Réseaux socio-techniques


(a) Illustration par l'exemple. Historiquement, le chemin de fer, le téléphone, le réseau de communication entre ordinateurs nommé Arpanet puis Internet, le World wide web qui se développe sur ce dernier sont des exemples de réseaux socio-techniques.


(b) Essai de définition. Un réseau socio-technique se distingue des anciens réseaux d'abbayes et de prieurés des chemins de Compostelle par la technicité qui y est mise en oeuvre. Mais, dans l'Antiquité, les réseaux d'irrigation (Chine, Babylone, Egypte) étaient déjà des réseaux socio-techniques. Comme pour l'abbaye de Cluny et les commanderies des Templiers, un réseau socio-technique est le lieu de toute une vie sociale, qui dépasse très largement l'aspect technique des outils impliqués. Enfin, il y a réseau parce que de nombreuses organisations participent à la construction et au fonctionnement de ce réseau, en respectant des normes communes (souvent des standards de fait) et sans pouvoir considérer les usagers du réseau comme un marché captif. Il peut s'agir soit :


- d'organisations réelles : des abbayes, des entreprises, des Etats, selon les époques ;


- soit d'organisations virtuelles : des ensembles de pélerins qui ne font que se croiser ; des foules de voyageurs dont les contacts sont le plus souvent sans lendemain ; des contributeurs isolés à l'écriture de l'encyclopédie collaborative Wikipédia.


(c) Les marchés étaient des univers de compétition pour les entreprises. Les réseaux socio-techniques sont de nouveaux enjeux. Ils poussent les mêmes entreprises à la normalisation et au partenariat. Ceci ne fait pas disparaître la concurrence. Devant la vague de l'ordinateur individuel (comparable à l'esprit des pélerins partant en roméage ; certains d'ailleurs revenaient de Katmandou), le géant IBM a dû se rallier au phénomène micro-ordinateur (Tandy, Commodore, Apple) qui n'est pas sorti de ses laboratoires. Mais c'est lui qui a créé le standard de fait de l'ordinateur personnel (PC) et fait la fortune de Bill Gates. Plus tard, Microsoft lui-même a dû s'adapter à l'existence d'Internet, réseau mondial à la création duquel l'entreprise n'avait pas participé.


(d) Plus généralement, l'émergence des réseaux socio-techniques (aussi bien le chemin de fer et le téléphone qu'Internet et le World wide web) est le résultat de la tension des contraintes de reproductibilité de la production industrielle dans les systèmes naturels.


(e) En effet, du fait même de son succès technique sur la planète Terre, alimenté par sa volonté de puissance, l'homme doit prendre en compte le développement durable de la population de l'humanité. Il doit veiller à la reproductibilité de ressources simples comme l'eau ou l'air.


(f) Cette contrainte de reproduction est nouvelle. Les Etats totalitaires peuvent envisager l'extermination des populations extérieures (Gengis Khan aux débuts de ses conquêtes ; le nazisme il y a peu de temps), parce que concurrentes dans l'accès aux ressources. Les entreprises capitalistes doivent conquérir de nouveaux marchés et donc convaincre des consommateurs potentiels (donc vivants).


(g) Transformation. Tandis qu'une rivière est un élément d'un système naturel, le réseau d'adduction d'eau est un réseau socio-technique qui intègre les rivières.


(h) Le réseau socio-technique est la forme moderne ou développée des systèmes naturels quand l'influence de l'homme n'y est plus marginale mais déterminante.


- Nolens volens, les pistes de chasse du Néolithique sont créées par le passage des animaux, suivis par les chasseurs. Les pointes de silex oubliées ne suffisent pas à produire un pavage.


- La voie romaine s'affirme, rectiligne, dominatrice, dans un paysage encore agreste.


- Le canal, la voie ferrée sont des investissements lourds, pour un débit de masse.


- La généralisation de la fibre optique prendra du temps, mais l'ADSL multiplie l'usage du cuivre de la paire téléphonique. Des satellites prennent le relais, depuis l'espace proche.


(i) Les réseaux socio-techniques manifestent une continuité et une solidarité entre la pensée organisatrice des projets et le chaos structurant des systèmes spontanés.


(j) Les réseaux socio-techniques sont la condition d'existence et d'efficacité du nomade moderne.


(k) De nombreux besoins fondamentaux (eau, énergie électrique, transport, messagerie) se traduisent par la mise en place de vastes réseaux socio-techniques. Les chemins de fer, la Poste, l'observation météorologique et l'aviation sont ceux dont les normes techniques ont très rapidement franchi les frontières des Etats.


(l) Nous assistons à la mise en place de nouveaux réseaux, dont Internet est le parangon. Leur principe de fonctionnement est mondial. Son existence pousse à la réorganisation des autres réseaux socio-techniques à la même échelle. C'est le cas pour l'interconnexion des Bourses des valeurs et des marchés à terme. Mais eBay et Amazon montrent que le marché d'occasion et la librairie n'échappent pas à cette contagion.


(m) Dans le cas du world wide web, le principe de la gratuité une fois instauré, pour des causes relativement accidentelles, il a été très difficile de revenir en arrière. C'est pourquoi la gratuité reçue a été financée par le recours à la publicité. Cet exemple peut entraîner une certaine contagion.


(n) Mais, au-delà de la publicité, la gratuité organisée exige un grand degré de responsabilité et de conscience. En effet, l'inconscience naturelle est propice à la tyrannie de l'Etat. Celle-ci a été contestée par la libre circulation des marchandises.


(o) Introduire une gratuité volontaire contre les forces du marché suppose encore plus de conscience et d'imagination.


- <<Les solutions payantes peuvent être techniquement différentes, mais le type de société qu'elles dessinent est toujours le même (le maximum de droit pour qui a le maximum d'argent) et s'il n'y a qu'une façon marchande de limiter le stationnement automobile dans les villes - payer ! - , les solutions gratuites sont diverses avec des effets qui peuvent être contradictoires ; elles impliquent un vrai travail de réflexion collective, et de vrais choix puisqu'il peut y avoir plusieurs solutions efficaces. La régulation par l'argent est la plus paresseuse des issues. Ceux qui l'imposent s'appuient sur la lassitude globale d'une société qui, en dépit de résistances partielles et momentanées, a fini par se soumettre au dressage du marché, par y voir la nature des choses. Au contraire, chaque fois qu'on envisage d'aller vers la gratuité, il faut d'abord engager la bataille contre les forces puissantes et voraces qui règnent sur l'argent, sur la puissance publique et sur les idées reçues. Mais ce combat négatif est tout juste destiné à déblayer la route. Ensuite, il faut que les esprits se mettent à travailler, à communiquer, à s'entendre. Et à s'entendre pour la chose la plus difficile qui soit : faire du nouveau. Imaginer des solutions gratuites n'est pas seulement un objectif transformateur par le type de vie sociale qui en découle ; c'est aussi transformer radicalement les formes et le contenu de l'intervention civique, c'est élever au niveau supérieur la pratique de la démocratie. (Jean-Louis Sagot-Duvauroux, "Pour la gratuité", Desclée de Brouwer, 1995, mais aussi document du web)>>.


(p) Références d'usage du terme :


- <<Dans la région de Massaroca, se dessine aujourd'hui un réseau socio-technique qui relie les agriculteurs éleveurs de caprins et ovins avec d'autres associations de producteurs, des techniciens des services de recherche, la vulgarisation, le service d'appui aux micro-entreprises, les restaurants, les commerçants de bétail, les sociétés de développement de l'irrigation, les écoles techniques, la banque de Développement, des élus locaux, le curé, etc. Les premières Rencontres sur la petite Agro-industrie rurale du Nordeste ont révélé l'importance et la dynamique de ce réseau dans la Vallée du Sao Francisco. (Michel Cahen, "Des protestantismes en lusophonie catholique", 1998, World Christianity)>>.


- <<On oppose souvent la description de réseaux socio-techniques à l'explication qu'il faudrait ensuite en donner. A entendre de nombreux critiques de la sociologie des sciences et des techniques jamais une description d'une étude de cas aussi méticuleuse que l'on voudra ne suffira à fournir une explication de son développement. Une telle critique emprunte à l'épistémologie la différence entre l'empirique et le théorique, entre le comment et le pourquoi, entre la collection de timbres-postes - méprisables - et la recherche de causalité - seule digne d'attention. Or, rien ne prouve que cette ressource intellectuelle soit nécessaire. Si l'on déploie un réseau socio-technique - nous entendons par ce mot à la fois les innovations, leurs actants et les opérations de traduction, c'est-à-dire les trois types de diagrammes définis jusqu'ici - il n'y a pas de cause supplémentaire à rechercher. L'explication est donnée avec la saturation de la description. On peut certes continuer à suivre des actants, des innovations et des opérations de traduction à travers d'autres réseaux, mais jamais on ne quittera la tâche de description pour passer à celle d'explication. L'impression que l'on peut parfois offrir une explication en sciences exactes comme en sciences humaines, est dûe à la stabilisation même des réseaux, stabilisation que la notion d'explication "n'explique" justement pas ! L'explication, entre nos mains, retrouve ainsi son sens étymologique de "dépliement". Il ne s'agit plus d'aller rechercher en dehors des réseaux des causes mystérieuses et globales qui manqueraient à leur développement. S'il manque quelque chose c'est que la description n'est pas complète. Point. Inversement, si l'on est capable d'expliquer des effets par des causes c'est qu'un réseau stabilisé est maintenant en place. Nous espérons que la cartographie des réseaux socio-techniques permettra d'aider à cette description, à ce dépliement, à cette explication qui nous font, pour l'instant, si cruellement défaut. (Bruno Latour, Philippe Mauguin et Geneviève Teil, "Une méthode nouvelle de suivi socio-technique des innovations : Le graphe socio-technique", document du web)>>.


(q) Voir Activités en réseau et à distance. Complexe social. Etat. Organisation. Représentation parlementaire.


(r) Lire "AEH Valeur". "Marchés Métiers". "Organisations Virtuelles". "Réseaux Nomades". "Voies Romaines et Chemins de Compostelle".


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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Lundi 26 Mai 2008



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