Hiérarchie auto-reproductible


(a) La hiérarchie auto-reproductible désigne la propriété qu'a la hiérarchie de se développer (en nombre d'échelons) et de se reproduire (dans son principe).


(b) Curieusement, par la domination, la séduction et le fétichisme, les mécanismes d'appropriation reproduisent plus facilement la pyramide sociale que les mécanismes de production ne reproduisent leurs propres conditions de reproduction. Car produire du sens, et surtout du sens commun, semble plus urgent que d'assurer la reproduction de tous les individus de la société.


(c) La Boétie (ou Montaigne) aurait-il raison à propos de la servitude volontaire ? Contrairement à ce que suppose l'économisme, il n'y a pas de loi de reproduction automatique de la société. Par contre, la hiérarchie semble auto-reproductible. Il faut dire qu'elle trouve dans la relation parent-enfant un modèle dont chacun de nous a peine à sortir.


(d) Ce fait mérite que l'on s'y attarde. Car l'Histoire montre que la production n'était pas la fonction la plus noble dans la société. Contrairement à l'appropriation, elle n'est pas l'obsession des sociétés hiérarchiques. La production ne semble se développer que sous la pression de l'appropriation. Elle se développe parfois malgré elle ou contre elle. La dialectique féodalo-marchande des biens de subsistance et des biens de luxe en est une parfaite illustration.


(e) La hiérarchie auto-reproductible semble une innovation sociale qui permet le passage de la société primitive ou de la société rituelle à la société hiérarchique ou société étatique. On réalise ainsi une fragmentation homéopathique de la violence. Le bouc émissaire collectif est remplacé par le souffre-douleur individuel ou par le sous-fifre systématique du principe de Peter. La naissance de l'empire romain (ou celle de Jésus de Nazareth, entre Jules César et Octave Auguste) est probablement un jalon important dans cette institutionnalisation de la violence. Dans La Guerre des Gaules, César avait remarqué l'existence d'un bouc émissaire institutionnel. Il ne serait pas surprenant qu'en Judée, le rabbi Jésus en ait fait le thème central de son enseignement. Jusqu'à faire la preuve de ses idées, en servant de bouc émissaire volontaire.


- <<La perspicacité au sujet des boucs émissaires est une vraie supériorité de notre société sur toutes les sociétés antérieures, mais, comme tous les progrès du savoir, c'est aussi une occasion de mal aggravé. Moi qui dénonce les boucs émissaires de mes voisins avec une satisfaction mauvaise, je continue à tenir les miens pour objectivement coupables. Mes voisins, bien entendu, ne se font pas faute de dénoncer chez moi la perspicacité sélective que je dénonce chez eux. Les phénomènes de bouc émissaire ne peuvent survivre dans bien des cas qu'en se faisant plus subtils, en égarant dans des méandres toujours plus complexes la réflexion morale qui les suit comme leur ombre. Nous ne pourrions plus recourir à un malheureux bouc pour nous débarrasser de nos ressentiments, nous avons besoin de procédures moins comiquement évidentes. C'est à la privation des mécanismes victimaires et à ses conséquences terribles que Jésus fait allusion, je pense, quand il présente l'avenir du monde christianisé en termes de conflit entre les êtres les plus proches. "N'allez pas croire que je suis venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais la guerre. Je suis venu opposer l'homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa famille". (Mt 10, 34-36) Dans un univers privé de protections sacrificielles, les rivalités mimétiques se font souvent moins violentes mais s'insinuent jusque dans les rapports les plus intimes. C'est ce qui explique le détail du texte que je viens de citer : le fils en guerre contre son père, la fille contre sa mère, etc. Les rapports les plus intimes se transforment en oppositions symétriques, en rapports de doubles, de jumeaux ennemis. Ce texte nous permet de repérer la vraie genèse de ce qu'on appelle la psychologie moderne. (René Girard, "Je vois Satan tomber comme l'éclair", Éditions Grasset & Fasquelle, 1999, pages 344-345)>>.


(f) Rousseau a l'intuition de ce mécanisme de distinction, par lequel l'amour-propre finit par primer sur l'amour de soi.


- <<A mesure que les idées et les sentiments se succèdent, que l'esprit et le coeur s'exercent, le genre humain continue à s'apprivoiser, les liaisons s'étendent et les liens se resserrent. On s'accoutuma à s'assembler devant les cabanes ou autour d'un grand arbre : le chant et la danse, vrais enfants de l'amour et du loisir, devinrent l'amusement ou plutôt l'occupation des hommes et des femmes oisifs et attroupés. Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l'estime publique eut un prix. Celui qui chantait ou dansait le mieux ; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré, et ce fut là le premier pas vers l'inégalité, et vers le vice en même temps : de ces premières préférences naquirent d'un côté la vanité et le mépris, de l'autre la honte et l'envie ; et la fermentation causée par ces nouveaux levains produisit enfin des composés funestes au bonheur et à l'innocence. Sitôt que les hommes eurent commencé à s'apprécier mutuellement et que l'idée de la considération fut formée dans leur esprit, chacun prétendit y avoir droit, et il ne fut plus possible d'en manquer impunément pour personne. De là sortirent les premiers devoirs de la civilité, même parmi les sauvages, et de là tout tort volontaire devint un outrage, parce qu'avec le mal qui résultait de l'injure, l'offensé y voyait le mépris de sa personne souvent plus insupportable que le mal même. C'est ainsi que chacun punissant le mépris qu'on lui avait témoigné d'une manière proportionnée au cas qu'il faisait de lui-même, les vengeances devinrent terribles, et les hommes sanguinaires et cruels. (Jean-Jacques Rousseau, "Discours sur l'Origine et les Fondements de l'Inégalité parmi les Hommes", 1755, partie II)>>.


(g) Pour John Stuart Mill, cette hiérarchie auto-reproductible perpétue, renforce et dissimule la domination masculine.


- <<Quelque satisfaction d'orgueil qu'il y ait à posséder le pouvoir, quelque intérêt personnel qu'il y ait à l'exercer, cette satisfaction, cet intérêt ne sont point le privilège d'une classe, ils appartiennent au sexe masculin tout entier. Au lieu d'être pour la plupart de ses partisans une chose désirable d'une manière abstraite, ou comme les fins politiques que les partis poursuivent à travers leurs débats, d'une médiocre importance pour l'intérêt privé de tous, les meneurs exceptés ; ce pouvoir a sa racine dans le cœur de tout individu mâle chef de famille, et de tous ceux qui se voient dans l'avenir investis de cette dignité. Le rustre exerce ou peut exercer sa part de domination comme le plus noble personnage. C'est même pour celui-là que le désir du pouvoir est le plus intense, car celui qui désire le pouvoir veut surtout l'exercer sur ceux qui l'entourent, avec qui sa vie s'écoule, auxquels il est uni par des intérêts communs, et qui, s'ils étaient indépendants de son autorité, pourraient le plus souvent en profiter pour contrarier ses préférences particulières. Si, dans les exemples cités, on n'a renversé qu'au prix de tant d'efforts et de temps des pouvoirs manifestement basés sur la force seule et beaucoup moins bien étayés, à plus forte raison le pouvoir de l'homme sur la femme, ne reposât-il pas sur un fondement plus solide, doit-il être inexpugnable. (John Stuart Mill, "De l'assujettissement des femmes", chapitre I, traduction Émile Cazelles, 1831-1907)>>.


(h) Voir Discours de vérité. Domination comme principe. Échelle de Jacob. Logos. Principe d'organisation. Principe simplificateur. Pyramidale. Sacrifice. Similitude récursive de la hiérarchie.


(i) Lire "Des marchés et des Métiers". "Production et Appropriation". "Réseau Pyramides".






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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Vendredi 27 Juin 2008



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