Souris Hommes



Des Souris et des Hommes sur Internet


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Huitième et dernier document du cycle "Marchés Métiers" ; "Des Marchés et des Métiers" (marcmeti.htm).


Il est la suite de "Réseaux Nomades" ; "Des Réseaux et des Nomades" (resenoma.htm).


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o Plan


Introduction du texte

1. Le multimédia mondial, un nouveau support.

2. Nouvelle lecture, nouvelle écriture.

Conclusion du cycle


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o Introduction


"Des souris et des hommes" traite de l'écriture et de la lecture sur internet ou par le multimédia. Cette écriture et cette lecture, par messagerie, par web ou par cédérom interposés, participent aux activités en réseau et à distance. "Des souris et des hommes" s'intéresse plus particulièrement à une écriture en réseau. Elle utilise, adapte et généralise le principe de l'hypertexte. Au-delà de la technique, l'écriture en réseau relève d'une certaine philosophie, la communication comme principe. Comme il ne peut pas y avoir de société de marché, ce principe est peut-être le seul qui puisse créer un véritable lien social, en complément des marchés et des métiers. On peut penser que l'émergence de l'Internet, combinée avec l'apparition de l'ordinateur individuel multimédia, aura des effets équivalents voire supérieurs à ceux de l'invention de l'imprimerie par l'orfèvre Johannes Gensfleisch dit Gutenberg. Il ne s'agit pas de sombrer dans un déterminisme technologique, mais de saisir une possibilité, quand elle s'offre.


A partir du XV ème siècle, le livre facilite la lecture et la réflexion personnelles, par la multiplication des exemplaires de chaque texte ; en particulier, "Le Livre" à savoir "La Bible". Le livre contribue à la reconnaissance de la personnalité de l'individu, il favorise développement de l'identité du Je autonome. Chacun a le livre 'en main', au lieu qu'il soit sur un lutrin dans le chœur de l'église ou sur la chaire de vérité. Le sens s'élabore par une lecture attentive, au lieu qu'il tombe du ciel. Par son objectivation de la pensée dans un texte, le livre contribue à répandre un principe d'objectivité. Dès 1456, la "Vulgate" est imprimée par Gutenberg lui-même. Très rapidement, l'imprimerie diffuse une traduction allemande de la Bible par Martin Luther (1483-1546). A la fin du XV ème siècle, entre quinze et vingt millions d'exemplaires d'ouvrages divers sont déjà imprimés en Europe. La population est alors de cent millions d'habitants, pour la plupart illettrés. Dans une moindre mesure, l'imprimerie permet le développement de l'écriture (libelles, pamphlets, journaux, ouvrages scientifiques).


A la fin du XX ème siècle, l'ordinateur individuel est devenu un poste de travail individuel. Il est autant un instrument de lecture qu'un instrument d'écriture. C'est sa différence radicale d'avec un autre écran à images, la télévision. Poussée par la curiosité, la lecture est une activité d'ouverture, de découverte, de réception et de consommation. Aiguillonnée par le souci de la précision et de la rigueur, l'écriture est une activité de définition, d'argumentation, de distinction et de différenciation sémantique. Devant l'ordinateur, des hommes lisent ou écrivent, en manipulant des souris. Grâce à l'Internet, ils parcourent le monde en quelques clics. Pour faire communiquer les humains, cette invention va bien au-delà de celle du TGV et de l'avion supersonique. L'écriture permet une meilleure connaissance, de la réalité (au-delà des souvenirs confus), de soi-même (au-delà des pensées fugaces) et des autres (au-delà du bavardage conforme).


L'hypertexte modifie la lecture et l'écriture.


Attiré par un lien, le lecteur abandonne la démonstration propre à un texte, pour satisfaire sa curiosité relative à un point particulier. Il découvre un autre texte, qui peut se trouver sur un autre site. Le surf peut conduire à ne jamais lire un texte jusqu'au bout et à ne rien approfondir. Il équivaut alors à zapper devant la télévision, pour que ça bouge toujours plus vite. Mais on peut repérer le contexte, le vocabulaire, s'en imprégner, avant de se plonger dans le sujet. Dans l'hypertexte, la lecture est sollicitée à la fois vers l'ouverture et vers l'approfondissement. Les deux directions sont toujours possibles.


Sur un support hypertextuel, l'écriture se développe aussi dans ces deux directions. Dans sa dimension discursive propre, un texte permet de développer un thème, soit par une démonstration linéaire, soit par des distinctions sémantiques de plus en plus fines qui donnent à chaque mot un sens de plus en plus précis. Vers l'extérieur, un lien hypertextuel permet de renvoyer le lecteur à un texte dans lequel un terme trouve la justification du sens précis avec lequel il est actuellement utilisé. Les liens hypertextuels peuvent aussi renvoyer à d'autres textes dans lesquels le même terme prend d'autres sens. Le but est de bien marquer une différence particulière, celle que l'on utilise en cet instant. La distinction sémantique se trouve ainsi illustrée. L'écriture linéaire ne disparaît pas. Elle est une nécessité, pour affiner ou pour démontrer. Mais l'écriture linéaire peut s'appuyer sur d'autres textes, pour situer son enjeu et pour montrer ses voisinages. Un lien permet de suggérer une remarque sans développer une digression. Le discours clos ne disparaît pas non plus, mais il est relativisé par la référence à d'autres discours, tout aussi spécialisés. Un texte n'existe jamais seul. Il doit tous ses composants à d'autres textes. C'est l'intertextualité.


On en vient à écrire pour soi-même de la même manière que pour les autres. Car, écrit ou oral, le discours n'est pas la pensée. Comme la conscience, la pensée est superficielle et volatile. Le cerveau offre peu de place pour la garder. La mémoire à court terme est très limitée. Ce que nous nommons <la pensée> (processus) génère une succession de pensées (produits) fugaces. Chaque pensée efface la précédente. L'écrit permet à la pensée de laisser une trace, de se souvenir d'elle-même ou plutôt de renaître, de se former à nouveau, de rebondir à partir de la trace d'un de ses produits anciens. De même, l'écrit permet à d'autres penseurs de se saisir d'une nouvelle distinction. Un texte utilise les distinctions que d'autres textes ont établi entre des mots. Il utilise ces distinctions pour décrire une partie de la nature interne ou de la nature externe. Nolens volens, il instaure parfois de nouvelles distinctions. Mais, dans le même mouvement, le travail d'élaboration du texte actualise des représentations ou des grains de connaissance dans le réseau de neurones de son auteur. Il les met en connexion mutuelle, il intensifie ces connexions par des va-et-vient répétés entre les thèmes. Le travail d'élaboration du texte est une mise en communication interne, une intensification des flux. Cette élévation du niveau d'échange aboutit à une nouvelle configuration des connexions, à un nouveau frayage, à une nouvelle formulation : le nouveau texte. Le réseau de neurones ne peut rester perpétuellement dans cet état. Il est sollicité en permanence pour de multiples tâches. Son produit ne peut dépasser le contenu limité de la mémoire à court terme. Grâce à l'écriture, le texte qui en résulte permettra, peut-être, de reproduire cette configuration.


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o. 1. Le multimédia mondial, un nouveau support.


Le world wide web est la conjonction de l'ordinateur individuel, de l'hypertexte et du réseau Internet. Certaines technologies complémentaires, comme la fibre optique (les réseaux câblés à péage) et l'ADSL (utilisant la paire du réseau téléphonique commuté traditionnel), permettent une connexion permanente de l'ordinateur personnel (PC) au réseau informatique mondial. Enfin, avec le téléphone mobile incluant l'accès à Internet, le contact peut se maintenir au sein d'un ensemble de lieux de plus en plus large.


En 2003, le temps béni des sites personnels sur le oueb est largement passé. Les petits producteurs indépendants ont souvent disparu. Sous l'effet pervers de la gratuité, la publicité et la communication institutionnelle ont motivé de très grands sites, dont les mobiles compétitifs sont toujours un mélange de domination et de séduction. A son tour, l'Internet est devenu "une immense accumulation de marchandises". C'est la loi de la production capitalistique. Ainsi se préparent de nouveaux réseaux socio-techniques. Mais la toile et la messagerie électronique restent disponibles pour les individus qui veulent se contacter, pour approfondir et partager leurs connaissances.


Le world wide web (ou toile) est une concrétisation de la notion de réseau. Il suppose un réseau physique de câbles entre des milliers d'ordinateurs. Par la commutation automatique, il permet un réseau virtuel entre des millions d'abonnés. Il se manifeste par des liens hypertextuels entre des textes dont les auteurs sont soucieux de mettre en évidence l'intertextualité. Le world wide web est un réseau pour la lecture et pour l'écriture. Plus loin que les chemins de Compostelle de la Chrétienté, plus immédiatement que le réseau ferroviaire de la révolution industrielle, mieux que les grandes compagnies aériennes actuelles, la toile favorise les échanges et la communication. Sa rapidité tient au signal électrique ; son économie résulte de ce que le message circule sans porteur humain ; son efficacité vient de la rédaction des messages et des documents, pour une communication asynchrone. La rapidité des échanges permet une sensation de présence. Le réseau ne remplace pas la présence physique. Il crée une autre forme de présence.


Comme tout réseau de communication, internet favorise un certain nomadisme. Un individu se sent nomade, soit qu'il voyage réellement, soit qu'il ne veuille pas être paralysé par des impedimenta inutiles. Dans les deux cas, il se contente du minimum le plus utile. Le sédentaire reste attaché à sa terre, à l'accumulation de ses objets, à son groupe d'appartenance ou à son dogme. Le sédentaire marque et barricade son territoire ; son identité est communautaire. Le nomade marche et laisse les traces les plus légères ; son identité est autonome. Un nomade immobile organise sa vie en fonction d'une communication d'idées. Le psychanalyste Michael Balint distingue deux grands modes de vie : ocnophilie et philobatisme. L'ocnophile se rassure, en multipliant les objets qui vivent à sa place. Le philobate aime évoluer, léger, dans un grand espace. Les seuls objets dont il s'entoure sont des instruments ou des outils, très performants et très adaptés à son besoin (piolet, tente de paroi ; surf, deltaplane ; ordinateur portable, téléphone cellulaire). Depuis le nomade primitif, ce sont les possibilités de ces outils qui ont changé. Plus l'individu se sent nomade, plus il laisse à des réseaux socio-techniques (la Poste impériale organisée par Agrippa pour Auguste, commanderies des Templiers, prieurés de Cluny, compagnies aériennes, chaînes d'hôtel, réseau ferroviaire, réseau téléphonique, système bancaire, grande distribution internationale) tout ce qui risque de l'encombrer. Il confie à des prestataires de services spécialisés (hébergement des sites, paiement sécurisé, portage) les activités qu'il ne réalise pas aussi bien qu'eux. A l'économie de propriété, le nomade préfère l'économie de location des réseaux modernes. La carte de crédit et les transferts électroniques réduisent les transports de monnaie. Mais la révolution la plus récente vient de ce que le nomade moderne dispose, en ligne, du contenu de plusieurs bibliothèques d'Alexandrie. Autant que le commerce électronique, autant que la mondialisation de la production, cette mise à disposition des textes, des cartes et des images, dans un format consultable et modifiable, nous paraît le véritable défi de l'internet. Si l'ordinateur individuel n'est pas le livre, il importe qu'internet et le cédérom n'en fassent pas la télévision. La toile peut devenir le support d'une réflexion en réseau qui dépasse les possibilités de l'Agora d'Athènes. Certains parlent d'un village global.


Dans la révolution numérique et le multimédia, le world wide web n'est pas le seul support. Le cédérom et le dévédé sont aussi des moyens de travail et d'échange, même si le rythme de mise à jour et le délai de transport sont différents. Outre l'hypertexte, le point commun qui nous intéresse est que le produit fini qu'ils délivrent n'est jamais mort, il est toujours un produit actif. En effet, sous certaines conditions de méthode, l'ordinateur individuel a complètement transformé la notion de brouillon. C'est au point que des psychologues en font un outil thérapeutique. Par sa page toujours propre, sans rature, le traitement de texte aide à dépasser le complexe d'échec de certains enfants en difficulté scolaire. Présentée dans un produit actif, une encyclopédie devient une base de travail, pour soi-même ou pour un autre. Pour les travailleurs de la connaissance, pour l'honnête homme, cette transformation des conditions de travail est une véritable révolution. Le tout numérique constitue un support de lecture et d'écriture, utilisant le même outil de base, l'ordinateur individuel. Tout en respectant le travail et la juste rémunération de chacun, il importe de multiplier cette possibilité. Internet est un lieu d'élaboration et de partage d'idées.


Un réseau est tel à toutes les échelles de grandeur. L'ordinateur individuel et le multimédia permettent de dialoguer avec soi-même comme avec les autres. Ni le discours ni l'écriture ne sont la pensée. Mais l'écriture a, sur le discours, l'avantage de rester disponible pour de nouvelles lectures. L'écriture permet à la pensée de revenir sur elle-même, de se confronter à ce qu'elle a déjà pensé. Cette réalisation de la pensée, ce frayage du réseau de neurones, contribuent à une lente évolution de l'identité. Lecture et écriture s'enchaînent et s'enrichissent. Surtout quand on lit sur un réseau et que l'on écrit pour un réseau. L'écriture hypertextuelle pour un réseau de lecteurs est une nouveauté radicale du world wide web. Il est certain que le réseau contient de multiples lectorats. Le réseau a une propriété de fractalité. Un réseau est constitué de réseaux. Un lectorat global est composé de lectorats spécifiques. On peut, soit considérer l'ensemble comme un tout homogène et anonyme ; soit l'analyser en une multitude de lecteurs individuels diversifiés dont les demandes sont évolutives au fil du temps. La seconde option est fortement encouragée par le courrier électronique et par une sympathie latente, manifestée par certains lecteurs. Ecrire pour un réseau de lecteurs différenciés, plutôt que pour un public ou pour un marché, oblige à imaginer un nombre indéfini de questions possibles. Il semble qu'aucun mot ne puisse être employé sans qu'une définition n'en soit disponible. On ne se pose pas de telles questions quand on crée son lecteur à son image (Lector in fabula de Umberto Ecco). "Tout ce que je sais, il le sait. Cela va sans dire". Une écriture commune, pour des lectorats multiples, ne se confond pas avec des écritures successives, chacune adaptée à un seul lectorat. Ce multi-adressage des textes rend sensible aux incertitudes de tout discours, jamais réellement fondé. Ecrire pour un réseau de lecteurs différenciés, c'est laisser monter en soi des sens multiples ; c'est activer le lecteur, les lecteurs, au sein de l'écrivain ; c'est développer une sorte de mise en réseau, au sein de soi-même. Ecrivain acharné, le philosophe Leibniz avait peut-être cette idée en tête, avec sa notion de monade. La monade narcissique est aussi la préfiguration de l'inconscient et d'une nature interne aussi complexe que la nature externe. Ecrire pour un réseau de lecteurs différenciés, c'est multiplier les instances et le dialogue interne. Ce réseau d'idées, supporté par un réseau de neurones, se trouve élargi et renforcé par cette multiplicité. Inversement, combattre pour une entreprise citadelle, contre les forces d'un marché, c'est renforcer la citadelle en soi. Atome ou réseau, ces deux attitudes ne font pas appel au même principe d'identité. Remplacer la totalité par un réseau, c'est privilégier une pensée de la diversité par rapport à la pensée du même. Il est parfois difficile de savoir si la diversité est plus grande à l'extérieur (les lectorats) ou à l'intérieur (les instances). En témoigne, quand se multiplient les modes qui tendent au dogme, cet éloge d'Octave Mannoni : << En tout ce qu'il écrit, il reprend les questions à leur principe et dans leur infinie complexité. Il est tout l'opposé d'un dogmatique ou d'un tricheur. Jamais il ne s'écarte du souci de la plus grande clarté, car jamais il ne lui est possible de poser une affirmation, sans faire entendre qu'elle peut être contredite de diverses manières, ou du moins sans essayer de la nuancer et d'en faire apparaître toutes les difficultés. D'où l'impression parfois qu'il n'avance rien et que les sujets traités se dissolvent dans la subtilité des attendus. En réalité, c'est un penseur profond que passionnent ou, pourrait-on dire, que fascinent l'élémentaire et l'énigmatique. (Encyclopaedia Universalis, article "Octave Mannoni")>>. Ne faut-il pas s'étonner de la découverte si tardive de l'inconscient ? Contrairement aux quarks, ou au boson de Higgs (2009 ?), elle n'exige aucun appareillage coûteux ! Si l'humanité, jusqu'à ce jour, a particulièrement poussé son analyse de la nature externe, celle de la nature interne marque un net retard. La génétique des populations rappelle un fait surprenant. La diversité des individus que peut engendrer le code génétique est telle qu'il n'y a pas encore eu assez d'humains sur Terre pour que deux d'entre eux soient identiques. Pourquoi cette diversité ne jouerait-elle qu'entre les individus (trop souvent réduits à la norme) et non pas au sein de chacun d'eux ? N'avons nous pas besoin d'admettre la diversité des autres pour voir celle qui nous anime ? N'est pas la pensée du même qui bloque si longtemps l'éclosion de l'individualité autonome et retarde pendant des siècles la découverte de l'inconscient et des discontinuités de la conscience ?


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o. 2. Nouvelle lecture, nouvelle écriture.


L'imprimerie remplace définitivement le rouleau par le livre et le parchemin par le papier. Rapidement, on découpe les ouvrages en chapitres, on numérote les pages du livre et on introduit une table des matières. Le but de ces innovations est de faciliter les recherches dans le texte. Ce fait est déjà révélateur d'une attitude plus active, plus curieuse, plus exploratoire, par rapport au texte écrit. L'écoute du discours oral permet beaucoup moins cette attitude, car, du fait de la diachronie verbale, l'audition doit d'abord être attentive et réceptive. Le texte est présent dans la synchronie. Son écriture linéaire n'empêche pas, lors de la lecture, des retours en arrière, aussi souvent que nécessaire. Les paroles passent ; l'écrit dure. L'écrit laisse du temps, pour que les différences qui constituent le sens puissent approfondir leur effet.


Mais, pendant longtemps, le livre reste, dans l'imagerie consciente ou inconsciente, la transcription d'une parole ou d'un discours. Aristote et Jean-Jacques Rousseau subordonnent le texte au discours. Ferdinand de Saussure voit dans l'écrit "le signifiant d'un signifiant".


- <<Les langues sont faites pour être parlées, l'écriture ne sert que de supplément à la parole (...) L'écriture n'est que la représentation de la parole, il est donc bizarre qu'on donne plus de soin à déterminer l'image que l'objet. (Jean-Jacques Rousseau, "Essai sur l'origine des langues")>>.


C'est seulement au XX ème siècle que Jacques Derrida dénonce cette prégnance du discours sur l'écriture. Cette évolution du regard sur le texte précède Internet. Mais elle est déjà la conséquence de l'ordinateur. La capacité de calcul symbolique, présente dans la moindre calculette, donne plus d'importance au signe dans sa matérialité, qu'à la présence d'un locuteur. Jacques Lacan accorde même une sorte de priorité du signifiant sur le signifié. On peut expliquer cette importance fantasmatique de la parole. Pour le nourrisson, qu'il soit au sein ou au berceau, les premières paroles "tombent du ciel". De même, la priorité (antériorité) du signifiant vient de ce que la langue est déjà-là quand l'enfant apprend à s'en saisir, pour ne plus être infans. La psychanalyse (Julia Kristeva) et l'informatique (Chomsky, Algirdas Julien Greimas) ont contribué à l'élaboration de la théorie du texte. Pourtant, l'organisation des signifiés dépasse celle des signifiants.


De même, à Paris, sous l'influence du cinéma de nouvelle vague, le nouveau roman estompe les personnages et les caractères. Ils baignent dans un milieu dont ils émergent beaucoup moins que les héros classiques. Le roman se déplace de l'extérieur vers l'intérieur, de la diachronie du récit chronologique vers la synchronie des sensations diverses et confuses.


- <<Assez vite (et dans "Le Vent" j'ai expressément formulé cela dans quelques pages) j'ai été frappé par l'opposition, l'incompatibilité même, qu'il y a entre la discontinuité du monde perçu et la continuité de l'écriture. (Claude Simon, 1972)>>.


Depuis son invention, le livre imprimé favorise la multiplication des discours scientifiques spécialisés. Chacun s'émancipe par rapport à la mythologie, à la religion et à la philosophie qui l'ont précédé. Le livre puis l'ordinateur favorisent la prise de conscience de l'existence d'un système de signes. Ils contribuent à démystifier le pouvoir du logos. Ils aident à comprendre que le sens est une question de distinction, de différences pures. L'inspiration vient de ce qu'on laisse parler l'autre, la différence, en soi. C'est ainsi que se multiplient les disciplines scientifiques. Elles sont parfois jalouses de leur autonomie au point de se comporter, elles-aussi, comme des citadelles. Par chance, les outils de la différenciation permettent aussi de communiquer.


Le courrier postal permet, depuis longtemps, une présence de l'être cher, bien qu'il soit géographiquement et corporellement absent (Abélard et Héloïse). Le courrier postal permet aussi la correspondance créatrice des mathématiciens (Blaise Pascal et Pierre de Fermat ; Richard Dedekind et Georg Cantor), des physiciens (James Prescott Joule et lord Kelvin), des médecins et des psychanalystes (Wilhelm Fliess et Sigmund Freud). Grâce à l'écrit, le contenu de pensée de l'auteur est présent au lecteur ; parfois beaucoup plus qu'en présence physique de l'interlocuteur. Nous y voyons une nette supériorité de la communication asynchrone sur le bavardage à bâtons rompus. La théorisation de cette autonomie de l'écriture par rapport à la parole est récente. La parole ne se confond pas avec la pensée. La parole n'a aucune supériorité, aucune antériorité sur l'écrit. L'antériorité réelle est celle de la pensée oscillante sur son frayage linguistique, sans compter l'antériorité des émotions qui animent la pensée. La rupture est la même, de la pensée instable à la parole dite ou de la pensée incertaine à l'écriture fixée.


Dans "L'instinct du langage", Steven Pinker expose les défauts de la langue naturelle. Pour ce disciple de Noam Chomsky, la langue naturelle est appropriée à la communication. Mais ses défauts la disqualifient pour être, simultanément, la langue de la pensée. Nombre d'animaux ont une pensée, sans avoir de langage articulé. Pinker argumente l'hypothèse d'un langage de la pensée qu'il nomme mentalais. Par contre, la pensée a besoin de s'exprimer pour se fixer, pour se communiquer, pour se partager ou même pour se prolonger au-delà du sommeil. Surtout que les sentiments ou les émotions qui la font naître peuvent disparaître.


L'expression, orale ou écrite, nous oblige à linéariser un état mental, un contenu de pensée. Certaines personnes sont particulièrement habiles dans cette tâche de linéarisation. On s'aperçoit alors qu'il est d'autant plus difficile de suivre leur conversation. Il est beaucoup plus utile de lire et de relire leurs textes. Un contenu mental peut s'imaginer comme l'activation d'un réseau de neurones plus ou moins vaste. Quand, dans un effort de remémoration, nous cherchons un mot ou une idée, c'est que le réseau actuel manque d'un ou de plusieurs composants. Peut-être situés en bout de ligne, ces composants restent en marge du réseau. L'effort de mémoire consiste à les mettre, au moins provisoirement, au cœur du réseau, en multipliant leurs connexions avec d'autres idées. La conscience n'est peut-être que la partie du réseau qui se trouve, provisoirement, la mieux interconnectée. Après une interruption (repas, nuit, week-end voire vacances), nous savons tous qu'il faut réactiver, difficilement, le réseau de neurones qui supportait nos pensées avant la pause. Pour cela, nous devons lire et relire les textes que nous lisions et que nous écrivions avant de marquer l'arrêt. Nous devons nous "replonger dans le sujet" ou "recharger le contexte". Par une diachronie (succession de lectures) nous rechargeons une synchronie (co-présence et articulation de thèmes par des liens multiples). Par la connexion de petits réseaux, nous reconstituons un grand réseau, thème par thème. Parfois même, un rabâchage, mot à mot, est nécessaire. Il nous arrive de sentir que les thèmes de connaissance importants sont tous présents, mais que les liens entre eux sont trop faibles ou trop rares. Dans la polysémie des mots, nous n'activons peut-être que des significations trop courantes, trop banales, mais pas les bonnes acceptions. Nous n'utilisons pas tous les grains de connaissance. Nous 'survolons' le sujet, au lieu de 'baigner' dedans. Il faut faire boucler le réseau de neurones sur lui-même pour renforcer l'action des synapses. (Des expériences sur les rats le montrent). Nous sommes enfin imprégnés du sujet (et de neurotransmetteurs) quand le réseau synchronique, formé par les thèmes présents dans l'esprit, est particulièrement connexe et intense. C'est ce que l'athlète nomme la concentration, quand il récapitule mentalement ses gestes, avant de tenter l'exploit ou le record. La co-présence des connaissances et leur intense connexion dans un réseau de neurones est source d'intuition ou de découverte subite, phénomène immortalisé par le cri d'Archimède (287-212 avant Jésus-Christ) en sortant des thermes. Le phénomène d'émergence de propriété est le terme moderne. Il remplace celui d'inspiration, employé par Hésiode, par Homère ou par saint Augustin. Dans un tel état d'illumination, il se forme sûrement de nouveaux liens entre thèmes, que nous ne notons pas. Ce qui explique qu'ensuite, nous ne retrouvions plus certaines intuitions trop fugaces. Quand il s'agit d'un mot, nous disons : <je l'avais sur le bout de la langue>. Pour une idée, nous avons la formule : <cela m'a traversé l'esprit>. Jean-Pierre Changeux et Alain Connes ont disserté sur ce sujet de l'intuition mathématique.


On comprend alors que, plus le livre s'efforce de linéariser l'expression et la démonstration, plus le texte opère une réduction du contexte dans lequel il a été élaboré. Pourtant, la compréhension d'un texte exige du locuteur qu'il produise, autour du texte, un contexte suffisant pour le recevoir. La théorie de l'information dit que pour être reçu, un message doit être attendu avec le code adéquat. Certains textes font des ouvertures vers leur contexte C'est le rôle, conscient ou inconscient, de certaines connotations, sur lesquelles joue la poésie. D'autres textes n'évoquent pas leur contexte. Ils peuvent même le masquer, soit pour rendre le texte plus hermétique, soit, plus simplement, pour protéger l'intimité de leur auteur. Certains écrits de Freud semblent cacher les raisons profondes qui le poussent à introduire un nouveau concept ("mais ceci ne nous regarde pas" ; dans la science et la "République des lettres", personne n'est obligé de se confesser en public). C'est le cas pour l'introduction de la pulsion de mort, dans le texte intitulé "Au-delà du principe de plaisir".


C'est une habitude de la science que de taire les motivations et les sentiments qui ont contribué à l'élaboration d'un concept. Motivations et sentiments sont sans effet sur les lois physiques et sur les théorèmes mathématiques, mais ils concernent l'histoire des idées et les obstacles épistémologiques. Les systèmes de signification de la science font donc des sauts. Deux systèmes successifs sont séparés par la coupure épistémologique qui accompagne un changement de paradigme. Avec Georg Cantor et Richard Dedekind, la théorie des ensembles extirpe toute la charge ontologique dont les nombres étaient porteurs depuis Platon. Puis Ernst Zermelo (1871-1953), Albert Thoralf Skolem (1887-1963) et Adolf Abraham Fraenkel axiomatisent ce système dit "naïf". En Mathématiques, toute ressource a un nom. On démontre un théorème en nommant tous les théorèmes qu'utilise la démonstration. Mais les idéalités mathématiques sont un cas extrême. L'axiomatisation des nouveaux objets venant toujours après-coup, les mathématiques ne sont pas à l'abri des paradoxes. <<...comme le vocabulaire mathématique ne possède pas deux noms différents pour chaque notion, on est contraint d'utiliser dans le modèle les mots courants du langage mathématique, évidemment dans un sens tout différent de leur sens habituel. L'exemple classique de ce phénomène est le paradoxe de Skolem qui provient du nouveau sens que prend le mot 'dénombrable' quand on l'interprète dans un modèle de la théorie des ensembles. (J.-L. Krivine)>>. Dans la vie courante, texte sans contexte n'est que ruine de la culture.


La clarté des idées formulées ou simplement la belle ordonnance des lignes dans la page ne reflète pas l'état du cerveau de l'écrivain voire l'état du bureau sur lequel sont ouverts 5 à 10 livres à la fois. Les mots alignés sont l'image du langage comme outil de communication. Le chaos des livres sur le bureau est plus près de la réalité du mentalais dans le réseau de neurones. L'hypertexte serait une sorte d'implémentation informatique du chaos cérébral de la pensée créatrice. Il peut sembler inutile, pour qui ignore les vertus de la méthode dichotomique, d'indiquer l'existence de voies autres que celle qui est suivie. Pourtant, on ne connait vraiment la solution d'un problème que lorsque l'exposé de la solution ne masque pas la nature du problème. (- Dis papa, c'est quoi un bordel ? - C'est un lieu où des hommes et des femmes vont pour faire des péchés !). On doit savoir pourquoi seule la voie suivie peut être une solution. En montagne, en forêt ou en ville, on ne connaît jamais le bon chemin si l'on croit naïvement qu'il est le seul.


L'hypertexte permet, éventuellement, une lecture buissonnière, permanente mais discontinue. La multiplication des liens traduit la nécessaire co-présence "en parallèle", dans le réseau de neurones, des idées que le texte développe "en série". Tandis que le texte se déroule sur l'axe syntagmatique du langage, les liens hypertextuels signalent, en certains points choisis, un aspect de l'axe paradigmatique. Il est donc possible de faire une petite exploration du contexte avant d'approfondir le contenu et l'argumentation d'un texte.


A cela s'ajoute un autre fait. Le livre est un produit fini mort. Le fichier informatique est un produit actif. L'acte de lecture, sur un écran d'ordinateur, modifie radicalement le rapport au texte. On ne lit pas une oeuvre d'art intangible. On lit un fichier informatique dont on peut faire autant de copies différentes (versions) que l'on veut. A tout moment de la lecture, tandis que le clavier et la souris servent au défilement du texte, il est possible de mettre en évidence certains passages (gras, souligné, retour à la ligne, etc). On peut ajouter, immédiatement, des remarques, des compléments ou des commentaires, tandis qu'une autre version (gravée sur cédérom) préserve le texte original. Le support électronique abolit la distinction radicale entre la lecture et l'écriture. La lecture devient, tout de suite, beaucoup plus active et réactive. La contemplation passive reste le fond de commerce de la télévision et du cinéma.


La lente lecture d'un texte ou d'un ensemble de textes difficiles est entrecoupée par des moments d'écriture. Disposant d'un texte délivré comme un produit actif, le lecteur actif ressent le besoin de formuler les bribes de ce qu'il croit avoir compris. Ayant objectivé par écrit l'état provisoire de sa pensée, il peut le confronter aux formulations desquelles il a tiré ses informations. C'est une manière de prendre connaissance des informations contenues dans le document. On ne peut jamais comparer des connaissances internes à d'autres connaissances internes. Soit nous tentons d'assurer la cœxistence de toutes ces connaissances internes dans un même réseau de neurones (c'est une forme de travail interdisciplinaire). Soit nous comparons des connaissances internes à la formalisation écrite d'autres connaissances internes. Nous opposons un état mental de connaissance à des informations écrites ou entendues. Nous confrontons l'activation d'un certain réseau de neurones à un état mental virtuel, celui qui tend à s'actualiser par la lecture des informations. Ces informations peuvent être reçues d'un autre. On peut aussi relire des informations écrites par soi-même. Cette comparaison d'un état mental actuel et d'un état mental virtuel est fugitive. Peut être utilise-t-elle une mémoire à court terme. Soit la connaissance interne actuelle rejette les informations non-compatibles, soit le fait d'ajouter une information nouvelle modifie le réseau de neurones au point de produire un nouvel état mental. Il y a alors, soit confusion mentale ("tu m'embrouilles, je n'y comprends plus rien"), soit assimilation des informations en connaissances ("mais oui, tu as raison, j'ai compris"). Nous ne pouvons pas avoir durablement deux états de conscience simultanés.


L'ordinateur nous permet d'organiser la mémorisation des connaissances (organisation des signifiés) tandis que lui-même assure le stockage des informations (organisation des signifiants). Mais c'est à chacun de nous d'organiser l'une par l'autre et le dialogue entre les deux. Là encore, la dialectique du texte et du contexte joue son rôle. Au fil du temps, les supports associatifs de notre mémoire cérébrale doivent se renouveler. Ce qui n'est jamais sollicité dans les interactions d'un réseau de neurones finit par être oublié. Les synapses privilégient d'autres acquisitions. La relation qu'une information, devenue connaissance, entretient avec son contexte originel se relâche peu à peu. Un enfant associe le mot <avion> au contexte dans lequel il a découvert cet objet merveilleux. Il suffit de lui parler du contexte pour qu'il évoque l'avion. Un adulte qui prend l'avion plusieurs fois par semaine ne bénéficie plus des indices de mémorisation que fournit le contexte initial (effacé par habituation). Pour associer l'avion, l'adulte a besoin de se souvenir du charme particulier d'une hôtesse de l'air ou d'une situation typiquement mnémotechnique. Pour éviter l'oubli des grains de connaissance (engrammes), il faut les associer dans d'autres contextes, les lier à d'autres grains. Au fur et à mesure des lectures, la multiplication des liens suppose le renouvellement des contextes. D'où une réactivation, dans la mémoire, des notions ainsi reliées.


Ce que permet l'ordinateur, c'est de garder la trace de toutes les informations qui ont été fournies à la mémoire cérébrale. Comme le cerveau le fait pour les connaissances, on peut organiser des liens entre les informations électroniques (il s'agit de l'interface visible par l'utilisateur : les caractères, les mots, les phrases, les textes). Rien ne garantit que le réseau des informations soit isomorphe au réseau des connaissances. Grains d'information et grains de connaissance ne sont pas identiques. Nous ne savons pas comment se font nos propres connexions cérébrales, ni ne pouvons contrôler leur formation. Mais nous pouvons relier les informations entre elles de manière à pouvoir les charger dans le même contexte de relecture. L'activation d'un certain contexte informationnel peut nous rapprocher de la partie cognitive d'un certain contexte mental. D'un point de vue pédagogique, il est bon de faire le bilan des présupposés de chaque texte.


Depuis longtemps, la lecture active du texte modifie la perception du livre. L'ouvrage perd sa vertu magique et devient un outil de travail, le jour où on est capable d'écrire dans la marge de ses pages, comme Pierre de Fermat. Mais le document informatique va bien au-delà sur ce point. La nouvelle lecture tend à devenir une nouvelle écriture. Sur son propre ordinateur, à partir de ses notes de lecture, le lecteur actif se crée un réseau documentaire local, pour sa navigation personnelle. Simultanément, le texte que prépare l'auteur qui pense à l'Internet n'est plus soumis à la contrainte de prendre la forme d'un livre. L'auteur n'est pas condamné à une écriture close ni cantonné à l'inévitable écriture linéaire. Les lecteurs d'internet cherchent des documents pour en prendre connaissance. Tous ne cherchent pas le dernier livre à la mode, pour dire qu'ils l'ont lu. Certes, les écrivains professionnels sont astreints à faire de la littérature, comme les chercheurs ont l'obligation de multiplier les publications. Ces deux catégories d'auteurs sont soumises à la règle publier ou périr. C'est pourquoi Internet n'est pas la mort du livre, encore moins celle de la lecture. Mais, tant pour la lecture que pour l'écriture, le world wide web et le multimédia sont ouverts à bien d'autres personnes. C'est cette opportunité qu'il faut saisir, pour multiplier les genres (littéraire, scientifique, artistique, intimiste). Il faut développer cette nouveauté, en ayant conscience d'un autre enjeu.


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o Conclusion du cycle "Des Marchés et des Métiers".


- Ici se termine le cycle historique dont le but était de montrer la variation des représentations de la réalité. Dans "La Réalité et ses représentations", nous partions du constat qu'aucun individu n'est capable de se forger une représentation instantanée et réaliste de la réalité. Tout en vivant dans l'unique réalité, nous pensons chacun dans une réalité apparente. Cette vision partielle entre en contradiction avec l'influence, devenue non-marginale, que l'humanité exerce sur son environnement immédiat, la Terre. Bien que celle-ci soit une partie infime de l'Univers, son état doit avoir une grande importance pour nous.


- L'enjeu est donc de réussir à produire une représentation partagée de l'Univers, pour assurer la pertinence du comportement global de l'humanité à l'égard de la réalité. Telle est la condition d'un développement durable. Chacun de nous verra toujours sa pensée bornée par un horizon. Chaque discipline scientifique sera toujours le domaine de travail de spécialistes compétents. Mais la représentation même de la connaissance et celle du discours auront subi une évolution. L'individu réseau ne se perçoit ni comme un hologramme de sa communauté ni comme un individu citadelle. L'individu réseau n'appartient pas, mais participe. L'individu réseau n'est plus habité par une image de la totalité (l'ethnie ou lui-même), mais par celle d'une globalité réticulée à laquelle il veut participer. L'individu réseau ou gnosibole connait ses limites, mais il sait qu'au-delà de ses contacts personnels, une réalité indépendante et réticulaire se prolonge. C'est justement ce qui se passe avec les liens hypertextuels qui sortent du site web de l'individu et surtout avec les messages électroniques qui parcourent le globe. La motivation de l'individu gnosibole n'est pas poussée par une pulsion énergivorace. Elle ne s'arrête pas non plus à une compulsion infovorace de téléchargement de fichiers numériques. Dans le même temps, l'entreprise citadelle "met du réseau dans ses pyramides" et participe, de sa place, à de très vastes réseaux socio-techniques. Le cœur du problème est l'ouverture à la globalité et la perception du "Défi de la Connaissance". C'est pourquoi ce document, qui clôt ce cycle, complète aussi "L'Encyclopédie d'Entreprise" et "La Mémoire Organisationnelle".


- Nous avons vu comment les marchés et les métiers émergent lentement d'un monde de la domination. Par la monnaie et par la séduction, les marchands grignotent le pouvoir politique des guerriers dont la domination est justifiée par les prêtres. La domination comme principe est la règle de ce monde ancien. Elle est un principe d'intelligibilité pour les prêtres ; elle est un principe d'organisation pour les guerriers. D'une certaine manière, les marchés et les métiers sont l'émergence et la revanche du tiers-état. Nous y avons trouvé cette identité propre à la modernité.


- Nous avons vu aussi que l'économie de marché, malgré sa forte instrumentalité, ne peut pas constituer une société de marché. Avec la mondialisation, cette instrumentalité évolue vers des réseaux socio-techniques à l'échelle de la Terre. Reste à englober tout cela dans une société, dont le principe ne soit pas la domination rationnelle du "meilleur des mondes". En adoptant la communication comme principe, il est possible d'éviter l'Etat totalitaire.


- Grâce à l'Internet, l'identité procurée par une écriture partagée peut dépasser aussi bien le cadre de l'entreprise que celui de l'Etat-nation. Cette identité construite élabore un tissu social plus vaste que les marchés et plus participatif que les Etats. Pour l'économie capitaliste qui se développe dans une société structurée par un Etat, l'écriture partagée supplée à l'absence d'un gouvernement mondial, quand la mondialisation des marchés et des entreprises dépasse le cadre de chaque Etat-nation.


- A ce jour, l'écriture collective ne va guère au-delà de ce que Bourbaki réalise dans ses "Eléments de mathématiques". A l'autre pôle, le world wide web illustre la forme qu'un chaos structurant peut donner à un réseau documentaire, à travers une écriture chaotique. Ces deux extrêmes ont leurs avantages respectifs. La multitude des motivations individuelles fait d'Internet une source d'information considérable. Il importe d'autant plus à chacun de s'approprier ces informations sous la forme de connaissances. De l'autre côté, la lente construction des objets mathématique n'est pas à la portée de tous. Bien des domaines de connaissance, utile pour prendre des micro-décisions ou pour faire des choix de citoyen, ne requièrent pas une telle formalisation. Oscillant entre ces deux pôles, une écriture partagée est souhaitable. Elle assure une certaine transitivité entre eux. Tel est l'objectif de la percolation des connaissance, malgré les cloisonnements disciplinaires. L'écriture partagée réalise un partage des informations et favorise la connaissance par des représentations partagées.


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o Auteur


Hubert Houdoy

Créé le 10 Juin 1998.

Modifié, le 27 Octobre 2002, le 18 Août 2003, le 11 Mai 2008, le 17 Juin 2008


o Bibliographie


"Matière à pensée"

Jean-Pierre Changeux et Alain Connes

Éditions Odile Jacob

Paris, 1989.


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o Précédent


resenoma : Réseaux Nomades. "Des Réseaux et des Nomades"


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o Définitions


Les termes en gras sont tous définis sur le cédérom encyclopédique.




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Mise à jour des liens hypertextuels : Mercredi 25 Juin 2008