(A) Généralités.
(a) Apparition. Le mot <totalitarisme> est écrit en français par Georges Bernanos (1888-1948), dans "Les Grands Cimetières sous la lune", un pamphlet de 1938, basé sur sa vision de la guerre civile espagnole, depuis l'île de Majorque où il réside. Le mot revient dans un article de 1940, publié dans un recueil, "Le Chemin de la Croix-des-Âmes (1943-1945)".
(b) Définition. Le totalitarisme est un "régime politique totalitaire", c'est-à-dire "qui n'admet aucune opposition", dans lequel le parti qui tient le pouvoir prétend être le tout, la totalité du pays, du peuple ou de la nation.
(c) Les premières théories du totalitarisme seront faites par Hannah Arendt et par Wilhelm Reich.
(d) Parce qu'il fournit au plus au point la perfusion de l'appartenance, le totalitarisme peut conduire à vouloir l'esclavage, non seulement pour les autres, mais pour soi.
(e) Voir Banalité du mal. Groupe fusionnel. Perinde ac cadaver. Psychologie de masse du fascisme.
(f) Lire "Fétiche Totalité".
(B) Développements.
(a) Le régime totalitaire est le contraire de la Nation parce qu'il résume l'identité ethnique en un tout d'où l'individu disparaît comme différence possible.
- <<C'est quand la complémentarité de l'identité culturelle et de la participation politique disparaît et est remplacée par le recouvrement complet d'une société, d'une culture et d'un pouvoir autoritaire qu'on voit naître le contraire de la nation, le régime totalitaire (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble", page 267)>>.
(b) Un tel processus de totalisation, par delà un curieux usage de l'arithmétique, suppose la prégnance d'un fétichisme. Par exemple, le concept de classe. C'est une propriété essentielle du fétiche d'identifier une partie au tout. C'est le cas pour l'hostie, pour le Corps du Roi ou pour le Parti unique.
- <<Les méthodes extra-ordinaires, violentes étaient devenues déterminantes dans le système qui s'était formé et qui s'éloignait de plus en plus de l'idéal léniniste. La collectivisation continuait. Des dizaines de milliers de lettres arrivaient à Moscou, adressées à Staline, pleines de plaintes, de stupeur, de peur et de haine. La machine d'arbitraire mise en branle continuait à moudre les destinées humaines. Ce n'est que le 2 mars 1930 enfin que Staline, qui ne pouvait pas ignorer plus longtemps l'envergure de la protestation morale et de la résistance sociale de la paysannerie, intervint dans la Pravda avec son célèbre article «Le Vertige des succès». Le second paragraphe de cet article sonne aujourd'hui comme une ode funeste à la violence sociale : «C'est un fait qu'au 20 février de cette année, 50 % des exploitations paysannes ont été collectivisées en URSS. Cela signifie que nous avons dépassé le plan quinquennal de collectivisation de plus du double de nos prévisions au 20 février 1930.» Pourcentages, chiffres du plan, double «dépassement»... Au-delà de tous ces chiffres, Staline s'est-il jamais posé la question des destins humains ? Il conclut son article de manière catégorique : ni le groupement de travail en commun de la terre, ni la commune ne répondent aujourd'hui aux nécessités de transformation socialiste des campagnes. Il n'y a que les kolkhozes. Cette forme de coopérative agricole est la seule acceptable. Ainsi en a décidé l'«agrarien» Staline, qui plus jamais ne mettra les pieds dans les campagnes. Par la suite, comme l'a déclaré Khrouchtchev au XX° Congrès, «il étudiera l'agriculture uniquement au cinéma». Il n'en est évidemment pas tout à fait ainsi, mais il est difficile d'imaginer un dirigeant qui puisse porter un jugement juste sur n'importe quel problème sans sortir de son bureau. Le plus triste, et cela caractérise Staline dans son ensemble, c'est que jamais il n'a reconnu ses erreurs : même en 1945, prenant la parole à la réception donnée en l'honneur des chefs des armées, il déclara : «Notre gouvernement (sic) a commis pas mal d'erreurs.» Dans son intervention, il apparaît d'ailleurs que les coupables des «exagérations», du «vertige des succès», de la «maladie des décrets administratifs» ne se trompaient que localement : dans les provinces, les cantons, les coopératives, Staline n'est lui, bien sûr, coupable en rien des déformations, des exagérations, de l'arbitraire. Comme toujours, le secrétaire général met «entre parenthèses» ses indications directes, ses directives, sa soif de compétition en vue de faire au mieux, d'«embrasser le maximum». Après «Le Vertige des succès», les paysans inondèrent à nouveau Staline de lettres. Il fut obligé de réexpliquer la position du Parti dans la question de la collectivisation. Il s'agissait seulement, cela va de soi, de "liquider les koulaks en tant que classe". (Dimitri Volkogonov, "Staline. Triomphe et tragédie", 1989, traduit du russe par Yvan Mignot, Flammarion, 1991, page 120)>>.
(c) Le totalitarisme est populaire car il résulte d'une impossible percolation des émotions. Le désir ne connait plus d'investissement que massif ou molaire, dans la foule elle-même.
- <<Un régime totalitaire est toujours populaire, national et doctrinaire. Il soumet les pratiques sociales à un pouvoir dans lequel s'incarne l'Idée qui fait du peuple le représentant et le défenseur d'une foi, d'une race, d'une classe, d'une histoire ou d'un territoire (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble ?", page 268 )>>.
(d) Parce qu'elle cherche l'identité dans un monde chaotique, la totalité est soumise à de fortes contradictions internes.
- <<Le totalitarisme n'est pas un système stable (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble ?", page 269)>>.
(e) Le refus de la modernisation est le refus de la globalité, de la réalité et du mouvement.
- <<Partout où un pouvoir, parlant au nom d'une communauté, s'est formé pour combattre une modernisation internationalisée ou qui apparaît dominée par l'étranger, le totalitarisme est présent (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble ?", page 270)>>.
(f) Il est une forme de totalitarisme qui concerne le marché. C'est l'intégrisme des marchés.
- <<Tous ces exemples démontrent que ceux qui croient au triomphe naturel des institutions démocratiques associées à l'économie de marché commettent une erreur dangereuse (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble ?", page 271)>>.
(g) La Guerre des Malouines à mis fin au régime militaire argentin. L'URSS n'a pu répondre aux défis techniques et militaires de Tchernobyl, de la Guerre des Étoiles (I.D.S.) ni aux résistants de l'Afghanistan.
- <<La chute des régimes totalitaires est consécutive à la défaite militaire ou à l'impuissance à faire face à des pressions militaires ou économiques venues de l'extérieur; elle n'est pas obtenue de haute lutte par les soulèvements populaires (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble ?", page 273)>>.
(h) La totalité est la recherche de l'identité statique collective. Le sujet n'existe que par l'identité dynamique individuelle.
- <<Le totalitarisme est un régime politique qui détruit toutes les figures du Sujet, le Sujet personnel, le Sujet politique est aussi le sujet religieux, car l'idée d'un pouvoir total ne laisse aucune place au principe d'autonomie et de recours qu'est le Sujet (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble ?", page 273)>>.
(i) Rien n'est plus hostile à la société civile des acteurs que le conformisme fusionnel de la foule totalitaire.
- <<Le totalitarisme fut la forme ultime et extrême de destruction de la nation comme communauté de citoyens, pour reprendre l'expression de Dominique Schnapper (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble ?", page 275)>>.
(j) Depuis le Néolithique, l'État est la forme plusieurs fois millénaire de la totalité.
- <<Le totalitarisme est le problème central du XX ème siècle, comme la misère avait été celui du XIX ème. Car notre siècle n'a pas été dominé par l'économie mais par la politique, non pas par les banques mais par les États (Alain Touraine, "Pourrons-nous vivre ensemble ?", page 275)>>.
(k) Citation :
- <<Le libéralisme est une attitude d'humilité vis-à-vis du processus social. (Hayek)>>.
(l) Le totalitarisme religieux apparaît avec la religion chrétienne. Dans l'Antiquité, c'est plutôt l'ethnie qui l'était.
- <<On affirme de nos jours que toute religion est totalitaire par nature. C'est vrai du catholicisme, à cause de la mission qu'il s'attribue, mais faux de la plupart des autres ; dans le paganisme les dieux les plus différents coexistaient pacifiquement. A Palmyre les noms d'une soixantaine de divinités nous sont parvenus : dieux des tribus, dieu local (c'était Bêl) qui régnait sur la ville, divinités étrangères comme Isis... Ils ne sont pas rivaux. (Paul Veyne, "L'Empire Gréco-Romain", Seuil, Des Travaux, Paris, Octobre 2005, page 331)>>.
(m) Voir Démocratie. Despotisme. Groupe fusionnel. Totalitarisme théorique.
(n) Lire "Alain Touraine". "Crise Salariat". "Fin Travail". "Initier Méditation".
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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Mardi 27 Mai 2008
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