(a) La psychanalyse a pour projet (plus ou moins délibéré) d'aider le névrosé ou le psychotique a devenir un sujet. Pour cela, elle l'aide à prendre conscience du refoulement de son désir. Le moi doit être capable de supporter l'assaut des pulsions.
(b) La cure psychanalytique organise un cadre formel, limité, codifié, connu et contractuel. Dans ce cadre, s'opère le transfert de l'analysant sur l'analyste. Ce transfert peut l'aider à revivre (anamnèse, catharsis) et à dépasser les blocages de son passé. La cure psychanalytique n'est possible que si l'analysant est motivé et vient de son propre chef. Citation :
- <<On sait que dans son modèle idéal, cette situation se présente ainsi : quelqu'un, par ailleurs maître de soi, souffre d'un conflit interne auquel il ne peut mettre fin tout seul, si bien qu'il finit par venir chez le psychanalyste à qui il se plaint de la chose et demande son aide. Alors le médecin travaille la main dans la main avec l'une des parties de cette personnalité pathologiquement divisée en deux, contre l'autre partenaire du conflit. D'autres situations que celle-là sont plus ou moins défavorables à l'analyse et ne font qu'ajouter aux difficultés internes du cas. (Sigmund Freud, "Psychogenèse d'un cas d'homosexualité féminine", in Névrose, psychose et perversion, page 248)>>.
(c) Sigmund Freud avait instauré ce cadre, par une série de tâtonnements (associations d'idées, exclusion des facteurs actuels, anamnèse, espace clos, tiédeur, divan, noli me tangere). Par les aménagements ("management") qu'il apportait à ce cadre, et par les remarques qui lui étaient faites, Donald W. Winnicott a poussé à l'instauration d'un débat et à l'élaboration d'une théorie du cadre. Volens nolens, ce cadre pousse au transfert et à la régression. L'interprétation est la réponse de l'analyste aux matériaux (rêves, symptômes, lapsus, actes manqués) fournis par l'analysant.
(d) Les premiers paragraphes du livre de Marie Cardinal, "Les mots pour le dire", illustrent bien l'exclusion des facteurs actuels. Pour la psychanalyse, <<ce qui est reconnu comme agissant, c'est le fantasme plutôt que la réalité, c'est-à-dire la compréhension que le sujet a inconsciemment de lui-même et de son enfance, le sens qu'il donne à des événements réels et à une situation familiale (Encyclopedia Universalis, article "Enfance. L'enfant et la psychanalyse"). Cette règle d'exclusion fait que la cure analytique classique n'est pas indiquée pour la victime d'un harcèlement moral.
(e) Comme la victime d'un viol, la victime d'un harcèlement moral a besoin que l'agresseur soit nommé et que l'attaque perverse soit reconnue comme telle. C'est la condition préalable au début d'un chemin de renaissance. Or le cadre habituel de la cure et sa <froide réserve (Sandor Ferenczi)> risquent de pousser l'analyste à interpréter la relation de harcèlement (communication perverse de l'individu pervers), comme une relation sado-masochiste.
- <<Il est important que le traumatisme provenant d'une agression extérieure soit reconnu comme un préalable par le thérapeute. (Marie-France Hirogoyen, Le Harcèlement Moral, page 193)>>.
(f) Or, la psychanalyse agit dans son cadre qui s'isole de la société. Plus généralement, au-delà du seul harcèlement moral, la psychanalyse trouve une limite (hors du cadre de la cure) dans le fait que la société préfère l'identité statique à l'identité dynamique. La psychanalyse ne tient pas vraiment compte de la société. Freud saute directement de l'individu à l'espèce, de l'ontogenèse à la phylogenèse. <<Le comportement d'un enfant névrosé présente, lors des complexes d'Oedipe et de castration, une multitude de réactions, qui, considérées chez l'individu, paraissent déraisonnables et ne deviennent compréhensibles que si on les envisage sous l'angle de la phylogenèse, en les reliant aux expériences faites par les générations antérieures. (Freud)>>. Peut-être a-t-il raison, mais il faut montrer comment, historiquement et par le biais de la société, l'ontogenèse peut reproduire la phylogenèse. C'est pourquoi Wilhelm Reich a vainement tenté de concilier la psychanalyse (Freudisme) et le projet révolutionnaire (d'abord apparenté au marxisme).
(g) Dans "Capitalisme et Schizophrénie", Deleuze et Guattari ont pointé la gêne de la psychanalyse à l'égard de la schizophrénie. Pour la psychanalyse on n'accède à la réalité sociale que par la sublimation et la sortie d'Oedipe. La scène de la psychanalyse est celle d'un théâtre familial. Or, <<the very world is a stage an every man plays his part (Shakespeare)>>. Le délire est, d'emblée, celui de l'histoire, de la société, du monde réel. Mais on a bien de la peine à l'admettre. De même, les critiques littéraires refusent de penser que Jonathan Swift (1667-1745) ait pu décrire l'analité de la culture bien avant Freud (1856-1939). A contrario, la schizophrénie est considérée, par Deleuze et Guattari, comme un processus de désir qui concerne d'emblée le socius. C'est l'arrêt forcé du processus qui donne la maladie éponyme. Citation :
- <<On ne peut pas dire que la psychanalyse nous sorte d'un point de vue négatif. C'est qu'elle a avec la psychose un rapport essentiellement ambigu. D'une part, elle sent bien que tout son matériel clinique lui vient de la psychose (c'est déjà vrai de l'école de Zurich pour Freud, c'est encore vrai pour Melanie Klein et pour Jacques Lacan : toutefois, la psychanalyse est sollicitée par la paranoïa plus que par la schizophrénie). D'autre part, la méthode psychanalytique, entièrement taillée sur les phénomènes de névrose, éprouve les plus grandes difficultés à trouver pour son compte un accès aux psychoses (ne serait-ce qu'en vertu de la dislocation des associations). Freud proposait entre névrose et psychose une distinction simple, d'après laquelle le principe de réalité est sauvé dans la névrose au prix d'un refoulement du <complexe>, tandis que, dans la psychose, le complexe apparaît dans la conscience au prix d'une destruction de réalité qui vient de ce que la libido se détourne du monde extérieur. Les recherches de Lacan fondent la distinction du refoulement névrotique, qui porte sur le <signifié>, et de la forclusion psychotique, qui s'exerce dans l'ordre symbolique lui-même au niveau originel du <signifiant>, sorte de trou dans la structure, place vide qui fait que ce qui est forclos dans le symbolique va réapparaître dans le réel sous forme hallucinatoire. Le schizophrène apparaît alors comme celui qui ne peut plus reconnaître ou poser son propre désir. Le point de vue négatif se trouve renforcé dans la mesure où la psychanalyse demande : qu'est-ce qui manque au schizophrène pour que le mécanisme psychanalytique <prenne> sur lui ? ("Schizophrénie et société", Encyclopédia Universalis)>>.
(h) Pour Norman O. Brown, la psychanalyse manque d'une théorie de la société (qu'elle serait seule à pouvoir produire, dit-il). Si la société a la compulsion de fuir la mort, elle n'est certainement pas la meilleure représentation du principe de réalité. Reprenant la question de Reich, Deleuze et Guattari ont tenté de mettre le désir du côté de la révolution. Or, la politique est encore la recherche et la conquête de la totalité.
(i) De fait. Le psychanalyste n'a pas la possibilité de changer, à lui seul, la société. Il peut aider le patient à restaurer une plus grande énergie disponible pour l'action. En ce sens, Freud conclut-il le dernier chapitre des "Etudes sur l'hystérie". Citation :
- <<J'ai très souvent entendu mes malades m'objecter, quand je leur promettais un secours ou une amélioration par le procédé cathartique : "Mais vous dites vous-même que mon mal est en rapport avec les circonstances de ma vie, avec mon destin. Alors comment pourrez-vous m'aider ?" J'ai alors donné la réponse suivante : "Certes, il est hors de doute qu'il serait plus facile au destin qu'à moi même de vous débarrasser de vos maux, mais vous pourrez vous convaincre d'une chose, c'est que vous trouverez grand avantage, en cas de réussite, à transformer votre misère hystérique en malheur banal. Avec un psychisme redevenu sain vous serez capable de lutter contre ce dernier. (Sigmund Freud et Joseph Breuer, Etudes sur l'hystérie, page 247)>>.
(j) Mais, faute d'une analyse économique, d'un point de vue sociologique et d'une relativisation historique, l'évocation du principe de réalité peut servir de prétexte à tous les conservatismes. Il peut naturaliser toutes les formes de la domination. Telles sont d'ailleurs les ambiguïtés du point de vue économique de Freud. Le point de vue énergétique de la libido se confond avec le point de vue mercantile du "bénéfice secondaire" et de la division du travail psychique au sein du groupe fusionnel (familial, religieux, partisan ou sectaire). Comme le montre la psychologie de masse du fascisme, la servitude volontaire est déjà trop courante pour qu'on se permette de l'encourager. C'est pourquoi, dans la relecture freudienne de Jacques Lacan, il faut tenir compte de la distinction utile qu'il opère entre réel, imaginaire et symbolique. Loin du spectacle parisien, il faut poursuivre cette réflexion.
- <<Le point faible de la psychanalyse est la méconnaissance de l'orientation foncière de l'homme vers une signification. L'homme est prêt à vivre pour réaliser une signification et pour l'amour des valeurs, il est même prêt à mettre sa vie en jeu. (Viktor Emil Frankl, fondateur de la Logothérapie)>>.
(k) Voir Abandon théorique du trauma. Chemin de progrès. Corps plein sans organes. Décodage des flux. Étiologie paternelle. Le traumatisme sexuel comme facteur pathogène. Machines désirantes. Perversité. Psychologie de masse. Relation non-dominante. Schizo-analyse. Séduction perverse. Tolérance à la perversion. Violence souterraine.
(l) Lire "Harcèlement Moral". "Domination Masculine".
Nota Bene. Les mots en gras sont tous définis sur le cédérom encyclopédique.