nihilo). Des millénaires plus tard, les représentations sur ce point n'ont pas beaucoup évolué. Dans ses manuscrits mathématiques sur la plus-value, le calcul différentiel et la formation du foetus (selon Descartes), Karl Marx lui-même n'a pas échappé à cette recherche d'une génération spontanée ou d'une capacité productive, ex nihilo, propre à la force de travail. Le mythe de l'homme sur-naturel est si fascinant!


* 5. Séduction masculine et séduction féminine

Cet amour du même trouve ses racines dans la préhistoire. C'est pourquoi nous avons interrogé le mythe d'Oedipe et la prohibition de l'inceste pour comprendre quelle évolution particulière a suivi Robinson Crusoé pour échapper à l'illusion ethnique selon laquelle le verbe se fait chair. Pour Robinson, une culture sans nature est impossible.

Cet amour du même n'est pas sans lien avec le mimétisme, le conformisme et toutes les pratiques sexuelles qui le renforcent et le perpétuent (inceste, viol, pédophilie, bizutage). La pédérastie de la Grèce classique instaure la domination sexuelle sur les jeunes garçons comme apprentissage de la domination sexuelle sur la femme. En même temps, elle instaure fantasmatiquement le règne du logos, le verbe capable de dominer la chair. Curieusement, si l'homosexualité trouble l'ordre social, c'est parce que l'hommo-sexualité fonde cet ordre social. L'hommo-sexualité de Créon, plus que l'homosexualité de Laïos, instaure la domination sur les femmes, sur les enfants et sur les esclaves qui leur sont assimilés. En latin, le même mot (puer) les désigne.

La reconnaissance de trois niveaux d'organisation nous permet de nuancer une critique de la pédérastie et de la phallocratie, comme elle nous a permis de critiquer la version courante de la prohibition de l'inceste. La distinction des trois niveaux (individuel, ethnique, naturel) nous évite de retomber dans le discours normalisateur dont l'effet est de cacher la motivation profonde de notre organisation sociale. Contrairement à ce qu'affirment certains discours, qui produisent la norme dont ils se réclament, l'homosexualité déclarée n'est pas ce qui perturbe l'ordre social. Par contre, l'hommo-sexualité latente est ce qui organise l'ordre social. Cet amour du même organise la production et la reproduction fantasmatique du même par le même. Par la pensée du même, il est à l'origine de l'économie du même.

Nous avons décrit comment la dialectique de la domination guerrière et de la séduction marchande a contribué à la genèse du capitalisme. Avant de s'inscrire dans la division politique du travail et la division sociale du travail, la domination et la séduction ont marqué la division sexuelle des rôles dans la société. Il faudrait donc faire une genèse de la séduction à partir de la domination. Contentons-nous de noter que l'existence de la personnalité individuelle reflète la diversité naturelle. L'abstraction et la pensée du même refoulent cette diversité. La destruction de la personnalité profonde par le refoulement de la diversité est un effet de la domination. Mais pourquoi la domination?

La domination n'est pas d'abord la domination de X sur Y. Car le dominant est un dominé. Comme le violeur est un violé et comme le violent est un violenté. La domination est un système du même: la domination vient du même; la domination reproduit le même. La domination est la domination du même, avant d'être la domination du masculin. Il est indéniable qu'un langage masculin refoule le féminin comme diversité. Mais il refoule toute diversité. Non seulement il perpétue une méconnaissance de la différence des sexes, mais il entretient un amour du même dans tous les domaines. Bien au-delà de l'ignorance, la haine de l'autre est une méconnaissance totale. La haine de l'autre, de tout autre, est le refus de toute différence.

Dans l'origine de l'Oedipe, l'homosexualité de Laïos joue un rôle considérable. Car la séduction de Chrysippos (enfant) par Laïos (adulte) est la cause de la malédiction qui tombe indistinctement sur Laïos, le coupable, mais aussi sur Jocaste et sur Oedipe. C'est pourquoi, dans l'usage que nous faisons du concept de séduction, il importe de différencier la séduction féminine (de la femme adulte à l'homme adulte, ou du marchand de biens de luxes aux seigneurs dominants) de la séduction masculine (du mâle adulte à l'enfant immature). Dans les lycées, dans les casernes, dans les usines, dans les gymnases, dans les I.M.P., la séduction masculine participe à la domination. Elle est le principal levier de la reproduction de la pensée du même par le conformisme social. Comme dans l'ethnie, elle manifeste l'appartenance de la chair, des corps des individus, à l'organisation. La chair appartient au verbe. Par contre, la séduction féminine est une stratégie de survie ou d'adaptation imposée par la domination masculine.


* Conclusions

En guise de conclusion.

Nous voudrions faire une remarque sur une actualité brûlante. Au cours des années récentes, le mouvement de libération des femmes a obtenu la condamnation d'une pratique criminelle qui passait trop facilement pour une plaisanterie. (cf le film "Sans mobile apparent"). Il s'agit du viol de la femme adulte par l'homme adulte. D'où une revendication légitime:

"Les corps n'appartiennent pas à l'organisation. Les corps appartiennent aux individus".

Ce mouvement commence à porter ses fruits. Même si des avocats spéculateurs savent les diriger vers leur compte en banque. Ce mouvement doit être poursuivi. Il doit être généralisé à la défense de toutes les diversités. Il doit porter la condamnation de toutes les formes de la haine de l'autre.

Il est important de comprendre que "le verbe se fait chair" est la formulation d'une illusion ethnique très ancienne. Ses effets sont considérables dans tous les domaines de la vie. Cette illusion ne parasite pas seulement les discussions sur le paramètrage en C.A.O.. Cette illusion est à la base de beaucoup de fantasmes technologiques. Elle est le fond de la croyance au déterminisme technologique. A commencer par celui de Marx et Engels. Cette illusion provoque des passages à l'acte dans bien d'autres domaines. La protection, active ou passive, dont bénéficient des pédophilies dans le monde du Verbe (Justice, Église, Enseignement) est la sinistre illustration de la permanence de cette illusion. L'organisation pardonne beaucoup plus facilement la déviance libidinale que la déviance organisationnelle. Laïos et Créon partagent le même fantasme, le fantasme du même. Laïos passe à l'acte, tout seul. Créon a besoin de prétextes institutionnels. Il les trouve dans la raison d'Etat.

En guise de perspectives

Le rapport du verbe et de la chair semble connaître deux types de développement:

Hubert Houdoy

Créé le 29 Mai 1998


* Précédents

Economie du temps

Robinson Crusoé


L'île de Robinson

Le travail comme narration

Propriété ou possession

Trois niveaux d'Organisation

Oedipe, Fatalité ou Parcours?

Une lecture familiale d'Oedipe

Comment le verbe se fait chair

L'Amour du Même

La Haine de l'Autre


* Suites

Avec Manon Arcand

S'initier à la méditation

Avec Louise Vandelac

Production et reproduction


* Compléments

Thématique de la Civilisation

Thématique de la Globalité

Thématique de la Totalité


* Bibliographie

Vie et aventures de Robinson Crusoé

Daniel Defoe

Maxi-Poche, Classiques étrangers

Bookking International, Paris, 1996

Tome 1, 348 pages, 10 Francs

Tome 2, 315 pages, 10 Francs

Ce sexe qui n'en est pas un

Luce Irigaray

Collection Critique

Les Éditions de Minuit

Paris, 1977

217 pages

d'où sont issues, pour le glossaire du R.A.D., les définitions suivantes: Production du logos, Langage des solides, Premier moteur, Psychanalyse historique, Discours de la femme, Langage masculin, Économie du même, Syntaxe du féminin, Féminin comme diversité, Méconnaissance de la différence des sexes, Système patriarcal, Fonction historique de la psychanalyse, Hommo-sexualité, Femme-marchandise, Féminité honteuse, Homme sur-naturel, Généalogie du pouvoir patriarcal,

L'Anti-Oedipe

Capitalisme et schizophrénie

Gilles Deleuze, Félix Guattari

Les Éditions de Minuit

Paris, 1972

L'éternel masculin

Traité de chevalerie à l'usage des hommes d'aujourd'hui

Jacqueline Kelen

Robert Laffont

Paris, 1994

354 pages

109 Francs

L'embryo-économie du vivant...

ou du numéraire aux embryons surnuméraires

Louise Vandelac

in: Le magasin des enfants

Jacques Testart, (sous la direction de)

Éditions François Bourin

Paris, 1990

S'initier à la méditation

Guide pour débutants

Manon Arcand

Le jour, éditeur

Québec, 1997


* Définitions

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Mise à jour: 16/07/2003