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Des marchés et des métiers:

(4) L'économie de crédit


* Plan

Introduction

1. L'économie de crédit

2. La course à l'appropriation

3. Justification de la hiérarchie

4. La société des diplômes

Conclusion


* Introduction

Nous avons vu comment se passe la transition de la rente au profit. Dans les institutions et les mécanismes de l'économie de rente, les premiers entrepreneurs capitalistes doivent réussir le premier bouclage du système des prix. Cela les oblige à faire circuler l'argent le plus vite possible entre leur bourse et la poche de leurs ouvriers. Le prix des biens de subsistance acquiert une importance stratégique. Il détermine le niveau des salaires. Il introduit une course à la baisse des prix. Ce fut la raison des lois sur le libre échange des grains et des cotonnades. Mais dès que le profit est en place, les mécanismes de l'appropriation ne disparaissent pas pour autant. La concurrence des capitaux et la tendance à "travailler avec l'argent des autres" suscite l'émergence de la banque et de l'intérêt. C'est l'origine de l'économie de crédit.


* 1. L'économie de crédit

A peine l'entreprise est-elle au centre du système des prix, devenus prix de marché, à peine la production des machines par les machines relègue-t-elle la force de travail au rôle d'adjuvant, à peine le salaire devient-il la base du système des prix, que l'alourdissement des investissements matériels, l'allongement du retour sur investissement et la très mauvaise habitude du crédit industriel mettent les entreprises dans la dépendance des banques par l'escompte des traites (frères Peireire, Crédit Mobilier, 1852) et dans la main des actionnaires par le recours aux capitaux anonymes (Société Anonyme, 1867).

L'économie de rente disparaît, mais pour laisser la place à l'économie de crédit. Après la redevance, la rente. Après la rente, le profit. Après le profit, l'intérêt. Chaque fois, c'est un revenu du non-travail qui prend le pas sur le revenu du labeur, de l'organisation ou de la créativité. Les mécanismes de l'appropriation sont plus forts que ceux de la production et de la reproduction. La science économique, qui se définit volontiers comme la "science de l'aménagement de ressources rares pour la satisfaction de besoins illimités", a bien mal délimité son objet. La production n'est jamais première. Elle est toujours induite, dérivée. C'est la tendance à l'appropriation qui est première. Et sans cause rationnelle. La course à l'appropriation est une course sans fin. D'autant que son moteur semble être le désir de rien, toujours renouvelé. Cette poursuite de l'illusion ethnique, sous des formes renouvelées, met en place des machines sociales au sein desquelles, après coup, se définit une rationalité locale, partielle, définie.

Nous avons déjà décrit cette logique de la compétition entre les industriels. La course aux parts de marché, la recherche des économies d'échelles, poussent chacun à s'endetter pour réunir une capacité de production susceptible de supprimer ses concurrents. La production n'est jamais tournée vers la satisfaction des consommateurs, mais vers la compétition. L'échec de la technostructure à s'émanciper des actionnaires vient de ce qu'elle a dominer les consommateur et poursuivi très loin la compétition technologique. C'est pourquoi les investissements dépassent dangereusement les capacités d'auto-financement. L'endettement des entreprises est systématique. Une partie considérable du pouvoir de décision est ainsi abandonné aux banques et aux actionnaires. Une partie considérable du profit de l'entreprise doit rémunérer les apporteurs de capitaux.


* 2. La course à l'appropriation

La situation est similaire au transfert du produit net rural de la seigneurie vers le bénéfice des marchands. Tout comme les seigneurs se lançaient dans le commerce de longue distance, les industriels peuvent être tentés par les placements financiers. Et la course à l'appropriation s'intensifie sous des formes de plus en plus abstraites. La production est seconde. La reproduction individuelle est tierce. Car il n'existe pas de loi de reproduction automatique de la société.

La course à l'appropriation ne stimule la production que dans certaines circonstances, précisées par Keynes. Pour qu'il y ait investissement et emploi, le profit attendu par chaque entrepreneur doit dépasser le taux courant de l'intérêt. C'est ainsi que Keynes explique la persistance du sous-emploi dans la richesse. Et bien au delà de ce qu'il croyait possible. Car le revenu n'est pas égal à la valeur de la production. Et les capitaux financiers peuvent se multiplier dans des bulles financières. Contradiction plus grave: les propriétaires ultimes de ces capitaux peuvent être, majoritairement, des salariés.

La pyramide du crédit mobilise, sous forme de capital financier, des quantités monétaires qui ne correspondent à aucune production dans la période, mais fonctionnent, pour certains, comme leur revenu véritable. Les salaires sont certes la base de la valeur des marchandises, sous l'hypothèse de reproduction, mais, dans la réalité, par la course à l'appropriation, beaucoup de choses qui ne sont pas produites obtiennent aussi un prix et produisent des revenus. La contradiction entre la synchronie de la valeur et la diachronie des coûts ne peut garantir un quelconque équilibre des prix. Les marchés d'appropriation se multiplient (terrains, options, monnaies, art, or, matières premières, papier des marchés à terme) sans lien avec la production. Bien que centrale au système de production, la tension entre les salaires et les profits ne règle pas tout le système des prix. Tout au plus, la productivité globale sert-elle de ressort de rappel entre le taux d'inflation et le taux de chômage. Car tout dépend du produit net.


* 3. Justification de la hiérarchie

Tout au long de notre genèse du capitalisme, du fait du rôle secondaire de la production, nous n'avons jamais constaté une adéquation directe de la formation des connaissances et de l'utilisation productive des compétences. Le plus souvent, la formation au métier se fait sur le tas, par les travailleurs eux-mêmes. C'est le cas des esclaves. C'est le cas des serfs. C'est encore le cas des compagnons dès que les maîtres ralentissent l'accession à la maîtrise. C'est bien sûr le cas des ouvriers à la plus noire époque du bouclage du système des prix.

La période suivante a mis en place un véritable système d'éducation populaire. La Révolution Française avait instauré de Grandes Écoles pour la bourgeoisie. Napoléon a complété le système avec le Lycée caserne. Par la suite, les Lois Ferry de 1881 et 1882 introduisent:

Quelques années plus tard, en 1888, est fondé l'enseignement technique en France. Il s'agit de mettre la formation des diverses couches de la société en phase avec les métiers que probablement ils seront appelés à exercer. Mais il s'agit aussi, et surtout, de mettre en place une nouvelle justification de la hiérarchie sociale. Comme dans les périodes précédentes, avec les règlements de corporations et les monopoles, un cadre social, défini et garanti par l'Etat, conditionne plus qu'il ne favorise l'exercice des activités productives.

Nous sommes d'accord avec Keynes. Il n'y a pas vraiment de marché du travail. Dans aucun des sens du terme. La hiérarchie des salaires ne s'explique pas par des différences de productivités. Cela n'est valable ni dans l'équipe, ni dans l'atelier, ni dans l'entreprise, ni entre les pays. La rémunération du travailleur fonctionne aussi comme rémunération de la famille. La différence persistante des salaires entre les hommes et les femmes devrait nous mettre sur la voie d'une autre explication. Le salaire est surtout une forme de reconnaissance sociale dans la course à l'appropriation des signes. Et l'entreprise doit tenir compte de ce fait qui, pour une large part, s'impose à elle.

L'opposition des salaire et des profits est au coeur de la théorie économique des prix. Au point que les Classiques, avant Marx, y voyaient une lutte des classes ou un darwinisme social. Ce qui est sûr, c'est qu'elle conditionne l'emploi et l'investissement. C'est elle qui définit les chemins de la croissance ou les marécages de l'inflation. Mais l'opposition entre salaire et profit ne concerne que l'entreprise. Et le salaire ne dépend pas seulement de l'entrepreneur. L'entreprise ne contrôle pas le niveau général des salaires réels. Quand bien même ils pourraient choisir ensemble le salaire nominal, l'employeur et l'employé n'ont pas de prise sur le salaire réel. Il dépend, d'abord, de l'ensemble des prix du marché. Il dépend aussi des propensions de la population, c'est-à-dire de millions de micro-décisions. Il dépend enfin d'un cadre social et législatif plus vaste. Et, aujourd'hui, ce cadre détermine la hiérarchie des salaires par celle des diplômes.

Les salaires s'imposent en grande partie à l'entrepreneur. Ce qu'il choisit, c'est le montant de son emploi. Les entrepreneurs ne choisissent pas le niveau des salaires, ni le temps du travail (loi sur les 35 heures). Dans le cadre des normes et des réglementations, ils choisissent leurs procédés de production et leurs méthodes de travail. Leurs anticipations individuelles et leur convergence conditionnent le niveau de l'emploi. Le niveau de l'emploi influe peu sur les salaires. Il ne crée pas leur hiérarchie.


* 4. La société des diplômes

L'appareil d'Etat, avec son système de règlements, détermine qui peut être employé, à quel âge et combien de temps. L'appareil d'Etat, avec son système éducatif, produit et reproduit une hiérarchie de connaissances formelles. Mais cette hiérarchie de connaissances est produite dans une hiérarchie de discours, dans le cadre d'un système d'explication de l'Univers. Cette hiérarchie des connaissances est la forme la plus récente de la hiérarchie d'appropriation (des femmes, des esclaves, des terres, des capitaux, des connaissances). C'est ainsi que se crée la société des diplômes.

Curieusement, au sortir du système éducatif, cette hiérarchie de connaissances se propose comme une hiérarchie de compétences. Mais elle n'est pas produite comme telle. Et elle ne le pourrait pas. Pour deux raisons:

L'entreprise se préoccupe de sa compétitivité. Elle l'obtient par son inventivité dans la conception, son agressivité dans la commercialisation et son efficacité dans la production. Pour sa rentabilité, elle cherche à les obtenir au moindre coût. L'inventivité, l'agressivité et l'efficacité sont des compétences qui ne dépendent pas directement du niveau des connaissances. Quant à la rentabilité, l'entreprise la cherche par une performance dans le cadre des opportunités, des techniques, des lois et coutumes. Et parmi celles-ci, elle doit compter avec la hiérarchie des salaires, produite ou garantie par l'Etat.

Présenter une hiérarchie de connaissances pour une hiérarchie de compétences est d'autant plus paradoxal que les compétences ne sont pas produites par le système éducatif. Elles requièrent des épreuves d'un autre type. Il faut conclure que les compétences ne sont pas en jeu dans cette présentation. Le système éducatif produit la hiérarchie elle-même: son ordre, sa récursivité, sa structure pyramidale. Le système éducatif a modernisé la formation des guerriers de l'ethnie primitive. Dès avant la mixité à l'école, le système éducatif jouait un rôle dans le choix du conjoint et la constitution de la famille. C'est pourquoi le salaire est aussi la rémunération de la famille.

Vu du côté des entreprises, le système public produit, ou plutôt libère, des demandeurs d'emploi. Ils ont reçu des formations diverses. Ils appartiennent à des catégories plus ou moins prestigieuses, en fonction de l'abstraction de leurs connaissances. Car, dans le siècle qui a suivi l'économie de rente et l'instauration de la propriété privée, un nouveau système de reconnaissance sociale s'est mis en place. La laïcisation du discours justificatif des clercs s'est accompagnée d'une hiérarchisation sociale par le niveau des études. Alain Minc parle d'une aristocratie scolaire de l'adolescence. Comme le dit Alain Touraine: "L'école moderne voulut fonder une hiérarchie sociale nouvelle, fondée sur la compétence et non plus sur l'origine sociale, et elle hiérarchisa les connaissances selon leur niveau d'abstraction ou de formalisation (Pourrons-nous vivre ensemble, p. 329)".

Il est réducteur de présenter les systèmes d'enseignement comme une préparation à la vie productive. C'est assimiler la société à une vaste entreprise. C'est masquer le fait que, le plus souvent, dans l'histoire, ceux qui recevaient une éducation n'étaient généralement pas des producteurs. Sous des formes différenciées, l'éducation était destinée aux prêtres et aux guerriers. Car il s'agit de produire et reproduire le système de représentations de la société beaucoup plus que la société elle-même. A travers ce système, il s'agit de perpétuer une hiérarchie politique, la hiérarchie d'appropriation. C'est notre place dans la société et la vision de sa place dans l'Univers qui sont en jeu. Quant à l'entreprise, jusqu'à une époque récente, la production des connaissances et celle des compétences, au sein de la production des biens et des services, étaient marginales ou délibérément gaspillées.


o Conclusion

Pour résumer en quelques phrases les cinq siècles qui nous séparent de Christophe Colomb, nous dirons que:

Le commerce et l'entreprise se sont développés en même temps qu'un Etat de plus en plus centralisé, donnant une société dualiste, régie par deux principes contradictoires. L'entreprise, tiraillée entre l'organisation hiérarchique interne de ses métiers et la réactivité que lui impose l'instabilité des marchés, n'a pas réussi, malgré le rêve ultra-libéral, à se poser comme nouveau principe unitaire de la société. L'échec de la technostructure et le retour des actionnaires marquent l'impossibilité d'une entreprise politique qui se chargerait des fonctions apparentes de l'Etat.

Aujourd'hui, la compétition des entreprises par les économies d'échelles a provoqué l'émergence du marché mondial et le flottement des capitaux. Faute d'une organisation politique mondiale, les entreprises se trouvent dans une situation nouvelle. Le marché mondial définit un réseau qui n'est plus englobé dans la société nationale. L'entreprise à profité de la société nationale organisée par l'Etat. Pourra-t-elle construire une société sur la base de son propre système de valeurs (rendement) et de financement (profit)? Si une économie de marché est possible et performante dans une société étatique, une société de marché est-elle possible? Nous ne le pensons pas. Une économie de l'information n'est possible que dans une société de la connaissance. Ce qui suppose des sujets, des nomades modernes, acteurs de leur propre vie.

Hubert Houdoy

Créé le 9 Juillet 1998

Modifié le


* Présentation du cycle

Des marchés et des Métiers


* Suite

Des réseaux et des nomades


* Définitions

Les termes en gras sont définis dans le glossaire alphabétique du Réseau d'Activités à Distance.


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Mise à jour: 16/07/2003