Société de marché


(a) La société de marché est une fiction ultra-libérale. Car le marché n'a pas la propriété de se reproduire sans la société englobante qui l'alimente et l'organise. Il a encore moins la propriété de reproduire la société.


- <<Permettre au mécanisme du marché d'être l'unique directeur du sort des êtres humains et de leur environnement naturel aurait pour résultat la démolition de la société. (Karl Polanyi, "La Grande Transformation)>>.


(b) L'économie de marché s'est développée dans une société nationale structurée par une hiérarchie sociale et organisée grâce à un appareil d'État capable de faire respecter la propriété privée et la circulation des marchandises.


- <<Le marché est une région de la cité et non pas la cité tout entière. (Michael Walzer, "Sphères de Justice. Une défense du pluralisme et de l'égalité", 1983, Seuil, La couleur des idées, Paris, 1997, page 161)>>.


(c) Le profit des entreprises s'est développé dans le cadre d'une économie de rente, héritée de la société féodale. Le fonctionnement classique de l'économie de marché comporte un principe d'exclusion qui empêche de généraliser le marché à l'ensemble de la société.


- <<Oui à l'économie de marché, Non à la société de marché. (Lionel Jospin)>>.


(d) Keynes a montré que, à cause de l'intérêt et des marchés financiers, le marché seul ne pouvait donner le plein-emploi. D'où l'exclusion qui provoque le besoin de mécanismes sociaux de redistribution.


(e) Citation :


- <<Si l'argumentaire libéral n'a pas changé sur le fond, c'est-à-dire qu'il consiste aujourd'hui comme hier à considérer l'ordre marchand comme naturel, comment expliquer son regain d'audience dans les années 1980 ? A notre sens par épuisement du social-étatisme. Qu'il vienne de la tradition social-démocrate ou qu'il revendique la filiation républicaine, le social-étatisme a pour caractéristique de s'en remettre à l'Etat comme contrepoids au marché ; or la croyance en la capacité de l'Etat à rééquilibrer les rapports sociaux au profit des plus faibles se trouve grandement remise en cause. La prospérité de l'Etat providence était indexée sur la croissance. Il est donc logique que la crise économique en obligeant à des restructurations au sein de l'économie marchande ait provoqué des difficultés dans l'économie non marchande. Avec la montée du chômage, l'Etat est à la fois privé d'une partie de ses ressources et sollicité pour de nouveaux engagements financiers... Le goulet d'étranglement dans lequel est pris l'Etat-providence amplifie la critique à son égard. (Roustang, Naville et alii, "Vers un nouveau contrat social", page 80)>>.


(f) Surtout que l'Etat a toujours été un dominateur avant de se faire passer pour la Providence.


(g) Les théoriciens de l'économie ultra-libérale plaident pour une libéralisation de la société par le marché. Tel était bien le rêve d'Adam Smith et il est déjà largement réalisé. De fait, nos relations sociales ne sont plus celles des sociétés primitives ou autres sociétés traditionnelles. Il reste que les relations marchandes ne sont possibles que dans une société qui les rend possibles, en faisant respecter la propriété privée et l'exécution des contrats (Tribunaux de Commerce).


- <<De nombreux théoriciens ont critiqué l'irréalisme du modèle walrassien ainsi défini en faisant valoir que l'économie marchande n'a jamais connu le niveau de désencastrement qui y est postulé. Selon eux, cet homo œconomicus libéré des liens traditionnels à autrui et au groupe est une pure fiction. On pense en particulier à Mark Granovetter lorsqu'il écrit que «le niveau d'encastrement du comportement économique a toujours été, et continue à être, plus substantiel que ne le disent les économistes.» Aux yeux de Granovetter, «le marché anonyme des modèles néoclassiques n'existe pas dans la vie économique.» Cette critique est partagée par la majeure partie des courants qui composent ce qu'on appelle «la nouvelle sociologie économique». Il s'agit d'affirmer que l'action économique est toujours socialement située, ne serait-ce qu'en raison du rôle qu'y jouent les relations directes entre acteurs. Ce rôle affirmé des relations interpersonnelles par opposition à l'impersonnalité de la relation walrassienne est, pour ne prendre que cet exemple, au cœur de la notion de réseau : celle-ci rompt avec la vision désencastrée de l'homo œconomicus en ce qu'elle pense la capacité d'action comme étant une variable qui dépend étroitement des relations personnalisées que l'acteur est capable de mobiliser. La réflexion développée dans «La force des liens faibles» est emblématique de ce point de vue. Mark Granovetter y expose une conception du marché du travail différente de celle proposée par Walras dans la mesure où les contacts personnels s'y imposent comme jouant un rôle essentiel dans la capacité de chaque salarié à trouver un nouvel emploi. Le seul rapport entre l'offre globale et la demande globale pour un niveau de salaire donné est, aux yeux de cette analyse, insuffisant pour penser l'équilibration du marché. Dans cette perspective, la rupture avec l'idée d'économie pure apparaît comme un pas décisif à franchir pour que puisse être produit un modèle adéquat du fonctionnement marchand. Cette critique est pleinement fondée mais reste insuffisante. À la limite, elle tendrait à faire croire que l'anonymat marchand ou la dissolution des liens sociaux traditionnels de famille ou de voisinage n'est qu'un fantasme walrassien. Or, l'analyse anthropologique et sociologique nous montre sans ambiguïté qu'il n'en est rien. Elle insiste à juste titre sur la spécificité de l'échange monétaire comme échange qui coupe les liens entre les échangistes là où la réciprocité des dons impose une obligation de renouveler périodiquement la relation. Comme l'écrit Mark Anspach : «En imposant à chaque fois une nouvelle obligation de rendre, le don crée un rapport de réciprocité qui conserve son caractère contraignant au-delà des transactions ponctuelles. Dans l'économie monétaire, au contraire, le paiement est libératoire ; il met fin à la relation.» La rupture du lien personnel apparaît, dans cette perspective, comme un trait caractéristique du lien monétaire moderne. (André Orléan, "Réflexion sur les fondements institutionnels de l'objectivité marchande", 20 février 2003, in Cahiers d'Économie Politique, "Qu'a-t-on appris sur les institutions", L'Harmattan, 2003)>>.


(h) La locution <société marchande> est préférable. En effet, il faut qu'une société rende possible une forme particulière (parmi d'autres) de lien social, la relation marchande d'achat et de vente de bien ou de service.


- <<l'encastrement de l'échange marchand commence bien avant la constitution des réseaux et la re-personnalisation des relations économiques. C'est cet «en deçà» élémentaire que la nouvelle sociologie économique ne semble pas prendre en compte puisque la théorie de l'encastrement n'éclaire que les formes les plus «socialisées» de l'échange marchand. Elles montrent bien que les relations sociales interviennent dans le fonctionnement des marchés concrets, mais les relations sociales dont elles parlent ne sont plus des interactions marchandes parce qu'elles sont déjà re-personnalisées et réinscrites dans une temporalité spécifique aux formes de socialisation primaire. (Pascal Chantelat, «La Nouvelle Sociologie Économique et le lien marchand», in Revue Française de Sociologie, vol. 43, n°3, juillet-septembre 2002, pages 521-556)>>.


(i) Pascal Chantelat voit dans la "relation marchande pure" une forme particulière du lien social.


(j) Références d'usage du vocable :


- <<La société est fondée sur des transactions économiques où chaque individu cherche à minimiser les coûts et à maximiser les bénéfices. Le modèle permettant l'optimisation des transactions est évidemment le marché. Il l'emporte sur les autres dispositifs - coopératives, mutuelles, solidarités communautaires, Etat, gratuité - car, pense-t-on, il permet de trouver, entre les individus, des points de consensus sans cesse adaptables (par les prix) en matière d'allocation et de redistribution des ressources. Ainsi, la société devient un marché : la «société de marché» - idée-force, le marché réalise la véritable justice sociale par l'«équité». Contrairement à l'Etat, la «société de marché» serait profondément juste, en permettant à tout individu d'entrer en concurrence, elle lui donne en effet la possibilité de se prendre en charge, d'assurer son bien-être par ses propres initiatives et par sa créativité. Elle valorise ainsi le principe de la responsabilité individuelle. Celle d'être au chômage, par exemple : c'est parce qu'il n'a pas été suffisamment compétitif que l'individu se trouve sans emploi. Le passage de la notion de droit au travail à celle de démonstration d'«employabilité» montre l'ampleur du glissement idéologique. A cet égard, dans une société en changement rapide, on ne peut rester compétitif qu'en se donnant les outils appropriés en termes de connaissances, de savoirs et de capacités d'adaptation. L'éducation est le moyen pour y parvenir. Les systèmes d'éducation et de formation ont été soumis aux impératifs de l'économie. A l'individu, ensuite, d'en tirer le meilleur profit dans le cadre de la compétitivité scolaire. Ce faisant, les dirigeants ont avalisé non seulement l'idée qu'il existe des inégalités légitimes, résultant notamment du mérite et de l'effort individuels, mais aussi celle que le système éducatif doit de plus en plus servir à la sélection sociale. Ce que confirme la réalité du vécu quotidien. On en vient au dernier élément-clé de la nouvelle narration sociétale : le capital est à la source de la valeur ; il en est la mesure, pour tout bien et service matériel et immatériel, y compris la personne humaine. Réduit à sa qualité de «ressource humaine» l'individu n'a plus de «valeur» s'il cesse d'être «rentable». La société de l'éphémère, la société du jetable, la société des déchets tirent leur «légitimité» de cette conception. Bref, lorsque les dirigeants se réclamant de la gauche disent qu'ils adhèrent désormais à l'économie de marché, ils savent pertinemment que c'est à l'ensemble de ce qui précède - c'est-à-dire à la «société de marché» - qu'ils font allégeance. (Riccardo Petrella, "La dépossession de l'Etat", in Monde Diplomatique)>>.


- <<L'une des convictions partagée par la majorité d'entre nous est que le nécessaire développement de l'économie de marché ne doit pas entraîner la transformation de nos sociétés en " sociétés de marché ", expression qui figure d'ailleurs dans le texte préparatoire qui nous a été transmis. La distinction entre économie de marché et société de marché est devenue en quelques années une figure de rhétorique courante dans le débat français, reprise par le Premier ministre lui-même, ainsi que par un certain nombre d'observateurs de la réalité sociale. Le sens général en est assez clair. D'un côté, le marché – c'est à dire l'initiative économique privée, la concurrence et le droit à l'enrichissement personnel – est reconnu comme le mécanisme de base d'une économie dynamique susceptible d'assurer l'accroissement continu de la richesse économique. D'un autre côté, il est affirmé tout aussi nettement que le marché ne doit pas englober la vie sociale dans sa totalité, et que tous les aspects du développement social ne se réduisent pas à l'accroissement de la richesse monétaire. Pris dans son sens littéral, le refus de la société de marché renvoie clairement à la nécessité de limiter l'impact de la logique marchande sur les structures et mécanismes fondamentaux de la vie sociale, et implique à tout le moins une attitude critique vis à vis de l'argent. (Bernard Perret, "Refuser la société de marché, qu'est-ce à dire ?", in Séminaire des Nations Unies, "Valeurs éthiques et économie de marché", Paris, 20-21 janvier 2000)>>.


- <<Le triomphe de l'économie de marché engendre tout naturellement une société de marché modelée par des impératifs mercantiles et privés. Prétendre pouvoir éviter les dérives de la société de marché quand on accepte par ailleurs les fondements et les finalités de l'économie de marché paraît une gageure. Il y a certainement une part d'orgueil et de vanité à vouloir se persuader que l'on puisse y parvenir. Les effets d'une économie de marché sans contrepoids ni limitations sont absolument redoutables. Les valeurs et l'idéologie du marché concourent à dissoudre le lien social et à désagréger l'exigence républicaine. Elles constituent un obstacle majeur à tout accès à l'universalité pour des citoyens transformés en vulgaires consommateurs. Elles sanctionnent la régression des valeurs de l'esprit et de l'intelligence face aux intérêts matérialistes. (Francis Daspe, "De l'économie des marché à la société de marché", document du web)>>.


- <<Eduquer un enfant ne se fait pas en un jour. C'est sur la base de ce constat vieux comme le monde que les sociétés ont mis en place des institutions permettant aux familles de se constituer, et si possible de durer, afin d'éviter que les couples se brisent à la première difficulté venue (et les embûches sont nombreuses et sont autant de sources de discordes dès qu'il s'agit d'éduquer ses enfants). Bien-sûr, on ne peut pas forcer à rester ensemble deux personnes qui ne s'aiment plus. Mais il faut prendre garde de ne pas succomber à la demande de flexibilité dans les domaines où elle ne s'impose pas toujours alors qu'elle fait cruellement défaut dans les domaines vitaux de la production des richesses. Les moeurs sont un élément de rigidités qui assurent des cadres aux individus et à la société qu'il est nécessaire parfois d'assouplir mais qu'il est dangereux de détruire. Jospin avait dit un jour «oui à l'économie de marché, mais non à la société de marché». Pourtant, j'ai l'impression qu'en France, on a fait exactement le contraire : on se ferme obstinément à l'économie de marché (c'est-à-dire à l'économie du contrat libre) tandis que la société de marché a déjà envahit toute la sphère sociale. (Jean-Louis Caccomo, "Economie de marché versus société de marché", site Initiative Européenne et Sociale, Octobre 2007)>>.


(k) Voir Inclusion. Exclusion. Percolation. Réseau de percolation. Contrat social. Du Contrat social. Fiat monnaie.


(l) Lire "Don Mauss". "Seigneurs Marchands". "Villes Corporations". "Rente Profit". "Economie Crédit". "Réseaux Nomades". "Souris Hommes".



Auteur. Hubert Houdoy. Le 17 Mai 2008.


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