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La
reproduction sociale des gueules cassées
Ceci est un Document sur la
Sexualité du Chapitre - Renaissance
du R.A.D.
Présentation
Ce
document se propose de montrer que l’ information
sexuelle ne peut se limiter à:
La vie
sexuelle ne peut s’enfermer dans les secrets d'alcôves et
les lits conjugaux. Malgré une distinction officielle radicale entre le
monde du travail et le monde de
l’amour , ces deux mondes ne cessent de s’influencer (via
l’ obligation de performance , via la
prostitution).
La vie sexuelle s’exprime
aussi par une parole en public. Ce discours est fondamental pour la
vulgarisation du plaisir de l’homme et pour la culpabilisation du désir de la femme .
L’homme de la rue, le langage populaire ,
l’ argot, les blagues et
plaisanteries sexuelles expriment un savoir collectif sous une forme
parfois brutale mais toujours très imagée.
Ce
document analyse une chanson militaire. C’est une chanson de la
“coloniale”, l’armée française
d’outre-mer. Sous couvert de plaisanteries sexuelles cyniques, elle
décrit un processus de reproduction sociale. Il concerne une petite
partie du monde militaire, celle qui se reproduit dans la misère et
l’échec. Il s’agit de ces enfants de l’assistance
publique qui donnent les sans-grade.
Par sa
chute, la chanson cherche à exorciser ce destin. Ceux
qui l’ont écrite rêvaient d’échapper à
cette fatalité. Ceux qui la chantaient voulaient briser ce cercle
vicieux.
La chanson sera citée in-extenso, puis
commentée deux fois de suite:
Tu ne tueras pas ton père !
C’était un wagon de pines,
Qui revenait
d’Indochine.
Y’en avait des longues, des fines,
Qui
passaient par la portière.
Tiens voilà la
coloniale !
Tiens voilà les coloniaux !
Y’en
avait des longues, des fines,
Qui passaient par la portière.
Un bonne dame de charité
S’en prit trois douzaines
de paires.
Tiens voilà la coloniale !
Tiens
voilà les coloniaux !
Un bonne dame de charité
S’en prit trois douzaines de paires.
Elle les met sur la
cheminée,
Pour s’les carrer dans le derrière
Tiens voilà la coloniale !
Tiens voilà les
coloniaux !
Elle les met sur la cheminée,
Pour
s’les carrer dans le derrière
La p’tite bonne
qu’avait tout vu,
S’en est servi la première.
Tiens voilà la coloniale !
Tiens voilà les
coloniaux !
La p’tite bonne qu’avait tout vu,
S’en est servi la première.
Elle s’en ait
tellement foutu,
Qu’elle s’en est p’té la
charnière.
Tiens voilà la coloniale !
Tiens
voilà les coloniaux !
Elle s’en ait tellement
foutu,
Qu’elle s’en est p’té la
charnière.
Si bien que du con au cul,
Ce n’est plus
qu’une vaste ornière.
Tiens voilà la
coloniale !
Tiens voilà les coloniaux !
Si bien
que du con au cul,
Ce n’est plus qu’une vaste
ornière.
Tu crois la prendre par devant,
Va-te faire
foutre, c’est par derrière.
Tiens voilà la
coloniale !
Tiens voilà les coloniaux !
Tu crois
la prendre par devant,
Va-te faire foutre, c’est par
derrière.
Tu crois lui faire un enfant,
Tout le sperme y
tombe par terre.
Tiens voilà la coloniale !
Tiens
voilà les coloniaux !
Tu crois lui faire un enfant,
Tout le sperme y tombe par terre.
Et, tu dis en
l’écrasant:
Tiens voilà la coloniale !
Tiens voilà
les coloniaux !
Et, tu dis en l’écrasant:
Tu ne feras pas,
non plus,
Un militaire de carrière.
Tiens
voilà la coloniale !
Tiens voilà les coloniaux !
Lecture sexuelle de la chanson
C’était un wagon de pines,
Qui revenait d’Indochine.
Y’en avait des longues,
des fines,
Qui passaient par la portière.
Pine.
La pine est bien sûr le
pénis, le sexe de l’homme .
Mais elle est aussi le Phallus, le symbole du sexe
masculin . Comme on le verra, selon les chansons, <la pine en
fleur> ou le < wagon de pines >, les
connotations peuvent être radicalement
différentes.
Un bonne dame de charité
S’en prit trois douzaines de paires.
Elle les met sur la
cheminée,
Pour s’les carrer dans le
derrière
Carrer.
(a) Donner une
forme carrée à un objet.
(b) Sens figuré. Enfiler
quelque chose. Faire pénétrer quelque chose.
Se
carrer .
S’enfiler quelque chose.
Pénétration.
Exemple: “Tu peux te
le carrer où je pense”.
La p’tite bonne
qu’avait tout vu,
S’en est servi la première.
Elle s’en ait tellement foutu,
Qu’elle s’en
est p’té la
charnière.
Charnière.
La charnière désigne la faible épaisseur de la
peau des culs-de-sac du vagin . Cette peau sépare le
vagin:
Ce terme dénote un fait
anatomique important. La zone sexuelle de la femme connaît une
très grande élasticité de certains tissus. Comme dans les
cloisons mobiles japonaises, il s’agit de gérer au mieux un
espace étroit aux multiples fonctions. Comment faire passer beaucoup de
gens sans que jamais ils ne se mélangent mais utilisent, à
défaut des mêmes conduits, le même espace ?
Dans le
corps de la femme, depuis que nos ancêtres ont acquis la
position debout et la marche, l’espace étroit
laissé par les os du bassin est occupé alternativement par
l’urine, les fèces, les règles, l’
eau du désir , l’ eau du
plaisir , l’ eau de l’orgasme , le
sexe de l’homme , le foetus et
l’enfant naissant. A défaut des mêmes conduits, ils
utilisent à tour de rôle le même espace. Celui-ci a
été réduit par l’évolution biologique. De
cette proximité des fluides résulte un mélange de respect
pour la mère et de dégoût pour les excréments. Un
Freud misogyne ne pouvait cacher sa gêne. Par la
formule latine inter urinas et faeces , (entre la pisse et la
merde), il exprima fortement son dégoût pour le sexe de la femme.
Si bien que du con au cul ,
Ce
n’est plus qu’une vaste ornière.
Du
con au cul .
Forme populaire du inter urinas et
faeces . La gêne de la proximité du sexe et de ce
qu’on a longuement appris à considérer comme le summum de
la saleté.
Tu crois la prendre par
devant ,
Prendre par devant .
Expression de l’ amour en face . Cette position
sexuelle est possible depuis que nous ne marchons plus à quatre pattes.
La “position du missionnaire” était présentée
comme la seule possible par le clergé européen quand il
civilisait le reste du monde. Cette invention culturelle est illustrée
dans le film de Jean-Jacques Annaud, “La Guerre du Feu”.
Va-te faire foutre, c’est par
derrière .
Va-te faire foutre .
Expression d’un espoir déçu. Ce n’est pas ce
qu’il se passe. Contrairement aux attentes.
Prendre par derrière .
Il
s’agit ici, d’une pénétration vaginale qui se
transforme, malgré soi, en pénétration
anale ou sodomisation. En effet,
<sodomiser> est le sens le plus courant de <prendre par
derrière>.
Prendre par derrière (la
sodomie, comme à Sodome) n’est
pas la pénétration par l’arrière .
La pénétration par l’arrière est une
pénétration vaginale dans laquelle la femme est abordée
par l’arrière. Pour une question de passage de la position
“à quattre pattes” à la position
debout , cette position sexuelle est la position primitive de nos
lointains ancêtres. Elle est illustrée dans “La Guerre du
Feu” de Jean-Jacques Annaud. Elle a laissé un
vestige, une zone érogène ,
dans le corps féminin: la fourchette. De nos jours, se
faire pénétrer par l’arrière peut
correspondre à une particularité anatomique du corps (ou
à un fantasme) de la femme qui le souhaite.
Tu crois lui faire un enfant,
Tout le
sperme y tombe par terre.
Sperme.
Le sperme est le liquide
émis par le pénis de l’homme lors de
l’ éjaculation. Il contient les
spermatozoïdes qui sont les cellules reproductrices de l’homme.
Et, tu dis en l’écrasant :
En l’écrasant .
“Écrasons l'infâme !” disait Voltaire. La
Vierge Marie , seule femme à bénéficier,
avant sa naissance, d’une Immaculée Conception ,
est souvent représentée dans la position d’écraser
un serpent. Il s’agit du Malin (démon, diable)
qui, dans le pommier du Paradis Terrestre , susurrait
à Eve de drôles d’idées. Le
rapprochement du sperme, le fruit du sexe de l’homme, avec le serpent et
le fruit de l’arbre de la connaissance n’est pas
sans intérêt. La pomme qu’Eve avait
goûté serait le gland de la verge d’Adam. Elle lui aurait
donc fait un pompier .
Tu ne tueras
pas ton père .
Formule biblique. Mais ici, c’est
celui qui aurait pu être le père qui écrase le sperme qui
aurait pu donner le fils. En disant “Tu ne tueras pas ton
père”, il s’adresse par avance à son fils
imaginaire. En l’écrasant, il se protège de ce danger.
C’est ce que fit Laïos en clouant les pieds de son
fils et en ordonnant à un domestique de l’exposer au sommet
d’une colline.
Expression d’un enracinement très
profond du complexe de Laïos . Il cherche à
détruire son fils Oedipe de peur d’être
tué par lui. Cela n’empêche nullement le meurtre du
père qui est d’un autre type.
Tu
ne feras pas , non plus,
Un militaire de
carrière .
Tu ne feras pas un militaire
de carrière .
C’est souvent la dernière
phrase, la chute, qui dévoile le sens d’une
plaisanterie, d’une chanson ou d’une forme d’humour. Ici, il
s’agit du rêve de ne pas avoir été.
Cioran aurait parlé de
“l’inconvénient d’être né”. Cette
chanson exprime l’espoir qu’un accident (p’ter la
charnière) puisse briser un cercle vicieux et produire un autre cours
du destin.
Ce sera le point de départ de la lecture
suivante.
Lecture sociale ou politique de la
chanson
C’était un wagon de
pines ,
Qui revenait d’Indochine.
Y’en
avait des longues, des fines,
Qui passaient par la portière.
Wagon de pines .
Dans cette chanson il ne
s’agit pas de pines en fleur. Il ne s’agit pas de sexes
d’hommes en parfaite santé. Le wagon de pines est un convoi
sanitaire. Il rapatrie des éclopés, des gueules
cassées qui reviennent du casse-pipe. Ce ne
sont plus que des objets partiels , des organes
séparés du corps. Ce sont des pièces
détachées que le corps plein sans
organes aimerait ne plus entendre souffrir.
Un bonne
dame de charité
S’en prit trois douzaines
de paires.
Dame de charité .
Une
dame de charité est une dame (une femme, mais
respectable ) qui consacre une partie de son temps et de son argent
à aider des personnes dont la situation économique et sociale
est plus délicate ou plus précaire que la sienne. Une dame de
charité est soumise par une institution ou se soumet elle-même
(instance morale du sur-moi) à un
spectacle social dont les motivations sont
essentiellement religieuses. Elle doit aider ou se doit d’aider des
personnes à gagner leur paradis. Il ne s’agit pas du
Paradis Terrestre . Il est désaffecté depuis le
péché originel d’ Adam et
Eve . Il ne s’agit pas du paradis sur terre ni du rêve
américain. Ce paradis est dans l’autre monde. Il est dans
l’au-delà de la mort de la chair .
Elle les met sur la
cheminée ,
Pour s’les carrer dans le
derrière
Met sur la cheminée .
La dame de charité met les pines des éclopés du
train sanitaire sur la cheminée. Elle ferait de même avec des
bibelots ou des statues. Pour elle, les pines sont donc des
phallus. Elles participent à un spectacle social. Les
gueules cassées dont elle s’occupe sont d’abord des corps
pleins sans organes, ce qu’il reste du beau corps plein
du légionnaire qui sentait bon le sable chaud du côté de
Saigon. Les pièces détachées importent peu. Mais leur
détachement fait partie du spectacle. “Oyez bonnes gens, voyez
comme ils ont souffert, ces braves soldats du corps expéditionnaire de
la République. Et voyez comme je m’occupe bien
d’eux”. Qu’elle satisfasse une obligation sociale
d’oeuvre de charit é (institution de Saint
Vincent de Paul) ou une obligation personnelle (instance du sur-moi), elle
doit produire le spectacle des gueules cassées dont elle
s’occupe. Pour elle, les gueules cassées sont:
La p’tite bonne
qu’avait tout vu,
S’en est servi la première.
La p’tite bonne .
La petite bonne
de la maison de maîtres, est le parangon de la
domesticité. Ses relations d’ appartenance sont
doublement limitées:
Ces deux handicaps se cumulent dans sa fonction
de “bonne à tout faire”. Son activité
salariée comporte parfois une prostitution aussi
institutionnelle que clandestine à l’égard des hommes de
la maison (mari, cousin, frère, fils de la dame). Mais toute
découverte et toute conséquence biologique de cette
activité sexuelle (maladie sexuellement
transmissible, grossesse) peut entraîner le renvoi immédiat
par la maîtresse de maison.
Tout cela contribue à ce
qu’elle ait peu de chances d’être une
femme, encore moins une dame. Elle restera
une fille, même/surtout si elle devient (fille-)
mère.
Elle s’en ait tellement
foutu,
Qu’elle s’en est p’té la
charnière.
Si bien que du con au cul,
Ce n’est plus
qu’une vaste ornière.
Tu crois la prendre par
devant ,
Par devant .
Ce que
l’on fait “par devant” est le comportement
social , en public. Attitude classique de ceux qui ne sont pas
eux-mêmes, à force de chercher à être comme
tout le monde .
Va-te faire foutre, c’est
par derrière .
Par
derrière .
L’expression désigne un
comportement privé . Ce comportement privé est
secondaire, caché, ultérieur, coupable, honteux, peu
satisfaisant, etc. C’est le comportement résiduel de ceux dont le
comportement social absorbe beaucoup trop de leur temps.
Tu crois lui faire un enfant ,
Tout
le sperme y tombe par terre.
Et, tu dis en l’écrasant:
Tu ne feras pas,
non plus,
Un militaire de carrière.
Faire
un enfant .
<Tu crois lui faire un enfant> est une
formulation totalement récursive. Elle dénote
la succession des générations: une conception
continuée très particulière. Des fils de
filles-mères produisent des “fils de putes”. La formule
décrit un cercle vicieux de la reproduction sociale.
Un attracteur étrange dans un monde
chaotique.
Auteur
Créé le 15 Novembre 1998
Modifié le 24 Juillet 1999
Définitions
Les termes
en gras dans le texte sont définis dans le glossaire.
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