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L'horreur économique: de quoi parle t-on?


Une publication du Réseau d'Activités à Distance-Culture:
"De Marx à... Bill Gates ?"

par Bruno Lemaire

Chapitre1.


L'homme vit dans un monde qui lui semble de plus en plus difficile à maîtriser. La misère touche le cinquième de l'humanité, le spectre du chômage hante l'ensemble du monde développé, et aucune recette miracle n'apparaît à l'horizon. En dépit, ou à cause, des innovations technologiques de plus en plus fréquentes, innovations qui impactent tous les domaines de sa vie, de l'agro-alimentaire aux transports, du logement aux télécommunication, de la santé aux loisirs, l'être humain semble dépassé par l'évolution de deux variables: l'information et le temps.

L'information: sa masse double chaque année et circule de plus en plus vite. Nous avons aussi à gérer, et digérer, un raccourcissement apparent du temps. Mais à quoi bon, si ces tonnes d'information, ce rythme de plus en plus accéléré, nous conduisent à un monde de plus en plus horrible? Ne vaudrait-il pas mieux s'arrêter, ou même tenter de rebrousser chemin?

Pourtant, le pire n'est pas sûr, bien au contraire. Mais il faut accepter de changer son regard sur le monde, et abandonner l'idée d'un monde statique, achevé, déjà écrit, qu'il ne resterait qu'à découvrir. Le monde n'est pas immobile, ou cyclique. Il est, au contraire, mobile, dynamique, en perpétuelle évolution, même si cette évolution comporte des aspects négatifs. L'environnement économique ne correspond ni de loin, ni de près, à un ensemble ou une juxtaposition de marchés plus ou moins parfaits et statiques. Il est fait, au contraire, d'innovations perpétuelles, de décisions de consommation et d'anticipations de production, d'une série perpétuelle d'essais et d'erreurs qui participent à la vie du monde. L'avenir du monde n'est ni déterminé, ni déterministe.

Nous avons ainsi le pouvoir de prendre en mains notre destin, collectivement et individuellement. Faut-il encore ne pas nous tromper sur les moyens d'y parvenir. Face à l'explosion de l'information, l'être humain doit rester humble et considérer qu'il ne peut pas, qu'il ne peut plus, tout savoir. L'honnête homme du 21ème siècle ne sera pas celui qui saura tout sur tout, c'est impossible. Il se devra plutôt de cultiver ses compétences, ses points forts, tout en connaissant ses limites. C'est du fait de ses limites individuelles qu'il aura à entrer dans des relations de partenariat avec d'autres êtres humains, aux compétences complémentaires. Ne compter que sur ses propres forces avait peut être un sens il y a des milliers d'années, peut être même quelques centaines. De nos jours cela semble à la fois bien arrogant et fort inefficace. Sûrs de nos compétences, certes, mais conscient de nos limites, nous aurons à cultiver humilité et respect des compétences de nos partenaires, dans l'ensemble de nos activités, professionnelles, associatives ou familiales.

Cette humilité lucide concerne aussi notre positionnement devant le temps et devant son accélération apparente. Les réseaux informatiques les plus performants véhiculent déjà presque instantanément une des ressources les plus importantes du monde moderne, l'information. Les capacités de réaction de l'homme sont intrinsèquement beaucoup plus réduites. A armes égales, c'est à dire lorsque l'on accepte de livrer bataille à l'ordinateur sur son propre terrain, celui du calcul combinatoire, algorithmique, bête, le combat est perdu d'avance, la puissance de calcul d'un ordinateur est incomparable, et double, de plus, tous les 18 mois. Mais il ne tient qu'à nous de choisir lucidement notre terrain, en allant sur des terrains plus fins, plus humains, où l'ordinateur n'a encore jamais montré une véritable intelligence, qu'on la décrète, ou non, artificielle.

Dire que le monde contemporain est dynamique ne signifie pas qu'il évolue nécessairement bien. Lucidité ne signifie ni optimisme béat, ni, inversement, désespoir absolu. Notre lucidité repose avant tout sur la prise en compte de la dialectique: dynamique/statique, vie/non vie, naissance/mort. Cette dialectique, nourrie pour partie d'un accès de plus en plus universel à l'Information et à la reconnaissance de la diversité des talents humains peut être une grande chance pour l'humanité, et, en même temps, un grand danger. Mais il serait presque criminel d'appliquer de vieilles recettes (que ces vieilles recettes soient humanistes ou technocratiques, spirituelles ou matérialistes) à un monde en train d'éclore.

Dans << l'horreur économique >>, V. Forrester écrit: "Nous posons toujours les mêmes questions fantômes...alors que nous participons d'une ère nouvelle, sans parvenir à l'envisager...", et, ajouterai-je, à accepter que l'époque ancienne est déjà disparue. Cette époque disparue, c'était celle d'un monde relativement stable, dans lequel ceux qui faisaient partie du monde du travail étaient relativement interchangeables, dans lequel le partage du travail, la loi Robien ou les remèdes pseudo-keynésiens auraient pu avoir un certain impact pour lutter contre le non-emploi.

L'époque nouvelle est beaucoup plus complexe et éclatée. C'est une époque qui voit peu à peu de nouveaux facteurs clés de compréhension, sinon de succès, remplacer les précédents. Les structures figées sont bousculées, et parfois remplacées, par des schémas, évolutifs et transversaux. Le pouvoir hiérarchique doit parfois subir, à son corps défendant, quelques atteintes d'auto-organisation. Dans le contexte des entreprises, le courant froid et quelque peu myope de l'optimisation interne: faire plus avec moins, laisse peu à peu la place au courant chaud, plus généreux, de la création de valeur: faire mieux, autrement.

Dans ce monde turbulent, il s'agit bien souvent pour l'entreprise de vendre avant de produire, et pour le leader de faire partager une vision de l'avenir plutôt que de s'asseoir sur son pouvoir passé, fut-il glorieux. Nos administrateurs et gestionnaires vont devoir se transformer (nolens volens) en leaders et managers.

Pourtant, face à ce constat presque banal, celui d'une révolution informationnelle incontournable, l'imagination humaine semble en panne, au moment même où elle devrait prendre le pouvoir. De fait, si nous ne faisons rien, si nous nous contentons de déplorer ou d'acclamer les temps nouveaux, ceux d'Internet et des nouvelles technologies relationnelles, le malheur arrivera vraiment. Les bons apôtres pourront toujours se consoler en disant: << je vous l'avais bien dit >>. Autre piètre consolation pour les responsables politiques: nos chefs d'entreprises semblent au moins aussi frileux et attentistes que les politiques vis à vis du phénomène Internet. Nous n'avons sans doute pas fini de payer le prix de l'exception culturelle française, sans parler de l'arrogance presque consubstantielle à la patrie de Descartes et du Minitel.

L'imagination face à la tradition et aux pesanteurs des avantages acquis: Notre avenir sera en partie ce que nous voudrons qu'il soit. Cela ne peut aller sans révisions parfois déchirantes, ni sans efforts parfois douloureux. Il faut pourtant accepter d'en passer par là, ce qui n'est possible, et même envisageable, que si nous avons un objectif à réaliser, la souffrance pour la souffrance n'ayant pas de sens. C'est aussi en cela que la plupart des thèses socio-économiques en présence sont, de gauche comme de droite, résolument archaïques. Elles ne véhiculent aucun grand projet mobilisateur, ne proclament aucune finalité existentielle. Se battre pour, ou contre, le déficit de la sécurité sociale est peu exaltant, même si ne rien faire revient à faire payer aux générations futures le prix de notre lâcheté et insouciante actuelles.

C'est ici et maintenant qu'il faut réagir. C'est ainsi que l'ancien président du C.N.P.F. peut fort justement dénoncer le fait que: << Nous refusons toute thérapie qui nous procurerait une rémission durable parce qu'elle est urticante ou douloureuse... en recherchant des mesures indolores, qui ne coûteraient rien, et qui créeraient des emplois... >> Par une sorte d'effet cliquet, ou d'Irréversibilité des Avantages Acquis, les seules projets qui nous sont proposés semblent être de type sédimentaire. On prend l'existant, et on y rajoute des règlements, des lois, des subventions, des commissions, des impôts, ...

Chacun sent bien, pourtant, que pour aller vers une situation jugée meilleure, il faut parfois remettre en cause une partie de l'existant. Ce n'est évidemment possible que si les grandes lignes de la situation projetée sont annoncées, comprises et jugées acceptables par ceux à qui on propose ce voyage. Cette remise en cause est nécessairement difficile. Elle ne doit pas, pour autant, être cachée aux vulgaires voyageurs par ceux qui se croient investis de la mission suprême de décider à quelques uns du bien du plus grand nombre. Surtout lorsque cette remise concerne en premier lieu les activités humaines et plus spécifiquement le travail, salarié et non salarié, rémunéré et non rémunéré. Il n'est pas interdit, dans ce domaine très sensible, d'être à la fois imaginatif et de pratiquer le parler vrai.

Sur ce point encore, les thèses économiques prétendues modernes, de droite comme de gauche, sentent furieusement l'antimites. Le travail n'est abordé qu'en tant que facteur de production - point de vue micro-économique - ou par référence au marché du travail, dans lequel offreurs d'emplois et demandeurs d'emplois se rencontreraient systématiquement avant de faire affaire. S'intéresser au fonctionnement concret et aux missions des entreprises, vous n'y pensez pas.

De même en ce qui concerne la théorisation des échanges commerciaux et la problématique de la confrontation entre l'Offre et la Demande, nos experts économiques s'appuient là encore, plus ou moins explicitement, sur un contexte dépassé. Ce contexte, c'est celui d'un monde relativement stable dans lequel l'évolution des métiers et le renouvellement des générations allaient peu ou prou au même pas. Dans le contexte contemporain, celui de l'ère de l'immatériel, de la connaissance et de l'information, peut-on encore affirmer que ce sont l'énergie ou la force pure qui dominent, ou même la possession d'un capital monétaire? Ne serait-ce pas de plus en plus l'intelligence, l'innovation, l'information, la mise en synergie de la diversité des talents.

Nul n'a montré que la sueur, même si elle est quantitativement mesurable, a plus de valeur humaine, sinon économique, que l'intelligence et l'innovation. Pourquoi donc le seul travail respectable devrait-il être consommateur d'énergie physique et évalué en temps passé? De nombreuses sociétés de services, et de plus en plus de professions libérales, sont tenues de passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultats. On continue pourtant à déclarer doctement, et dogmatiquement, que le véritable travail doit être primitif, au sens premier du mot, en et faudrait-il condamner tous ces artifices technologiques qui ne feraient qu'éloigner l'homme de ses semblables et de sa vocation première?

Le travail, créateur de richesses, facteur d'inégalités sociales? Nous touchons là à un paradoxe fondamental: plus le travail est efficace, en tant que créateur de richesses, plus il semble chargé, ou porteur, d'inégalités sociales. Entre égalité et diversité, la contradiction serait-elle insoluble? On sent bien que la réponse, si elle existe, n'est ni simple, ni indépendante du contexte. Il est indéniable que l'évolution technologique a été souvent accompagnée de distorsions inégalitaires: est-ce une raison pour s'y opposer coûte que coûte? Lorsque nos ancêtres chassaient le mammouth ou l'auroch, on peut imaginer que l'inégalité entre le plus riche et le plus démuni, ne se chiffrait que par un coefficient d'inégalité de l'ordre de 5 ou 10. De nos jours, entre le revenu d'un Bill Gates et celui d'un S.D.F., ce coefficient doit être plus proche de 100 000. Doit-on en conclure que la civilisation des cro-magnons ou des néandertaliens était plus digne que la civilisation occidentale actuelle, et que la grandeur de l'homme en était plus assurée?

Bien sûr, personne ne soutient à l'heure actuelle une position aussi extrême, et je force sans doute le trait démesurément en opposant aussi fortement efficacité économique et égalité de revenus! J'aimerai en être sûr. Les tenants du communisme (primitif ou non) insistent souvent sur les différences énormes de revenus entre les plus riches et les plus pauvres, à l'intérieur d'un pays donné, ainsi qu'entre deux pays ou nations. Et il est vrai que, sur ce point, les statistiques sont accablantes. Nous avons là un vrai problème, celui de la pauvreté, parfois même de la misère, d'un grand nombre de personnes. Mais ne sautons pas trop vite aux conclusions, en affirmant qu'il suffit de prendre aux nantis pour donner aux exclus. Certains nantis contribuent à la richesse collective, par leur travail, leur imagination, leur créativité, alors que d'autres vivent en parasites: les fameux rentiers dénoncés par Keynes. Sans aller jusqu'à dire que trop d'impôts tue l'impôt, ce qui est globalement vrai, mais localement faux, il vaudrait sans doute mieux dire que c'est la complication, la non transparence, les changements incessants de règles du jeu qui tuent l'impôt en décourageant les plus productifs et les plus créateurs de richesses. Si certains impôts doivent euthanasier certains types de rentes de situation - autres avantages acquis - pourquoi pas, dès lors que les règles du jeu sont claires et ne fluctuent pas en fonction des dernières lubies des princes qui nous administrent, à défaut de nous gouverner.

Mais la première priorité, ne serait-ce pas de promouvoir la dignité humaine, en assurant au moins un revenu minimum à chaque individu? Ne faudrait-il pas en premier lieu faire cesser le scandale d'avoir, en France, plus de cinq millions de personnes percevant moins de 2500 F par mois, et près de 2 millions en percevant sans doute moins de la moitié? Pour assurer un revenu minimum de dignité à chacun, il est peut être plus efficace cependant d'avoir une économie qui fonctionne correctement. Ce n'est donc pas nécessairement en faisant la chasse aux producteurs de richesses que ce scandale disparaîtra.

Certains soutiendront qu'inégalité des revenus et misère sont liés, et qu'il suffit de faire des portions plus équitables, voire égales, dans le gâteau national (en négligeant un peu vite le rôle des cuisiniers, c'est à dire des entreprises, qui le confectionnent et le cuisent). Cette position égalitariste n'apporte qu'un éclairage (très) partiel sur la misère et l'exclusion. Les exemples des anciens pays communistes d'Europe de l'Est sont suffisamment probants. On pouvait ainsi lire, juste avant la chute du mur de Berlin, dans le San Francisco Chronicle, un juriste russe s'exprimer ainsi: << C'est notre mentalité slave. On accepte d'avoir faim, si chacun a également faim. Mais si quelqu'un vit bien et que quelqu'un vit mieux, ceci est le capitalisme, et c'est donc mieux que chacun ait faim. Cette mentalité est un des principaux freins à la perestroika.. >>.

Entre 1968 et 1997, le nombre des chômeurs a été multiplié par près de 10, et le pourcentage de prélèvements sociaux est passé de 30% à 45% du PIB. Certains en concluront qu'il faut augmenter davantage les prélèvements, d'autres qu'il faut les diminuer. La seule vérité est peut être en ce domaine qu'il faut accepter de remettre beaucoup de choses sur la table, sans nécessairement se cramponner à nos peaux de mammouth, c'est à dire à nos acquis sociaux - toujours le syndrome I.A.A. si justement critiqué par Yvon Gattaz. Ce serait aussi dans le rôle de l'Etat d'avoir un parler vrai, au lieu d'avoir un discours ou des projets sociétaux oublieux de l'environnement et des conditions économiques. A l'inverse, il est légitime d'affirmer que les projets économiques ne peuvent ignorer l'environnement social. L'Etat n'a peut être pas à développer lui-même des projets économiques, mais son rôle est à tout le moins de fixer de grands principes sociaux et politiques, et de veiller à ce que ces principes soient respectés.

(...)

Tout mesure fiscale est, par essence, critiquable, car, sur le court terme et de façon statique, s'il y a des gagnants à une nouvelle répartition du revenu national, il y aura aussi nécessairement des perdants. C'est vrai pour les allocations familiales, ce sera aussi vrai dans le cadre de l'exercice budgétaire 1998. On ne peut satisfaire tout le monde et son père.

Ce qui est beaucoup plus contestable, en revanche, c'est que les mesures annoncées ne vont pas dans le sens d'une remise à plat de l'ensemble de la fiscalité et des prestations et subventions de toute sorte, en dehors peut être du problème de la CSG qui ne peut que satisfaire le partisan que je suis des impôts linéaires, proportionnels et non progressifs (la flat tax des anglo-saxons). Une flat tax, plus un revenu minimum pour tous, et non imposable, auraient le mérite de la simplicité, de la clarté et de la transparence, et ne dresserait pas des catégories de français contre d'autres. Nous sommes très loin d'une telle approche, et nous restons encore et toujours dans une logique du passé, une logique de confrontation, et non de coopération. En dépit de sa volonté affichée, et sans doute sincère, de gouverner autrement, le nouveau premier ministre reste dans la logique de ses prédécesseurs.

Cette logique est encore et toujours une logique dirigiste et de confrontation, à un moment où, personne n'attendant de miracles à court terme, une logique plus moderne, plus innovante, plus systémique aurait pu commencer à prendre place. Déshabiller Pierre pour habiller Paul, et rester ainsi dans une logique à somme nulle, voire négative, n'est pas fondamentalement innovant. Nous sommes bien loin d'un véritable reengineering chaud, ou reconception, de l'Etat, bien loin d'une démarche de concertation, de coopération et d'intelligence partagée. Au lieu de gouverner autrement, Lionel Jospin risque de gouverner de la même façon, mais pour d'autres clients que le gouvernement précédent. Il n'est pas sûr que la collectivité s'en porte mieux.

Pour en revenir au côté normalement, naturellement, nécessairement contingent de toute mesure prise dans un monde en évolution permanente, nous ne voulons nullement suggérer que, le mieux étant relatif, du moins à l'échelle humaine, l'on peut faire tout et n'importe quoi. Ce ne sont pas les principes qui sont contingents, du moins s'ils sont suffisamment peu nombreux - tels les 10 commandements de la table de la Loi - pour avoir véritablement une portée universelle. C'est leur application, ce sont les mesures d'accompagnement, qui, elles, dépendent de la situation concrète du moment. Il en est ainsi, en particulier, de la définition de revenus minimaux ou de conditions de vie acceptables.

Certes, les plus anciens de nos lecteurs se souviennent sans doute de l'enseignement de leurs parents, et de leurs maîtres: tu te contenteras de ce que tu as, ou de ce que tu peux te payer. Lorsque les richesses du monde se confondaient dans notre imagination avec le contenu de la devanture du petit épicier du coin, se contenter de ce que nous avions, ou accepter de travailler pour acquérir un peu de superflu, ne demandait sans doute pas un effort surhumain. De nos jours, c'est sans doute beaucoup plus difficile...

A nouveau contexte, nouvelle citoyenneté?

C'est pourtant en ces temps troublés que l'on a besoin de points de repère, et peut être de quelques grands principes. A ce sujet, il n'est pas sans intérêt que Lionel Jospin ait mis l'accent, dans sa déclaration de politique générale, sur son souhait de retour en force de l'éducation civique dans les écoles. Ce souhait est respectable, même s'il n'est peut être plus de saison de croire que l'école de la république puisse encore être un facteur essentiel d'intégration sociale. Cette école devrait être diverse, multiforme, véhiculant quelques grands principes - dont peut-être effectivement celui de civisme, mais aussi celui de responsabilité individuelle - ainsi que quelques grandes règles de comportement. Si l'on veut, et c'est sûrement souhaitable, régénérer l'école, il faut aussi prendre en compte que les jeunes actuels ont des sources d'information et de confrontation avec le monde sont donc de plus en plus multiples et variées. Pourtant, trop d'enseignants et la quasi unanimité des inspecteurs généraux - ceux qui font et défont les programmes - semblent se croire encore au début du siècle avec leurs certitudes et leurs connaissances.

Combien d'enseignants intègrent-ils véritablement l'actualité dans leurs enseignements? Combien se contentent-ils seulement de contrôler des connaissances livresques, - certes plus faciles à évaluer - au lieu de développer les compétences de ceux qui leur sont confiés. Combien se sont-ils réellement posés la question de savoir ce qui les faisait vivre au quotidien, et sur quelles ressources étaient prises leur rémunération? Comme le disait un député, humoriste sans le savoir, dans l'entre-deux guerres: il faut demander plus à l'impôt, et moins au contribuable! Combien d'enseignants ont-ils réellement pris conscience de la réalité économique incontournable des entreprises libérales. Combien d'enseignants ont-ils pris le temps, éventuellement sur leurs congés, d'étudier de l'intérieur ne fut-ce qu'une ou deux entreprises de leur région? Combien ont-ils donné à leurs élèves l'envie d'entreprendre, au lieu de les en dégoûter en assimilant sans nuances entrepreneurs et profiteurs?

Faut-il après cela s'étonner de constater que la France manque cruellement d'entrepreneurs, de vendeurs, et de P.M.E., P.M.E. qui dans tout autre pays moderne représentent un bien plus grand gisement d'emplois que les grandes entreprises bureaucratiques et taylorisées. L'école devrait être la première à être diverse, libératrice d'énergie et porteuse de projets et d'ambitions pour le futur, et à prendre en compte l'évolution du monde. Qu'elle prenne en particulier en compte le fait que le travail tel que nous le connaissons depuis deux siècles, le travail salarié, ne représente qu'une forme contingente des activités humaines, la forme salariée, à l'intérieur d'une économie marchande, dont le côté capitaliste n'est plus la caractéristique fondamentale, si l'on en juge par les success stories actuelles qui ne sont pas souvent l'apanage des grandes familles et des fils à papa.

Du travail et un salaire pour chacun?

Le concept de travail salarié, qui n'existe sous sa forme actuelle que depuis moins de deux siècles, est encore considéré presque unanimement comme la seule référence absolue et universelle du travail. Lorsque l'on revendique le droit au travail pour tous, implicitement - et souvent explicitement - c'est le droit au travail salarié (par l'intermédiaire et dans le cadre d'entreprises privées ou publiques). Dans cette vision éminemment réductrice, et dans cette confusion - pas toujours volontaire, pas souvent explicite - entre travail et travail salarié, l'alternative pour combattre le chômage devient elle aussi relativement simple. Si les entreprises ne peuvent volontairement, citoyennement, librement satisfaire à ce droit au travail, qu'à cela ne tienne. Soit on les y contraindra - ceci semble figurer en filigrane dans la plupart des programmes qui se réclament de la gauche ou de l'extrême gauche. Soit on utilisera les entreprises publiques ou parapubliques pour cela.

Karl Marx avait pourtant tenté de lutter contre la myopie apparemment toujours d'actualité - des économistes de son époque. Il s'était en particulier battu, parfois contre des théoriciens ou des syndicalistes de son propre camp. Pour lui, aucune analyse économique scientifique Marx tenait beaucoup à ce qualificatif pour ses propres thèses ne devait oublier la dialectique entre les diverses formes d'activité permises par les technologies prévalantes à l'époque considérée, et les détenteurs de ces technologies ou de l'accès à ces technologies. Marx, plongé dans la révolution industrielle née plus d'un quart de siècle avant lui, avait clairement vu, même si ses arguments n'étaient pas toujours convaincants, le côté contingent du travail salarié.

Quoiqu'il en soit de certaines de ses prévisions ou prophéties comme le grand soir chanté dans l'Internationale et auquel peu de gens continuent réellement à croire, en dehors peut être de certains CGTistes purs et durs - Marx a donc clairement annoncé, et énoncé, la couleur. Pour lui, le salariat n'était qu'un moment de l'histoire humaine - assez long, sans doute, mais qu'est-ce que deux siècles par rapport aux 20 ou 30 siècles de l'esclavage! Marx, s'il n'a pas toujours eu raison il croyait, comme tant d'autres, que la science cartésienne et newtonienne, mâtinée d'un peu de dialectique, était la pierre philosophale de toute réflexion scientifique n'a pas non plus toujours eu tort, en particulier dans ses analyses. Mais ce n'est pas parce que la dictature du prolétariat ne s'est pas répandue de façon universelle et irrémédiable: la fin de l'histoire, qu'il faut nier toute pertinence à son analyse historique des divers formes du travail.

Par ailleurs, et très concrètement, n'oublions pas que les prolétaires décrits par Marx sont de moins en moins nombreux, au moins dans les pays de l'OCDE. La production industrielle ouvrière ne représente déjà plus que moins de 15% de la production totale des biens et services des Etats-Unis, et moins de 20% en France, contre plus de 50% il y a 40 ans. Les cols bleus sont devenus extrêmement minoritaires, et il est délicat, même pour les plus intégristes, d'assimiler les << travailleurs du savoir >> à de nouveaux prolétaires. Cessons donc de prendre de vieilles lunes pour de nouveaux astres. Limiter l'étude des << forces vives >> des sociétés contemporaines à l'étude de la condition ouvrière, et l'étude des diverses modalités possibles du travail humain à celle du travail salarié, avec ou sans sueur, semble de plus en plus relever d'une myopie proche de la cécité.

Plus grave encore est la cécité absolue consistant à lier systématiquement la question du revenu minimum à celui du salaire minimum, tout en examinant le point de vue de l'emploi sous le seul éclairage de l'emploi salarié. Comme cet emploi salarié repose, de plus, sur la notion de quantité de travail disponible - aberration que K. Marx avait d'ailleurs critiquée en son temps, quoique pour d'autres raisons - on en arrive aux thèses actuelles sur le << partage du travail >>. Chacun sait bien, pourtant, que les différentes formes de travaux et d'activités humaines sont de plus en plus diversifiées, que les spécialités et les métiers sont de plus en plus nombreux, et que ni la sueur ni la quantité de travail ne sont des unités d'oeuvre représentatives des richesses produites dans une ère de plus en plus dématérialisée.

J'ai longtemps eu la naïveté de croire que l'évidence de ce constat, celui du changement d'ère, celui du rôle nouveau du travail, allait être partagée par beaucoup, et mis quelque temps à comprendre le fait suivant. Devant la conséquence apparemment inéluctable de cette mutation profonde de la société, la fin de l'emploi (salarié) à vie, chacun de nous devient conservateur.

Ce côté conservateur s'exprime soit par une fuite en avant le modernisme à tous crins - soit par un archaïsme que même les démocraties populaires ont rejeté - partage du travail collectif et maintien absolu des avantages acquis, sans penser à des trocs possibles. Entre le Charybde du modernisme, et son cortège de laissés pour compte et d'exclus, et le Scylla de l'archaïsme, le choix n'est évidemment pas simple. D'où la tentation de nier ce dilemme, et de refuser de voir que le contexte des activités humaines a changé. C'est cette cécité qui conduit en particulier aux solutions magiques consistant à partager le travail pour résoudre définitivement et instantanément le problème de l'emploi (salarié).

Pourtant, comme le dit Yvon Gattaz, << Le travail n'est pas une tarte qu'il faut partager en parts plus petites pour que chacun en ait un petit morceau. Le temps partagé est un mythe qui satisfait l'esprit des gens peu compétents, ceux qui n'ont pas vécu en entreprise >> Voir le monde comme il est, et ne pas nier son évolution, voilà une position qui n'est pas non plus très éloignée de celle de Jean-Marie Rausch, ancien ministre et sénateur-maire de Metz, lorsqu'il parle de travail éclaté, plutôt que concentré.

Les économistes ne sont pas non plus tous aveugles, même si la théorie qu'ils enseignent les conduit parfois à une certaine schizophrénie lorsqu'ils cherchent à rendre compte des faits. C'est ainsi qu'Elie Cohen peut déclarer << je rêverais que mille entreprises se créent autour des services et des technologies d'Internet >>. Bel aveu d'impuissance de la part d'un théoricien, qui en est réduit à rêver pour tenter de rendre compte, hors théorie, d'une lame de fond qui finira par emporter même les digues les plus protectionnistes et hexagonales. Dominique Strauss-Kahn a d'ailleurs écrit, peu avant de prendre les rênes de l'Economie: << La France a un formidable patrimoine dans le domaine des technologies de communication et doit apprendre à le diffuser. Il ne faut pas que nous rations cette chance et pourtant dans le monde politique français, peu de gens considèrent qu'il y ait là à faire un investissement majeur >>. Même si le mot patrimoine n'est peut être pas aussi dynamique que nous l'eussions souhaité, il ne reste plus qu'à espérer que notre nouveau ministre soit d'aussi bon conseil que ne l'a été le vice-président des Etats-Unis, Al Gore, auprès de Bill Clinton dans sa promotion des fameuses << autoroutes de l'information >>.

La confrontation absurde de deux archaïsmes, néocapitalisme vs. néo-communisme.

Face au cortège d'exclus de toute sorte, face à la misère, il n'est pas facile de rester optimiste, et de croire à l'avenir et à la beauté du monde. De plus, lorsque l'on doute de l'avenir au point de désespérer, il est effectivement tentant de faire le passé (bien) plus beau qu'il n'était. Nous oublions alors les guerres qui ont ensanglanté l'Europe et le monde, avec son cortège d'horreurs totalitaires, du nazisme au stalinisme. Dans le national-socialisme, le libéralisme - quelle qu'en soit la définition précise - n'était pas très présent. De même, en dépit des échecs répétés, et très concrets, du communisme, certains s'y réfèrent encore comme à une branche d'alternative possible, sinon souhaitable. Le parti communiste français, par exemple, n'a toujours pas changé de nom, comme s'il considérait toujours que le communisme restait d'actualité. Faute d'oser ouvertement tenter de réhabiliter les << démocraties populaires >>, et en vue peut-être de faire oublier le totalitarisme inhérent au << centralisme démocratique >>, beaucoup de gens bien intentionnés, dont de nombreux intellectuels, ont voulu inverser la charge de la preuve. Au lieu d'admettre bon gré mal gré que le communisme, quel qu'en soit le millésime ou l'habillage, cela ne peut marcher, au moins en tant que système économique, ils ont porté le combat ailleurs. D'où les nombreux ouvrages, conférences, prises de position, articles - mais très rarement de véritables débats - annonçant la << dérive totalitaire du libéralisme >>. Comme si la liberté, quelles qu'en soient ses formes, pouvait être totalitaire! Comme si, par une alchimie spécieuse, trop de libertés pouvait tuer la liberté.

Pour faire bonne mesure, et pour faire passer cette pilule un peu grosse, celle du libéralisme cause de tous nos maux - au lieu de regarder plutôt du côté de la non transparence, de l'abus de pouvoir, des contraintes ubuesques, des règlements kafkaïens, des non-libertés, des décisions hyper-centralisées et éloignées des événements et des personnes directement concernées - certains se veulent plus subtils. Ce n'est pas le libéralisme qui serait en cause, mais << l'ultra-libéralisme >>, que personne ne songe à définir. Il manque un Coluche pour définir, comme pour la lessive qui lavait plus blanc que blanc, le libéralisme plus libéral que le libéralisme! De la même façon, sans doute, ce ne serait pas le communisme qui aurait failli, mais l'ultra-communisme, ce ne serait pas la dictature du prolétariat qu'il faudrait condamner, mais l'ultra-dictature du prolétariat?

Pour boucler la boucle, celle de la réhabilitation par la petite porte des idées apparemment généreuses associées au communisme, que l'on croyait définitivement discrédité depuis la chute du mur de Berlin et l'état des lieux qui s'en était suivi, il suffit d'associer au libéralisme, ultra ou non, le capitalisme << pur et dur >>. Quand prendrons-nous donc conscience que l'alternative n'est pas entre communisme et capitalisme, et que le débat est clos! Le communisme et le capitalisme sont tous les deux moribonds, l'un pour des raisons d'inefficacité économique notoire, l'autre pour des raisons techniques, les << moyens de production >> statiques n'étant plus le nerf de la guerre économique, l'information, l'innovation et l'intelligence ayant pris le relais. Quand comprendrons-nous qu'il ne tient qu'à nous de socialiser, ou sociabiliser, le libéralisme? Faisons en sorte que l'efficacité de celui-ci puisse aussi être mis au service de la société, si la tentation dirigiste ne confond pas rentiers et créateurs, parasites et producteurs, trésors statiques et ressources dynamiques - à ne mettre sous le boisseau en aucun cas.

Ne confondons pas, en effet, le fonctionnement normal des entreprises, dont le rôle premier est de créer des valeurs, avec la spéculation boursière qui répartit plus ou moins efficacement une partie de ces valeurs. On ne peut certes reprocher cette confusion à ceux qui n'ont peut être jamais mis le pied dans une entreprise. Il est vrai aussi que le goût du secret de certains patrons de droit divin et l'arrogance consanguine de certaines castes issus des mêmes grandes écoles n'ont pas toujours crédibilisé la sincérité et la véracité des comptes de leurs entreprises. Certains de leurs collaborateurs ont parfois attendu le jour de leur licenciement pour apprendre que l'entreprise qu'ils imaginaient bénéficiaire, vu le train de vie de leurs dirigeants, était à la dérive depuis plusieurs mois...C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles nous pensons que les P.M.E., isolées ou en réseaux, sont beaucoup plus proches de l'entreprise du 21 ème siècle, innovante, créatrice, imaginative, faisant confiance à ses collaborateurs que les mastodontes opaques dont les scandales défraient la chronique, tant dans la sphère publique que dans celle du privé.

Bruno Lemaire


* Suite

La carte n'est pas le territoire, ou la fin des certitudes cartésiennes


* Extraits de l'ouvrage

De Marx à... Bill Gates ?

Bruno Lemaire

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Mise à jour: 16/07/2003