Dialogue


(a) Apparition. Le mot <dialoge> (sic) apparaît en français, dans un écrit, au XI ème siècle. Il est employé dans le sens de "conversation". En 1578, sous la forme actuelle <dialogue>, il acquiert la signification "ouvrage littéraire". C'est au XX ème siècle qu'il prend le sens diplomatique de "pourparlers".


(b) Définition. Un dialogue (dia+logos) est un échange de paroles.


- Stricto sensu. Un dialogue est "un entretien entre deux ou plusieurs personnes". Pour cela, il faut, au moins être deux. Sinon, on parle de monologue. Au-delà de deux personnes, il y a toujours dialogue, tant qu'il y a échange, mais on emploie le terme de conversation ("action de tourner ensemble").


- Largo sensu. Les personnes n'ont pas le monopole de l'échange d'idées. Au sein d'une personnalité, il peut donc y avoir un dialogue entre plusieurs instances psychiques ou entre plusieurs points de vue. C'est ainsi que, solitaire sur son île, Robinson Crusoé peut s'adonner au dialogue muet. Comme à nous tous, il lui arrive même de <parler tout seul>. En outre, il est une forme particulière de dialogue que l'on nomme <méditation>.


(c) Etymologie. Le nom latin masculin <dialogus, i> désigne un "dialogue" ou un "entretien philosophique". Il dérive du grec <dialogos>, dans la mesure où les philosophes Romains ont appris des Grecs cette technique chère à Socrate. Fils d'une sage-femme, il y voyait le moyen d'une maïeutique (un art d'accoucher des esprits). Elle est immortalisée par les transcriptions et les inventions de Platon. Le grec <dia> signifie "à travers", "en séparant", "entre".


(d) Le dialogue pédagogique vise à faire sortir le disciple de la totalité illusoire dans laquelle il se trouve. Cette illusion de totalité dérive directement des oppositions paradigmatiques dans lesquelles nous rangeons les significations des mots.


- <<La présomption d'universalité a priori avec laquelle s'impose à nous le jugement, qui s'exprime sur ce qui est et non sur ce que nous croyons à tort ou à raison être, est la trace du tout en chaque individu. Elle montre comment chacun se perçoit non seulement comme le centre du monde mais comme le monde en sa totalité. Ce n'est que par un effort critique tout intellectuel, de jugement sur le jugement, déclenché et favorisé par la résistance des autres qui n'empêche pourtant pas le dialogue, que nous pouvons relativiser notre jugement en nous le représentant comme une opinion. Très souvent d'ailleurs, ceci n'est pas suffisant pour en supprimer, dans notre for intérieur, la perception affective de sa validité universelle. (Henri Atlan, "Tout Non Peut-être", page 44)>>.


(e) Le dialogue trouve son origine dans le théâtre antique. Lui-même, en Grèce, dérive des Mystères d'Eleusis.


(f) Le mot latin féminin <persona, ae> désigne le masque de l'acteur. Dans le dialogue théâtral, chaque acteur joue un rôle. Il incarne un des aspects de la réalité complexe que l'auteur veut montrer aux spectateurs. Pour Socrate (qui le dit) et Platon (qui l'écrit), la pensée est un "dialogue de l'âme avec elle-même".


(g) Le dialogue est un genre littéraire, dans l'écriture d'ouvrages à but pédagogique. Platon ("Charmide", "Cralyle", "Critias", "Euthyphron", "Gorgias", "Hippias majeur", "Hippias mineur", "La République", "Les Lois", "Lysis", "Ménon", "Parménide", "Phédon", "Phèdre", "Philèbe", "Protagoras", "Sophiste", "Théétète", "Timée") et Aristote ("Gryllos", "De la rhétorique", "Eudème", "De l'âme") ont écrit des dialogues.


(h) Si le dialogue écrit est une commodité de présentation "plus vivante", le dialogue réel répond à certaines contraintes de la mémorisation et de la compréhension.


- <<On comprend mieux les dialogues de Platon en voyant ces portiques sous lesquels les anciens se promenaient la moitié du jour. Ils étaient sans cesse animés par le spectacle d'un beau ciel : l'ordre social tel qu'ils le concevaient, n'était point l'aride combinaison du calcul et de la force, mais un heureux ensemble d'institutions qui excitaient les facultés, développaient l'âme, et donnaient à l'homme pour but le perfectionnement de lui-même et de ses semblables. (Madame de Staël, "Corinne ou l'Italie", Livre XI, Chapitre 4)>>.


(i) Par son étymologie (<conscientia, ae> de <conscio, is, ire>, soit <cum> + <scio, is, ivi ou ii, itum, scire>, "savoir par la perception", "connaître par expérience"), la conscience suppose un dialogue de soi avec soi. Sans écriture, la possibilité de constitution et de conservation de longs discours est relativement limitée. Le chant collectif permet de conserver une mémoire, car le souvenir de l'un comble, à point nommé, le trou de mémoire de l'autre. Parce qu'on se les raconte, légendes, mythes et sagas trouvent leur origine avant l'invention de l'écriture. Celle-ci les fixe et les codifie. Mais le chant et la légende ne permettent guère la réflexion. Comme l'affirment Socrate et Platon, le dialogue intérieur est nécessaire à la vie de la pensée. Avant même d'être tournée vers la transmission et le débat, la pensée suppose la communication intérieure ou le dialogue de soi à soi. Cette réalisation de la pensée atteint un nouveau stade avec l'écriture. A fortiori, l'ordinateur assure le stockage des informations (l'organisation des signifiants) et nous permet d'organiser la mémorisation des connaissances (c'est-à-dire l'organisation des signifiés). Ecriture et relecture sont une forme plus élaborée du dialogue avec soi-même.


(j) Littérature du Moyen-âge. Dans le minnesang, le ministérial aime dialoguer avec son public. Depuis les débuts de l'écrit, le dialogue reste un mode d'exposition des idées si commode qu'il a été utilisé par de nombreux auteurs :


- Le "Dialogue de l'homme désabusé et de son Baï" date du Moyen Empire (2000-1800) égyptien.


- Le "De Agricultura" de Caton le Censeur (234-149 avant Jésus-Christ) est un savant traité d'agriculture, agrémenté par la forme du dialogue.


- Les "Bucoliques" de Virgile (70-19 avant Jésus-Christ) sont des dialogues entre des bergers, dont Tityre et son voisin Mélibée, victime d'une contradiction en acte.


- Le "Dialogue avec le juif Tryphon" est de saint Justin (100-163).


- "Dialogues des courtisanes", "Dialogues des morts", "Dialogues marins" et "Dialogues des dieux" sont de l'écrivain grec Lucien de Samosate (vers 125-vers 192).


- "Dialogues" de Sulpice Sévère (363-vers 425), à la gloire de saint Martin.


- Les "Dialogues" de Grégoire-le-Grand (vers 535-604).


- Pierre Abélard (1079-1142) compose un"Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien" vers 1141.


- "Le Dialogue de sainte Catherine de Sienne" (1378) est dicté par Caterina Benincasa (1347-1380) au cours d'une exaltation mystique.


- De 1439 à 1443, Leon Battista Alberti (1404-1472) est à Florence (au concile) où il rédige un de ses dialogues, le "Theogenius".


- Le "Dialogue de la musique ancienne et moderne" (1581-1582) est dû à un musicien dont la gloire du fils a effacé la célébrité propre : Vincenzo Galilei.


- "Dialogue sur les deux grands systèmes du monde" (1632) de Galilée (1564-1642).


- "Dialogue des morts" (1712) de Fénelon (1651-1715).


- "Dialogues. Rousseau juge de Jean-Jacques" (1775).


- "Dialogues sur la religion naturelle" (1779) de David Hume (1711-1776).


- Le "Colloque entre Monos et Una" de Edgar Poe (1809-1849) est un dialogue philosophique.


- Sublime. Le "Dialogue des carmélites" (1948) de Georges Bernanos (1888-1948) est tiré de la réalité de 16 carmélites de Compiègne, guillotinées le 17 juillet 1794 à Paris.


- "Dialogue avec le visible" (1955) du critique d'art René Huyghe (né en 1906).


- <<Le langage est par essence un dialogue. (José Ortega y Grasset)>>.


(k) Orateur et sénateur, Cicéron appréciait la forme du dialogue et l'exemple de Régulus.


- <<(Cicéron) Quoi donc ! Tandis que la constance, la gravité, le courage, la sagesse, et toutes les vertus se livreront de bonne grâce aux bourreaux, sans redouter ni supplices, ni douleurs ; n'y aura-t-il que la félicité qui s'évanouira à l'approche seule de la prison ?

(L'Auditeur) Trouvez d'autres raisons, si vous me voulez convaincre. Celles-ci ne me touchent point ; non seulement parce qu'elles sont usées, mais encore parce que ces vaines subtilités des Stoïciens ressemblent aux petits vins qui ne portent point l'eau, et qui ont bien quelque agrément quand on les goûte, mais qui le perdent quand on les avale. D'abord ce groupe de vertus rassemblées, et mises ensemble à la torture, nous frappe si fort l'imagination, que nous croyons voir courir après elles la félicité qui ne peut consentir à s'en séparer. Mais avez-vous détourné les yeux de dessus ce magnifique tableau, pour n'envisager que le vrai : à l'instant vous vous retrouvez aussi peu disposé qu'auparavant à croire qu'on puisse être heureux dans les tourments. C'est là ce qui est à prouver. Ne craignez pas, au reste, que les vertus se plaignent d'avoir été abandonnées par la félicité. Car il n'y a point de vertu sans prudence. Or la prudence nous apprend que tous les gens de bien ne sont pas heureux. Elle nous rappelle les exemples d'un Régulus, d'un Cépion, d'un Aquilius. Et si vous préférez les images à la vérité toute nue, je vous représenterai cette même prudence, qui empêche la félicité de courir à la torture, en lui remontrant qu'elle n'est point faite pour les tourments ni pour la douleur. (Cicéron, "Tusculanes, Dialogues à Tusculanum", Livre V)>>.


(l) A une autre échelle, montrant la fractalité du corpus textuel, l'intertextualité est un dialogue entre les livres.


- <<Il ne faut pas juger les livres un par un. Je veux dire : il ne faut pas les voir comme des choses indépendantes. Un livre n'est jamais complet en lui-même ; si on veut le comprendre, il faut le mettre en rapport avec d'autres livres, non seulement avec les livres du même auteur, mais aussi avec des livres écrits par d'autres personnes. (Jacques Poulin, "Volkswagen Blues", Montréal, 1984, page 169, affirmation de la métisse Pitsémine)>>.


(m) Dans un autre ouvrage de Jacques Poulain, "Les Yeux bleus de Mistassini", une jeune femme fait des recherches sur l'intertextualité.


- <<elle avait l'air de sortir d'un roman des soeurs Brontë. Croyant qu'elle apportait un manuscrit, Miss l'avait invitée à le placer elle-même dans les rayons. La fille avait alors expliqué qu'il s'agissait d'une thèse qu'elle était en train de rédiger sur les romans de Jack. Elle était venue lui demander s'il voulait bien répondre à quelques questions. Allongé sur sa chaise inclinable, les pieds sur le bureau, Jack fumait une cigarette en silence ; il faisait comme s'il n'avait rien entendu. La fille serrait nerveusement son cahier et semblait prête à s'enfuir. Pour lui redonner confiance, Miss l'avait interrogée sur les thèmes qu'elle abordait dans son travail. C'était une thèse de maîtrise portant sur l'intertextualité et le postmodernisme. (Jacques Poulin, "Les Yeux bleus de Mistassini", Actes Sud, 2002, page 123)>>.


(n) Dans l'écriture, de texte à texte, et par l'intertextualité, l'adresse est une forme indirecte et asynchrone du dialogue.


- <<- Jérôme-Alexandre Nielsberg,. Il y eut ensuite, parmi vos amis, des philosophes et écrivains importants : Althusser, Lévinas, Blanchot, ainsi que Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard. Or, l'amitié nécessite le dialogue. Votre oeuvre peut-elle être lue comme un dialogue avec ces amis ?

- Jacques Derrida. Oui. Mais qu'il y ait dialogue - un mot que je ne cultive pas trop - ne signifie pas que les livres soient, un par un, des réponses ou des questions à ces penseurs. Il y a adresse, en fait, plus que dialogue. Certains de mes textes ont été adressés, plus particulièrement à ces amis, mais sans qu'ils deviennent illisibles aux autres. Ainsi de mes livres sur Blanchot ou Lévinas. Ainsi, de même "Spectres de Marx", que je ne peux pas expliquer sans mettre au jour, exhumer toute l'histoire de mes rapports à Althusser, c'est-à-dire pas seulement à Althusser, mais à ceux qui ont pu l'entourer tandis que nous enseignions à l'École normale supérieure, au moment althussérien d'une époque, à ce qui se faisait alors avec lui, autour de lui : "Lire le Capital", "Pour Marx", travaux avec lesquels je n'étais pas toujours d'accord, sans y être hostile. Idem, pour Deleuze. Je me sentais très proche des thèses de Deleuze, mais je n'aurais jamais écrit cela comme lui : nous procédions et écrivions de manière tellement différente. J'ai été, par exemple, très impressionné par son essai sur Nietzsche, mais je ne pouvais pas suivre l'Anti-Odipe. Je n'étais pas d'accord non plus sur ce qu'il disait d'Artaud, même si je partageait son intérêt pour Artaud. Je le lui ai dit d'ailleurs, nos rapports personnels ont toujours été très amicaux, comme avec Lyotard. C'était le même type de proximité. Tout cela est très complexe, il faudrait plusieurs numéros de l'Humanité pour m'en expliquer. (Jacques Derrida, "Penseur de l'événement", entretien avec Jérôme-Alexandre Nielsberg, 28 janvier 2004, document du web)>>.


(o) Voir A partir d'un mot. Carl Gustav Jung. Conte. Dialectique du texte et du contexte. Elasticité du discours. Gaspard des Montagnes. Horace. L'Astrée. Pastorale.


(p) Lire "Initier Méditation". "Fétiche Totalité".



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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Mardi 27 Mai 2008



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