Absolu



(A) Généralités.



(a) Apparition. Le mot <asolu> (sic) est écrit, en 1080, dans "La Chanson de Roland". Au XVIII ème siècle, il se répend dans le vocabulaire philosophique et politique.


(b) Définition. L'adjectif <absolu, absolue> signifie :


- "qui n'est relatif à rien d'autre que soi" ;


- "qui ne dépend de rien" ;


- "que rien ne limite" ;


- "qui est sans borne".


(c) Le nom masculin <absolu> signifie "ce qui existe par soi-même".


(d) Etymologie. L'adjectif latin <absolutus, a, um> signifie "libre d'empêchements", "sans restriction", "indépendant", "absolu (construit absolument, c'est-à-dire sans complément)", "qui signifie achèvement", "qui a par soi-même un sens complet", "qui est au positif", "net", "sans obscurité", "achevé", "parfait", "idéal". Il se rattache au verbe <absolvo, is, solvi, solutum, absolvere> signifiant "séparer en dénouant", "dénouer", "délier", "détacher", "libérer", "acquitter", "absoudre", "délivrer de l'ennui par une solution satisfaisante", "payer une dette", "s'acquiter envers", "démêmer", "exposer", "raconter", "interprêter", "résoudre", "expédier", "terminer", "parfaire"", "remplir une promesse".


(e) L'étymologie témoigne de ce que l'absolu résulte d'un détachement et laisse donc un reste. C'est la fonction du sacrifice d'effectuer ce détachement, entre le sacré et le profane, par une mise à mort.


(f) Parents linguistiques. L'adverbe <absolument>, apparu en 1225, est très usité par la Marquise de Sévigné. Absolutisme date de 1796 ; Absolutiste, de 1823.

Par contre, <absolution> "action d'absoudre", "pardon", "remise des péchés", et <absolutoire>, "qui absout", "qui exempte d'une peine", relèvent du verbe <absoudre>. Néanmoins, ce dernier lui dérive aussi du verbe latin <absolvere>.


(g) Références littéraires :


- <<Roland s'aperçoit que la mort l'entreprend, et du haut du front lui descend sur le coeur. Dessous un pin s'en est allé courant: sur l'herbe verte il se couche, la face en terre, sous lui son espée et son cher olifant, le visage tourné vers la gent Sarrazine. Pour ce le fait, qu'il veut absolument, le noble comte, faire dire à Charles et à tout son monde avec lui qu'il est mort en conquérant ! Puis bat sa coulpe, à Dieu recommandant son ame ; pour ses péchés au ciel tendit son gant. (Anonyme, "La Chanson de Roland", 1080, Chant III)>>.


- <<Comment faire ? Il est tout troublé. Car s'il revient trop souvent, l'abbesse s'en apercevra ; et jamais plus il ne verra la pucelle. Il s'avise d'une chose : c'est d'accroître l'abbaye ; il lui donnera de si grandes terres qu'il l'enrichira à jamais ; en retour il demandera le droit d'y rentrer et d'y séjourner à sa guise. Donc, pour nouer et entretenir l'amitié, il donne abondamment son argent ; mais il a d'autres désirs que celui de l'absolution. Maintes fois il vient à l'abbaye. Il s'y arrête. Maintes fois il parle à la damoiselle; et tant il la supplie, tant il lui promet qu'elle lui octroye ce qu'il demande. (Marie de France, "Les Lais", 1170, Frêne)>>.


- <<Messire, dit-il, j'ai grande envie

De connaître votre nom.

Pourriez-vous me le dire ? - Non,

Fit le Chevalier, absolument pas.

(Chrétien de Troyes, "Le Chevalier de la charrette", 1170)>>.


- <<Ces paroles furent pour Tiecelin d'une grande douceur, car il avoit la prétention d'être le plus agréable musicien du monde. Il ouvre donc aussitôt la bouche et fait entendre un crah prolongé. "Est-ce bien, cela, damp Renart ? - Oui", dit l'autre, "cela n'est pas mal : mais si vous vouliez, vous monteriez encore plus haut. - Ecoutez-moi donc." Il fait alors un plus grand effort de gosier. "Votre voix est belle", dit Renart, "mais elle seroit plus belle encore si vous ne mangiez pas tant de noix. Continuez pourtant, je vous prie." L'autre, qui veut absolument emporter le prix du chant, s'oublie tellement que, pour mieux filer le son, il ouvre peu à peu les ongles et les doigts qui retenoient le fromage et le laisse tomber justement aux pieds de Renart. Le glouton frémit alors de plaisir ; mais il se contient, dans l'espoir de réunir au fromage le vaniteux chanteur. "Ah ! .Dieu," dit-il en paroissant faire un effort pour se lever, "que de maux le Seigneur m'a envoyés en ce monde ! Voilà que je ne puis changer de place, tant je souffre du genou ; et ce fromage qui vient de tomber m'apporte une odeur infecte et insupportable. (Anonyme, "Le Roman de Renart", 1200, Livre I, Chapitre IV)>>.


- <<Avant Pâques ils se préparent

à se purifier ;

ils reçoivent l'absolution

de leur abbé, à ce qu'il me semble,

puis s'en vont tous ensemble

subir des mortifications

au désert pendant le carême.

(Rutebeuf, "Poèmes de l'infortune", 1260, La vie de Sainte Marie l'Egyptienne)>>.


- <<A votre Fils dites que je suis sienne ;

De lui soient mes péchés abolus ;

Pardonne a moi comme a l'Egyptienne,

Ou comme il fit au clerc Theophilus,

Lequel par vous fut quitte et absolus,

Combien qu'il eût au diable fait promesse.

(François Villon, "Poésies", 1456, poème Ballade pour prier Notre Dame)>>.


- <<Ceux qui sont instruits des affaires, étant obligés d'avouer que le Roi n'avait point donné d'ouverture ni de prétexte aux excès sacrilèges dont nous abhorrons la mémoire en accusent la fierté indomptable de la nation ; et je confesse que la haine des parricides pourrait jeter les esprits dans ce sentiment. Mais quand on considère de plus près l'histoire de ce grand royaume, et particulièrement les derniers règnes, où l'on voit non seulement les rois majeurs, mais encore les pupilles, et les reines mêmes, si absolues et si redoutées, quand on regarde la facilité incroyable avec laquelle la religion a été ou renversée, ou rétablie par Henri, par Edouard, par Marie, par Elisabeth, on ne trouve, ni la nation si rebelle, ni ses Parlements si fiers et si factieux : au contraire, on est obligé de reprocher à ces peuples d'avoir été trop soumis, puisqu'ils ont mis sous le joug leur foi même et leur conscience. (Jacques-Bénigne Bossuet, "Oraisons funèbres", Oraison funèbre de Henriette-Marie de France)>>.


- <<Valère

Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout ; et si votre amour, belle Elise, est capable d'une fermeté... (Il aperçoit Harpagon.) Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle regarde comme un mari est fait, et lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne.

Harpagon

Bon. Voilà bien parlé, cela.

Valère

Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu et prends la hardiesse de lui parler comme je fais.

Harpagon

Comment ? j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu. Oui, tu as beau fuir. Je lui donne l'autorité que le Ciel me donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.

Valère

Après cela, résistez à mes remontrances. Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lui faisois. (Molière, "L'Avare", 1668, Acte I, Scène V)>>.


- <<Je crois, depuis cinq ans jusqu'à ce dernier jour,

Vous avoir assuré d'un véritable amour.

Ce n'est pas tout : je veux, en ce moment funeste,

Par un dernier effort couronner tout le reste :

Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus.

Adieu, Seigneur, régnez : je ne vous verrai plus.

(Jean Racine, "Bérénice", 1670, Acte V, Scène VII, Bérénice à Titus, final)>>.


- <<Hommes modestes, venez, que je vous embrasse vous faites la douceur et le charme de la vie. Vous croyez que vous n'avez rien, et moi, je vous dis que vous avez tout. Vous pensez que vous n'humiliez personne, et vous humiliez tout le monde. Et, quand je vous compare dans mon idée avec ces hommes absolus que je vois partout, je les précipite de leur tribunal, et je les mets à vos pieds. (Charles Louis Secondat de Montesquieu, "Lettres persanes", 1721, Lettre CXLIV, Rica à Usbek)>>.


- <<Un petit homme noir, familier de l'Inquisition, lequel était à côté de lui, prit poliment la parole et dit : "Apparemment que monsieur ne croit pas au péché originel ; car si tout est au mieux, il n'y a donc eu ni chute ni punition. - Je demande très humblement pardon à Votre Excellence, répondit Pangloss encore plus poliment, car la chute de l'homme et la malédiction entraient nécessairement dans le meilleur des mondes possibles. - Monsieur ne croit donc pas à la liberté ? dit le familier. - Votre Excellence m'excusera, dit Pangloss ; la liberté peut subsister avec la nécessité absolue : car il était nécessaire que nous fussions libres ; car enfin la volonté déterminée..." Pangloss était au milieu de sa phrase, quand le familier fit un signe de tête à son estafier qui lui servait à boire du vin de Porto ou d'Oporto. (Arouet le Jeune, dit Voltaire, "Candide ou l'Optimisme", 1759, Chapitre V, Tempête, naufrage, tremblement de terre, et ce qui advint du docteur Pangloss, de Candide, et de l'anabaptiste Jacques)>>.


- << J'ai dit dans mes "Dialogues" sur quoi je fondais cette attente. Je me trompais. Je l'ai senti par bonheur assez à temps pour trouver encore avant ma dernière heure un intervalle de pleine quiétude et de repos absolu. Cet intervalle a commencé à l'époque dont je parle, et j'ai lieu de croire qu'il ne sera plus interrompu. (Jean-Jacques Rousseau, "Les Rêveries du promeneur solitaire", 1782, Promenade I)>>.


- <<Personne ne se montrait plus que lui complaisant et dévoué pour ses amis quand il pouvait leur rendre service ; mais rien ne lui causait un sentiment de plaisir, pas même le bien qu'il faisait ; il sacrifiait sans cesse et facilement ses goûts à ceux d'autrui ; mais on ne pouvait expliquer par la générosité seule cette abnégation absolue de tout égoïsme ; et l'on devait souvent l'attribuer au genre de tristesse qui ne lui permettait plus de s'intéresser à son propre sort. (Madame de Staël, "Corinne ou l'Italie", 1807, Livre I, Chapitre I)>>.


- <<Lorsqu'il fit sa fameuse communication au Gun-Club, la colère du capitaine Nicholl fut portée à son paroxysme. Il s'y mêlait une suprême jalousie et un sentiment absolu d'impuissance ! Comment inventer quelque chose de mieux que cette Columbiad de neuf cents pieds ! Quelle cuirasse résisterait jamais à un projectile de vingt mille livres ! Nicholl demeura d'abord atterré, anéanti, brisé sous ce "coup de canon" puis il se releva, et résolut d'écraser la proposition du poids de ses arguments. (Jules Verne, "De la Terre à la Lune", 1865, Chapitre X, Un ennemi sur vingt-cinq millions d'amis)>>.


- <<La troisième audience fut prise tout entière par le réquisitoire du procureur impérial et par les plaidoiries des avocats. D'abord, le président avait présenté un résumé de l'affaire, où, sous une affectation d'impartialité absolue, les charges de l'accusation étaient aggravées. Le procureur impérial, ensuite, ne parut pas jouir de tous ses moyens : il avait d'habitude plus de conviction, une éloquence moins vide. On mit cela sur le compte de la chaleur, qui était vraiment accablante. (Emile Zola, "La Bête humaine", 1890, Chapitre XII)>>.


(h) Voir A partir d'un mot. Absolu chrétien.



(B) Développements.



(a) L'absolu s'oppose au relatif. Est absolu ce qui ne dépend de rien d'autre que de soi-même. L'absolu est alors sans limite. L'absolu, c'est la culture sans la nature, le masculin (le Père, le Fils et le Saint-Esprit) sans le féminin (la Vierge Marie n'est pas une femme réelle), le signifiant sans le signifié, la forme sans la matière, l'âme ou l'esprit sans le corps, la pensée sans l'action, le double sans le réel, etc. Un tel absolu n'existe pas. La recherche de l'absolu est une exigence méritoire qu'il faut savoir utiliser avec beaucoup de relativité.


(b) Citation :


- <<Il n'y a qu'une maxime absolue, c'est qu'il n'y a rien d'absolu. (Auguste Comte, "Cours de philosophie positive")>>.


(c) Absolu chrétien. L'absolu est généralement la définition de Dieu.


- <<Etre, être toujours, être sans terme, soif d'être, soif d'être plus ! faim de Dieu ! soif d'amour éternisant et éternel ! être toujours ! être Dieu ! (Unamuno, dans "Le sentiment tragique de la vie", 1913)>>.


(d) La recherche de l'absolu peut conduire à des drames.


- << VOLUMNIE. - Vous êtes trop absolu ; j'approuve l'excès de cette noble hauteur, excepté quand parle la nécessité. Je vous ai ouï dire que l'honneur et l'artifice, comme deux amis inséparables, se soutiennent à la guerre. J'accorde cela ; mais dites-moi quel inconvénient s'oppose à ce qu'ils se combinent dans la paix !

(Shakespeare, "Coriolan", Acte III, Scène II, la matrone romaine Volumnie à son fils Coriolan)>>.


(e) La pensée de l'absolu est un blocage de la pensée.


- <<Pour toutes les choses qui y participent, le mouvement est comme s'il n'était pas, nous dit Galilée. Pour tous les corps entraînés dans leur chute dans un champ de gravitation, la gravitation disparait, nous dit Einstein. Si nous voulons indiquer notre position sans faire référence à un point de repère extérieur, nous n'indiquons rien : nous sommes là où nous sommes, ce qui est équivalent à partout et nulle part. Il en est de même si nous voulons indiquer une orientation sans faire référence à une autre direction. Autrement dit, la relativité mène au vide d'essence, à l'absence d'existence propre : dans la chose, la chose disparaît ; pour tout ce qui participe d'une propriété, la propriété n'existe pas. Il ne s'agit en aucun cas d'une vision nihiliste du monde, bien au contraire. Il s'agit d'une analyse du mode d'être, menant à la compréhension de l'absence d'existence absolue des diverses propriétés physiques constitutive des objets physiques, et donc, en dernier ressort, de ces objets eux-mêmes. Ce n'est pas l'existence qui est mise en cause par les conséquences philosophiques de la relativité : les phénomènes existent bel et bien de manière relative, aucun doute là-dessus. Ils ont même mille milliards, une infinité de types d'existence possible en rapport avec mille milliards, une infinité de systèmes de référence possibles : nous nous croyons immobiles, alors que nous ne sommes au repos que par rapport à la Terre, et que, simultanément, véritablement, nous fonçons à 30 km/s autour du Soleil, à 250 km/s autour du centre galactique, à 600 km/s par rapport aux galaxies lointaines, à des vitesses proches de celle de la lumière par rapport à d'immenses masses ejectées par des radiogalaxies... La croyance en une existence absolue est auto-bloquante. Nier la nécessité de prendre en compte la référence dans la définition, la description et la compréhension de quelque propriété que ce soit, crée des murs, contre lesquels, malgré leur caractère illusoire, l'humanité vient se fracasser régulièrement. Ces murailles semblent protectrices, alors qu'elles sont cause de souffrance. Le monde précopernicien, ayant un centre absolu, avait aussi des bords, une sphère de cristal au delà de laquelle était le néant. L'homme croyait vivre dans une bulle, et ne pouvait imaginer l'espace sans borne. La révolution copernicienne, en décentrant d'abord la Terre, conduisit très vite à la compréhension de l'absence de centre privilégié, donc de bord, puis à celle de la multiplicité des mondes. Autre exemple : la compréhension que la gravitation nait d'un changement de repère permet de supprimer localement le champ de gravitation (en se plaçant dans le repère en chute libre) ; mais inversement elle mène aussi à fabriquer n'importe quelle gravité "artificielle" en se plaçant dans un repère accéléré. Le monde réel, relatif, est infiniment plus riche de possibilités que le monde rêvé, figé, absolu... (Laurent Nottale, "Relativité. Etre et ne pas être", in Penser les limites, document du web)>>.


(f) Voir Auri sacra fames. Clivage. Clivage des représentations. Division politique du travail. Eternité. Fétiche. Fétichisme. Méditation. Méditation et religion. Principe de réalité. Productivité masculine absolue. Réalité. Totalitarisme.


(g) Lire "Fétiche Totalité". "Initier Méditation".



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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Mardi 27 Mai 2008



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