Réseau d'Activités à Distancerad2000.free.fr |
Vous lisez
http://rad2000.free.fr/travnarr.htm
Le Travail
comme Narration
Cycle
Plan
Introduction
1. Le
réseau physique naturel
2. Le produit net comme don naturel
3. Le don social
4. La temporalité des projets
5.
Présuppositions et consécutions
6. Le récit de
l’activité
Conclusion
Introduction
“Le Travail comme
Narration” est la suite de L’île de
Robinson. Nous nous proposons d’étudier comment Robinson
concilie la diversité de ses métiers, la
simultanéité des processus de l’île et la succession
de ses travaux, avec la temporalité du système naturel.
Faute de salariat et de marchés, la relation
qu’entretiennent la gestion du temps de Robinson et la production des
richesses de l’île ne ressemble pas à celle qui nous
paraît trop évidente sous les termes de valeur
d’échange ou de prix des marchandises. Pour Robinson, régi
par la valeur d’usage, son travail n’aboutit pas à un
échange sur un marché. C’est directement que Robinson
échange avec la nature . Ce contrat implicite est
d’un autre type que le contrat social. On pourrait aussi bien dire que
cette lutte contre la nature n’est pas identique à la lutte des
classes. Mais cette communication et cet échange, en partie
polémiques, en partie contractuels, constituent, avec la fonction
symbolique, une dimension sémiotique propre à
l’humanité. Dans le silence propice de sa solitude, Robinson ne
pouvait manquer cette dimension. Le dialogue intérieur des instances de
la personnalité de Robinson ne peut se distinguer de son dialogue avec
l’Univers. Il est, tout à la fois, dialogue gestuel du
travailleur courbé sur la terre, dialogue risqué de celui qui
affronte des éléments mortels et dialogue formalisé du
chercheur qui interroge les mécanismes de la nature. Robinson assume
les trois fonctions politiques de l’humanité,
autant avec lui-même que face à l’immensité
naturelle. Bénéficiaire d’un don naturel qui le qualifie
comme être humain, Robinson est pris dans une communication
contractuelle qui se déroule comme une histoire. La division et
l’organisation de son travail ressemblent à la construction
d’un récit personnel autant qu’historique.
1. Le réseau physique naturel
Pour Robinson, la mise en valeur de l’île consiste
en l’élaboration d’un réseau d’automatismes
biologiques. Il canalise les forces naturelles dans une direction qui lui est
favorable. Il aménage le réseau physique pour obtenir un
produit net propice à son activité. Par
solitude comme par sagesse, le réseau physique sur lequel intervient
Robinson reste très discret par rapport au réseau physique
naturel de l’île. Mais nous pouvons généraliser la
situation de Robinson.
Si artificiel soit-il, en apparence, le
réseau physique du système productif de toute population
organisée n’a pas d’autonomie véritable. Il est
indissolublement solidaire d’un réseau physique naturel dans
lequel il s’insère par des prélèvements
matériels et énergétiques. Quand nous parlons de
réseau physique et de réseau physique naturel, nous
opérons volontairement une réduction matérialiste. Nous
semblons sacrifier à l’économisme, comme nous prenions au
mot le marxisme dans A la recherche des
déterminations économiques de la valeur. Mais le
réseau physique naturel n’épuise pas la définition
de la nature ou de la réalité. Si la nature est
la réalité que chaque génération
humaine trouve déjà là, comme Robinson
lorsqu’il échoue sur le rivage de l’île du
Désespoir, elle ne se limite pas au monde naturel .
Nous devons y inclure les langues naturelles . Pour
être opposées, nature et culture n’en sont pas moins
indissolublement liées. Cette solidarité peut
se définir comme une relation de présupposition
réciproque . La réalité naturelle initiale est
donc, pour chaque génération humaine, le couple
préalable: monde naturel-langue naturelle.
Le
réseau physique de l’île fait partie du système
englobant de la réalité. Il en reçoit
soleil, marées, pluies et vents. Par opposition aux organisations
humaines, ce réseau physique naturel est capable de
fournir sans recevoir. C’est la notion physiocratique de produit net.
Mais, pour transformer cette notion en un concept rigoureux, nous devons aller
au-delà de l’intuition de Quesnay. Il faut utiliser pleinement le
triple concept de nature.
2. Le produit net comme don naturel
Le produit net est un don naturel . Il est
aussi le produit d’un travail . Ces deux points de vue
sont inséparables dans une perspective de
reproduction. Contrairement aux dons alimentaires de notre prime enfance,
qui modèlent notre représentation du cadeau, ce
don nous demande un travail. Non pas pour la propriété, mais
pour l’appropriation. Le don n’est que l’amorce d’une
relation.
Le système naturel est un
donateur inéluctable. Comme destinateur, il transcende
chaque génération humaine. Cette ressource permanente du
réel est aussi une contrainte. Nous pouvons l’utiliser à
notre avantage. Pourtant, dans notre propre intérêt, nous devons
le maintenir dans une configuration adaptée à notre usage. Le
don exige alors une forme de contre-don, la conservation, la maintenance, la
mise en valeur. Les dimensions polémique (lutte contre/dans la nature)
et contractuelle (don, contre-don produisant une culture) se mêlent dans
toute nécessité. C’est en quoi notre culture est naturelle
et notre nature est culturelle. Par notre culture, nous sommes solidaires du
système physique naturel. Notre culture oriente nos transformations.
Elle donne une forme précise et concrète au produit net.
En utilisant le système physique naturel, nous le
modifions. Nous changeons les caractéristiques de ses
ressources-contraintes. Nous remettons en cause la
reproduction de notre culture. Et ce processus est sans fin. La
définition de notre nature présuppose la définition de
notre culture. La définition de notre culture présuppose la
définition de notre nature. Cette solidarité
nature-culture est une forme de présupposition
réciproque . Elle est aussi une formulation du
principe de réalité .
Chaque fois
que nous modifions le système naturel, nous devons reprendre
l’étude de ses nouvelles caractéristiques
(réalité indépendante). Le don et le contre-don,
échanges symboliques, enclenchent un processus cognitif. Le
système naturel est une réalité spatio-temporelle en
perpétuelle évolution:
Nous
pouvons donc parler d’une temporalité de
l’Univers . Sa temporalité englobante est une contrainte
majeure. Un jour ou l’autre, toutes les autres temporalités
(individu, organisations, humanité) devront se concilier avec elle.
D’où l’importance du temps perdu , par
rapport à la reproductibilité d’un certain produit net.
Chaque fois que l’on peut constater un travail mal
organisé , une absence de coopération, un manque de
normalisation ou un défaut de concertation, on peut parler de temps
perdu pour l’humanité, même si les conséquences ne
sont pas toujours désastreuses.
Si Robinson avait perdu
son temps au lieu de construire des clôtures, de cultiver du blé
et de domestiquer un nombre suffisant de chèvres dans
l’île, il aurait pu se trouver fort démuni par
l’épuisement de ses munitions ou par la disparition du cheptel
naturel. Il y a donc des rythmes et des contraintes qui, pour être
inconscients, n’en sont pas moins réels. Ces rythmes et ces
contraintes sont bien ceux que permet d’étudier l’hypothèse de reproduction du
système physique. Pour cela, il ne faut pas isoler le
système productif . Il faut le replacer dans le
système naturel . Les conditions de la reproduction du
système productif dans le système naturel font apparaître
les contraintes d’une nouvelle temporalité. C’est cette
temporalité que nous pouvons qualifier de temporalité de
l’humanité . Contrairement au salariat, cette
temporalité n’est pas liée à la valeur
d’échange d’une marchandise mais à la valeur
d’usage du produit net. C’est pourquoi l’exemple de Robinson
nous permet de sortir des fausses évidences de l’Économie
Politique.
Une des principales contraintes de
l’englobement de la temporalité de l’humanité par la
temporalité de l’Univers est le problème du
prélèvement énergétique . Ce
prélèvement est nécessaire pour développer la
productivité relative du système productif. L’utilisation
d’un certain type d’énergie, pour dégager un produit
net, devrait être associée à une durée
d’épuisement de la ressource énergétique
correspondante. Chaque système
énergétique a son propre horizon temporel et
démographique. La méconnaissance de cet horizon a
provoqué de nombreuses catastrophes historiques. A la fin de cette
durée, un autre système productif doit être disponible
pour utiliser une nouvelle source énergétique. La survie des
générations à venir est fonction de notre capacité
à inventer un nouveau système énergétique pendant
que nous exploitons le système actuel. Quelle sera la suite de la
série: bois, charbon, pétrole, uranium?
Ainsi, le
concept de produit net, par le lien de solidarité qu’il introduit
ou manifeste entre le monde naturel et la sémiotique naturelle, nous
permet d’étudier l’environnement comme une
globalité. Il évite la
réduction de cette globalité à une
totalité. La globalité est le constat de
l’inéluctable ouverture. La totalité est l’illusion
de la fermeture.
Nous définirons la
sémiotique naturelle comme le couple formé par
le monde naturel et les langues naturelles. Mais nous ne limiterons pas les
langues naturelles à la définition linguistique des langues
verbales. Tenant compte des leçons de l’anthropologie du geste,
nous ajouterons aux sémiotiques linéaires (parole,
écriture) les sémiotiques planaires (dessin, peinture), les
sémiotiques spatiales (sculpture, CAO en 3 dimensions) et maintenant,
les sémiotiques multimodales (le multimédia).
A
toutes les échelles de la population, de
l’individu à l’humanité, il est alors possible
d’envisager les activités de production comme une des formes de
la communication ou de l’
échange entre l’homme et la
réalité naturelle. Il n’y a pas seulement transformation
des matières premières fournies par le système physique
naturel grâce aux sources énergétiques de même
origine. Ce premier aspect aboutit au produit net. Il se déroule dans
le monde naturel. Il s’agit d’une épreuve qualifiante. Elle
donne à l’homme sa qualité humaine, ce mélange
indissociable de nature et de culture. Ce don initial ou don naturel fait de
la nature le Destinateur initial de l’humanité.
Mais cette communication est aussi un contrat implicite .
Elle établit l’amorce d’un cadre contractuel. C’est
en cela que le Destinateur initial est un Destinateur
manipulateur . Par ce don qu’il faut transformer, il manipule,
il fait faire. En retour, pour perpétuer les avantages de ce don
naturel, l’homme doit comprendre le fonctionnement du système
physique naturel. Comme un autre sujet, il le questionne sur ses
intentionnalités. On dit volontiers que la Science interroge la nature.
C’est ainsi qu’elle teste la pertinence de ses représentations. D’où une
transformation de la sémiotique naturelle qui accompagne celle du
réseau physique naturel.
La démarche
d’élaboration de conjectures cohérentes et leur soumission
à des procédures de réfutation est une autre forme de
communication entre l’homme et la nature. Dans les expériences
scientifiques, en validant ou en réfutant les conjectures, la nature se
comporte comme le Destinateur judicateur de ce
conte merveilleux. La validation des conjectures
scientifiques est une épreuve glorifiante, imposée par le
Destinateur final . Elle aboutit à la double
reconnaissance du Destinataire-sujet: (a) Reconnaissance quantitative de la
survie possible de la population de l’humanité. (b)
Reconnaissance qualitative de son humanité. Cette double reconnaissance
est précédée par une double épreuve
décisive. Elle concerne d’abord la transformation d’un
système statique de connaissances en un procès dynamique
d’actualisation d’instances du sujet (compétences).
C’est le versant cognitif de la performance. Elle concerne aussi la
réalisation de composants partiels de l’objet (pièces,
produits, catalogues, systèmes énergétiques). C’est
la transformation concrète du réseau physique naturel. Car le
seul objet réel global est le réseau physique
naturel de la réalité. Bien qu’appropriable, il
échappe à toute propriété. Cet objet n’est
pas totalisable.
3. Le don social
Considéré de cette manière, le langage
structure la personnalité de l’individu, en
permettant le dialogue des instances psychiques. La fonction
symbolique structure aussi le dialogue intersubjectif. Elle structure
enfin le projet de la société, quand elle accepte
l’ouverture à la globalité, par le dialogue de ses
institutions.
La totalité est l’illusion des
organisations: totalité individuelle dans le narcissisme,
totalité collective dans le totalitarisme. La renonciation à ce
leurre permet le dialogue des sémiotiques.
Mais ce dialogue exige leur formalisation.
Inversement, une
manière de maintenir l’illusion de la totalité consiste
à désinvestir une prétendue totalité pour reporter
les investissements affectifs sur une organisation réelle ou
potentielle plus vaste. Nous parlerons de l’élargissement de la
totalité.
Deux phénomènes sont à
distinguer:
On peut voir la
mondialisation comme un élargissement de la
totalité. Nous avons analysé le processus qui transférait
la totalité organisationnelle du domaine
féodal au royaume national. Il s’est accompagné
d’un mouvement idéologique qui transformait le discours
justificatif de la chrétienté en discours justificatif du
marché.
L’élargissement de la
totalité , de groupe humain restreint en groupe humain
élargi, est une manière de ne pas reconnaître
l’antériorité du milieu naturel sur les
individus ou les organisations réelles. Pourtant, la nature est
doublement antérieure ou transcendante par rapport à chaque
génération humaine de mortels. En tant que
monde naturel, la nature est le support matériel de toute existence
humaine. Sans elle, aucune action ne serait possible. En tant que langue
naturelle, la nature est un système
sémiotique . Elle précède toute prise de parole
ou tout procès sémiotique .
Renoncer
à la totalité d’une organisation réelle
implique d’ admettre la globalité d’une
organisation potentielle plus vaste. On remplace alors la vérité
hiérarchique, le dogme, de l’organisation sur elle-même par
la cohérence et la pertinence du discours sur l’extérieur.
Car si le don social amorce une communication entre les
générations, la transmission est précédée
d’une inéluctable transformation des connaissances. Une
perspective dynamique interdit la transmission à l’identique.
Encore faut-il reconnaître l’existence d’une
extériorité. Le discours unique et totalisant de
l’autorité est remplacé par une pluralité de
discours. Car le double souci de cohérence et de pertinence mène
à la discontinuité entre des discours
multiples. D’où la multiplication des institutions
sociologiques. D’où la multiplication des instances
psychologiques. Elles nous protègent de nos tendances totalisantes ou
totalitaires. Sur le plan de la signification, l’illusion de la
totalité était maintenue par des glissements de sens ou des jeux
de mots. Aujourd’hui, la formalisation des discours permet leur
informatisation. Elle est un moyen du décloisonnement des institutions.
Le conformisme dans la répétition de la parole du maître
est remplacé par le dialogue de chacun avec le réseau collectif.
4. La temporalité des projets
Pour exceptionnel qu’il soit, l’exemple de Robinson
nous permet de rapprocher la temporalité de l’humanité de
celle d’une organisation réelle ou même de celle de
l’individu. A lui seul, Robinson est avec son île, dans la
situation de l’humanité face au réseau physique naturel.
Périodiquement, la réalisation de ses projets anciens et la
transformation de l’écologie de l’île
l’obligent à faire un nouveau bilan des ressources-contraintes.
Les besoins de l’ individu Robinson
évoluent avec le développement des
potentialités de l’ organisation
Crusoé . Les potentialités de l’île
dépendent de sa mise en valeur préalable. Cette spirale est sans
fin. Et Robinson prépare de nouveaux projets.
Au plus
haut niveau, un projet est l’ anticipation d’un
nouveau système productif. Pour un horizon donné, un
système productif se caractérise par un réseau physique
matériel, un produit net attendu et un temps de travail global
estimé. Un système productif est la quête
d’un produit net, dans objet global, par un sujet collectif.
Par rapport à sa réalisation future, le projet
lui-même est une autre temporalité. Mais c’est le projet
qui prévoit la temporalité de son exécution. Robinson
procède par raffinements successifs. Pendant que le projet avance, le
processus prévu se dessine dans la tête de Robinson. Faute
d’encre et de papier, le sable de la plage et le cerveau de Robinson
sont les lieux de toutes les virtualités. Peut être aussi
quelques maquettes en bois ou en glaise.
Nous distinguerons la
temporalité du projet élaborant et la temporalité du
processus résultant. Au début, la temporalité du
processus se limite à un temps de travail global sur un certain
horizon. Au fur et à mesure de la distribution, en temps partiels, du
temps de travail global estimé pour le processus, Robinson
définit les modalités concrètes, les formes des objets,
les dates des coordinations et les procédures des activités.
Même si Robinson est seul, il doit placer ses travaux dans une
succession diachronique. Il les coordonne, dans la synchronie, avec les
processus naturels de l’île.
La distinction entre
diachronie et synchronie, succession d’instants et
simultanéité d’actions, est relative à
l’unité de mesure. L’image des deux axes est une
simplification commode mais trompeuse. En fait, il y a fractalité dans
la succession, en fonction de la définition de l’instant de base
(seconde, minute, heure, jour, année). Il y a fractalité dans la
simultanéité, en fonction de la définition de
l’organisation réelle de base (neurone, muscle, individu,
équipe autonome, atelier, usine, entreprise, bassin d’emploi,
nation économique, monde économique).
Pour
définir la temporalité et la matérialité
d’un processus, Robinson ne procède pas de manière
descendante (précision croissante) ni de manière ascendante
(assemblage de solutions partielles) mais il utilise une
démarche opportuniste qui combine les deux approches.
La démarche de Robinson est d’autant plus opportuniste,
qu’il assume tous les niveaux
d’organisation qui vont de l’individu à
l’humanité. Il doit donc souvent changer de système de
formalisation. Car il n’existe pas de discours qui soit à la fois
cohérent comme les mathématiques et totalisant comme le mythe.
C’est probablement pourquoi la Genèse n’est pas isomorphe
à la théorie du big bang. Et que ni l’une ni l’autre
ne correspondent à notre univers quotidien et sa
géométrie euclidienne.
Une formulation est
toujours abstraite. Elle est relative à une unité de
définition, à une échelle de résolution. Des
phénomènes non traités, non prévus, peuvent se
manifester et faire diverger la réalisation des prévisions du
modèle. Il faut donc, non pas comparer les résultats aux
prévisions, c’est alors trop tard, mais faire le bilan du nouveau
processus et des nouveaux besoins qu’il fait émerger. On en
déduit un nouveau projet. C’est pourquoi, contrairement à
l’arithmétique pure, le temps concret est
discontinu. Chaque projet crée un nouveau monde imaginaire. Un nouveau
système de référence. Cette discontinuité
fondamentale résulte de la production de la nature par la nature. Dieu
n’a pas créé les éléments et les
espèces en six jours. Le processus se déroule. Il faut que des
étoiles se forment, brûlent et explosent pour que se constituent
les atomes. Chaque processus crée un nouveau monde réel. Une
nouvelle réalité. De nouvelles potentialités. Et les deux
ne sont jamais parfaitement représentatifs l’un de l’autre.
C’est pourquoi l’histoire de l’humanité ressemble aux
récits d’un livre d’aventures.
Nous avons
donc trois types d’activités, d’organisations et
d’échelles de temps:
Ce sont ces différentes échelles de
résolution qu’il faut coordonner. Mais il ne faut pas confondre
la fractalité de la globalité réelle avec la
hiérarchisation dans l’illusion de la totalité.
L’organisation réelle se construit dans un processus de
convergence vers l’organisation potentielle qu’elle actualise.
L’organisation réelle ne peut pas réussir son projet de
totalisation. Car elle ne peut produire sans transformer les conditions de sa
reproduction. Et cela, seul, introduirait des discontinuités,
même si la réalisation correspondait parfaitement à la
prévision. Il est une phrase de Karl Marx, peut-être la seule,
que j’approuve pleinement: “Les hommes veulent l’histoire
qu’ils font; mais ils ne font pas l’histoire qu’ils
veulent”. Entre déterminisme et
volontarisme, nous avons le possibilisme et
l’ intentionnalité.
Par exemple,
le problème actuel est de trouver de nouvelles formes
énergétiques pour pallier à la raréfaction des
énergies fossiles. On peut parler, au plus haut niveau, du produit net
du réseau productif mondial. Ce projet est un projet de longue haleine
pour l’humanité. Il s’inscrit dans un objectif plus vaste,
mais encore très flou, de survie et de développement de
l’humanité. Cet objectif dépasse très largement
l’espérance de vie de chacun d’entre nous. Pourtant, nous
devons nous en préoccuper, ou ne pas faire d’enfants. Comme pour
Robinson, il suppose d’assumer notre mortalité. Cet objectif est
le seul moyen de raccrocher, les uns aux autres, les projets individuels des
organisations réelles. Il va sans dire que nos enfants devront
reformuler les problèmes que, pourtant, nous espérons poser pour
eux.
5. Présuppositions et consécutions
Cette recherche d’énergies de substitution pour
l’avenir définit un sujet (humanité) et
un objet (système naturel terrestre) dans une relation
de solidarité. Cette solidarité se manifeste
par la définition du produit net. On peut parler de
présupposition réciproque du sujet, de
l’objet et de l’ horizon du projet.
Un projet met en oeuvre la
présupposition. C’est ce qui caractérise
sa temporalité. Bien que le déroulement du projet soit soumis
à la diachronie positive (chronologie), son contenu s’organise,
selon la démarche opportuniste, dans des diachronies alternées.
La production, réalisation du projet, met en pratique la
consécution des processus imaginés. Elle se
déroule sur l’axe chronologique traditionnel. Cette
transformation temporelle est comparable aux processus, largement
inconscients, que la sémiotique désigne sous le terme de
structures narratives. C’est pourquoi nous parlons du travail comme
d’une narration.
Dans un programme narratif complexe, la
programmation temporelle est la conversion de l’axe des
présuppositions en axe des consécutions (diachronie).
L’axe des consécutions est parcouru dans l’ordre
chronologique. Inversement, on remonte du programme narratif de base
(état final voulu) à l’état initial, par une
chaîne de présuppositions logiques, d’un programme
narratif d’usage à un autre.
La
programmation temporelle ne se confond pas avec la programmation textuelle qui
peut s’accorder des libertés stylistiques ou esthétiques.
De même, en conception, la description rationnelle du produit
conçu ne respecte pas l’ordre chaotique apparent (opportuniste)
de sa conception.
Cette temporalité opportuniste des
présuppositions est de type fractal. Définir un
projet quelconque conduit à tout un ensemble de projets partiels pour
lesquels se définissent des objets partiels, des organisations
partielles et des horizons englobés. Bien que totalement
systématique, la décomposition récursive du
problème de la Tour de Hanoi en est une bonne
illustration.
De projet partiel en projet partiel, on descend
dans l’échelle des horizons (succession ou diachronie), des
sujets (simultanéité ou synchronie) et des objets
(système productif mondial et son produit net, systèmes
partiels, produits, pièces, formes multifonctionnelles). C’est
ainsi que se précisent les valeurs d’usage comme on raconte les
détails d’une histoire (programme narratif d’usage).
La conception se déroule sur un axe syntagmatique selon
le principe de la présupposition. Tout cela est compliqué par
des changements d’hypothèses pour aboutir à un graphe d'exploration des possibles. Sauf effet
stylistique, lors de la textualisation, le récit se déroulera
sur l’axe de la consécution. Parallèlement, la production
s’accompagne d’un développement des connaissances. La
capitalisation de ces connaissances se traduit par une complexification des
classements paradigmatiques.
Nous avons donc trois
échelles: échelle des horizons, échelle des sujets,
échelle des objets. Depuis des années, nous avons pris
l’habitude de nommer diachronie et synchronie
les deux premières échelles. Comment peut-on préciser
l’échelle des objets? En fait, il s’agit bien
d’explorer la fractalité géométrique de la
matière. Elle existe. Elle nous est encore largement inconnue. Elle
nous impose et nous imposera ses contraintes. Nous cherchons aussi de quelle
manière nous pouvons l’utiliser. Nous explorons les structures
les plus petites (miniaturisation, particules élémentaires).
Nous explorons les structures les plus grandes (galaxies, amas), au fur et
à mesure de l’élargissement spatial de notre champ
d’observation, d’expérimentation, de
prélèvement et de transformation productive. Cette
fractalité introduit encore des formes de discontinuité, par
rapport à nos rêves de totalisation. Ce sont la
globalité et la fractalité qui
nous poussent à considérer le travail comme une
narration. Il s’agit de l’histoire
concrète de l’humanité. Une histoire
débarrassée des préjugés idéologiques selon
lesquels elle serait déjà écrite par l’Un ou par
l’autre.
Avec la globalité, l’horizon est
considéré comme variable. La diachronie comporte des ruptures.
Sa continuité n’existe que de manière abstraite pour la
durée du projet. Ensuite, ce n’est pas un cycle, mais une
nouvelle temporalité, liée à un nouveau système.
Avec la globalité, le champ d’action est, lui
aussi, variable. Il dépend du nombre des partenaires sur l’axe de
la synchronie. Il n’est plus le monde abstrait du marché mais
celui des partenariats concrets, des compagnons de route.
Avec
la globalité, le temps et l’espace ne sont ni continus ni infinis
comme dans la physique classique des artefacts. Ils sont fragmentés,
discontinus, relatifs, fractaux.
6. Le récit
de l’activité
L’activité de
Robinson est un récit. Elle produit, de manière alternative, le
sujet, l’objet et le projet. Ils sont tous trois changeants. Ce sont des
potentialités qui s’actualisent successivement. C’est le
rôle du mythe, comme du roman historique, de faire coïncider
l’échelle de l’individu et celle de la globalité.
Ils rendent signifiante, pour l’individu, cette globalité. Ils le
font échapper à l’absurdité du chaos. Dans cette
narration, le sens global et le sens partiel forment système. Certains
détails font comprendre l’allure générale. Les
grandes étapes expliquent la valeur particulière de tel
détail. C’est probablement là que réside le secret
de la signification: rassembler dans un détail la compréhension
de l’ensemble. Et réciproquement. C’est un effet de
l’ élasticité du discours.
Un récit se manifeste par un big bang.
Avant le récit, il n’y a rien de ce type. Soudain: “Il
était une fois...”. Cette simple formule fait apparaître:
De la même manière, en
généralisant la communication langagière à toutes
les sémiotiques, le travail productif est une
communication entre l’humanité et la nature. La
discontinuité des temporalités provient de l’alternance,
inévitable, des processus de production du produit net et des projets
de reconception de ces processus de production. Cette communication est encore
largement implicite. Mais c’est pourtant dans cette perspective que nous
avons le plus de chances de comprendre les mécanismes de
création de la valeur et des richesses.
Conclusion
Le
travail de Robinson s’oppose à un
non-travail. Dans cette opposition des
activités, une signification s’élabore.
Pour Robinson, l’île est une organisation potentielle qui
l’englobe. Par son projet, Robinson accepte un don naturel. Il fait de
l’île une organisation réelle. Plus que d’autres,
pour échapper au délire, il est astreint à la pertinence
de ses représentations. En assumant la fonction productive, la fonction
guerrière et la fonction signifiante, il accède au
modèle de la responsabilité . Robinson limite
ses ambitions, s’assigne un horizon économique, invente un mode
de travail. Son mode d’appropriation et son type de socialité se
manifestent dès qu’il n’est plus seul. Il corrige
périodiquement ses ambitions. Chaque révision est une profonde
remise en cause. Elle introduit de véritables ruptures dans son
histoire. Seule la logique particulière du
récit, où l’économie et la
psychologie sont indissolublement liées, permet de rendre compte de
cette temporalité particulière. Sa mise en valeur de
l’île transcende sa propre existence. Son expérience est un
mythe moderne puisqu’il symbolise la population de
l’humanité. Mais son évolution personnelle concerne
directement chacun de nous. Le roman décrit comment Robinson
accède à une profonde humanité. La forme symbolique
rejoint la réalité écologique et historique. Un rapport
de présupposition réciproque fait de l’homme le
héros et de la nature le Destinateur d’une même narration.
Il nous reste à voir comment Robinson organise son appropriation pour échapper à la
possession.
Créé le 1 Mars 1998
Modifié le 10 Juin 1998
Suite
Précédent
Compléments
Ce document est appelé à
connaître des modifications.
Envoyez
à :
le message:
“Merci de m’avertir des modifications à Le Travail
comme Narration”
Bibliographie
Vie et
aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe
Maxi-Poche, Classiques étrangers
Bookking International,
Paris, 1996
Tome 1, 348 pages, 10 Francs
Tome 2, 315 pages, 10
Francs
Définitions
Les
termes en gras sont définis dans le glossaire
alphabétique du Réseau d'Activités à Distance.
Retours
Pour votre prochaine visite
Quoi de Neuf sur le Réseau d'Activités
à Distance?