Totalité



(A) Généralités.



(a) Dans le langage courant, la totalité est la qualité de ce qui est total, de ce qui peut être pris dans son ensemble ou en entier.


(b) Ce tout de la totalité est soit concret et accessible (la totalité d'un gateau à partager) soit abstrait et inatteignable, comme ce que visent les termes <Cosmos> ou <Univers>.


(c) Cette illusion de la totalité est très fréquente chez Homo Sapiens Demens, animal vaniteux doté d'un cerveau trompeur.


- <<la monnaie est un être capable de représenter la totalité socio-cosmique, c'est-à-dire la communauté 'aré'aré … En tant que substance tangible représentant la société comme un tout

socio-cosmique, la monnaie est une forme auto-référente de ce tout. (Daniel de Coppet, "Une monnaie pour une communauté mélanésienne comparée à la nôtre pour l'individu des sociétés

européennes", in Collectif, "La Monnaie souveraine", Paris, Odile jacob, 1998, page 175)>>.


- <<Le christianisme et nous, les nazis, nous avons une seule chose en commun : nous exigeons la totalité de l'homme. (Roland Freisler, juge nazi, proche de Hitler, 1944)>>.


(d) L'agent de cette totalisation est un fétiche.


- <<- Expliquez mieux les termes de ce choix. Qu'est-ce que vous entendez par panthéisme ?

- Désireux de tout rassembler dans l'unité d'une seule représentation, le panthéiste enferme dans ses filets tout ce qui est, tout ce qui peut être, et rassemble cette immense masse, cette infinité peut-être, dans l'unique concept de la totalité. Le Grand Tout. Pour mieux comprendre comment ce Grand Tout peut être une unité intelligible, il imagine une Substance unique ou un Sujet unique, où tout se rassemblerait, se relierait et, en définitive, se fondrait. La Totalité infinie, ne laissant rien hors d'elle, reposerait en elle-même, fondée dans sa propre Substance.

- Et nous, là-dedans ?

- Un rouage insignifiant en lui-même, divin par son fond et par son essence. Nous serions l'Absolu, mais nous ne le saurions pas. Tant que nous ne le savons pas, nous existons. Et quand nous le savons, nous n'existons plus et il n'y a plus que lui.

- Et qu'est-ce que le théisme, Guitton ?

- C'est l'autre conception. Dieu n'est pas la totalité, ni la substance de la totalité, ni le sujet de la totalité. Il ne se définit pas par rapport à la totalité. Cette totalité, d'ailleurs, n'est pas divine, elle n'a pas droit à la majuscule. Dieu est transcendant, personnel, libre, créateur. Il a créé librement, rien ne le contraignait à le faire. Rien ne ressemble plus à Dieu que les êtres personnels. D'une manière sublime, mais réelle, Dieu connaît, Dieu veut, Dieu parle, Dieu aime. (Jean Guitton, "Mon testament philosophique", Presses de la Renaissance, Paris, 1997, page 36)>>.


(e) Par la présence commune du sème "entier", les termes <globalité> et <totalité> sont souvent utilisés de manière équivalente, comme des synonymes.


(f) Nous introduisons une distinction entre les termes, en disant que la somme définit exactement la totalité tandis que cette sommation n'est jamais possible dans une globalité. La psychologie de la forme ou Gestalt-theorie n'affirme-t-elle pas que <le tout est plus que la somme des parties> ? C'est là que réside la distinction entre le total et le global.


- <<C'est que la forme totale du corps par quoi le sujet devance dans un mirage la maturation de sa puissance, ne lui est donnée que comme Gestalt, c'est-à-dire dans une extériorité où certes cette forme est-elle plus constituante que constituée, mais où surtout elle lui apparaît dans un relief de stature qui la fige et sous une symétrie qui l'inverse, en opposition à la turbulence de mouvements dont il s'éprouve l'animer. Ainsi cette Gestalt dont la prégnance doit être considérée comme liée à l'espèce, bien que son style moteur soit encore méconnaissable, - par ces deux aspects de son apparition symbolise la permanence mentale du je en même temps qu'elle préfigure sa destination aliénante ; elle est grosse encore des correspondances qui unissent le je à la statue où l'homme se projette comme aux fantômes qui le dominent, à l'automate enfin où dans un rapport ambigu tend à s'achever le monde de sa fabrication. (Jacques Lacan, "Le stade du miroir", Zurich, 17 juillet 1949, document du web)>>.


(g) Une totalité est un découpage imaginaire, opéré dans la globalité réelle, par une méthode de pensée qui pratique toujours l'abstraction, la réduction et l'exclusion, ne serait-ce qu'au nom de la logique d'identité et du principe du tiers exclu.


- <<En sociologie, la post-modernité désigne la dissolution de la référence à la raison comme totalité transcendante dans les sociétés contemporaines occidentales. La post-modernité, à la différence de la modernité, ne rattache plus l'idée de progrès à un sens synthétique qui le justifie. (Wikipédia, "Post-modernité")>>.


(h) Avant de se développer dans la sphère de la pensée, cette totalisation d'un fragment de la globalité prend la forme des sacrifices humains dans lesquels la mise à mort d'un bouc émissaire assure la totalisation du groupe humain sous la sensation de l'unanimité.


(i) Références littéraires :


- <<Le vieillard vida le sac, étala les espèces sur une table et se mit à les compter. Cette vue alluma la cupidité de mon maître. Il fut frappé de la totalité de la somme : Seigneur Descomulgado, dit-il à l'usurier, je fais une réflexion judicieuse. Je suis un grand sot. Je n'emprunte que ce qu'il faut pour dégager ma parole, sans songer que je n'ai pas le sol. Je serai obligé demain de recourir encore à vous. Je suis d'avis de rafler les quatre cents pistoles, pour vous épargner la peine de revenir. Seigneur, répondit le vieillard je destinais une partie de cet argent à un bon licencié qui a de gros héritages, qu'il emploie charitablement à retirer du monde de petites filles et à meubler leurs retraites ; mais puisque vous avez besoin de la somme entière, elle est à votre service, vous n'avez seulement qu'à songer aux assurances... Oh ! pour des assurances, interrompit Rodriguez en tirant de sa poche un papier, vous en aurez de bonnes. Voilà un billet que le seigneur don Mathias n'a qu'à signer. (Alain-René Lesage, "Histoire de Gil Blas de Santillane", 1735, Tome I, Livre III, Chapitre III, Il sort de chez don Bernard de Castil Blazo, et va servir un petit-maître)>>.


- <<L'homme jouit du bonheur qu'il ressent, et la femme de celui qu'elle procure. Cette différence, si essentielle et si peu remarquée, influe pourtant, d'une manière bien sensible, sur la totalité de leur conduite respective. Le plaisir de l'un est de satisfaire ses désirs, celui de l'autre est surtout de les faire naître. Plaire, n'est pour lui qu'un moyen de succès ; tandis que pour elle, c'est le succès lui-même. (Pierre Choderlos de Laclos, "Les Liaisons dangereuses", 1782, Lettre 130, Madame de Rosemonde à la présidente Tourvel)>>.


- <<Mais il est un autre point que je veux traiter. Ma charmante compagne est jeune, belle, innocente, héritière en totalité de Mme Canon qui me le dit encore hier, et qui désire ton mariage avec elle. Fanchette te rendra heureux, je puis t'en répondre, s'il est dans la nature de ton coeur qu'une femme puisse faire ta félicité. Donne-moi cette aimable soeur. (Nicolas Edme Rétif de la Bretonne, "La Paysanne pervertie", 1784, Partie III, Lettre XLIV, Ursule, à Edmond)>>.


- <<- Tondez le public, entrez dans la Spéculation.

- La Spéculation ? dit le parfumeur, quel est ce commerce ?

- C'est le commerce abstrait, reprit Claparon, un commerce qui restera secret pendant une dizaine d'années encore, au dire du grand Nucingen, le Napoléon de la finance, et par lequel un homme embrasse les totalités des chiffres, écrème les revenus avant qu'ils n'existent, une conception gigantesque, une façon de mettre l'espérance en coupes réglées, enfin une nouvelle Cabale ! Nous ne sommes encore que dix ou douze têtes fortes initiées aux secrets cabalistiques de ces magnifiques combinaisons.

César ouvrait les yeux et les oreilles en essayant de comprendre cette phraséologie composite.

(Honoré de Balzac, "Grandeur et décadence de César Birotteau", 1837, Partie II, Chapitre XII, Le dernier jour d'un failli)>>.


- <<On se croirait au Café de Paris, murmura Danglars.

- Voilà, Excellence, dit Peppino en prenant le poulet des mains du jeune bandit et en le posant sur une table vermoulue qui faisait, avec un escabeau et le lit de peaux de bouc, la totalité de l'ameublement de la cellule.

Danglars demanda un couteau et une fourchette.

- Voilà ! Excellence, dit Peppino en offrant un petit couteau à la pointe émoussée et une fourchette de bois.

Danglars prit le couteau d'une main, la fourchette de l'autre, et se mit en devoir de découper la volaille. (Alexandre Dumas père, "Le Comte de Monte-Cristo", 1845, Chapitre 115, La carte de Luigi Vampa)>>.


- << De telle manière que, quant à ce qui me concerne, tournant machinalement les yeux du côté de l'envergure remarquable de ces puissantes bouches, je me disais, en moi-même, qu'à moins qu'on ne trouvât dans la totalité de l'univers un pélican, grand comme une montagne ou du moins comme un promontoire (admirez, je vous prie, la finesse de la restriction qui ne perd aucun pouce de terrain), aucun bec d'oiseau de proie ou mâchoire d'animal sauvage ne serait jamais capable de surpasser, ni même d'égaler, chacun de ces cratères béants, mais trop lugubres. (Isidore Ducasse Lautréamont, "Les Chants de Maldoror", 1869, Chant IV)>>.


(j) Voir A partir d'un mot. Cadre de pensée. Catastrophisme éclairé. Clivage. Clivage de la pulsion. Clivage du moi. Clivage des représentations. Holisme. Libéralisme économique. Objet réel global. Suffire.


(k) Lire "Initier Méditation". "Défi Connaissance". "Deux Conceptions". "Fétiche Totalité".



(B) Organisations.



(a) Une totalité est une organisation, réelle, unitaire et centralisée. Elle ne reconnaît pas d'organisation réelle supérieure à elle-même. C'est sa plus grande vanité. L'Univers est la seule organisation potentielle qu'elle reconnaisse comme organisation englobante. Une totalité prétend donner une explication suffisante et exhaustive de l'Univers. Une totalité n'est dominée par aucune autre organisation réelle, mais elle domine des populations.


(b) Une totalité se caractérise par une division politique du travail entre prêtres, guerriers et producteurs. Les prêtres assument seuls la fonction signifiante. Les guerriers assument seuls la fonction guerrière. La fonction productive est une fonction subordonnée. Les producteurs sont asservis par la violence guerrière. Cette domination est justifiée par le discours fondateur de la totalité.


(c) Une totalité assimile ses populations par un discours totalisant. Elle intègre ses explications dans un dogme. Une totalité supervise ses organisations productives par une organisation centrale, de type étatique. Une totalité est donc un système hiérarchique d'organisations hiérarchiques. Une totalité est la réunion d'un dogme explicatif, d'une domination guerrière et d'une organisation productive hiérarchisée.


(d) Une totalité tend à détruire, dominer ou assimiler toute population qu'elle découvre à l'extérieur d'elle-même. La relation d'une totalité avec l'Univers est surtout une relation imaginaire d'explication (mythe). Le discours fondateur est symbolique. Il parle à l'inconscient. La cohérence logique n'est pas son critère de vérité. Le discours est vrai parce qu'il est souverain. La soumission à l'autorité (Auctoritas) et le respect des rites publics (conformisme) sont plus importants que la croyance dans le discours. Il peut suffire de faire semblant de croire. Pourvu que l'on pousse à la roue.


(e) Spontanément, nous voyons le monde comme une totalité dont nous serions le centre.


- <<La présomption d'universalité a priori avec laquelle s'impose à nous le jugement, qui s'exprime sur ce qui est et non sur ce que nous croyons à tort ou à raison être, est la trace du tout en chaque individu. Elle montre comment chacun se perçoit non seulement comme le centre du monde mais comme le monde en sa totalité. Ce n'est que par un effort critique tout intellectuel, de jugement sur le jugement, déclenché et favorisé par la résistance des autres qui n'empêche pourtant pas le dialogue, que nous pouvons relativiser notre jugement en nous le représentant comme une opinion. Très souvent d'ailleurs, ceci n'est pas suffisant pour en supprimer, dans notre for intérieur, la perception affective de sa validité universelle. (Tout Non Peut-être, Henri Atlan, page 44)>>.


(f) La clôture organisationnelle, à laquelle procèdent tous les organismes vivants (en auto-organisation), peut expliquer pourquoi la globalité est systématiquement réduite à une totalité pensable ou assimilable.


(g) La tentation totalitaire se manifeste aisément à propos de l'interprétation de la théorie du Big Bang. Cette théorie situe l'ensemble des connaissances (hypothétiques) de la Physique dans une perspective diachronique. La Relativité Générale et l'observation de l'expansion de l'Univers conduisent à l'hypothèse que l'Univers a connu un état très condensé et très chaud. Le début du passage de cet état le plus ancien vers l'état actuel est nommé Big Bang, car l'expansion y est forte. Ce <Big Bang> n'est connu qu'à partir de notre connaissance actuelle de l'Univers qui nous entoure. Il nous en reste un fossile, le Fond Diffus Cosmologique (CMB). La formalisation du Big Bang n'a de sens que par une démarche régressive, à partir du présent. A un certain point, nos connaissances ne nous permettent plus de remonter plus loin. De même, les observations astronomiques ne peuvent rien voir au-delà d'une certaine distance qui est aussi un certain temps de parcours de la lumière, étant donnée sa vitesse finie. On est toujours dans une conception cohérente de l'Univers comme globalité, en fonction des hypothèses initiales qui inaugurent la démarche scientifique. En particulier, avec Lavoisier, est formulé le premier principe de la thermodynamique. A la question : "Que se passe-t-il avant le Big Bang ?" le scientifique ne peut répondre que : "Cette question n'a pas de sens pour moi, ni pour la Science". La tentation totalitaire, en Science, consiste à faire de cette globalité une totalité et à franchir cette barrière d'ignorance pour remplacer la non-connaissance par des fantasmes individuels, parfois dangereusement présentés comme un système de croyances dogmatiques. Le rationaliste pur et dur et celui qui a soif de pouvoir d'influence ne peuvent résister à cette tentation. Présenter le Big Bang comme La Création est une manière de succomber à la tentation totalitaire. A l'inverse, élaborer une théorie de l'espace-temps qui satisfasse à la fois la Relativité Générale et la Physique Quantique, c'est travailler à l'unification de la Physique (et probablement de beaucoup d'autres disciplines orphelines). La tentation totalitaire est le mouvement inverse de l'ouverture à la globalité.


(h) La globalité a une existence ontologique. La totalité a une existence purement sémiotique. Pour cela, il suffit qu'un mot existe, avec un sens précis (gloubiboulga). N'importe qui peut tenir un discours sur un <logarithme jaune>. C'est pourquoi nous pouvons parler de la totalité, sans y croire, de même que Edgar Morin et Michel Serres parlent de Dieu, tout en étant athées (le second à 90 pour 100, puisqu'il pratique la logique floue).


(i) L'existence sémiotique d'une totalité suppose un mécanisme ou un instrument de totalisation, opérant au sein de la population humaine concernée. La monnaie est un de ces instruments. Des relations marchandes deviennent alors possibles.


- <<Une fois que l'économiste a pris conscience de cette étrangeté monétaire, qu'il a mesuré les limites de ses outils traditionnels, le voilà prêt à écouter les autres sciences sociales et leurs analyses du fait monétaire. C'est là un retournement radical de perspective. Au lieu d'assimiler les monnaies archaïques à des précurseurs inachevés des monnaies modernes, on s'efforce de repenser ces dernières à la lumière des premières. Comme l'écrivent certains anthropologues, on se demande «non pas si la monnaie primitive se conforme ou non à une des définitions possibles de la monnaie moderne, mais plutôt si elle ne révèle pas en celle-ci des propriétés insoupçonnées». On peut noter que ce point de vue conduit à mettre l'accent sur les fonctions monétaires d'unité de compte et de réserve de valeur, plutôt que sur la fonction de moyen de circulation, comme le fait la théorie économique standard. Comme l'écrit Georg Simmel, tout argent n'est qu'une « assignation sur la société.» «L'acquittement de toute obligation particulière au moyen d'argent signifie précisément que désormais la société dans son ensemble va assumer cet engagement vis-à-vis de l'ayant droit.» Se tourner vers l'historien et l'anthropologue est alors absolument nécessaire pour comprendre comment les totalités sociales se construisent et agissent, sur quel travail symbolique est fondée la

souveraineté. Seule une telle réflexion permettra de donner un sens précis à notre hypothèse première, «la monnaie comme expression de la totalité sociale.» Contrairement à l'idée d'une monnaie qui sortirait des échanges, nous voyons dans la monnaie une condition nécessaire à l'existence et au développement des économies marchandes : la monnaie précède le marché. Parce qu'elle «totalise» la société et donne aux valeurs que celle-ci respecte une expression synthétique, elle permet les transactions marchandes. La capacité à être un opérateur de totalisation nous apparaît, de ce point de vue, comme une dimension essentielle du fait monétaire. En cela, la monnaie a partie liée à la souveraineté qui prétend également à cette totalisation. C'est ce point qui échappe à l'économie walrassienne en raison de ses présupposés individualistes. Les travaux de Daniel de Coppet sur les 'Aré'aré et de Jean Andreau sur le census romain font apparaître les formes concrètes par lesquelles s'opère la totalisation sociale et montrent le rôle essentiel qu'y joue la monnaie. (André Orléan, "La monnaie entre économie et anthropologie", AFA, 31 Mai 2001)>>.


(j) Voir Clôture. Créon. Discours clos. Discours de vérité. Domination comme principe. Organisation englobée. Organisation virtuelle. Pensée du même. Tout.


(k) Lire "Economie Temps". "Marchés Métiers". "Rente Profit". "Organisations Virtuelles




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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Mercredi 27 Mai 2008



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