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Le
Défi de la Connaissance
Racine
Ce document appartient au Cycle des Apprentissages Individuels et
Organisationnels.
Il est la suite de L’entreprise à l’écoute.
Plan
Introduction
1. Le
déficit de connaissance
2. Les conditions de la réussite
3. L’apprentissage
Conclusion
Introduction
Dans L’entreprise à l’écoute,
Michel Crozier parle d’un déficit de
connaissance dans l’entreprise. Combler ce déficit,
permettre l’ apprentissage individuel et partant
l’ apprentissage organisationne l, tel est, selon nous
le défi de la connaissance qui fera se développer une
société de connaissance au sein de la
société industrielle , tout comme les marchés et les métiers, constitutifs
du capitalisme actuel, ont émergé très lentement de la Chrétienté féodale.
1. Le déficit de connaissance
A chaque niveau (politique, stratégique, tactique) de
l’entreprise, les acteurs méconnaissent les rapports humains au
sein de leur organisation. L’illusion commune est celle d’un
modèle cartésien de l’espace et du temps dans lequel
évolueraient des mobiles résumables à leur barycentre et
à l’impulsion que leur imprime leur responsable. Sans jeu de
mots, cette vision des mobiles conditionne le régulation des
motivations individuelles par les mobiles
collectifs qui semblent une fatalité ou une volonté d’un
premier moteur. <<Or, les individus n’agissent pas dans un
contexte indifférencié et uniforme, mais en fonction de rapports
avec autrui, dans des ensembles organisés fortement structurés
(p. 109)>>. Ils ne vivent pas dans un espace euclidien
mais dans des objets fractals . Le taylorisme a
régressé dans le discours. Mais pas dans les pratiques. Par
simplisme, on réduit la réalité à ce que peut en
connaître un enfant qui vient d’acquérir le schème de l’objet permanent. <<Mais
on n’arrive pas à concevoir que l’ action
humaine au sein d’une entreprise, comme de toute organisation, ne se
comprend que dans son contexte de relations d’influence
et de pouvoir. C’est la structuration de ce contexte qui induit les
mécanismes, en fait très rationnels, qui conditionnent le
succès ou l’échec des efforts de renouveau...
D’où les blocages, les ruptures entre les échelons et
entre les fonctions, d’où les jeux plus complexes, mais aussi
plus ouverts qu’on ne croit, qui permettent de comprendre les
difficultés de la DPPO (p. 110)>>.
Basé sur une représentation sensori-motrice de la
réalité, l’activisme est un fantasme de toute puissance.
Il analyse les événements avec une
causalité magico-phénomèniste . Toute
situation semble correspondre à une intention
favorable de l’organisation ou malveillante de l’environnement.
Chaque décision serait prise par un acteur puissant et parfaitement
informé. Nous reconnaissons le modèle
classique du marché. Cette interprétation a
posteriori participe à la tentative de modeler la culture ou
les croyances de l’entreprise. Cette centration
subjective n’est plus adaptée à un marché bousculé par une demande
chaotique. <<Si l’on veut dépasser cette illusion de
toute puissance, il faut accepter de faire des efforts et les investissements
nécessaires pour appréhender la
complexité, avec patience et dans le respect des faits
(p. 111)>>.
2. Les conditions de la
réussite
<<Les conditions indispensables
à la réussite sont simples: l’engagement total et
prioritaire des dirigeants dans la nouvelle philosophie du management
participatif; un grand souci du détail d’exécution; un
effort acharné de simplicité; beaucoup de patience dans la
durée et en contrepartie, une capacité à utiliser
rapidement les opportunités (p. 117)>>.
Il ne faut
pas cacher la situation pour obtenir clandestinement ce que l’on
n’ose pas demander. Il faut connaître et décrire la
situation. Il faut l’affronter avec détermination. Il faut faire
confiance. <<Sans confiance, pas de participation. Sans
participation, pas de contribution active d’un personnel dont le
zèle devient désormais indispensable. Cette morale-là ne
s’oppose pas à la rationalité économique. Elle
conditionne au contraire son développement (p. 118)>>. Car elle
s’appuie sur une connaissance de la réalité et une
reconnaissance de sa complexité. Pour susciter la participation, le
plus important n’est pas la carotte de la rémunération. Si
elle nie les motivations profondes, elle fonctionne comme une violence
symbolique de chacun à tous. Non. C’est la connaissance
objective de la situation (crise, dangers, opportunités, défi)
et la justification morale, philosophique, de l’effort. Non pas
l’effort pour l’effort, “l’enfer du devoir” ou
le dopage à l’adrénaline. Mais celui que l’on
prodigue volontiers dans le but de se réaliser soi-même. Celui
grâce auquel chacun peut devenir le Sujet de sa
propre vie.
En témoigne le succès des cercles
de qualité. <<Mais après deux ou trois ans de travail,
tous les cas d’innovation accessibles aux subordonnés et ne
mettant pas trop directement en cause le système hiérarchique
sont épuisés>>. Ne survivent que les cercles qui
réussissent à engager la hiérarchie dans
le processus de changement. Ceux qui réussissent un partage de la
responsabilité. De même, le succès de Sony en France
montre que la culture n’est pas un obstacle. Il ne faut
pas appliquer les méthodes, mais les transposer. Cela implique de
retrouver la cohérence de la fin et des moyens.
C’est la caractéristique de la
réversibilité, propre à l’
expérience logico-mathématique . Appliquer les
méthodes japonaises tout en maintenant les castes à la
française, c’est employer des moyens contradictoires avec le
contexte. Chez Sony France, <<la direction n’a pas
abandonné les méthodes japonaises, mais elle en a tiré ce
qu’elles comportent de bénéfique et de transposable... pas
de cassure entre petit personnel et direction, pas de hiérarchie
absolue, simplicité des procédures et constante
activité d’information, de concertation et de
développement. D’autre part, un énorme effort de
délégation des pouvoirs: on essaie, non pas tant de donner aux
gens des responsabilités, mais de faire en sorte qu’ils puissent
eux-mêmes les revendiquer et les prendre (p. 123)>>.
Curieusement, Internet est une très
bonne école pour l’entreprise ouverte de demain. Ses outils
favorisent une communication horizontale, moins formelle,
auto-régulée. Chez Sony France, <<la communication
horizontale, la chose la plus difficile à réussir dans les
entreprises du fait de l’auto-cloisonnement des services et de
l’obligation de suivre la voie hiérarchique, est
particulièrement soignée: elle est assurée tout
naturellement par l’habitude du travail en commission. Ainsi, les gens
se connaissent personnellement et savent où aller chercher
l’information qui leur manque (p. 124)>>. C’est ce que Bruno
Lemaire tente dans son enseignement à HEC.
Une autre idée, issue des sciences de la
complexité, est de chercher la simplicité, même sans
savoir précisément où elle mène, plutôt que
de définir parfaitement la cible. Car il n’est
pas sûr qu’il existe un chemin entre l’existant et la cible
imaginaire. Dans un système chaotique, la dimension de
l’espace des solutions est un dimension
non-entière comme le montrent les attracteurs
étranges dans les systèmes dissipatifs. Par contre, il
est certain que la simplicité mène à une plus grande
adaptabilité. C’est ce que le mathématicien et analyste André Bonaly nomme un processus fractal
du futur . Il faut aménager jour après jour, comme dans
le brouillard quand on ne peut voir la cible ni visualiser l’
artefact idéal. Pour Crozier, <<on cherche moins
à dessiner l’organisation idéale qu’à
comprendre comment on peut agir pour faire évoluer l’entreprise
vers plus de simplicité. La réduction des échelons
hiérarchiques n’apparaît plus comme le premier moyen
à considérer (p. 125)>>. Cela implique donc
d’affronter l’ incertitude,
c’est-à-dire la réalité. La
certitude relève toujours de l’imaginaire,
qu’il soit rêve (prendre ses désirs pour
la réalité externe) ou cauchemar (prendre son
angoisse pour le réel).
Parmi les outils
de la simplicité, la messagerie électronique
est un moyen d’atteindre des objectifs que Michel Crozier limiterait
à la communication orale: <<En outre, à travers la
communication orale, on peut faire passer autre chose que des informations
techniques: la personne transparaît, son message est l’expression
d’un engagement vécu... Ce qui compte, c’est l’effort
mené dans tous les domaines pour amener les participants à des
rapports plus directs donc plus simples (p. 126)>>. Car la
simplification dégage du temps pour se consacrer au vrai détail.
<<Les relations humaines sont faites de détails. Et chaque jour
on doit tout recommencer... L’information constitue un des
éléments essentiels de cette considération quotidienne...
L’information n’étant plus considérée comme
une denrée rare, ne peut plus être à la source d’un
pouvoir. Mais cela implique des rapports hiérarchiques
extrêmement fluides et des rapports horizontaux plus vivants (p.
129)>>. Ce souci du détail n’est pas de la maniaquerie. Il
découle de l’extrême sensibilité aux
conditions initiales des systèmes complexes.
La
science de la complexité explique par les attracteurs étranges
la force gigantesque des habitudes et des attentes de
rôle. Sans cette explication, cette force pourrait justifier le
fatalisme le plus noir. C’est bien ce qu’il se passe quand
l’ intégrisme des marchés produit le
terrorisme des marchés par la
contagion de la croyance et des stratégies de fuite.
Mais la complexité explique aussi la force des mobilisations dans les
situations de crise. Michel Crozier cite un exemple probant de recours au
défi mobilisateur: La Redoute de Roubaix et le célèbre 48
heures chrono. <<Le directeur général est convaincu que le
personnel en est capable et, passant outre au scepticisme de ses cadres
supérieurs, il teste son idée auprès des employés
de base et des premiers échelons hiérarchiques au cours des
nombreuses instances de communication qui ont été
organisées depuis longtemps dans l’entreprise... Il constate
chaque fois que son idée, loin d’effrayer est vite reprise et
partagée par ceux qui, en dernier ressort, seront chargés de la
mettre en oeuvre... Il règne alors une atmosphère de commando,
dont les participants se souviennent encore avec émotion. La
réussite est totale... Ce n’est pas l’amélioration
du climat qui a permis de développer la capacité collective,
mais c’est le défi qui, suscitant la capacité collective,
a transformé le climat (p. 131)>>. La motivation
existait, mais les représentations des cadres
supérieurs filtraient leur perception
de la réalité. Dans le cas de la Redoute, la
réussite n’a été possible que du fait de
l’existence de deux autres facteurs: le management participatif et une
claire prise de conscience de jouer sa
survie face à la crise. Une situation de crise est une
situation dans laquelle un choc peut créer une
transformation suffisante des conditions
initiales . Dans ce cas, les motivations ont pris le pas sur les
mobiles de la fatalité .
3. L’apprentissage
<<Un
nombre croissant de patrons et de responsables sont conscients qu’il est
désormais indispensable de transformer profondément le
système d’organisation, le modèle et la
logique de fonctionnement des entreprises. Une minorité active
s’y emploie passionnément. Ses succès démontrent
qu’il est possible de réussir et que l’effort est
très largement payant. Les difficultés, en revanche, sont
considérables et il n’y a pas de formule a priori pour les
surmonter (p. 199)>>.
Pour lutter contre le scepticisme,
les premières expériences réussies sont importantes.
Elles facilitent un changement intellectuel qui est fondamental. Elles
permettent de sortir du cadre traditionnel de la pensée. Même si
une réussite n’est pas directement transposable, elle a une
valeur d’exemple. Elle transgresse un tabou.
La première ascension du Mont-Blanc ou celle de
l’Éverest n’ont pas rendu chacun de nous plus
résistant. Il n’y a pas hérédité des
caractères acquis. Mais ces premières ont fait taire des
légendes et suscité des vocations. Dans un autre domaine, je
connais bien des concepteurs que l’expression conception
simultanée du produit et du process faisait doucement sourire
jusqu’au jour où la Twingo est sortie des usines d’un
Renault bien de chez nous. Chacun a ses critères de faisabilité.
En France, dans l’industrie mécanique, si c’est possible
pour Renault alors c’est envisageable pour nous.
<<Des innovations existent, qui sont désormais
mieux acceptées et mieux comprises. Certaines sont spectaculaires...
L’impact des réussites est d’autant plus fort que ces
innovations, à la différence des expériences
idéalistes anciennes, se développent au coeur même du
système marchand et capitaliste, et ne dépendent pas d’une
passion sociale et politique exclusive... Le soutien que les innovateurs ne
trouvent plus dans l’idéologie, ni dans les illusions scientistes
du management, ils le trouvent dans une philosophie de la
confiance et de l’ouverture - confiance dans les
hommes, ouverture du système... Mais ce qui semble manquer le plus,
c’est une connaissance plus réaliste des rapports humains et des
systèmes qui le conditionnent (p. 200)>>.
Autre
apport des sciences de la complexité, même si Crozier n’y
fait pas référence: <<Paradoxalement, nous nous sentons
beaucoup plus responsables qu’auparavant du futur que nous contribuons
à créer, mais nous sommes beaucoup moins capable d’en
préciser la configuration (p. 201)>>. C’est bien le propre
du processus fractal du futur. Curieusement, Michel Crozier
écrit: <<nous ne construisons pas la
société de demain, nous apprenons à nous comporter
différemment, à établir entre nous des rapports plus
fructueux”. Il refuse le sens que le mot construire a dans
l’esprit des ingénieurs de la technostructure.
Et ce faisant, il prône une démarche qui est exactement le
constructivisme décrit par Piaget
tout au long de ses travaux de Psychologie
Génétique.
Lorsqu’il explique:
<<Cette idée d’apprentissage du futur est difficile
à admettre car nous sommes obnubilés par la tradition
récente, mais très contraignante de l’école. Nous
croyons que pour apprendre il faut un livre, un savoir préalable et un
maître pour l’expliquer. Mais l’apprentissage se fait aussi
à travers des cycles d’essais-erreurs. Des comportements, des
modes de relations nouveaux émergent, se stabilisent et se fixent pour
un temps s’ils sont efficaces (p. 203)>>. Il n’est pas loin
du processus d’équilibration décrit par
Piaget, ni du processus fractal du futur d’André
Bonaly, ni même de la régulation du vol migratoire des boids
simulé par Craig Reynolds et décrit par Bruno Lemaire. Dans chaque cas, <<un
phénomène complexe peut émerger de la combinaison de
règles extrêmement simples, peu nombreuses, et de portée
apparemment locale>>. Et c’est tout le contraire des despotes
éclairés et autres rois de Prusse qui veulent diriger,
d’en haut, le bonheur de leurs peuples. Nous sortons
d’une économie du confinement, ou plutôt,
ce confinement sera l’automatisation. <<En effet, aucun être
humain, aucune institution ne peuvent s’arroger la mission de forcer
autrui à se diriger mieux pour devenir plus efficace. Mais chacun
d’entre nous a la responsabilité
d’utiliser sa liberté pour contribuer à
créer les conditions de cet apprentissage. Ce faisant, nous apprendrons
nous-même à nous transformer et à nous développer
(p. 203)>>.
Dans un monde de mouvement et d’
incertitude, le défi est bien celui de l’apprentissage organisationnel ou de ce
qu’Armand Hatchuel nomme une
conception collective . Il suppose une capacité
nouvelle d’ ouverture à la globalité .
Car, <<l’apprentissage
individuel est facile quand il s’agit de reproduire un
modèle. Mais quand il s’agit d’un comportement nouveau, il
n’est généralement possible de le développer et de
le fixer que si les partenaires de celui qui change changent eux aussi, de
sorte qu’ils puissent au moins accepter son nouveau comportement. En
fait, tout apprentissage réussi implique un changement, non seulement
des règles du jeu, mais aussi de la nature du jeu. On ne peut
être ouvert et communicatif avec autrui que si l’on ne risque pas
d’être la victime de partenaires qui continuent,
eux, à jouer le jeu du secret et de la défense. Pour que le
comportement nouveau émerge, il faut que l’ouverture à la
coopération et à la communication soit
récompensée, ou au moins ne soit pas punie (p. 203)>>.
L’actuelle psycho-pathologie des entreprises et le
développement du harcèlement moral
peut s’expliquer par les rôles respectifs du pionnier de
l’innovation dans la globalité et de la victime
du sacrifice dans la totalité. Celui
qui prend le risque de l’ouverture sur la globalité, par exemple
par sa participation à des projets de
partenariat, ne sera pas forcément perçu comme le pionnier
d’une mise en réseau des entreprise.
Pour certains, il sera le traître à une entreprise
citadelle . Il sera alors le bouc émissaire
tout désigné pour rétablir la sacro-sainte
totalité de l’organisation. Nous serions en somme dans les
turbulences d’un système qui change de références.
Nous ne sommes pas les seuls. L’ex-URSS n’est pas moins instable
et chaotique.
La leçon de Jean Piaget
est que l’apprentissage individuel se fait de la même
manière que l’apprentissage collectif.
D’où son parallèle entre la coopération et les
co-opérations. Ceci nous éloigne de la
hiérarchie auto-reproductible . En outre, les
mécanismes internes de l’apprentissage ne correspondent pas
forcément aux règles externes de l’enseignement. De
même qu’il y a loin entre le discours et la réalité
dans la vie des organisations.
Si la Psychologie
Génétique peut inspirer les enseignants, la sociologie peut
apporter ses lumières aux membres des organisations. A la condition de
comprendre pourquoi hier était comme hier
(confinement) et pourquoi demain sera comme demain
(autonomie). Cela suppose de nouveaux modèles d’intelligibilité.
<<Le collectif nouveau, implicite dans le concept d’apprentissage
collectif, est fondé sur des raisonnements opposés. C’est
un ensemble ouvert, dans lequel influences, pouvoir et différences sont
acceptés. Il doit conduire à l’établissement
d’un jeu à somme non nulle , dans lequel
l’innovation est possible et peut même être
récompensée. Le rapport entre les notions d’apprentissage,
d’innovation et de collectif nouveau est extrêmement étroit
(p. 205)>>.
C’est d’ailleurs la transformation des activités de conception qui
introduit dans l’entreprise de nouveaux principes
d’organisation. Quand nous lisons, chez Crozier, <<dans cette
découverte le cheminement est plus important que le but. Le but, on ne
peut pas le fixer à l’avance. Une orientation, en revanche, est
indispensable, mais elle doit rester souple pour ne pas engendrer un processus
de commandement et de fermeture hiérarchique. C’est le
cheminement qui doit se clarifier, à partir d’une connaissance et
d’une évaluation des progrès accomplis (p. 205)>>.
Nous retrouvons ce que nous avons expliqué dans le Graphe d'Exploration des Possibles.
<<Le déficit de connaissance est réellement
extraordinaire, on pourrait dire scandaleux. Nos élites sont
entraînées à ne pas écouter (p. 208)>>.
C’est presque la définition de la
défiance. Pour dépasser le niveau de
l’anathème, il faut comprendre que nos élites ont
été éduquées dans une représentation de la
science qui n’admet pas l’existence de contradictions entre des
représentations nécessairement différentes et
complémentaires. C’est l’origine de notre projet de recherche et de la création du R.A.D.
Les multiples champs sémiotiques ne permettent que des
formalisations et mathématisations partielles. Il
n’est pas possible de faire une synthèse en chambre ni en
laboratoire. Il est donc impossible que la science élabore le programme
que les politiques feront exécuter par les travailleurs. C’est le
modèle de la société en trois ordres, fondé sur
l’ idéologie tripartite :
Prêtres, Guerriers,
Producteurs, ou Science, Politique, Industrie qui
s’effondre définitivement. Il n’est peut-être pas
nécessaire de supprimer l’ENA, comme le réclame
Jean-Michel Fourgous, mais il serait utile d’y enseigner que l’on
ne peut apprendre que collectivement et au coeur de l’action, à
la condition de formaliser le vécu pour en faire une
expérience. Car cette non-coïncidence des
multiples systèmes sémiotiques provoque des arbitrages et des
conflits. C’est pourquoi nous sommes condamnés au choix. Nous
sommes condamnés à être libres. Parfois malgré
nous.
<<Pourquoi écouter? Pourquoi attacher tant
d’importance à la connaissance? Pas seulement pour créer
les conditions d’un apprentissage collectif. Mais aussi parce
qu’il n’y a pas de stratégie, et à la limite
d’action raisonnable, sans connaissance, et pas de connaissance sans
écoute... L’image du combat guerrier, implicite dans la vision
stratégique dominante, apparaît de plus en plus insuffisante (p.
212)>>.
C’est la raison du développement des partenariats et des organisations virtuelles. Peut-être un jour,
IBM, Microsoft, Apple, Netscape et Oracle travailleront-ils ensemble au lieu
de s’allier à quelques-uns contre les autres. Car le partenariat
industriel est moins impossible que la fusion des systèmes
sémiotiques en un seul. Et la compétition pour concevoir des
logiciels incompatibles sera de moins en moins rationnelle au fur et à
mesure que les Sujets (consommateur et producteur et citoyen) voudront
accéder, via Internet et ses développements, de la
manière la plus directe et la plus standardisée possible,
à la plus gigantesque source d’informations disponibles.
Si Tchernobyl a définitivement détruit
l’image du socialisme scientifique en URSS, le défi logiciel du
bug de l’An 2000 pourrait bien ridiculiser une
industrie du logiciel toujours auto-satisfaite ou provoquer
l’émergence de logiciels faits pour durer, au moins en tant que
composants, dans des combinaisons toujours variables.
Conclusion
Une dernière
citation pour vous donner l’envie de lire, plus en détail, cet
ouvrage salutaire de Michel Crozier. <<Le temps des technocrates
était le temps des solutions. Il nous faut maintenant passer au temps
des problèmes. Valoriser les problèmes et non
les solutions paraît, dans nos sociétés trop
pressées, iconoclaste, presque inconvenant... J’aimerais
soutenir, tout au contraire, que l’homme des solutions est en fait de
plus en plus anachronique.... Peut-être même peut-on affirmer la
nécessité d’une transformation radicale du rôle et
de la personnalité de l’innovateur... Pour que les innovations
puissent se révéler, s’affirmer, réussir, il faut
que liberté soit laissée aux innovateurs et que le long terme,
le qualitatif et l’humain puissent reprendre la priorité.... Il
faut enfin - c’est peut-être le plus important - que les
élites soient entraînées à l’écoute,
alors que tout le système de concours qui les façonne les forme
au contraire à s’affirmer sans écouter (p. 217)>>.
C’est bien le glas de la technostructure et de l’activisme que
vous entendez sonner.
Nos lectures successives de Daniel Kim, Henri Laroche,
Jean Piaget et Michel Crozier contribuent à
donner une nouvelle image de l’entreprise. La
mondialisation des marchés couronne et dépasse
la dynamique impérialiste de la technostructure. Ayant atteint les
limites externes ou territoriales de sa représentation
conquérante du marché, elle a créé une situation
qui l’oblige à se transformer. Elle vient buter sur les limites
internes de son organisation pyramidale . Le taylorisme fait
place à une organisation apprenante où s’effectue une
conception collective . Celle-ci est tournée vers
l’écoute et le dialogue, tant en interne avec les anciens
exécutants qu’avec les clients et les fournisseurs.
Ce décloisonnement ne se limitera pas au monde de
l’entreprise. On ne peut imaginer des organisations apprenantes qui ne
communiqueraient pas avec les organisations enseignantes et les organisations
de recherche. C’est ce décloisonnement des ordres (prêtres,
guerriers, travailleurs) qui pousse le nomade moderne , dont
Robinson Crusoé est le
héros fondateur, à assumer les trois
fonctions . Ce décloisonnement fera d’internet un
formidable lieu d’échange et de
publication, de plus en plus rapide. Ce forum de l’information sera
le pendant intellectuel de la mondialisation des marchés de produits
industriels. Et d’ailleurs, sur les réseaux
socio-techniques , les produits communicants seront de moins en moins
achetés par l’utilisateur final. Ils seront achetés par
des entreprises pour produire des services. L’utilisateurs, parfois dans
le cadre d’un SOHO ou Small Office Home Office, sera
locataire d’un service. Il en attendra la possibilité
d’exercer son activité de n’importe où et à
destination de n’importe qui. De vastes réseaux mondiaux de
services permettront plus facilement à chacun de développer ses
propres capacités. A chacun de devenir Sujet
dans des organisations virtuelles. Celles-ci seront
plus souples que les citadelles de la conquête des marchés
traditionnels. Il reste à voir comment se prépare cette coopération dans la conception.
Auteur
Créé le 28 Août 1997
Modifié le 20 Juin 1999
Bibliographie
L’entreprise
à l’écoute
Apprendre le management
post-industriel
Michel Crozier
Seuil, 1994
Coopération et Conception
Gilbert
de Terssac, Erhard Friedberg (sous la direction de)
Collection Travail
Éditions Octarès
Toulouse, 1996
330 pages,
180 F
Commenté dans Coopération et Conception
Définitions
Les termes
en gras sont définis dans le glossaire
alphabétique du R.A.D.
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