Bible


(a) Du pluriel grec <Biblia> signifiant "les livres" (sacrés), la Bible est "le Livre" (hè Biblos), par excellence. Flavius Josèphe parle de "vingt-deux livres (biblia)". Les Qumranites (auteurs des manuscrits de la Mer morte) disaient "le Livre", au singulier. Le terme est employé en France depuis le XII ème siècle. Une bible est un livre contenant le texte de la Bible.


(b) La Bible n'est pas le texte le plus ancien et la rédaction est toujours tardive par rapport aux "faits". En particulier, d'agissant de La Création. La Bible peut d'abord être considérée comme l'histoire légendaire et religieuse du peuple hébreux. Le terme juif est Torah. De la même manière, certaines parties de la Mythologie Grecque, principalement l'Illiade d'Homère qui raconte la Guerre de Troie, sont une transposition de l'histoire réelle. Mais, par rapport à d'autres textes historiques et religieux, la Bible est le premier exemple du monothéisme (la croyance en un seul Dieu). C'est ce qui explique son influence.


(c) Le terme <Bible> est typiquement chrétien, depuis le III ème siècle. A partir de Tertullien (vers 155-vers 225), la religion chrétienne fait des textes hébreux d'avant Jésus-Christ, un "Ancien Testament". Elle considère comme "Nouveau Testament" ou "Nouvelle Alliance", l'enseignement de Jésus-Christ, transmis par les quatre évangélistes (Matthieu, Marc, Luc et Jean, déclarés non-apocryphes). S'y ajoutent les Epîtres de Paul (I er siècle). Puis viendront les textes d'Irénée de Lyon (vers 132-vers 208), d'Augustin (354-430) et de tous ceux qui sont considérés comme les Pères de l'Eglise.


(d) Le 8 avril 1546, le concile de Trente déclare que la seule Bible authentique et canonique est la "Vulgate" (vulgata editio, "édition communément employée"). <<la vieille édition de la Vulgate, approuvée dans l'Eglise par le long usage de tant de siècles, doit être tenue pour authentique dans les leçons publiques, les discussions, les prédications et les explications, et que personne ne doit avoir l'audace ou la présomption de la rejeter, sous aucun prétexte>>. Il s'agit de la traduction de la Bible, en langue latine, par saint Jérôme (331-420).


(e) Saint Augustin affirme l'inspiration des textes, en disant que Jérôme a écrit sous la "dictée" de l'Esprit.


- <<Par la foi, nous croyons que l'auteur du livre est l'Esprit-Saint. C'est donc lui-même qui l'a écrit, lui qui l'a dicté : il l'a écrit lui-même, lui qui a été l'inspirateur de l'oeuvre. (Grégoire le Grand, 590-604, "Moralia", Préface)>>.


(f) La Bible fut longtemps considérée comme la vérité, tant pour la description de La Création du monde que pour la fixation de la morale. Puisque la Bible condamne l'homosexualité (Genèse, XVIII et XIX ; Lévitique, XVIII et XX ; Juges, XIX ; Sagesse, XIV ; Romains, I ; I Corinthiens, VI), les Pères de l'Eglise la décrètent "contre-nature" voire "contre-raison" (Pierre Damien, Albert le Grand). La pauvreté du Christ n'a pas eu le même succès. Pendant tout le Moyen âge, la Bible et Aristote dominent à la fois la Théologie, la Philosophie et les sciences (les arts). Cette doctrine est encore très présente chez Leibniz, Kant ou Hegel.


(g) Le Protestantisme (Luther, Calvin, Anglicanisme) demande un retour au texte, par chaque croyant. Dans ce but, en 1536, Thomas Cromwell ordonne qu'une bible soit à la disposition des fidèles dans chaque paroisse. Martin Luther traduit la Bible en allemand. En 1977, elle est traduite en mille six cent trente et une langues. Chez les Catholiques, un tel retour individuel au texte attendra le XX ème siècle. La traduction dominicaine, dite Bible de Jérusalem, date de 1955. Une "Traduction oecuménique de la Bible" (T.O.B.) a été éditée en deux temps : le Nouveau Testament en 1973, l'Ancien Testament en 1975.


(h) Contemporain de Bossuet, l'Oratorien Richard Simon (1638-1712) est un précurseur de l'exégèse scientifique de la Bible. Avec Le Sacrifice interdit et Abel ou la traversée de l'Eden, la psychanalyste Marie Balmary illustre la possibilité d'une lecture psychanalytique de la Bible.


(i) Sans être le seul, la Bible est le prototype de la fascination que peut exercer un discours clos, censé contenir, fusse en germe, la réponse à toutes les questions. De fait, il n'est pas possible de constituer une totalité sans un fétiche. C'est face à cette croyance que s'est constitué la méthode de la science. Le procès de Galilée a souvent été la référence. Sa "lettre à Christine de Lorraine" pose ouvertement la question de deux champs de recherche.


(j) Abraham Gottlob Werner (1749-1817) montre que l'âge de la Terre est beaucoup plus important que celui qui est donné par la Bible. Lord Kelvin (1824-1907) chiffre l'âge de la Terre entre 100 et 200 millions d'années. Mais, sous le nom de scientisme, la science a bien souvent reproduit ce besoin d'un texte contenant le dogme. Il a fallu Karl Popper pour que les conjectures qui n'ont pas fait l'objet d'une réfutation ne soient considérées que comme des... conjectures (certains diraient "un canular qui dure").


(k) Il est une particularité de la Bible, relativement aux mythes, que René Girard se plaît à rappeler :


- <<Dans la Bible, toutes les victimes n'ont pas autant de chance que Joseph, elles ne réussissent pas toujours à échapper à leurs persécuteurs et à tirer parti de la persécution pour améliorer leur sort. Le plus souvent elles périssent. Comme ces victimes sont seules, abandonnées de tous, encerclées par des persécuteurs nombreux et puissants, elles se font écraser. L'histoire de Joseph est heureuse, «optimiste» en ceci que la victime triomphe sur tous ses ennemis. D'autres récits bibliques, au contraire, sont «pessimistes» mais cela ne les empêche pas de témoigner en faveur de la même vérité que l'histoire de Joseph et de s'opposer au mythique exactement de la même façon. La spécificité du biblique ne consiste pas à peindre la réalité sous des couleurs riantes et à minimiser la puissance du mal, elle consiste à interpréter objectivement les tous-contre-un mimétiques, à repérer le rôle joué par la contagion dans les structures d'un univers où il n'y a encore que des mythes. Dans l'univers biblique, les hommes sont aussi violents, en règle générale, que dans les univers mythiques et les mécanismes victimaires y abondent. Ce qui diffère, en revanche, c'est la Bible, c'est l'interprétation biblique de ces phénomènes. Ce qui est vrai de Joseph est vrai, sous des formes diverses, des narrateurs d'un grand nombre de psaumes. Ces textes sont les premiers, je pense, dans l'histoire humaine, à donner la parole à des victimes typiques de la mythologie, assiégées par des foules hystériques. (René Girard, "Je vois Satan tomber comme l'éclair", Éditions Grasset & Fasquelle, 1999, pages 182-183)>>.


- <<Le livre de Job est un immense psaume et ce qu'il y a d'unique en lui c'est l'affrontement de deux conceptions du divin. La conception païenne est celle de la foule qui a longtemps vénéré Job et qui d'un seul coup, par un caprice inexplicable, purement mimétique, s'est retournée contre son idole. Elle voit dans son hostilité unanime, comme naguère dans son idolâtrie, la volonté de Dieu lui-même, la preuve irréfutable que Job est coupable et doit confesser sa culpabilité. La foule se prend pour Dieu et, par l'intermédiaire des trois «amis» qu'elle a délégués auprès de lui, elle s'efforce, en le terrorisant, d'obtenir son assentiment mimétique au verdict qui le condamne, comme dans ces procès totalitaires du XX ème siècle qui sont la résurgence du paganisme unanimiste. Ce super-psaume montre admirablement que, dans les cultes mythiques, le divin et la foule ne font qu'un, et c'est bien pourquoi l'expression primordiale du culte, c'est le lynchage sacrificiel, le déchiquetage dionysiaque de la victime. Le plus important dans le livre de Job n'est pas le conformisme meurtrier de la multitude, c'est l'audace finale du héros lui-même que nous voyons longuement hésiter, vaciller, puis finalement se ressaisir et triompher de l'emballement mimétique, résister à la contagion totalitaire, arracher Dieu au processus persécuteur pour faire de lui le Dieu des victimes plutôt que des persécuteurs. C'est ce que fait Job lorsqu'il affirme enfin : «Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant.» (19, 25) Il ne faut pas dire que la Bible rétablit une vérité trahie par les mythes. Il ne faut pas donner l'impression que cette vérité était déjà là, à la disposition des hommes, avant que la Bible ne la formule. Il n'en est rien. Avant la Bible il n'y avait que des mythes. Personne, avant le biblique, n'était capable de mettre en doute la culpabilité des victimes condamnées par leurs communautés unanimes. L'inversion du rapport d'innocence et de culpabilité entre victimes et bourreaux est la pierre-d'angle de l'inspiration biblique. Ce n'est pas une de ces permutations binaires, gentillettes et insignifiantes dont se délecte le structuralisme ethnologique, le cru et le cuit, le dur et le mou, le sucré et le salé, c'est le problème crucial qui est posé, celui des rapports humains toujours perturbés par le mimétisme rivalitaire. Une fois qu'on appréhende la critique des emballements mimétiques et de leurs résultats, d'un bout à l'autre de la Bible, on comprend ce qu'a de profondément biblique le principe talmudique souvent cité par Emmanuel Lévinas : «Si tout le monde est d'accord pour condamner un prévenu, relâchez-le, il doit être innocent.» L'unanimité dans les groupes humains est rarement porteuse de vérité, elle n'est le plus souvent qu'un phénomène mimétique, tyrannique. Elle ressemble aux élections unanimes des pays totalitaires. (René Girard, "Je vois Satan tomber comme l'éclair", Éditions Grasset & Fasquelle, 1999, pages 184-186)>>.


- << Le refus de diviniser les victimes est inséparable d'un autre aspect de la révélation biblique, le plus important de tous : le divin n'est plus victimisé. Pour la première fois dans l'histoire humaine, le divin et la violence collective s'éloignent l'un de l'autre. La Bible rejette les dieux fondés sur la violence sacralisée. Dans certains textes bibliques, dans les livres historiques notamment, il y a des restes de violence sacrée mais ce sont des vestiges sans avenir. La critique du mimétisme collectif est une critique de la machine à fabriquer les dieux. Le mécanisme victimaire est une abomination purement humaine. Cela ne veut pas dire que le divin disparaît ou s'affaiblit. Le biblique est avant tout découverte d'un divin qui n'est plus celui des idoles collectives de la violence. (René Girard, "Je vois Satan tomber comme l'éclair", Éditions Grasset & Fasquelle, 1999, pages 187-188)>>.


(l) Pour la critique moderne (Théorie documentaire de Graf et Wellhausen), la Bible, avec ses rédactions échelonnées dans le temps, est un exemple de l'évolution historique des religions et de leurs idées des dieux, de l'animisme au monothéisme.


- <<Dans sa reconstruction de l'histoire religieuse d'Israël, la théorie Graf-Wellhausen part du principe que la Bible nous offrirait la preuve parfaite d'une évolution qui partirait de l'animisme, pratiqué au temps des patriarches pour parvenir au monothéisme. Cette dernière étape n'aurait été atteinte, dans sa forme la plus pure, qu'aux sixième et cinquième siècles avant J-C. Les patriarches (Abraham et ses fils en 1 800 avant J-C.) adoraient les esprits cachés dans des arbres, dans des pierres, dans des sources, dans des montagnes, etc. Le Dieu de l'Israël antérieur à l'époque des prophètes (1 000 avant J-C.) était un Dieu tribal, dont le pouvoir se limitait à la Palestine... Ce sont les prophètes qui ont été les véritables innovateurs et artisans du monothéisme... (C.E. Wright, "The Study of the Bible Today and Tomorrow", Harold Willoughby, University of Chicago Press, 1947, pages 89-90)>>.


(m) La Bible est le premier ouvrage à bénéficier de la diffusion de l'imprimerie, grâce à Gutenberg lui-même.


(n) Voir Abel. Adam et Eve. Bouc émissaire. Caïn. Connaissance biblique. Caïn et Abel. Chute d'Adam. Circoncision. Claude d'Urfé. Faute tapi. Gnose. Gnostique. Joachim de Flore. Le serpent. Logos. Le Verbe se fait chair. Logos spermatikos. Opération du Saint-Esprit. Responsabilité. Rayons de Dieu. Sainte Trinité.


(o) Lire "Fétiche Totalité". "Verbe Chair".



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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Dimanche 25 Mai 2008



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