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Le Travail comme Narration




* Cycle


Cycle “Robinson Crusoé”





* Plan


Introduction

1. Le réseau physique naturel

2. Le produit net comme don naturel

3. Le don social

4. La temporalité des projets

5. Présuppositions et consécutions

6. Le récit de l’activité

Conclusion





* Introduction


“Le Travail comme Narration” est la suite de L’île de Robinson. Nous nous proposons d’étudier comment Robinson concilie la diversité de ses métiers, la simultanéité des processus de l’île et la succession de ses travaux, avec la temporalité du système naturel.


Faute de salariat et de marchés, la relation qu’entretiennent la gestion du temps de Robinson et la production des richesses de l’île ne ressemble pas à celle qui nous paraît trop évidente sous les termes de valeur d’échange ou de prix des marchandises. Pour Robinson, régi par la valeur d’usage, son travail n’aboutit pas à un échange sur un marché. C’est directement que Robinson échange avec la nature . Ce contrat implicite est d’un autre type que le contrat social. On pourrait aussi bien dire que cette lutte contre la nature n’est pas identique à la lutte des classes. Mais cette communication et cet échange, en partie polémiques, en partie contractuels, constituent, avec la fonction symbolique, une dimension sémiotique propre à l’humanité. Dans le silence propice de sa solitude, Robinson ne pouvait manquer cette dimension. Le dialogue intérieur des instances de la personnalité de Robinson ne peut se distinguer de son dialogue avec l’Univers. Il est, tout à la fois, dialogue gestuel du travailleur courbé sur la terre, dialogue risqué de celui qui affronte des éléments mortels et dialogue formalisé du chercheur qui interroge les mécanismes de la nature. Robinson assume les trois fonctions politiques de l’humanité, autant avec lui-même que face à l’immensité naturelle. Bénéficiaire d’un don naturel qui le qualifie comme être humain, Robinson est pris dans une communication contractuelle qui se déroule comme une histoire. La division et l’organisation de son travail ressemblent à la construction d’un récit personnel autant qu’historique.




* 1. Le réseau physique naturel


Pour Robinson, la mise en valeur de l’île consiste en l’élaboration d’un réseau d’automatismes biologiques. Il canalise les forces naturelles dans une direction qui lui est favorable. Il aménage le réseau physique pour obtenir un produit net propice à son activité. Par solitude comme par sagesse, le réseau physique sur lequel intervient Robinson reste très discret par rapport au réseau physique naturel de l’île. Mais nous pouvons généraliser la situation de Robinson.


Si artificiel soit-il, en apparence, le réseau physique du système productif de toute population organisée n’a pas d’autonomie véritable. Il est indissolublement solidaire d’un réseau physique naturel dans lequel il s’insère par des prélèvements matériels et énergétiques. Quand nous parlons de réseau physique et de réseau physique naturel, nous opérons volontairement une réduction matérialiste. Nous semblons sacrifier à l’économisme, comme nous prenions au mot le marxisme dans A la recherche des déterminations économiques de la valeur. Mais le réseau physique naturel n’épuise pas la définition de la nature ou de la réalité. Si la nature est la réalité que chaque génération humaine trouve déjà là, comme Robinson lorsqu’il échoue sur le rivage de l’île du Désespoir, elle ne se limite pas au monde naturel . Nous devons y inclure les langues naturelles . Pour être opposées, nature et culture n’en sont pas moins indissolublement liées. Cette solidarité peut se définir comme une relation de présupposition réciproque . La réalité naturelle initiale est donc, pour chaque génération humaine, le couple préalable: monde naturel-langue naturelle.


Le réseau physique de l’île fait partie du système englobant de la réalité. Il en reçoit soleil, marées, pluies et vents. Par opposition aux organisations humaines, ce réseau physique naturel est capable de fournir sans recevoir. C’est la notion physiocratique de produit net. Mais, pour transformer cette notion en un concept rigoureux, nous devons aller au-delà de l’intuition de Quesnay. Il faut utiliser pleinement le triple concept de nature.







* 2. Le produit net comme don naturel


Le produit net est un don naturel . Il est aussi le produit d’un travail . Ces deux points de vue sont inséparables dans une perspective de reproduction. Contrairement aux dons alimentaires de notre prime enfance, qui modèlent notre représentation du cadeau, ce don nous demande un travail. Non pas pour la propriété, mais pour l’appropriation. Le don n’est que l’amorce d’une relation.


Le système naturel est un donateur inéluctable. Comme destinateur, il transcende chaque génération humaine. Cette ressource permanente du réel est aussi une contrainte. Nous pouvons l’utiliser à notre avantage. Pourtant, dans notre propre intérêt, nous devons le maintenir dans une configuration adaptée à notre usage. Le don exige alors une forme de contre-don, la conservation, la maintenance, la mise en valeur. Les dimensions polémique (lutte contre/dans la nature) et contractuelle (don, contre-don produisant une culture) se mêlent dans toute nécessité. C’est en quoi notre culture est naturelle et notre nature est culturelle. Par notre culture, nous sommes solidaires du système physique naturel. Notre culture oriente nos transformations. Elle donne une forme précise et concrète au produit net.


En utilisant le système physique naturel, nous le modifions. Nous changeons les caractéristiques de ses ressources-contraintes. Nous remettons en cause la reproduction de notre culture. Et ce processus est sans fin. La définition de notre nature présuppose la définition de notre culture. La définition de notre culture présuppose la définition de notre nature. Cette solidarité nature-culture est une forme de présupposition réciproque . Elle est aussi une formulation du principe de réalité .


Chaque fois que nous modifions le système naturel, nous devons reprendre l’étude de ses nouvelles caractéristiques (réalité indépendante). Le don et le contre-don, échanges symboliques, enclenchent un processus cognitif. Le système naturel est une réalité spatio-temporelle en perpétuelle évolution:



Nous pouvons donc parler d’une temporalité de l’Univers . Sa temporalité englobante est une contrainte majeure. Un jour ou l’autre, toutes les autres temporalités (individu, organisations, humanité) devront se concilier avec elle. D’où l’importance du temps perdu , par rapport à la reproductibilité d’un certain produit net. Chaque fois que l’on peut constater un travail mal organisé , une absence de coopération, un manque de normalisation ou un défaut de concertation, on peut parler de temps perdu pour l’humanité, même si les conséquences ne sont pas toujours désastreuses.


Si Robinson avait perdu son temps au lieu de construire des clôtures, de cultiver du blé et de domestiquer un nombre suffisant de chèvres dans l’île, il aurait pu se trouver fort démuni par l’épuisement de ses munitions ou par la disparition du cheptel naturel. Il y a donc des rythmes et des contraintes qui, pour être inconscients, n’en sont pas moins réels. Ces rythmes et ces contraintes sont bien ceux que permet d’étudier l’hypothèse de reproduction du système physique. Pour cela, il ne faut pas isoler le système productif . Il faut le replacer dans le système naturel . Les conditions de la reproduction du système productif dans le système naturel font apparaître les contraintes d’une nouvelle temporalité. C’est cette temporalité que nous pouvons qualifier de temporalité de l’humanité . Contrairement au salariat, cette temporalité n’est pas liée à la valeur d’échange d’une marchandise mais à la valeur d’usage du produit net. C’est pourquoi l’exemple de Robinson nous permet de sortir des fausses évidences de l’Économie Politique.


Une des principales contraintes de l’englobement de la temporalité de l’humanité par la temporalité de l’Univers est le problème du prélèvement énergétique . Ce prélèvement est nécessaire pour développer la productivité relative du système productif. L’utilisation d’un certain type d’énergie, pour dégager un produit net, devrait être associée à une durée d’épuisement de la ressource énergétique correspondante. Chaque système énergétique a son propre horizon temporel et démographique. La méconnaissance de cet horizon a provoqué de nombreuses catastrophes historiques. A la fin de cette durée, un autre système productif doit être disponible pour utiliser une nouvelle source énergétique. La survie des générations à venir est fonction de notre capacité à inventer un nouveau système énergétique pendant que nous exploitons le système actuel. Quelle sera la suite de la série: bois, charbon, pétrole, uranium?


Ainsi, le concept de produit net, par le lien de solidarité qu’il introduit ou manifeste entre le monde naturel et la sémiotique naturelle, nous permet d’étudier l’environnement comme une globalité. Il évite la réduction de cette globalité à une totalité. La globalité est le constat de l’inéluctable ouverture. La totalité est l’illusion de la fermeture.


Nous définirons la sémiotique naturelle comme le couple formé par le monde naturel et les langues naturelles. Mais nous ne limiterons pas les langues naturelles à la définition linguistique des langues verbales. Tenant compte des leçons de l’anthropologie du geste, nous ajouterons aux sémiotiques linéaires (parole, écriture) les sémiotiques planaires (dessin, peinture), les sémiotiques spatiales (sculpture, CAO en 3 dimensions) et maintenant, les sémiotiques multimodales (le multimédia).


A toutes les échelles de la population, de l’individu à l’humanité, il est alors possible d’envisager les activités de production comme une des formes de la communication ou de l’ échange entre l’homme et la réalité naturelle. Il n’y a pas seulement transformation des matières premières fournies par le système physique naturel grâce aux sources énergétiques de même origine. Ce premier aspect aboutit au produit net. Il se déroule dans le monde naturel. Il s’agit d’une épreuve qualifiante. Elle donne à l’homme sa qualité humaine, ce mélange indissociable de nature et de culture. Ce don initial ou don naturel fait de la nature le Destinateur initial de l’humanité. Mais cette communication est aussi un contrat implicite . Elle établit l’amorce d’un cadre contractuel. C’est en cela que le Destinateur initial est un Destinateur manipulateur . Par ce don qu’il faut transformer, il manipule, il fait faire. En retour, pour perpétuer les avantages de ce don naturel, l’homme doit comprendre le fonctionnement du système physique naturel. Comme un autre sujet, il le questionne sur ses intentionnalités. On dit volontiers que la Science interroge la nature. C’est ainsi qu’elle teste la pertinence de ses représentations. D’où une transformation de la sémiotique naturelle qui accompagne celle du réseau physique naturel.


La démarche d’élaboration de conjectures cohérentes et leur soumission à des procédures de réfutation est une autre forme de communication entre l’homme et la nature. Dans les expériences scientifiques, en validant ou en réfutant les conjectures, la nature se comporte comme le Destinateur judicateur de ce conte merveilleux. La validation des conjectures scientifiques est une épreuve glorifiante, imposée par le Destinateur final . Elle aboutit à la double reconnaissance du Destinataire-sujet: (a) Reconnaissance quantitative de la survie possible de la population de l’humanité. (b) Reconnaissance qualitative de son humanité. Cette double reconnaissance est précédée par une double épreuve décisive. Elle concerne d’abord la transformation d’un système statique de connaissances en un procès dynamique d’actualisation d’instances du sujet (compétences). C’est le versant cognitif de la performance. Elle concerne aussi la réalisation de composants partiels de l’objet (pièces, produits, catalogues, systèmes énergétiques). C’est la transformation concrète du réseau physique naturel. Car le seul objet réel global est le réseau physique naturel de la réalité. Bien qu’appropriable, il échappe à toute propriété. Cet objet n’est pas totalisable.




* 3. Le don social


Considéré de cette manière, le langage structure la personnalité de l’individu, en permettant le dialogue des instances psychiques. La fonction symbolique structure aussi le dialogue intersubjectif. Elle structure enfin le projet de la société, quand elle accepte l’ouverture à la globalité, par le dialogue de ses institutions.


La totalité est l’illusion des organisations: totalité individuelle dans le narcissisme, totalité collective dans le totalitarisme. La renonciation à ce leurre permet le dialogue des sémiotiques. Mais ce dialogue exige leur formalisation.


Inversement, une manière de maintenir l’illusion de la totalité consiste à désinvestir une prétendue totalité pour reporter les investissements affectifs sur une organisation réelle ou potentielle plus vaste. Nous parlerons de l’élargissement de la totalité.


Deux phénomènes sont à distinguer:

On peut voir la mondialisation comme un élargissement de la totalité. Nous avons analysé le processus qui transférait la totalité organisationnelle du domaine féodal au royaume national. Il s’est accompagné d’un mouvement idéologique qui transformait le discours justificatif de la chrétienté en discours justificatif du marché.


L’élargissement de la totalité , de groupe humain restreint en groupe humain élargi, est une manière de ne pas reconnaître l’antériorité du milieu naturel sur les individus ou les organisations réelles. Pourtant, la nature est doublement antérieure ou transcendante par rapport à chaque génération humaine de mortels. En tant que monde naturel, la nature est le support matériel de toute existence humaine. Sans elle, aucune action ne serait possible. En tant que langue naturelle, la nature est un système sémiotique . Elle précède toute prise de parole ou tout procès sémiotique .




Renoncer à la totalité d’une organisation réelle implique d’ admettre la globalité d’une organisation potentielle plus vaste. On remplace alors la vérité hiérarchique, le dogme, de l’organisation sur elle-même par la cohérence et la pertinence du discours sur l’extérieur. Car si le don social amorce une communication entre les générations, la transmission est précédée d’une inéluctable transformation des connaissances. Une perspective dynamique interdit la transmission à l’identique. Encore faut-il reconnaître l’existence d’une extériorité. Le discours unique et totalisant de l’autorité est remplacé par une pluralité de discours. Car le double souci de cohérence et de pertinence mène à la discontinuité entre des discours multiples. D’où la multiplication des institutions sociologiques. D’où la multiplication des instances psychologiques. Elles nous protègent de nos tendances totalisantes ou totalitaires. Sur le plan de la signification, l’illusion de la totalité était maintenue par des glissements de sens ou des jeux de mots. Aujourd’hui, la formalisation des discours permet leur informatisation. Elle est un moyen du décloisonnement des institutions. Le conformisme dans la répétition de la parole du maître est remplacé par le dialogue de chacun avec le réseau collectif.




* 4. La temporalité des projets


Pour exceptionnel qu’il soit, l’exemple de Robinson nous permet de rapprocher la temporalité de l’humanité de celle d’une organisation réelle ou même de celle de l’individu. A lui seul, Robinson est avec son île, dans la situation de l’humanité face au réseau physique naturel. Périodiquement, la réalisation de ses projets anciens et la transformation de l’écologie de l’île l’obligent à faire un nouveau bilan des ressources-contraintes. Les besoins de l’ individu Robinson évoluent avec le développement des potentialités de l’ organisation Crusoé . Les potentialités de l’île dépendent de sa mise en valeur préalable. Cette spirale est sans fin. Et Robinson prépare de nouveaux projets.


Au plus haut niveau, un projet est l’ anticipation d’un nouveau système productif. Pour un horizon donné, un système productif se caractérise par un réseau physique matériel, un produit net attendu et un temps de travail global estimé. Un système productif est la quête d’un produit net, dans objet global, par un sujet collectif.


Par rapport à sa réalisation future, le projet lui-même est une autre temporalité. Mais c’est le projet qui prévoit la temporalité de son exécution. Robinson procède par raffinements successifs. Pendant que le projet avance, le processus prévu se dessine dans la tête de Robinson. Faute d’encre et de papier, le sable de la plage et le cerveau de Robinson sont les lieux de toutes les virtualités. Peut être aussi quelques maquettes en bois ou en glaise.


Nous distinguerons la temporalité du projet élaborant et la temporalité du processus résultant. Au début, la temporalité du processus se limite à un temps de travail global sur un certain horizon. Au fur et à mesure de la distribution, en temps partiels, du temps de travail global estimé pour le processus, Robinson définit les modalités concrètes, les formes des objets, les dates des coordinations et les procédures des activités. Même si Robinson est seul, il doit placer ses travaux dans une succession diachronique. Il les coordonne, dans la synchronie, avec les processus naturels de l’île.


La distinction entre diachronie et synchronie, succession d’instants et simultanéité d’actions, est relative à l’unité de mesure. L’image des deux axes est une simplification commode mais trompeuse. En fait, il y a fractalité dans la succession, en fonction de la définition de l’instant de base (seconde, minute, heure, jour, année). Il y a fractalité dans la simultanéité, en fonction de la définition de l’organisation réelle de base (neurone, muscle, individu, équipe autonome, atelier, usine, entreprise, bassin d’emploi, nation économique, monde économique).


Pour définir la temporalité et la matérialité d’un processus, Robinson ne procède pas de manière descendante (précision croissante) ni de manière ascendante (assemblage de solutions partielles) mais il utilise une démarche opportuniste qui combine les deux approches. La démarche de Robinson est d’autant plus opportuniste, qu’il assume tous les niveaux d’organisation qui vont de l’individu à l’humanité. Il doit donc souvent changer de système de formalisation. Car il n’existe pas de discours qui soit à la fois cohérent comme les mathématiques et totalisant comme le mythe. C’est probablement pourquoi la Genèse n’est pas isomorphe à la théorie du big bang. Et que ni l’une ni l’autre ne correspondent à notre univers quotidien et sa géométrie euclidienne.


Une formulation est toujours abstraite. Elle est relative à une unité de définition, à une échelle de résolution. Des phénomènes non traités, non prévus, peuvent se manifester et faire diverger la réalisation des prévisions du modèle. Il faut donc, non pas comparer les résultats aux prévisions, c’est alors trop tard, mais faire le bilan du nouveau processus et des nouveaux besoins qu’il fait émerger. On en déduit un nouveau projet. C’est pourquoi, contrairement à l’arithmétique pure, le temps concret est discontinu. Chaque projet crée un nouveau monde imaginaire. Un nouveau système de référence. Cette discontinuité fondamentale résulte de la production de la nature par la nature. Dieu n’a pas créé les éléments et les espèces en six jours. Le processus se déroule. Il faut que des étoiles se forment, brûlent et explosent pour que se constituent les atomes. Chaque processus crée un nouveau monde réel. Une nouvelle réalité. De nouvelles potentialités. Et les deux ne sont jamais parfaitement représentatifs l’un de l’autre. C’est pourquoi l’histoire de l’humanité ressemble aux récits d’un livre d’aventures.


Nous avons donc trois types d’activités, d’organisations et d’échelles de temps:



Ce sont ces différentes échelles de résolution qu’il faut coordonner. Mais il ne faut pas confondre la fractalité de la globalité réelle avec la hiérarchisation dans l’illusion de la totalité. L’organisation réelle se construit dans un processus de convergence vers l’organisation potentielle qu’elle actualise. L’organisation réelle ne peut pas réussir son projet de totalisation. Car elle ne peut produire sans transformer les conditions de sa reproduction. Et cela, seul, introduirait des discontinuités, même si la réalisation correspondait parfaitement à la prévision. Il est une phrase de Karl Marx, peut-être la seule, que j’approuve pleinement: “Les hommes veulent l’histoire qu’ils font; mais ils ne font pas l’histoire qu’ils veulent”. Entre déterminisme et volontarisme, nous avons le possibilisme et l’ intentionnalité.


Par exemple, le problème actuel est de trouver de nouvelles formes énergétiques pour pallier à la raréfaction des énergies fossiles. On peut parler, au plus haut niveau, du produit net du réseau productif mondial. Ce projet est un projet de longue haleine pour l’humanité. Il s’inscrit dans un objectif plus vaste, mais encore très flou, de survie et de développement de l’humanité. Cet objectif dépasse très largement l’espérance de vie de chacun d’entre nous. Pourtant, nous devons nous en préoccuper, ou ne pas faire d’enfants. Comme pour Robinson, il suppose d’assumer notre mortalité. Cet objectif est le seul moyen de raccrocher, les uns aux autres, les projets individuels des organisations réelles. Il va sans dire que nos enfants devront reformuler les problèmes que, pourtant, nous espérons poser pour eux.




* 5. Présuppositions et consécutions


Cette recherche d’énergies de substitution pour l’avenir définit un sujet (humanité) et un objet (système naturel terrestre) dans une relation de solidarité. Cette solidarité se manifeste par la définition du produit net. On peut parler de présupposition réciproque du sujet, de l’objet et de l’ horizon du projet.


Un projet met en oeuvre la présupposition. C’est ce qui caractérise sa temporalité. Bien que le déroulement du projet soit soumis à la diachronie positive (chronologie), son contenu s’organise, selon la démarche opportuniste, dans des diachronies alternées.


La production, réalisation du projet, met en pratique la consécution des processus imaginés. Elle se déroule sur l’axe chronologique traditionnel. Cette transformation temporelle est comparable aux processus, largement inconscients, que la sémiotique désigne sous le terme de structures narratives. C’est pourquoi nous parlons du travail comme d’une narration.


Dans un programme narratif complexe, la programmation temporelle est la conversion de l’axe des présuppositions en axe des consécutions (diachronie). L’axe des consécutions est parcouru dans l’ordre chronologique. Inversement, on remonte du programme narratif de base (état final voulu) à l’état initial, par une chaîne de présuppositions logiques, d’un programme narratif d’usage à un autre.


La programmation temporelle ne se confond pas avec la programmation textuelle qui peut s’accorder des libertés stylistiques ou esthétiques. De même, en conception, la description rationnelle du produit conçu ne respecte pas l’ordre chaotique apparent (opportuniste) de sa conception.


Cette temporalité opportuniste des présuppositions est de type fractal. Définir un projet quelconque conduit à tout un ensemble de projets partiels pour lesquels se définissent des objets partiels, des organisations partielles et des horizons englobés. Bien que totalement systématique, la décomposition récursive du problème de la Tour de Hanoi en est une bonne illustration.


De projet partiel en projet partiel, on descend dans l’échelle des horizons (succession ou diachronie), des sujets (simultanéité ou synchronie) et des objets (système productif mondial et son produit net, systèmes partiels, produits, pièces, formes multifonctionnelles). C’est ainsi que se précisent les valeurs d’usage comme on raconte les détails d’une histoire (programme narratif d’usage).


La conception se déroule sur un axe syntagmatique selon le principe de la présupposition. Tout cela est compliqué par des changements d’hypothèses pour aboutir à un graphe d'exploration des possibles. Sauf effet stylistique, lors de la textualisation, le récit se déroulera sur l’axe de la consécution. Parallèlement, la production s’accompagne d’un développement des connaissances. La capitalisation de ces connaissances se traduit par une complexification des classements paradigmatiques.


Nous avons donc trois échelles: échelle des horizons, échelle des sujets, échelle des objets. Depuis des années, nous avons pris l’habitude de nommer diachronie et synchronie les deux premières échelles. Comment peut-on préciser l’échelle des objets? En fait, il s’agit bien d’explorer la fractalité géométrique de la matière. Elle existe. Elle nous est encore largement inconnue. Elle nous impose et nous imposera ses contraintes. Nous cherchons aussi de quelle manière nous pouvons l’utiliser. Nous explorons les structures les plus petites (miniaturisation, particules élémentaires). Nous explorons les structures les plus grandes (galaxies, amas), au fur et à mesure de l’élargissement spatial de notre champ d’observation, d’expérimentation, de prélèvement et de transformation productive. Cette fractalité introduit encore des formes de discontinuité, par rapport à nos rêves de totalisation. Ce sont la globalité et la fractalité qui nous poussent à considérer le travail comme une narration. Il s’agit de l’histoire concrète de l’humanité. Une histoire débarrassée des préjugés idéologiques selon lesquels elle serait déjà écrite par l’Un ou par l’autre.


Avec la globalité, l’horizon est considéré comme variable. La diachronie comporte des ruptures. Sa continuité n’existe que de manière abstraite pour la durée du projet. Ensuite, ce n’est pas un cycle, mais une nouvelle temporalité, liée à un nouveau système.


Avec la globalité, le champ d’action est, lui aussi, variable. Il dépend du nombre des partenaires sur l’axe de la synchronie. Il n’est plus le monde abstrait du marché mais celui des partenariats concrets, des compagnons de route.


Avec la globalité, le temps et l’espace ne sont ni continus ni infinis comme dans la physique classique des artefacts. Ils sont fragmentés, discontinus, relatifs, fractaux.




* 6. Le récit de l’activité


L’activité de Robinson est un récit. Elle produit, de manière alternative, le sujet, l’objet et le projet. Ils sont tous trois changeants. Ce sont des potentialités qui s’actualisent successivement. C’est le rôle du mythe, comme du roman historique, de faire coïncider l’échelle de l’individu et celle de la globalité. Ils rendent signifiante, pour l’individu, cette globalité. Ils le font échapper à l’absurdité du chaos. Dans cette narration, le sens global et le sens partiel forment système. Certains détails font comprendre l’allure générale. Les grandes étapes expliquent la valeur particulière de tel détail. C’est probablement là que réside le secret de la signification: rassembler dans un détail la compréhension de l’ensemble. Et réciproquement. C’est un effet de l’ élasticité du discours.


Un récit se manifeste par un big bang. Avant le récit, il n’y a rien de ce type. Soudain: “Il était une fois...”. Cette simple formule fait apparaître:
















De la même manière, en généralisant la communication langagière à toutes les sémiotiques, le travail productif est une communication entre l’humanité et la nature. La discontinuité des temporalités provient de l’alternance, inévitable, des processus de production du produit net et des projets de reconception de ces processus de production. Cette communication est encore largement implicite. Mais c’est pourtant dans cette perspective que nous avons le plus de chances de comprendre les mécanismes de création de la valeur et des richesses.





* Conclusion


Le travail de Robinson s’oppose à un non-travail. Dans cette opposition des activités, une signification s’élabore. Pour Robinson, l’île est une organisation potentielle qui l’englobe. Par son projet, Robinson accepte un don naturel. Il fait de l’île une organisation réelle. Plus que d’autres, pour échapper au délire, il est astreint à la pertinence de ses représentations. En assumant la fonction productive, la fonction guerrière et la fonction signifiante, il accède au modèle de la responsabilité . Robinson limite ses ambitions, s’assigne un horizon économique, invente un mode de travail. Son mode d’appropriation et son type de socialité se manifestent dès qu’il n’est plus seul. Il corrige périodiquement ses ambitions. Chaque révision est une profonde remise en cause. Elle introduit de véritables ruptures dans son histoire. Seule la logique particulière du récit, où l’économie et la psychologie sont indissolublement liées, permet de rendre compte de cette temporalité particulière. Sa mise en valeur de l’île transcende sa propre existence. Son expérience est un mythe moderne puisqu’il symbolise la population de l’humanité. Mais son évolution personnelle concerne directement chacun de nous. Le roman décrit comment Robinson accède à une profonde humanité. La forme symbolique rejoint la réalité écologique et historique. Un rapport de présupposition réciproque fait de l’homme le héros et de la nature le Destinateur d’une même narration. Il nous reste à voir comment Robinson organise son appropriation pour échapper à la possession.


Hubert Houdoy

Créé le 1 Mars 1998

Modifié le 10 Juin 1998




* Suite


Propriété ou possession





* Précédent


L’île de Robinson





* Compléments


Thématique de la Civilisation

Thématique de la Globalité

Thématique de la Totalité


Statut de la valeur et de la plus value dans le cadre d'une articulation entre économie et psychanalyse





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* Bibliographie


Vie et aventures de Robinson Crusoé

Daniel Defoe

Maxi-Poche, Classiques étrangers

Bookking International, Paris, 1996

Tome 1, 348 pages, 10 Francs

Tome 2, 315 pages, 10 Francs





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Mise à jour: 16/07/2003