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Des marchés et des métiers:


(1) Seigneurs et Marchands





* Plan


1. Commerce de longue distance

2. Conquête, pillage et colonisation

3. Guerre, développement et appropriation

4. Produire pour l’appropriation

Conclusion





* 1. Commerce de longue distance


La radicale transformation de nos sociétés, au sortir du Moyen-Age, a été précédée et accompagnée d’une modification des relations commerciales entre elles (1439, Jacques Coeur est grand argentier de Charles VII). La transformation ne se passe pas dans un seul pays. Elle met en jeu de nombreux royaumes et territoires. C’est une première forme de mondialisation. Tous les pays n’ont pas les mêmes richesses ni les mêmes structures sociales. Certains royaumes sont plus actifs (dès 1441, les Portugais s’installent au Cap Blanc, en Afrique). Ils profitent d’un développement inégal mais multi-polaire.


L’émergence du capitalisme est un phénomène long et complexe. Le commerce de longue distance y joue un rôle majeur. C’est lui qui redistribue l’or (Amérique) ou l’argent (allemand), matières ou référents de toutes les monnaies (1447, Gênes adopte l’étalon or pour ses marchés internationaux). Le cynisme des autorités temporelles et spirituelles (conflits entre papes) permet à la monnaie de tout acheter (1513, Machiavel dédie “Le Prince” à Laurent de Médicis). Mais il permet aussi, aux marchands et aux banquiers comme Jean de Boinebroke de se mêler aux puissants. L’afflux de monnaie va faciliter les échanges, attiser les conflits, financer les alliances, mettre en contact les terroirs et décloisonner les domaines féodaux. Cette activité commerciale intense (1460, Anvers, première bourse internationale de commerce) provoque des effets différenciés au centre et à la périphérie.


1492, premier voyage de Christophe Colomb aux Indes occidentales. Même lorsqu’il n’est pas un pillage pur et simple (mercantilisme bullionniste espagnol aux amériques), le commerce de longue distance ne produit pas le même enrichissement de part et d’autre. Car il est orienté par la force (1442, capture d’esclaves en Afrique). Pour cela, il a fallu l’aide de l’Etat monarchique et la justification de la Papauté (1550, Controverse de Valladolid , entre Sépulveda et Las Casas ; le pape autorise la traite des noirs). Autrement dit, le développement (jeu à somme positive) que nous cherchons à décrire se déroule dans un contexte de guerre (jeu à somme négative) et d’ appropriation (jeu à somme nulle).


A l’exception de la Hanse, les marchands n’ont développé durablement leurs activités qu’avec l’appui des royaumes d’Occident. L’or des marchands et des banquiers (Auri sacra fames ), prêté à la couronne, a permis aux rois de s’imposer aux féodaux. C’est en 1443 que la France instaure l’impôt permanent (taille, aides, gabelles). Jacques Coeur émet de la monnaie, perçoit les impôts en France, vend des armes aux musulmans et prête de l’argent au pape Eugène IV. Les Fugger financent l’élection de Charles-Quint au détriment de François I er. Cette alliance profite aux uns (trésorerie) et aux autres (privilèges, chartes, monopoles). C’est ainsi qu’en 1462, les Médicis reçoivent le monopole d’exploitation des mines d’alun de Tolfa. Par contre, non reconnue par l’Empire, la Hanse Teutonique décline avant l’Acte de Navigation de Cromwell (1651). C’est de ces alliances entre le pouvoir monarchique, les villes et les compagnies que découlent les diverses formes du Mercantilisme en France, en Angleterre et dans les Provinces-Unies. Car le commerce de longue distance n’est jamais loin de la conquête, du pillage et de la colonisation (Compagnie des Indes Occidentales). En témoigne le commerce triangulaire (dès 1501, verroterie, alcool; traite des noirs d’Afrique pour les colonies d’Amérique; sucre, coton).





* 2. Conquête, pillage et colonisation


Le commerce de longue distance est d’autant plus important qu’il met en relation des régions dont les formes et le coût social du travail subissent des évolutions inverses. D’où un asservissement différencié . Les domaines sont ravagés par les guerres (Cent-Ans). Après le traité d’Arras (1435) entre Charles VII et Philippe le Bon, les bandes armées licenciées ravagent les provinces. Villandrando, est à Saint-Romain-le-Puy, en Forez, en 1433. Il pille Lyon. Mais il est partout de 1428 à 1439. Après la trêve de 1444, ce sont les écorcheurs, 30 000 routiers, qui pillent, torturent et brûlent (1435-1445). Les communautés rurales sont décimées par la peste (1445). Un siècle plus tôt, la peste noire de 1348 n’avait laissé que trois habitants à Saint-Romain-le-Puy. Partout, les seigneurs et les abbés promettent l’affranchissement aux colons qui s’installent dans les essarts. D’où des noms de villages comme Essertines-en-Chatelneuf. Certains paysans ne les avaient pas attendu quand la noblesse était absente. D’où une certaine ouverture de la noblesse. Le fait est avéré en Forez. La redevance en monnaie et la liberté formelle remplacent les corvées et la domination pure. Mais, dans le même temps, la navigation autour de l’Afrique par les Portugais les rend maîtres du commerce des esclaves, tandis que les Maures sont repoussés de la péninsule ibérique par la Reconquista. A l’Est, depuis le désastre de Grunwald-Tannenberg, en 1410, face aux polonais et lithuaniens, les Chevaliers Teutoniques n’asservissent plus les peuples slaves. Alors, la colonisation et l’asservissement se différencient et se déplacent. Le commerce de longue distance ressemble tellement à la guerre que la noblesse peut s’y consacrer sans déroger (1463, la noblesse du Languedoc est autorisée à faire commerce). Les nobles affrètent des bateaux (1440, caravelle; 1466, caraque). Ils sont armés par les corporations urbaines (1453, corporation des armuriers à Londres). Ils sont assurés par des banquiers (Bruges, 1459). En Europe, les nobles tiennent moins leurs serfs et composent avec les villes. A l’inverse, dans les territoires conquis, l’esclavage s’installe, dénoncé par Las Casas .


La domination se diversifie selon les régions. Nous constatons deux modes de domination reliés par le commerce de longue distance. A titre d’exemple, en 1451, les serfs de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés sont affranchis et les chômeurs de Gand se révoltent. Mais en 1452, le pape Nicolas V autorise, officiellement, l’esclavage des indigènes dans les territoires portugais d’Afrique. En 1497, le système de l’encomienda permet aux latifondiaires espagnols d'imposer le travail forcé aux indiens dans la mesure où ils feignent de les convertir au christianisme. Ces deux systèmes seront plus complémentaires que concurrents. Les colonies fourniront des produits primaires, tandis que les villes développeront l’industrie et les services.


Quoi que puisse prétendre l’ultra-libéralisme, l’entreprise n’aurait pas existé sans l’Etat. Elle se développe à une époque où il se renforce. Il construit ou maintient les routes terrestres (1461, début du développement du réseau routier en France). Il protège la propriété mobilière à l’intérieur et garantit l’accès aux matières premières à l’extérieur. L’Etat assure la protection des navires marchands contre la piraterie et la course maritime. Il ouvre les voies d’approvisionnement et les débouchés à l’exportation. Induite par le commerce, l’industrie se développe du coté des États les plus dynamiques. Non pas les États initialement les plus forts, militairement parlant, mais ceux dont la couronne s’allie avec les marchands.


Les Royaumes dans lesquels s’effectuent la percolation des revenus et la percolation des connaissances propices à l’initiative connaissent le plus grand développement. Inversement, les royaumes qui pratiqueront le plus ouvertement le pillage et l’esclavage (Espagne, Portugal) sont ceux dont l’industrie se développera le moins. Mais ils participent à l’enrichissement des autres, qui savent leur vendre les biens de subsistance et les biens de luxe qu’ils ne produisent pas.


On retrouvera, aux Etats-Unis, lors de la Guerre de Sécession, cette opposition du salariat au Nord et de l’esclavage au Sud. A partir d’un salariat qui était devenu très monolithique, certains éléments contemporains peuvent laisser penser que nous connaissions une différenciation de même nature entre plus d’autonomie des uns et plus de dépendance des autres.





* 3. Guerre, développement et appropriation


Il faut introduire toute la complexité de l’histoire concrète pour observer la percolation de l’or à travers l’Europe. N’oublions pas le débat des idées et le chaos des événements. Une telle transformation de la domination ne va pas sans controverses sur sa justification. Dans cette période de contrastes, de guerre, d’ appropriation et de développement, on assiste à la fois à des progressions techniques et sociales et à des retours à la domination la plus archaïque.


Le témoignage de Las Casas devant Charles Quint est éloquent:


La guerre économique ne se confond pas avec le développement (économique et social). Avec le capitalisme, il ne s’agit pas d’angélisme, mais il ne s’agit plus de domination pure. Elle est transformée par les relations marchandes. Car la monnaie doit circuler dans toute la société. Avec ces deux faces, elle asservit et elle libère. Le capitalisme naît dans ce mélange inextricable de guerre, d’appropriation et de développement. La domination pure est contredite par la nécessité de l’invention et du brassage des idées (Gutenberg, 1455). La violence physique comme les bûchers du Libre Esprit , sous l’influence de l’ Inquisition, a préparé le passage à une violence symbolique par une identification à l’agresseur .


Le cadre étatique de la domination est bien présent. Y compris la hiérarchie entre les royaumes. En Angleterre, dont le roi Charles VII ne peut soutenir, avec John Cabot, la concurrence d’Isabelle de Castille et de Christophe Colomb (capitulations de Santa-Fé ), le pays devra composer avec la puissance espagnole. Des moutons contre de l’or. Mais, quand ce pays se développera, c’est le même Cromwell qui massacrera les catholiques irlandais et promulguera les Actes de Navigation. Il est important de voir comment une société civile et marchande (qui donnera les Lumières) se développe dans une société guerrière et cléricale. Comment la logique de la séduction se développe dans celle de la domination.


Alors qu’elle émerge lentement du commerce de longue distance et des corporations, l’entreprise profite des trois ordres sociaux garantis par l’Etat. Par contre, elle doit lutter ou composer avec les discours de justification des grands prêtres. L’Anglicanisme de Henri VIII (1534) et le Protestantisme des Provinces-Unies ne sont pas étrangers à ce mouvement (1545, Calvin se prononce pour la légitimité du prêt à intérêt). Car il faut faire la place, dans le discours, dans le spectacle social , comme dans les faits, à une nouvelle catégorie de dirigeants. Pour être parfois des capitaines d’industrie, les marchands ne sont pas vraiment des guerriers. Mais ces deux mondes se mêlent.


Pourtant, la transformation du discours justificateur ne va pas de soi. Il faut respecter sa clôture et sa hiérarchie formelles. Aux troubles liés aux transformations géographiques de la domination s’ajouteront ceux provoqués par la différenciation des discours justificateurs. Si le Protestantisme intègre plus rapidement les axiomes du commerce, il devra se défendre par les armes. Et pourquoi les peuples et les familles se déchirent-ils si ce n’est parce que les discours clos justificateurs donnent sens à la vie individuelle comme à l’ordre politique ? Honoré d’Urfé , guerrier le jour et amant imaginaire de L’Astrée la nuit, illustre bien ce clivage des représentations . Autre clivage, le fétichisme. L’apparition du fétichisme de la monnaie prend la forme de l’ auri sacra fames que les amérindiens nommaient “la maladie des cailloux jaunes”.





* 4. Produire pour l’appropriation


La production nationale est subordonnée à l’appropriation. Ceux qui produisent sont ceux qui ne peuvent piller directement l’or des amériques. Pour enrichir durablement la royauté et les marchands, il faut commercer avec l’étranger (Mercantilisme). Pour cela, il faut produire et transformer. En 1463, pour protéger son industrie naissante, l’Angleterre interdit l’exportation de ses laines. Le commerce change de nature. Il se lie à la production. Il ne suffit plus de servir de zone de transit entre des civilisations distinctes: Orient et Occident, comme l’avaient été la Hanse et Venise.


Pour récupérer la redevance féodale ou l’or espagnol, il faut produire soit des biens de subsistance à bas prix (Angleterre) soit des biens de luxe de grande valeur (Colbertisme). C’est en 1467 que débute l’industrie de la soie à Lyon. Il faut produire sur un territoire national suffisamment vaste et libéré de barrières (1482, ordonnance sur la libre circulation des grains en France). Certains territoires sont renforcés par des colonies (Espagne, Portugal, Provinces-Unies, Angleterre, France). Mais, dans tous les cas de réussite, la transformation technique, le marché élargi et l’alliance politique sont de rigueur:



Tous ces exemples montrent que le marché national a été créé, conjointement, par l’impôt national, la balance des paiements du royaume, le bénéfice des marchands, le prêt des banquiers aux puissances temporelles et spirituelles et, finalement, le profit industriel. L’impôt national fait sortir du cadre restreint du domaine ou de la principauté. Le commerce de longue distance et la balance des paiements font affluer les espèces monétaires et réduisent les taux usuraires. L’exportation est perçue comme une source d’enrichissement monétaire (1484, autorisation d’exporter des grains hors de France). Le prêt bancaire brasse les élites et brise l’esprit chevaleresque (1487, Jakob II Fugger devient banquier de Sigismond de Tyrol). Contrairement à la thésaurisation, la production locale transforme la richesse monétaire en nouvelles marchandises ré-injectées dans le circuit.


Voyons par quel mécanisme, des pays moins favorisés (Angleterre, Provinces-Unies) ont dépassé les plus grandes puissances rurales (France), militaires (Espagne), ou financières (Venise), non sans s’autonomiser de la puissance spirituelle de Rome (anglicanisme de Henri VIII, Amsterdam). Ce sont eux qui ont fait, involontairement, la découverte du développement .


Comment, dans un contexte de guerre, certains pays ont-ils découvert la nature et les causes du développement? Le chemin n’est pas direct, car le développement n’est pas voulu par les décideurs. Il est réalisé, comme en cachette, par les producteurs et les inventeurs. Mais il se réalise là où des espaces de liberté se créent dans les conflits ou les glissements de la domination.


La différence des mécanismes d’ appropriation n’est pas sans importance. On passe, très progressivement, de la tenure par hiérarchie guerrière à la propriété foncière. Mais on assiste aussi à une généralisation des mécanismes d’appropriation par l’achat, par la monnaie. De la société féodale à la société industrielle, s’opère une transformation de la domination par la séduction. On passe de la violence armée à la violence symbolique. Cela ne va pas sans transformation des représentations transmises, au carrefour des pulsions extériorisées et des faits intériorisés.


Le servage féodal disparaît. D’un côté, la guerre économique, liée à l’esclavage, perpétue les guerriers pillards. De l’autre, le développement, lié au salariat, s’appuie sur la production. De part et d’autre une appropriation que les Classiques et Marx appelaient accumulation primitive. Au centre, elle prend les formes du marché, de l’alliance financière ou matrimoniale (redorer les blasons) et de la séduction (biens de luxe). A la périphérie, elle prend les formes archaïques de la conquête et de la domination.





o Conclusion


La première étape de la mise en place des marchés et des métiers marque la fin du Moyen-Age avec l’apparition du commerce de longue distance. Celui-ci ouvre une période de conquête, de pillage et de colonisation. Dans les diverses régions peuplées, visitées et colonisées par les peuples d’Europe, se mêlent des logiques de guerre, de développement et d’appropriation. C’est dans cette complexité historique que s’effectue la découverte du développement . Celui-ci n’est pas voulu en tant que tel. Car la production est subordonnée à l’appropriation et non pas à la consommation pour la reproduction. Mais c’est dans ce contexte que se développent les villes et les corporations.





* Auteur


Hubert Houdoy

Créé le 9 Juillet 1998

Modifié le 14 Juin 1999





* Suite


Villes et Corporations





* Présentation du cycle


Des marchés et des Métiers





* Définitions


Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du Réseau d'Activités à Distance.








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Mise à jour: 16/07/2003