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Comment le verbe se fait chair


Ce document est la suite de Quel Oedipe pour Robinson ?
* Plan

Introduction

1. Un lieu de cohabitation

2. Un système de signes

3. La question du référent

4. Dialogue du verbe et de la chair

5. Un lieu d'affrontement

Conclusion


* Introduction

Exclu de la société, sans espoir raisonnable de filiation ni d'alliance, en contact permanent et nécessaire avec les systèmes spontanés de la nature, Robinson Crusoé échappe à l'illusion ethnique de l'engendrement de la société par elle-même. Il échappe à une autre illusion, inscrite au plus profond de notre culture: la production de la chair par le verbe.

Robinson doit se ré-approprier sa culture. Pour lui, il est vital de l'adapter à sa situation de solitude, durable et probablement définitive. Sans cette ré-actualisation de sa culture ethnique, il aurait progressivement dérivé du désespoir vers la folie. Or, c'est le contraire qui se produit. Et l'attitude de Robinson, lors de son épreuve glorifiante, témoigne d'une conception très moderne de son rapport à la nature, comme aux richesses de la société. Faute de la prégnance quotidienne des représentations ethniques, Robinson a une conscience beaucoup plus nette de la solidarité de son existence avec celle des systèmes naturels de l'île. Beaucoup plus critique quant à ses mécanismes de présentation et de représentation, astreint qu'il est à un objectif de pertinence, Robinson utilise sans illusions les propriétés de l'abstraction. Utilisant et modifiant, de manière très marginale, les processus productifs de l'île, Robinson préfigure le nomade moderne. Ce dernier participe à l'élaboration ou à la maintenance des réseaux socio-techniques grâce auxquels il navigue sur le vaste monde, comme jadis Ulysse, Simbad ou Gilgamesh.

Par ce retour à la nature, qui enchanta Jean-Jacques Rousseau, Robinson Crusoé ne retourne pas à une vision naïve et enfantine des systèmes naturels. Par une ré-appropriation critique de sa culture, Robinson de-construit les mécanisme de la production du logos. Robinson reconstruit ce que des siècles de refoulement de la nature ont fini par rendre totalement mystérieux: la relation de solidarité ou de présupposition réciproque entre le verbe et la chair.

Quand nous affirmons la solidarité de la matière et de l'information, ce n'est pas seulement la définition du travail qui se trouve modifiée. La solidarité du verbe et de la chair englobe les sphères du travail et de l'amour. Mais la coupure du verbe et de la chair les traverse l'une et l'autre. C'est pourquoi nous préférons le terme, plus général, d'activités. Dans la mesure où l'organisation Crusoé est une humanité à elle seule, l'activité de Robinson ne peut s'analyser en termes de travail et de non-travail exclusivement. Échappant à cette spécialisation sociale des temps de travail et de non-travail, l'activité de Robinson est indissolublement travail et amour.

Le travail amoureux de Robinson Crusoé consiste à se construire une culture naturelle. Curieusement, sous l'effet du primat du langage des solides, ces deux sphères de la vie sociale ont fait l'objet d'une séparation radicale. Les connotations qu'elles véhiculent, malgré nous, semblent nous avoir rendu incapables de comprendre les mécanismes de la conception. En particulier de percevoir le point où ils se séparent des mécanismes de la production. Rapprocher ces deux sphères, tout en introduisant le minimum de distance propice au respect, dans chacune d'elles, tel est le but du projet de recherche du Réseau d'Activités à Distance.


* 1. Un lieu de cohabitation

L'individu est le seul lieu social où le verbe et la chair sont contraints de cohabiter. Autant rendre cette cohabitation harmonieuse. La cohabitation du verbe et de la chair peut être celle de l'âme et du corps pour les croyants, ou celle du corps et de l'esprit pour les sciences cognitives (mind/body problem).

La cohabitation du verbe et de la chair dans l'individu reflète la manière dont la société positionne sa culture par rapport à la nature. Plus la société refoule la nature au profit de sa culture, plus la cohabitation du verbe et de la chair sera problématique. Cette domination de la nature par la culture prend souvent la forme d'une opposition radicale entre la pensée et le chaos. Les mythes fondateurs de la plupart des ethnies font intervenir un héros fondateur. Il fait émerger l'ordre et la culture à partir du chaos primordial. C'est le cas de la culture grecque, avec le mythe de Gaïa, Ouranos, Cronos et Zeus. Par la lecture qu'il fit du mythe d'Oedipe, Sigmund Freud, a imprimé l'orientation de la psychanalyse historique. Une trop grande dépendance à l'égard de la tradition philosophique a probablement émoussé la puissance critique de la découverte de l'inconscient. Toujours est-il qu'à ce jour, la fonction historique de la psychanalyse peut sembler être de prolonger la méconnaissance de la différence des sexes.

Cette opposition radicale de la nature et de la culture est une illusion. En affirmant l'originalité de sa culture, par rapport aux autres, et donc sa propre identité, l'ethnie se constitue en une totalité. C'est à partir de cette identité imaginaire, que s'effectue la généalogie du pouvoir patriarcal. L'identité et la centralité sont pensées dans un langage masculin. Il est principalement le langage des solides. C'est autour d'un axe central, que s'organisent les échanges avec les autres ethnies. Le principe de l'exogamie affirme simultanément un intérieur de l'appartenance et un extérieur des échanges. Cette distinction entre la filiation (unilinéaire) et l'alliance crée l'illusion de la totalité comme celle de l'éternité. Alors que la nature, ou l'Univers, loin d'être une totalité éternelle, est une globalité discontinue.

En affirmant son identité imaginaire, l'ethnie survalorise sa culture. Elle refoule la nature sur laquelle elle s'appuie. L'Univers n'a pas attendu l'homme et sa pensée organisatrice pour s'auto-organiser. L'affirmation d'un homme sur-naturel émergeant du chaos comme d'un néant (ex nihilo) est l'illusion ethnique. Le chaos primordial est le faire valoir de la culture comme premier moteur. Elle se croit indépendante de la nature. Cette dernière est reléguée au rôle de matière première. L'excessive valorisation de la pensée organisatrice est une dénégation du chaos structurant. Pourtant, il la précède et la rend possible. Ainsi la pensée se veut première, comme premier moteur. Une trop grande abstraction, qui insiste sur les mécanismes de la représentation au détriment des mécanismes de la présentation, est responsable de cette illusion ethnique.


* 2. Un système de signes

Aucun système de signes ne peut se construire ex nihilo. Les signes sont précédés par des signaux dans la production de la nature par la nature. Les signes sont préparés par des symboles dans l'apprentissage individuel de la langue naturelle. Les signes supposent que nous soient présentés un certain nombre de mots, en association avec un certain nombre de choses. La représentation suppose la présentation. Mais la solidarité de ces deux mécanismes est secondairement niée. Le langage masculin privilégie la représentation qui constitue le tout, la totalité. Il nie la présentation progressive des éléments, leur extraction du réel. Après cette opération d'abstraction comme exclusion, c'est le féminin comme diversité qui est refoulé. C'est ainsi que se constitue cette identification confuse, dans le refoulement commun, féminin égale nature. Cette identification par le refoulement interdit la compréhension de l'une comme de l'autre. Mais elle augmente la force des connotations. Elle reproduit indéfiniment l'amalgame. C'est pourquoi, une telle confusion jette un doute sur la nature du langage masculin. Elle rend prudent sur la possibilité d'un discours de la femme et sur les caractéristiques d'une syntaxe du féminin (Luce Irigaray).

Chaque individu est un lieu de cohabitation, souvent problématique, entre des mots et des choses qui ne lui appartiennent pas. Les mots appartiennent à la langue, et donc à l'ethnie. Les choses appartiennent à la matière et donc à l'Univers. Les mécanismes par lesquels se produisent les mots ne sont pas identiques aux mécanismes par lesquels se produisent les choses. Les machines désirantes de la nature ont produit une diversité de choses bien avant que les premiers humains ne cherchent à les désigner et représenter par des mots. Entre elles, les langues naturelles ne produisent pas les mots de la même manière. D'où l'arbitraire du signe. Entre eux, les individus n'acquièrent pas leur langue de la même manière. D'où l'importance de la présentation. Ce qui fait que deux individus, même jumeaux, ne peuvent avoir les mêmes connaissances. Les listes de mots et de choses qui leur sont présentées ne sont jamais identiques: ni dans leur constitution, ni dans leur chronologie.

Le système de la langue naturelle est un système de représentations dans lequel les mots renvoient inévitablement à d'autres mots. L'expérience du dictionnaire dans lequel nous cherchons la définition d'un mot nouveau est révélatrice:

Les mots font signe, mais ils peuvent être des symboles pour chaque individu. L'affect que chacun de nous attache à un mot, connote, co-détermine le sens de ce mot pour nous. Il peut nous écarter du sens commun (qui, bien sûr, n'existe pas plus que le français moyen avec son béret et sa baguette). Car la présentation et la représentation ne produisent pas le même sens. Pas plus que la synchronie du marché et la diachronie comptable ne produisent la même valeur économique. Le sens individuel n'est pas le sens commun.

Dans un système de représentations, la référence ne se fait pas d'un mot à une chose. C'est pourtant ainsi que nous avons découvert beaucoup de mots et beaucoup de choses. Dans la présentation, l'index du présentateur pointe sur la chose tandis que sa bouche prononce le mot. Bien sûr, celui qui nous présente le mot nous fait un signe, qui indique la chose. Mais il s'agit plutôt d'un indice (de l'index). Il associe un signifiant (trace sonore) à un objet concret. L'apprentissage commence souvent par la présentation, la leçon de choses.

Dans la représentation ou la signification, le signe met en relation le signifiant avec le signifié. Le signifiant appartient à la collectivité. Le signifié appartient à l'individu. Dans une oeuvre littéraire, le choix des signifiants incombe à l'auteur. "Le sens appartient au lecteur" disent les sémiologues.

Dans la présentation, le signifiant et la chose sont impliqués dans une relation d'indice ou de signal de quelque chose. Par contre, le signifié ne fera jamais l'objet d'une quelconque présentation. Le signifié appartient à l'individu, mais il est produit par le système de la représentation. Car la valeur de chaque signe se modifie au fur et à mesure que se multiplie le nombre des signes, dans le même paradigme. Dans ce système à deux plans, (sémiotique biplane), le signifiant est collectif tandis que le signifié, malgré tous nos efforts, reste individuel. Le signifiant est public. Le signifié est privé. D'où la distinction que nous faisons entre les informations et les connaissances.


* 3. La question du référent

La question du référent n'est pas simple. Elle est complexe. Les trois niveaux d'organisation nous serons utiles:

(a) la solidarité du verbe, de la chair et de la matière;

(b) la coopération du signe, du symbole et du signal;

(c) le développement des réseaux socio-techniques où s'affirme la solidarité de la nature et de la culture, pour un sujet plus autonome.

Cette double caractéristique des langues ethniques donne la priorité aux signes sur les signaux des machines désirantes et sur les symboles des sujets individuels. Au niveau ethnique, les symboles peuvent être exclus de la sémantique structurale de la langue. La sémantique structurale ne s'intéresse pas à la présentation individuelle mais à la représentation systémique. Elle ne s'intéresse qu'aux signes. Ce point de vue est légitime quand il reconnaît être partiel. La sémantique structurale traite plus des informations communes que des connaissances individuelles. Encore bien moins de la pertinence ou de la productivité collective.


* 3. Dialogue du verbe et de la chair

L'identité de chaque individu se construit jusqu'au jour de sa mort. Un auteur comme Gabrielle Roy en témoigne. Le bonheur n'est ni dans le verbe, ni dans la chair, mais dans la possibilité de leur dialogue. Elle l'exprime dans son autobiographie, à propos de son amour passionné pour Stephen.

"D'abord Stephen cherche à m'embrasser entre chaque phrase, puis, bientôt pris par l'histoire, il m'oublia en faveur de ce que j'avais accompli, et j'en fus rendue heureuse comme jamais encore je ne l'avais été par lui. (La détresse et l'enchantement, p. 415)".

Cette médiation du désir des corps par le verbe commun abolit la séparation du travail et de l'amour. On aboutit à l'intimité. Nous avons parlé de travail amoureux dans le cas de Robinson Crusoé. Pourtant, cette intimité requiert la distance. Celle qui permet le respect et le bonheur.

"J'y découvrais le bonheur de travailler à deux à une tâche que les deux aiment également, et qu'il n'y a pas de plus grand bonheur. Qu'étaient en effet les caresses des yeux et des mains, presque les mêmes chez tous les amoureux, auprès de la rencontre de ce qu'il y a en nous de plus intime et qui se garde le plus farouchement? Je pense aussi avoir été infiniment consolée par le sentiment que, toute solitaire que fût ma voie, il ne serait pas tout à fait impossible, à l'occasion, d'avoir quelqu'un avec qui faire au moins un bout de route. Nous n'avons jamais été unis, Stephen et moi, qu'à l'heure où nous nous étions apparemment oubliés l'un l'autre au profit du but à atteindre. Les yeux brillants de tout autre chose que du désir, Stephen n'arrêtait plus de m'encourager: <Tu es vraiment douée. Tu verras, tu seras un jour un auteur connu>. (p. 416)".

Dans notre économie du même, régie par une hommo-sexualité du verbe, s'instaure la division des activités. Travail et amour se différencient quand l'échange des femmes entre hommes fait de chaque femme une marchandise, avant la lettre. C'est ainsi que production et reproduction se séparent. En découlent les divisions du travail.

Le travail seul et l'amour seul peuvent produire des relations de sujet à objet. Ainsi, dans le système patriarcal, la femme-marchandise produit une féminité honteuse. Mais le complément du travail et de l'amour peut produire des relations de sujet à sujet. Elles sont médiatisées par un projet commun. Dans le cas de Robinson, c'est même la seule relation possible avec l'île: en faire un sujet. D'où l'organisation Crusoé et son projet de mise en valeur mutuelle: mise en valeur des capacités de Robinson et mise en valeur des potentialités de l'île. Là réside la différence entre la dialectique et la trialectique. Mais le projet commun doit respecter, non seulement le verbe et la chair de l'autre sujet, mais le verbe et la chair des autres. Ce n'était pas le cas pour Stephen, dont le militantisme et la la passion politique préparaient le recours au terrorisme, l'alliance avec les nazis.

Ce qu'exprime si bien Gabrielle Roy, c'est que la plus grande intimité ne se joue pas sur la dimension du verbe ou sur la dimension de la chair. L'une et l'autre passion peuvent introduire des relations de possession, de sujet à objet. Il peut s'agir d'intimité avec soi-même (méditation), d'intimité avec d'autres, au travail (coopération) ou d'intimité avec l'autre, en amour (érotisme). Toutes impliquent un risque. C'est le risque du don. Il faut oser un détour, hors de l'immédiatement fonctionnel. Il faut accepter la médiation par le projet. Toutes les formes de l'intimité supposent une réciprocité. Car elles sont des jeux à somme positive. La plus grande intimité, la plus risquée, mais celle qui peut procurer le bonheur, est celle qui fait dialoguer le verbe et la chair. Elle introduit la médiation qui permet l'émergence des sujets. Elle introduit la distance, qui permet le respect de l'autre. Faute de cette distance, la passion du verbe (hommo-sexualité ou passion politique de Créon), comme la passion de la chair (pédophilie de Laïos), conduit au mépris.

"Je ne le croyais plus. Jamais plus je ne le croirais. Il m'avait révélé ce soir-là une âme beaucoup trop prise par sa passion politique pour que l'amour pût y occuper une place chaude et vivante. (p. 360)".

Mais la volonté de survie de l'amour est forte:

"Pourtant, à la petite porte de côté, quand il m'ouvrit les bras, m'appelant du regard, je vins m'y réfugier contre la déception et la peine qu'il m'avait apportées. Et nous avons cherché le remède au mal d'aimer dans l'amour qui ne pouvait que nous éloigner de plus en plus l'un de l'autre. J'en conçus du mépris envers moi-même. Je commençais à lutter de toutes mes forces pour me détacher de lui. (p. 360)".

Les machines désirantes ne connaissent pas les symboles ni les signes. Le désir leur sert de signal, pour des relations d'objets. L'ethnie élabore une culture, comme identité collective qui s'approprie les corps. L'échange de femmes entre hommes est une bonne illustration de la dépossession individuelle du corps désirant pour une appropriation collective. Mais cette identité statique de l'ethnie est une illusion d'éternité.

C'est au niveau individuel que le verbe et la chair peuvent cohabiter. Ils font de chaque individu une personne. De leur dialogue naît un et un seul sujet individuel. Il est riche en instances psychiques au lieu d'être écartelé par l'appartenance à plusieurs institutions qui possèdent son corps ou son esprit. Du dialogue des sujets émerge un projet de développement durable dans lequel travail et amour sont les composantes de l'activité. Mais l'autonomie de l'individu n'est possible que s'il se reconnaît comme mortel. Comme Gabrielle Roy ou Denys Finch Aton (Out of Africa), il ne fait que traverser le monde. Seule cette assomption de la mort individuelle permet d'échapper aux sirènes de l'éternité collective: le totalitarisme. L'identité dynamique de la personne se construit jour après jour. Elle intègre et dépasse l'identité statique du verbe et l'instrumentalité objectale de la matière. Dans la cohabitation individuelle, les symboles affectés et les affections symbolisées associent durablement le verbe et la chair. Ils forment une synthèse toujours particulière, totalement imprévisible et terriblement provisoire. Elle n'a de sens que pour la personne. A son seul niveau.

Nous verrons, dans un prochain texte consacré à un livre de Manon Arcand, que la méditation est une pratique et une thérapie. Elle règle la bonne distance dans le dialogue du verbe et de la chair. Il s'agit de la distance au réel comme de la distance à soi-même. Mais si le dialogue et la thérapie sont si nécessaires, c'est que, sans eux, la cohabitation tourne trop souvent à l'affrontement. Sans compter qu'il n'est pas si facile d'avoir accès à ce que l'on possède intérieurement. La difficulté de cet accès explique que l'on puisse renoncer au bonheur. Et, s'il est important de se souvenir d'un bonheur avant de mourir, pour certains, il n'est pas si facile de se pardonner d'avoir pu être heureux.


* 4. Un lieu d'affrontement

Nous avons vu, avec Alain Touraine, que l'individu est aussi le lieu où s'affrontent l'identité et l'instrumentalité. Car la coupure du verbe et de la chair se développe au fur et à mesure que la société produit la culture et la langue naturelle qui lui sont propres. Dans la langue naturelle, il n'y a plus ni signal ni symbole. La nature et l'individu sont refoulés par la langue naturelle elle-même. La langue produit un entre-deux: le monde de l'imaginaire. Elle produit aussi un groupe social: le monde du verbe. Dans la mesure même où la langue est un système de signes, elle se construit comme un système de représentation qui donne l'illusion d'un système d'auto-production. Le système de la langue se construit comme une totalité imaginaire. Il serait grave de croire que cette totalité existe. Envisagé sous l'angle de la synchronie, sans l'apprentissage individuel et sans l'évolution collective, une langue génère toutes les illusions de l'abstraction. Elle n'a aucun besoin de la réalité externe pour fonctionner comme système de signes. D'où sa capacité à produire de l'imaginaire individuel ou collectif. Dans le fonctionnement synchronique de la langue, nul besoin de référent. D'où la suffisance apparente du signifiant. Pour produire un discours imaginaire, le signifiant est totalement autonome du référent. D'où le règne incontesté du signifiant-phallus, au sein de son propre spectacle reproducteur. La langue et le système de représentation y gagnent d'ailleurs en cohérence.

Cela est beaucoup plus net dans le cas de Robinson Crusoé. A un moindre degré, pour les nomades modernes que nous sommes, la réalité des systèmes spontanés ou des réseaux socio-techniques se rappelle à notre attention. Elle aiguise notre vigilance. C'est en quoi chaque individu est un lieu d'affrontement entre le verbe et la chair, sa culture et la nature. L'individu est tiraillé entre les impératifs solidaires, mais pas automatiques, de la cohérence et de la pertinence.


* Conclusion

Plus que tout autre humain, du fait de sa solitude, l'individu Robinson est un lieu de cohabitation entre le verbe de la culture et la chair de la nature. Nous savons qu'il aurait sombré dans la folie s'il ne s'était pas raccroché, grâce au texte biblique, à sa langue, à sa culture, à son système de signes. Dans l'ethnie, du fait des divisions du travail, le monde du verbe s'approprie la production du monde de l'imaginaire et accroît la coupure de verbe et de la chair. Robinson doit réduire cette distance. La représentation n'est jamais loin de la présentation. La question du référent est, pour lui, d'une urgence permanente. C'est pourquoi il doit faire un bon usage de l'abstraction. Dans sa réalité apparente personnelle, il associe, autant que faire se peut, la réalité empirique de l'île et la réalité indépendante de l'Univers. Par son travail, son amour et sa méditation, Robinson pratique un dialogue du verbe et de la chair. Tandis que l'illusion ethnique transforme l'individu en un champ clos,

un lieu d'affrontement du verbe et de la chair, Robinson travaille à la pertinence de ses représentations. Il y trouve un certain bonheur.

Nous verrons bientôt que Robinson échappe à la pensée du même. Son contact permanent avec la diversité naturelle développe chez lui une pensée de la diversité. Prototype du nomade moderne, il doit se dégager de l'amour du même.

Hubert Houdoy

Créé le 22 Mai 1998


* Précédents

Economie du temps

Robinson Crusoé


L'île de Robinson

Le travail comme narration

Propriété ou possession

Trois niveaux d'Organisation

Oedipe, Fatalité ou Parcours?

Une lecture familiale d'Oedipe

Quel Oedipe pour Robinson ?


* Suite

L'Amour du Même


* Compléments

Thématique de la Civilisation

Thématique de la Globalité

Thématique de la Totalité


* Bibliographie

Vie et aventures de Robinson Crusoé

Daniel Defoe

Maxi-Poche, Classiques étrangers

Bookking International, Paris, 1996

Tome 1, 348 pages, 10 Francs

Tome 2, 315 pages, 10 Francs

L'Anti-Oedipe

Capitalisme et schizophrénie

Gilles Deleuze, Félix Guattari

Les Éditions de Minuit

Paris, 1972

S'initier à la méditation

Guide pour débutants

Manon Arcand

Le jour, éditeur

Québec, 1997


* Définitions

Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du Réseau d'Activités à Distance.


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Mise à jour: 16/07/2003