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Le modelage cognitif

• Le Chapitre - Renaissance du R.A.D.
• Textes de praticiens

• Le modelage cognitif peut désigner, dans toute forme d'enseignement, (formation initiale, formation continue, apprentissage, etc.) la restriction arbitraire du champ des connaissances et des modes de pensée transmis. Cette restriction est opérée pour des raisons pratiques, théoriques ou mêmes politiques. Par là-même, le modelage cognitif est une contrainte. Il contraint le sujet apprenant dans son apprentissage. Le modelage cognitif constitue, de fait, une violence symbolique à l'égard de l'apprenant.
• Le modelage cognitif résulte directement du modèle de l'artefact et du modèle de la cible. Le sujet apprenant n'est pas considéré comme le sujet de son processus d'apprentissage mais comme l'objet d'un processus de modelage. D'où une relation de sujet à objet dans la relation enseignante.
• Une relation de sujet à sujet consiste à considérer chaque apprenant comme le détenteur d'un ensemble de connaissances. On organise alors la formation comme un échange de savoirs. La formation ainsi conçue tend à donner à l'apprenant un statut actif, un statut d'acteur responsable dans son propre apprentissage.

La notion de formation constitue de nos jours un ensemble si diversifié qu'elle se vide peu à peu de son sens à la même vitesse que se créent de nouveaux contenus et méthodes pédagogiques. Aux classiques questions quoi, pour qui et pourquoi que se pose tout formateur pourrait bien se rajouter: puis-je ?

L'acte de former n'est pas neutre ! Il n'obéit pas au simple contrat: je te forme, tu apprends ! Il sous-entend déjà que par le langage et la forme de l'apprentissage: "tu vas faire tiennes de nouvelles valeurs (les miennes ou d'autres)" pour le meilleur et quelquefois le pire. L'acte de former nécessite une implication personnelle proportionnelle aux réticences bien connues de l'apprenant pour qui la nouveauté est quelquefois synonyme de danger personnel. La meilleure preuve est l'état de régression qui saisit quelquefois un groupe de personnes en apprentissage quelque soit son niveau socio-professionnel et le transforme en une horde de sales gosses indisciplinés, critiques sinon violents.

L'implication du formateur se perçoit par la force de persuasion qu'il va déployer afin de faire passer coûte que coûte son enseignement qu'il tient évidemment, de façon latente, comme base de l'efficacité et de la réussite ultérieure de ses ouailles: une sorte de chant des sirènes !

• Mesure-t-il à cet instant toutes les composantes de son art et surtout le retentissement psychologique de cet enseignement sur l'apprenant ?
• Mesure-t-il réellement le pouvoir dont il est dépositaire dans cette situation d'apprentissage ?

Au-delà du simple constat que l'un possède le savoir (au moins du contenu de la formation) et l'autre pas (ce qui constitue déjà une relation déséquilibrée), il nous faut savoir ce que cette autorité supposée engendre !

En fait, l'acte de former n'est pas un simple transvasement de compétences et de connaissances, mais un véritable modelage cognitif qui s'appuie sur:

• 1) Le type même de connaissances à apprendre

Les valeurs intrinsèques véhiculées par un enseignement en droit ne sont pas les mêmes que celles véhiculées en techniques informatiques ou en biologie. Chaque type de domaine possède en lui-même une infra-culture où se mêlent son histoire, ses grands personnages, ses héros, ses prises de position, son évolution, son langage professionnel, son degré de technicité, ses codes etc. Nous parlons même de dé-formation professionnelle: ce qui indique clairement une structuration propre au moule de ce domaine.

• 2) Les techniques et supports pédagogiques employés dans la formation

Si quasiment tous les coup sont permis pour focaliser l'attention de l'apprenant sur le ou les supports choisis (écran(s), projection ou rétro-projection, multiples tableaux, photocopies, formateur lui-même en cours professoral ou discussion); l'application de ces techniques que l'on peut qualifier de formation armée ou non-armée (le support faisant médiation entre le formateur et le formé) reflète parfaitement quelques résultats que la proxémique a souligné et renseigne de façon quasi-transparente sur l'appréhension (au sens philosophique) qu'a le formateur de l'acte de former.

• 3) Le contenu de la formation

Il sélectionne a priori les notions intéressantes à enseigner et celles à écarter. N'oublions pas qu'une telle sélection est loin d'être neutre et que l'impasse complète des programmes de l'éducation nationale en collège et lycée sur les plus grands penseurs arabes du moyen-âge est certainement plus idéologique que justifiée par des critères d'efficacité et de ratio temps passé/notions générales acquises.

• 4) Le niveau et la personnalité des apprenants

Il garantit dans certains cas une immunité indiscutable du formateur même si ce dernier a rejoint son plus haut niveau d'incompétence. En effet, la formation de certains stagiaires dans des actions d'insertion ou de pré-qualification pose des problèmes éthiques importants car certains organismes de formation n'hésitent pas à bombarder du titre de formateur des personnes sans qualification particulière qui peuvent faire malheureusement beaucoup de dégâts, étant elles-mêmes dans des revendications de reconnaissance et d'insertion sociale. Le type de relation dans ces cas extrêmes est ni plus, ni moins qu'une position malsaine de domination/soumission d'autant plus intransigeante que le niveau du stagiaire est faible.

• 5) Les enjeux réels de la formation

Ils sont la plupart du temps inconnus par le formateur qui ne peut maîtriser, en amont comme en aval les véritables bénéfices et bénéficiaires (qui ne sont pas toujours ceux auxquels on croit) de ce temps de formation.

En milieu carcéral, par exemple, certaines formations sont dites occupationnelles, c'est à dire que le temps de la formation devient une sorte de garde pédagogique appréhendée et explicitée comme telle par les acteurs institutionnels. Quels résultats peut-on attendre d'une telle action de formation si, nulle part, les connaissances acquises, les efforts de progression ne sont reconnus ni relayés ?

Diverses mesures de lutte contre le chômage privilégient les actions de formation en posant pratiquement l'égalité suivante: formation = emploi. Ceci est d'ailleurs repris dans les entreprises au travers de la nécessité impérieuse de se former pour cultiver sans cesse son employabilité au sein même de son activité. Si la formation est désignée comme traitement préventif du chômage, que vient-elle donc donc faire dans un plan "social" de restructuration si ce n'est de masquer grossièrement le licenciement du "trop-plein" des effectifs par des apprentissages plus ou moins adaptés, dans la contrainte et la peur d'un chômage sec. Ne tente-t-on pas de résoudre de manière totalement artificielle et temporaire la cristallisation de multiples frustrations professionnelles par une atomisation, une parcellisation, un saupoudrage des savoirs et savoir-faire dans le but de tempérer cette nécessité pour chacun d'être connu et/ou reconnu par ses pairs ?

Si la formation permet un enrichissement personnel et professionnel, une pause de réflexion dans les urgences quotidiennes d'actions et de réactions; alors former revient à oeuvrer pour le bien du plus grand nombre.

Si, par contre, former violente l'autre par la soumission à son insu, à des valeurs qui lui sont étrangères, alors il faudra une sérieuse remise en question de la formation, tant sur l'aspect éthique que législatif.

Pour bien comprendre cette idée de violence, nous pouvons prendre en exemple l'enseignement du Français Langue Étrangère, destiné à une population parlant, écrivant et lisant dans une langue autre que le français. Pour une personne immigrée, d'une culture différente de la nôtre, l'enseignement que nous lui proposons n'est pas seulement un moyen de s'autonomiser, mais c'est aussi l'irruption soudaine de nos valeurs, points de repères, de nos habitudes et coutumes en un mot de notre culture, par le biais de l'apprentissage de la langue. Est-on capable de prévoir et d'anticiper les conséquences d'un tel bouleversement psychologique et social chez la personne concernée ? Lui a-t-on fait part des difficultés nouvelles qui pourraient survenir dans son couple, avec ses enfants, sa famille d'ici ou d'ailleurs ? Est-on conscient qu'embrasser une nouvelle culture peut mettre à mal des types de pensées traditionnels, fortement enracinés parmi les proches et céments d'une unité sociale définie.

De la formation des élites des grandes écoles aux stagiaires des actions de Développement Social des Quartiers, nous construisons des ponts de connaissances, de développement d'un esprit de pairs tout en coupant de manière involontaire et inconsciente d'autres ponts établis individuellement et primitivement (comme une promotion professionnelle peut entraîner la naissance de nouveaux contacts et la rupture d'anciens).

Je plaide ici pour qu'un acte de formation soit réfléchi et maîtrisé. Ceci implique chez l'apprenant une adhésion consciente à la formation et à son programme après une information complète préalable. Le formateur doit également avoir analysé et déterminé le profil des formés et surtout leurs besoins, les objectifs de son action, les acteurs en présence, les bénéfices latents, manifestes ou induits pour les formés, les lacunes nécessaires, etc. L'ensemble de ces points devrait permettre de passer un véritable contrat de formation entre des stagiaires in-formés et le professionnel de la formation. Ce dernier devrait en outre, être seul responsable des outils et méthodes à employer pour parvenir aux objectifs fixés avec son propre employeur et l'apprenant. Il serait donc tenu à une obligation de moyen (connaissance du sujet, compétences pédagogiques, capacité d'évaluation de la progression des apprentissages et des acquisitions). Le respect de ces derniers points devrait être à même de garantir la confiance nécessaire et non-suffisante pour que le couple formateur-apprenant puisse tisser le lien univoque du respect d'autrui.

Marc Rosso

ultra@club-internet.fr

Psychologue Clinicien/Consultant RH/Formateur

Créé le 30 Octobre 1998

Modifié le 5 Novembre 1998

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Mise à jour: 16/07/2003