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La Trialectique Sujet - Objet - Projet

Une publication du RAD - Dialogue:


Notes de Lecture

de Hubert Houdoy

sur "La Trialectique"

de Roger Nifle

http://www.coherences.com

Aller dans: Salon de lecture


Roger Nifle: <<Nous sommes dans un monde de dualités qui ne cessent de mettre en opposition, en conflit, qui jouent sur des symétries d'exclusion.>>

Hubert Houdoy: Il importe alors de bien voir que ces dualités sont initiales, irréductibles, mais localisées.

Saussure (Cours de Linguistique Générale) ou Greimas (Sémantique Structurale) ont bien montré que le sens des mots se construit sur des oppositions paradigmatiques. "Haut" n'a de sens que par son opposition à "Bas". "Droit" n'est signifiant que par son opposé "Gauche". Et Immanence ne dénote que par son opposition à Transcendance.

Mais si cette dualité des mots est initiale et irréductible, elle se limite à eux. Rien ne nous oblige à projeter la dualité des mots sur les choses que nous cherchons à comprendre. Si la dualité est irréductible, le dualisme est réducteur. Mais, pour cela, nous devons d'abord nous approprier cette invention collective de nos ancêtres: la langue.

En posant comme principe que la langue est une superstructure, un reflet de la structure de la matière, le matérialisme est esclave de ce qu'il sous-estime: l'effet de la structure de la langue. Il projette dans les choses l'opposition des mots et se condamne à ne jamais comprendre la réalité.

En faisant des idées la base de tout, l'idéalisme:

La linguistique, la sémantique et la sémiotique sont d'utiles apports de la science récente. Elles sont de précieux outils pour sortir des dualismes dans lesquels les pensées philosophiques et scientifiques s'enfermaient avant elles. Elles permettent de relativiser et de recontextualiser les dialectiques associées à ces dualismes.


Réductions initiales
Roger Nifle: <<On verra comment différentes dialectiques participent à la structure trialectique, sujet-objet-projet et comment, isolées, elles sombrent dans ces dualismes mutilants.>>

Partir des dialectiques pour construire une trialectique est certainement le meilleur moyen d'aller du plus simple (spontané) vers le plus complexe (surprenant). Alors que poser, d'emblée, une trinité aurait un coté transcendental, une sorte de "Deus ex machina". Surtout que, un jour ou l'autre, sa capacité exploratoire s'épuisant, il faudra dépasser la trialectique.

La ternarité est une méthode qui dépasse la dualité. Elle est un outil plus puissant pour ceux qui ont épuisé la valeur exploratoire du précèdent. Elle n'est pas une croyance, encore moins un dogme.

Roger Nifle: <<C'est le drame d'une époque qui a abusé des réductionismes sans s'apercevoir de quelles amputations humaines ils étaient la source.>>

La multiplication des réductionnistes correspond à un fonctionnement moyenâgeux (corporatif) de l'Université qui, avec ses systèmes de reconnaissance interne et de gestion de carrière, pousse chaque discipline à se développer en champ clos, avec son objet et sa méthode. Cette division du travail n'est pas sans intérêt (spécialisation, approfondissement). Mais elle doit être dépassée par chaque individu, qui doit rester capable de faire des liens, des apports et des emprunts. Depuis Gutenberg, la linéarité et la clôture du livre permettaient/renforçaient cette tendance. Depuis le web, l'ouverture et le foisonnement du document hypertexte permettent de la dépasser.

Roger Nifle: <<Un parmi d'autres, l'économie réduisant l'homme à un "agent rationnel", l'entraîne à identifier tout comportement au fruit d'un calcul.>>

Le marché représente une ouverture par rapport aux communautés rurales villageoises, mais il est très faible pour la transmission des informations sur les besoins. Voir l'origine de cette représentation classique de l'homo economicus, et sa critique, dans MAUSS, le Don.

Roger Nifle: <<L'homme devenu calculateur est aveugle à toutes les dimensions qui justifient son existence et la frénésie calculatrice devenue pensée unique et seule règle de légitimité juridico-politique produit de l'exclusion...>>

Ce n'est pas tant l'homme individuel qui est aveugle que le marché qui est muet sur les besoins et exclusif par définition. Le modèle du marché comme modèle d'exclusion est montré dans la théorie classique du chômage.


Trois dimensions de la réalité
Roger Nifle: <<Trois dimensions de la réalité, de l'expérience humaine... sont repérées par les termes sujet-objet-projet. Il y a une articulation entre ces trois vecteurs. La trialectique n'est pas symétrique ce qui en fait la source de l'infini diversité de notre monde et de la possible différence entre les hommes et les peuples.>>

Alors que la dialectique est symétrique et, en partie close, quoique sans fin, la trialectique permet des ouvertures. "Trois", ce n'est pas du tout comme "Deux mais avec Un en plus". Quelle que soit son inspiration (religieuse, idéaliste, matérialiste, pragmatique) la ternarité a des grandes propriétés de richesse, d'ouverture et de diversité.

Un modèle ternaire permet de mettre en évidence des cohérences qui nous échappaient auparavant. Mais cette cohérence est produite par le modèle ternaire. La cohérence, si elle permet d'échapper à l'absurdité ou au désespoir, ne doit pas être une écriture close, un dogme ou un enfermement.

Roger Nifle: <<Le vecteur "projet" est le produit (vectoriel) des vecteurs "sujet" et "objet". C'est donc une "résultante" et, on le verra, c'est le vecteur qui supporte la dimension rationnelle de la réalité.>>

Que le troisième terme soit le produit des deux premier fait découler la ternarité d'une dualité sémantique première et incontournable, les oppositions paradigmatiques. Cela lui évite de tomber du ciel. D'où l'immanence du sujet, de l'objet et du projet.

Roger Nifle: <<D'ores et déjà on peut en déduire que la rationalité n'est pas une cause mais l'ordre (second) d'un déploiement et qu'elle n'est que l'une des dimensions de la réalité celle justement qui nous la présente ordonnée, développée, reliée, engagée dans l'espace et dans le temps, un temps d'ailleurs irréversible.>>

Cela évite de tomber dans le rationalisme (tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel). Que l'homme s'efforce de se rendre les choses intelligibles, en retrouvant un mouvement qu'il peut comprendre et que semblent permettre des simulations, ne doit pas l'amener à supposer (pour imposer) un plan préétabli (Dieu, Histoire). C'est toute la différence entre une méthode (dualité, ternarité, structures, systèmes) et un dogmatisme (dualisme, trialisme, structuralisme, systémisme).

La rationalité est un enchaînement que nous construisons nous-même, pour comprendre, nous rendre familier, nous représenter, intérioriser, nous approprier un mécanisme complexe. Il devient moins mystérieux, moins effrayant, quand nous le comparons à quelque chose que nous sommes capables de reproduire (en paroles, en pâte à modeler ou par des modèles de simulation).

Construire une rationalité, pour nous, (a posteriori) ne nous oblige nullement à la supposer (a priori) dans un plan divin (religions) ou dans une fatalité (le fatum de la tragédie grecque, l'histoire marxiste, les cycles hindouistes).


Sujet, Objet, Projet
Les trois composantes de la trialectique.
Le sujet
Roger Nifle: <<Le vecteur sujet

Il est déterminé par l'expérience du Sens (en l'homme) réalisé en tant qu'intention. L'intention peut prendre mille visages: désir, motivation, propension, volonté, aspiration, direction, orientation, disposition, détermination, force intérieure, etc... C'est elle qui nous pose comme sujet, c'est-à-dire à la fois: porteur d'intention, être de Sens (le coeur du sujet), auteur de réalisations (conscience, action, etc...).>>

Le désir ou toute autre motivation donne conscience d'exister. "Souffrir, c'est encore jouir de soi" écrivait Marx dans les Manuscrits de 1844.

Roger Nifle: <<Nous en avons l'exercice dans l'intuition qui nous fait pénétrer comme à l'intérieur de la réalité par le biais d'une sorte d'intériorité de nous-même.>>

Plaisir, souffrance et toutes les sensations intermédiaires sont des outils de la connaissance individuelle (mémorisation de l'affect et traitement de la représentation disait Freud). D'où l'intuition. L'émotion est aussi un grand levier pédagogique pour provoquer une réaction devant un fait (curiosité), un texte (la poétique), un tableau (l'esthétique).

Par contre, ils ne sont pas du tout les meilleurs outils pour transmettre objectivement ces connaissances sous la forme d'informations.

Roger Nifle: <<Évidemment, l'assimilation subjectivité et arbitraire ne relève que d'une position subjective qui s'ignore.>>

C'est la science qui refuse la subjectivité (des instances) pour produire une objectivité réductrice (des classes assimilées à leur objet générique). Or, aucune connaissance scientifique ne serait possible sans la subjectivité et donc la motivation des chercheurs. Pour la science, nier ce qui est son moteur a quelque chose de suspect. La science cherche à nier sa propre subjectivité, les motivations de son propre projet (rendre le monde intelligible, lui donner un sens) pour mieux poser son résultat (le sens produit) comme un préexistant (un sens déjà-là). Cela se comprend dans son conflit avec son vieil adversaire: la religion. Mais cette dénégation commune (de leur subjectivité) les disqualifie toutes les deux.

Roger Nifle: <<La reconnaître au contraire permet d'en discerner la présence spécifique en toute chose, d'appréhender notre responsabilité en la matière et d'assumer les déterminations qui conviennent dans nos actions.>>

Dans le cas de la science, c'est se reconnaître comme un projet de construction d'intelligibilité, au lieu de se camoufler derrière la prétendue découverte d'une rationalité préexistante (rationalisme). C'est alors reconnaître ses principes initiaux (conservation de l'énergie, évolution biologique, etc) comme des axiomes et non pas comme des vérités établies ou révélées.

Idem pour la religion.

Idem pour les droits de l'homme.


L'objet
Roger Nifle: <<Le vecteur objet

...La composante objet marque la dimension d'altérité dans toute chose en tant qu'elle se distingue par séparation de son contexte... L'objectivation nous fait distinguer, séparer, multiplier les composantes, les acteurs et les facteurs, tout en nous séparant objectivement des choses et des autres.>>

Si le sujet est le centre de son propre monde (réalité apparente, pour lui), les objets qui lui résistent l'obligent à les reconnaître dans leur altérité. Tant qu'une chose se comporte exactement comme l'image mentale que nous en avons, nous finissons par oublier son existence objective, par perdre le sentiment de son altérité.

Exemple 1: Mes chaussures font partie de moi jusqu'à ce que leurs lacets ne cassent. Mes jambes font partie de ma nage jusqu'à la crampe qui me bloque. Le paysage fait partie de mon plaisir jusqu'à ce que gronde le tonnerre.

Exemple 2: La grande surprise des relations "à distance" vient de ce que nous nous sommes habitués à un certain type d'interactions avec nos interlocuteurs "présents". Nous finissons par confondre nos interlocuteurs habituels avec les modèles mentaux que nous en avons. Cela vient de ce que nos modèles mentaux et le comportement de nos interlocuteurs sont (les uns et les autres) très bien adaptés avec les normes de la discussion en face-à-face. Nous prenons le virtuel (nos modèles mentaux) pour le réel (l'interlocuteur) parce que le rituel, les règles coutumières (politesse, conversation, mondanités, conformismes professionnels, familiaux, urbains) nous ont amenés à agir comme les normes classiques de comportement le prévoient. C'est certainement une fonction intégratrice et réductrice du rituel que de d'assimiler le réel et le virtuel.

C'est lorsque nous nous trouvons dans une autre situation de socialité (relation à distance sur internet), qui nous parait nouvelle et pour laquelle nous n'avons pas encore inventé ni intériorisé de règles de comportement, que nous re-découvrons l'altérité de nos interlocuteurs. Alors, sur la comparaison de deux types d'interactions (présence/distance), nous projetons l'opposition paradigmatique "réel"/"virtuel". Nous disons que les interaction "en présence" sont "réelles" et que les interactions "à distance" sont "virtuelles". C'est alors, maintenant, que nous avons la sensation de nous adresser à un interlocuteur virtuel. Or, cela n'est pas nouveau. Cela a toujours été le cas. Et cela le sera toujours.

L'intérêt de cette situation nouvelle, ce n'est pas qu'elle soit plus "réelle" ou plus "virtuelle" que la précédente ou que les autres. Le dialogue à distance nous oblige à réinventer de nouvelles règles de comportement. Il nous surprend. Mais comme le ferait un caillou sur le chemin que nous arpentons sans trop le regarder. Comme le ferait une peau de banane sur le sol de notre cuisine. Il actualise d'autres virtualités qui sommeillaient en chacun d'entre nous. D'où l'intérêt de multiplier les modes d'interaction, pour actualiser plus de virtualités et re-découvrir d'autres altérités.

Car, d'une certaine manière, tous les modèles mentaux que nous avons de nos multiples interlocuteurs font tellement partie de nous qu'ils constituent notre subjectivité. Comme le disait Jacques Lacan, le moi n'est jamais qu'un "bric-à-brac d'identifications". Ce que "je" dit est une résultante de ce que disaient tous les interlocuteurs dont l'altérité m'a obligé à leur porter une attention particulière.

Par contre, que l'un de nos interlocuteurs change son comportement, ne réagisse plus comme il le faisait et donc comme le fait son modèle mental dans notre tête, et c'est l'événement:

L'histoire (imaginaire) n'est ni nouvelle ni originale. On peut imaginer la suite:

La Crise, à propos. C'est bien le développement de la virtualisation (informatique, réalité virtuelle, dialogue à distance) dans notre société industrielle, bourrée d'objets durs et standards, d'humains entassés et conformes, qui nous fait redécouvrir que nous n'avons jamais agi ni dialogué qu'avec les virtualités qui hantent nos cerveaux. C'est cela qui perturbe nos habitudes, modifie les oppositions sémantiques (réel/virtuel, sujet/objet) qui nous semblaient les mieux assurées, nos certitudes.

Cela condamne l'homme de la rue à faire ce que, il y a peu, il aurait appelé de la "Philo pour philosophes".

Peut-être n'est-il pas à la recherche d'un SENS transcendental (qui dépasse notre monde). Mais il est sûrement à la recherche d'un (nouveau) sens pour les mots qu'il emploie/entend. Il est sûrement à la recherche de règles d'efficacité pour ses nouveaux champs de rencontre et d'action.

Roger Nifle: <<Cependant si l'objectivisme isole l'objet (confondu à la chose) par abstraction méthodique du sujet, la trialectique montre que la dimension objective est dépendante de la dimension subjective.>>

L'objectivisme est comme la routine ou l'habitude, il fait abstraction du sujet qui est dans l'objet. Je réduis l'objet à l'image mentale interne que j'en ai. Puis je projette cette image mentale, réductrice, sur la réalité de l'objet. Il n'est plus, dans ma tête, que ce que mon habitude, mon schème font de lui.

Roger Nifle: <<...pas d'objectivation sans sujet objectivant, pas d'ob-servation sans intention, pas de con-sidération sans plusieurs êtres.>>

Il y a mille et une manières d'objectiver l'autre. La manière dont je procède, quand je l'oublie, est fonction de mes intentions. La manière dont je réagis quand je suis surpris est encore fonction de mon intention et révèle mon degré d'attention.

Roger Nifle: <<Pas d'objet sans sujet mais aussi pas de sujet sans objet lorsqu'on est dans le champ de la réalité d'expérience. On ne peut en effet reconnaître la dimension subjective sans qu'elle se rapporte à quelque réalité, à propos de quelque chose.>>

Chaque sujet objective et intériorise les autres (n'y fait plus attention) en fonction de ses intentions.

Chaque sujet se fait reconnaître comme objet extérieur en se rappelant comme réalité, altérité, en ne se conformant pas au modèle mental de l'autre. En perturbant l'intention, en forçant l'attention. Au risque de constater que l'on ne fait vraiment plus attention à lui. Ce serait:


Le projet
Roger Nifle: <<Le vecteur projet

Objet et sujet ne sont pas dans un face-à-face, une opposition pas plus que la longueur et la hauteur d'un immeuble.>>

Ce face-à-face serait une vision dualiste du rapport sujet-objet ou la routine (sans projet).

Roger Nifle: <<Dans la trialectique, sujet-objet-projet, la troisième dimension est le produit des précédentes.>>

Elle est "troisième" dans le fil du raisonnement. Mais quand les trois dimensions existent, elles sont simultanées. Le sujet et l'objet d'une relation duale sont différents du sujet et de l'objet d'une relation ternaire. L'émergence du projet transforme le sujet et l'objet. Il redéfinit leurs rôles.

Il suffit de revenir à la scène du <passe-moi le sel> pour voir que:

Roger Nifle: <<La dimension projective de toute réalité en ordonne les objets selon la logique du sujet (l'intention). Cet ordre est à proprement parler rationnel en cela que les parties se rapportent au tout dans un rapport, un ratio qui réalise la réalité dans son historicité et dans sa topologie relative aux autres réalités.>>

Le projet devient un nouveau point de vue, comme un nouveau sujet, un sujet en plus, pour lequel les sujets et objets précédents deviennent des objets, évalués objectivement, rationnellement, en fonction du projet. Pourtant le projet n'existe que par le(s) sujet(s) qui le projette(nt) ou le fonde(nt).

Grave danger du holisme (partir du tout, faire du tout une personne, un Sujet transcendant) qui ferait du projet le seul sujet. C'est la source de tous les totalitarismes. Il n'y a pas de société sans projet de société de la part de ses membres. La société est leur produit, souvent routinier, pas toujours inventif, mais bien réel. Ils ne sont pas des "membres" exécutant une pensée, un projet de la société. Curieusement, tous les réductionismes en viennent à supposer un holisme, une loi de reproduction automatique de la société. <http://rad2000.free.fr/glosdl02.htm>

Or, la démarche est toujours la même: masquer son propre projet d'intelligibilité. Faire passer un pari de "comprendre un jour" pour quelque chose de déjà révélé (religion) ou de déjà prouvé (loi scientifique) alors qu'il ne s'agit que d'axiomes pour un projet et de conjectures à explorer. Axiomes qui ne s'imposent qu'à ceux qui décident de les tester et sous réserve d'inventaire ultérieur. Conjectures en quête de réfutation.

Roger Nifle: <<La notion de projet a plusieurs contenus qui sont ici rassemblés dans cette dimension de toute chose: projection d'un sujet intentionnel à propos d'objets inscrits dans un contexte qui s'en trouvent arrangés dans un ordre de marche.>>

Seules les intentions des partenaires font du projet un sujet doté d'une intention. Cette intention n'est pas plus imaginaire que celle des sujets initiaux. Elle n'est pas moins fluctuante non plus. Mais elle ne peut les remplacer. Elle n'existe souvent que par des prophéties auto-réalisatrices, des déclarations d'intention parfois ritualisées.

Roger Nifle: <<Si le projectif se traduit selon la rationalité que la raison appréhende par projection, le rationalisme fait indûment de cette rationalité la cause de la réalité.>>

La raison supposée du projet imaginaire devient cause des sujets qui l'ont élaboré. Les dieux, inventés par les hommes deviennent la cause du monde et des hommes. La société difficilement construite par les hommes devient le conditionnement de leurs pensées et attitudes. L'entreprise, lieu de leur rencontre productive, devient l'agent de leur exclusion au nom des lois du marché.

Roger Nifle: <<La trialectique, sujet, objet, projet, montre que la raison est seconde et non première. Elle est coextensive avec la réalité selon la dimension projective et en cela elle exprime le Sens dont elle est alors témoin.>>

Admettre des lois rationnelles comme première cause, c'est choisir volontairement la servitude (La Boétie: De la servitude volontaire).


La trialectique
Roger Nifle: <<L'articulation des trois dimensions est importante et l'on doit considérer que la réalité rationnelle telle qu'une certaine appréhension nous la montre est une dimension projective qui résulte de la conjugaison d'une intentionalité subjective appliquée à des conditions objectives.>>

Voila l'utilité première de la trialectique, sujet, objet, projet. En chaque chose, chaque situation, chaque problème, chaque réalité les trois dimensions articulées ainsi l'expliquent et la structurent.

Toute connaissance suppose intention subjective, conditions objectives et en final réalisation projective (rationnelle).

Roger Nifle: <<C'est sur la variation du vecteur intention que se différencient les processus épistémologiques, c'est-à-dire en fonction du Sens: position et posture de l'Instance humaine, fondant postulats et paradigmes.>>

Je suppose que la variation du vecteur intention est l'actualisation de telle ou telle de ses valeurs possibles: <désir, motivation, propension, volonté, aspiration, direction, orientation, disposition, détermination, force intérieure, etc...>

Roger Nifle: <<Toute action suppose intention, conditions et enfin réalisation qui en est la résultante. On appliquera cela aux entreprises humaines pour mieux comprendre et agir. Mais c'est bien toute réalité qui en ressortit.>>

Cette définition de l'action est aux antipodes de l'activisme définit par Michel Crozier. Contrairement à l'activité spontanée du niveau sensori-moteur, cette action raisonnée exige le passage par les opérations logiques de la pensée.


Les réductions dialectiques et monistes

Toutes sont produites par l'occultation d'un ou de deux termes de la trialectique. Elles sont donc des pensées primitives traduisant un développement insuffisant de la pensée ou une régression imposée par le conformisme d'institutions statiques.


Les réductions dialectiques
Roger Nifle: <<1) La dialectique sujet-objet

La pensée bouddhique nous invite à considérer les deux dimensions sujet-objet et un troisième terme qui est leur relation. Dans des courants qui s'y retrouvent, le thème de la relation prend une grande place avec différents contenus, l'entre-deux, l'amour mais aussi ces thèses qui font de ce qui circule "entre" la substance de toute réalité.>>

Dans ces réductions, il s'agit d'une vision de la fusion ou de l'affrontement. Faute de projet, le sujet et l'objet se dissolvent dans leur relation. Dans l'animisme et dans la pensée magique, sujet et objet ne sont pas vraiment distincts. Le sens pourrait-il exister sans la différence? Le sens et la différence s'acquièrent par un processus de différenciation progressive, du sujet et de l'objet, du processus et du résultat, du but et des moyens, du fond et de la forme, de la scène et du paysage, du texte et du contexte, du mot et de la chose, du signifiant et du signifié. Sur un fond de ressemblance, des traits distinctifs émergent, renforcés par le processus d'imitation, pour aboutir à des différences reconnues permettant l'élaboration d'une signification.

Roger Nifle: <<Or s'il est pertinent de reconnaître que le champ de la relation est bien celui de la conjugaison des dimensions sujet-objet, leur dialectique dans ce seul champ est réductrice. Elle conduit par exemple à surinvestir cette relation sous le mode affectif, passionnel, é-motionnel et on pourrait dire que l'état d'âme (une âme affective en l'occurrence) est le seul régulateur.>>

Cette relation est la relation primitive, duelle, de la mère et de l'enfant. La relation pré-oedipienne au sens de Freud. Le lieu de toutes les passions non médiatisées, ni régulées, par un troisième terme.

Roger Nifle: <<Divers archaïsmes s'y nourrissent (intégrismes, nationalismes mais aussi bien des approches régressives qui justement se méfient de la raison et de l'avenir, des projets et des changements).>>

Au niveau individuel il s'agit bien d'une régression à la plus archaïque des relations affectives et aux modes de représentations y afférents (pensée magico-phénoméniste du niveau sensori-moteur).

Roger Nifle: Un autre aspect de cette réduction est l'opposition qui en résulte entre sujet et objet, face-à-face objectivé (objectivation du sujet) ou face-à-face subjectivé (subjectivation des objets), coupure ou confusion.>>

A la suite de l'état d'indifférenciation de l'adualisme initial ou du narcissisme primaire, cette opposition du sujet et de l'objet est une étape utile. Elle accompagne l'acquisition du langage et plus généralement de la fonction sémiotique. Mais cette entrée dans l'ordre du discours est totalement mystifiée. Les mots ne sont pas vraiment distingués des choses qu'ils désignent. La querelle des universaux n'étant pas intégrée ni dépassée, les oppositions paradigmatiques des mots ("haut" s'oppose à "bas") risquent d'être attribuées aux choses. Seule une réflexion linguistique ou sémantique permettra de prendre une distance critique à l'égard de la langue que nous manipulons. On peut alors utiliser les abstractions comme des outils et non plus comme des baguettes magiques. Les oppositions qui concernent les abstractions (nominalisme) n'opposent pas directement les objets qui ont ces abstractions comme attributs distinctifs. L'opposition n'est donc plus la seule relation possible. Des modèles plus élaborés deviennent possibles: modèle de l'artefact, modèle du marché, modèle du réseau. Il est même possible de combiner les modèles pour comprendre des configurations particulièrement complexes.

Comme le montre clairement Jean Piaget, les relations affectives d'un stade du développement de l'enfant ne sont pas sans lien avec les relations cognitives qu'il est capable d'élaborer et de comprendre. C'est ce qu'on appelle, avec lui, l'unité du développement cognitif et du développement affectif dans la formation de la personnalité.

On peut rapprocher les deux mouvements d'objectivation du sujet et de subjectivation des objets, de deux formes primitives de la pensée que sont l'animisme et la causalité magico-phénoméniste. Contrairement à l'animisme qui projette des sujets dans chaque chose, l'enfant du stade sensori-moteur voit la cause de chaque événement dans son action propre. "Une telle causalité initiale peut être appelée magico-phénoméniste, phénoméniste parce que n'importe quoi peut produire n'importe quoi selon les liaisons antérieures observées, et "magique" parce qu'elle est centrée sur l'action du sujet sans considération des contacts spatiaux (Piaget)". La pensée de l'espace structuré est associée à la distinction progressive des sujets et des objets.

Roger Nifle: <<La trialectique sujet, objet, projet, rappelle que la conjugaison des deux dimension sujet-objet ne vaut que pour se développer dans le troisième terme du projet. Ce n'est pas l'état relationnel qui importe pour lui-même mais comme soubassement d'un développement ordonné.

A toute cette culture de la dialectique sujet-objet, la trialectique apporte l'ouverture et la justification existentielle.>>

C'est le projet qui fait la séparation entre la survie statique, conforme, routinière et l'existence créative, problématique, risquée.

Roger Nifle: <<Il en va ainsi pour toutes les relations humaines, couples, collectivités, et aussi toutes les relations aux choses et au monde qui ne valent que par ce qui en résulte sur le plan des fruits. En éliminer le troisième terme c'est perdre l'intelligence de l'histoire sinon comme éternel recommencement ou à laquelle il faut opposer le combat de la régression, du retour au passé.>>

Les "sociétés sans histoire" ou les "sociétés froides", au sens de Claude Levi-Strauss, sont prises dans le mythe de l'âge d'Or ou dans celui de l'éternel retour (Mircéa Eliade).


Roger Nifle: <<La dialectique objet-projet

Elle est fortement présente dans le monde matériel de l'economie, de l'industrie, de la technique et plus généralement des scientismes contemporains.>>

Cette dialectique est la caractéristique de l'activisme. Le sens est évacué par l'opérationnalité des formules. La pertinence pourrait-elle exister sans la différence ni la cohérence?

Roger Nifle: <<La dialectique objet-projet se réalise dans le faire auquel est réduite l'action, l'entreprendre et la production de toute chose.>>

C'est le modèle de l'artefact ou de l'appareil. Toute l'instrumentalité technique est conviée à la réalisation d'un objet. Réalisation à laquelle se réduit le projet. Sa pertinence ne lui appartient pas. Elle réside dans la cohérence d'un autre projet en amont. Cet autre projet est, lui aussi, de type objectal. Par exemple la recherche du profit pour une société de capitaux. A son tour, ce projet découle de projets d'enrichissement individuel de milliers d'apporteurs de capitaux. L'abstraction de ses objectifs monétaires permet leur association (société de capitaux) sans sujets véritables.

Roger Nifle: <<La réduction objet-projet ramène la réalité à une dialectique moyens de productions/produits. La symétrie fait du produit un moyen de production et de celui-ci un produit. On voit bien la machinerie circulaire qui s'instaure et on devine toute la pression sinon l'oppression qu'il faut imposer.>>

Un produit industriel est une occasion de bénéfice commercial, moyen de produire un profit à des capitaux. D'où la circularité. C'est ainsi que, sans sujet, l'activité économique peut se présenter comme "la production de marchandises par des marchandises" (Sraffa). Les projets et les objets ne font que s'enchaîner mutuellement. Un projet est l'objet d'un autre projet. Sans sujet, la distinction entre les deux est relative. Car on pourrait aussi bien dire qu'il n'y a pas de projet, faute de sujet qui se réalise dans le projet. C'est ainsi que l'ensemble des individus qui constituent une entreprise n'a pas de personnalité juridique, tandis que les capitaux qui constituent la société (SARL, SA) en ont une. Les sujets disparaissent.

Roger Nifle: <<Dans la trialectique sujet, objet, projet, le vecteur sujet impose une radicale différence entre projet et objet, ce qui relève du but et ce qui relève des conditions. Mais aussi seul le sujet peut introduire cette différence.>>

Le sujet est bien celui qui fait la distinction, la différence, d'où émerge le sens. Si l'opérationnalité fait disparaître les sujets, c'est parce qu'ils n'existent que dans la particularité de leurs projets individuels. Les seuls projets admissibles sont les projets d'enrichissement monétaire puisqu'ils peuvent s'additionner et se soustraire dans l'équivalence générale de la monnaie. Tous les produits n'existent alors que par/pour leur valeur d'échange, pure valeur monétaire. Admettre les sujets, ce serait admettre la différence de leurs projets individuels. Les produits deviennent alors des valeurs d'usage, des moyens concrets dans des projets particuliers. La différence du but et des conditions est aussi la différence entre les sujets, entre leurs intentions particulières.

Roger Nifle: <<Alors le factuel apparaît comme la matérialisation de l'intention, sa concrétisation diraient certains.>>

C'est bien ce que nous voyons apparaître dans les projets en partenariat. A coté du client (service achat) et du fournisseur (marketing ou service commercial) qui discutent sur la valeur d'échange, le concepteur et l'utilisateur final discutent de la valeur d'usage. Ils conçoivent simultanément le produit, le process et l'usage.

Roger Nifle: <<Dans le monde mécaniste qui est le notre la trialectique remet l'homme au centre de la réalité et non pas en face ou confondue avec elle. Il n'y a pas de réalité sans Sens et donc sans intention, fusse-t-elle inconsciente.>>

La réflexion sur cette dialectique projet-objet montre que notre monde mécaniste n'a pas trop de mécanique mais pas assez de sujets. La société de connaissance, toute immatérielle qu'elle soit, ne sera pas moins mécanique ou instrumentale, mais les sujets y seront plus présents, par leurs intentions, dans leurs services et dans leurs productions culturelles. Comme on va le voir, l'absence de l'objet serait tout aussi néfaste.

A choisir, il est préférable que l'intention soit consciente, délibérée et réfléchie.


Roger Nifle: <<La dialectique sujet-projet

L'intention engagée sur l'horizon du projet se fait projection imaginaire, mentale. Se déploie le plan des représentations qui est le champ de cette dialectique, sujet-projet.>>

Cette réduction dialectique caractérise l'idéalisme. Le refus de l'objet matériel, toujours différent des représentations mentales. Seules des représentations instrumentalisées (modèles de CAO, modèles de simulation) peuvent être pertinentes pour piloter des process aboutissant à la production d'objets matériels. Pour abstraites que soient ses représentations (données et procédures informatiques) elles sont plus précises, contraintes, que les représentations purement mentales. Elles travaillent bien sur des objets, même quand ils sont immatériels ou peu matériels. D'ou la pertinence du terme "langage orienté objet".

Roger Nifle: <<Lorsqu'il y a réduction alors l'intention est assimilée à la raison ou la raison à l'intention et leurs représentations en viennent à être prises pour des causes explicatives. Ainsi les représentations mathématiques sont elles posées comme causes de la réalité, quelquefois réduite aux représentations que l'on en a.>>

Faute de confrontation à l'objet matériel, les représentations abstraites, subjectives et mentales passent pour le réel. C'est ce que nous nommons la réalité apparente. L'intention du sujet, productrice des représentations mentales, est confondue avec la raison de la réalité. La réalité apparente étant prise pour la réalité (réel), son intelligibilité est prise pour l'intention d'un créateur, intentionné, du réel. Si le sujet créateur d'intelligibilité (réalité apparente) ne se prend pas pour un sujet créateur du réel, il peut croire avoir prouvé l'existence et compris les intentions de ce dernier. On ira d'autant plus dans cette direction transcendentale que l'on négligera l'infinie diversité des objets concrets.

Roger Nifle: <<La trialectique rappelle la dimension objective et que celle-ci est expérience de l'altérité. Alors la représentation est rapportée à l'objet en situation. C'est comme cela que le plan des représentations devient pensée, imagination créative, expression d'une volonté par rapport à un objet en vue d'un but réalisé par le projet et non simple réflexion. Les réfléchisseurs ne sont pas des penseurs.>>

C'est l'apport de notre période technicienne, et tout particulièrement des technologies de l'information, de pouvoir instrumentaliser les modèles mentaux, de les transformer en modèles de simulation, en modèles de produits, en conjectures scientifiques et de les soumettre à la réfutation des calculs, des clients ou des expériences scientifiques.

En dehors des conditions professionnelles indiquées ci-dessus, le world wide web donne aussi à chacun la possibilité de formaliser ses modèles mentaux, de leur donner une forme, de transformer ses connaissances en informations, et de les soumettre à la critique de ses congénères. Passer d'un projet imaginaire et individuel à un projet partagé est une manière de lui donner corps, de l'objectiver. De le soumettre à l'épreuve des autres sujets et des objets environnants.

Roger Nifle: <<La réduction dialectique sujet-projet est notamment celle des idéalismes soit à tendances humanistes, soit à tendance rationalistes, faisant du mental le tout de l'expérience.>>

L'époque dans laquelle nous rentrons leur fournira une multitude d'outils d'objectivation et de confrontation.

Roger Nifle: <<L'intégration trialectique, sujet-objet-projet, par contre met en rapport, à la fois comme consistance de l'existence, expérience réalisée et incarnation du Sens, les plans relationnels, factuels et celui des représentations.>>

La cohérence pourrait-elle exister sans la différence et la pertinence?


Les Réductions Monistes
Roger Nifle: <<Le subjectivisme méconnaît objectivité et rationalité. Il assimile la réalité au seul effet intentionnel absolutisant le sujet. C'est le cas de l'individualisme spéculatif qui se veut indépendant, transcendant dans l'immanence et capable de créer le monde sans l'autre ou malgré lui.>>

Roger Nifle: <<L'objectivisme ne connait que la multitude des objets pris la comme donnés et dont la combinatoire seule réalise les choses. C'est le principe des pensées matérialistes aux multiples visages mais dont l'atomisme est malgré tout une des figures les plus prégnantes, même quand il se fait probabiliste, ainsi que l'explication de tout par le nombre (ou la comptabilité).>>

Roger Nifle: <<Le projectivisme est aussi rationalisme. Il fait de la structure d'ordre la cause structurale de la réalité, repoussant sujet et objet comme produits de la structure rationnelle. On est la dans un renversement radical entre une raison causale et une raison seconde, servante du Sens et non pas productrice de Sens.>>

Hubert Houdoy

Créé le 7 Janvier 1998


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Mise à jour: 16/07/2003