Domination comme principe


(a) La domination est encore, hélas, un principe fondateur de la société comme de la culture. Car l'une et l'autre (qui est une illusoire culture sans nature) se conçoivent sur le mode, fantasmatique et irréaliste, de la totalité. Considérer la domination comme un principe ne vise pas à la naturaliser, bien au contraire. Pour l'atténuer et la supprimer, il importe de la comprendre.


(b) Comprendre le principe de la domination est certainement le meilleur moyen d'apprendre à s'en passer. Car si la domination s'impose si facilement, avec la servitude volontaire, c'est qu'elle protège l'individu de quelques choses qui lui semblent pires : la différence, être différent, ne pas être comme tout le monde, le chaos ou la diversité. C'est parce que la domination est un principe d'intelligibilité, pour le dominé comme pour le dominant, que la servitude volontaire permet à la domination d'être un principe d'organisation. Pour en sortir, il faut admettre que les principes de fonctionnement de notre imaginaire ne sont pas d'emblée, ipso facto, les principes de fonctionnement du réel. Il faut sortir du fétichisme de la totalité.


(c) La domination est un fait très largement observable, même si le dominant moderne tend à la nier, à substituer la violence symbolique à la violence physique. Ses formes les plus connues sont :


- la domination politique des prêtres et des guerriers sur les producteurs,


- la domination masculine sur les femmes et les enfants.


(d) La domination masculine a produit, en retour, la séduction féminine. La domination est aussi à la base de la hiérarchie. La hiérarchie auto-reproductible peut se développer parce qu'elle contient la domination comme principe.


(e) Le principe de la domination est un principe d'intelligibilité. Pour une population primitive d'êtres humains, il introduit la possibilité d'une pensée. Le principe de la domination des dieux ou de forces invisibles rend l'Univers intelligible pour l'ethnie. Par le même mouvement l'ethnie affirme son existence et sa culture face au monde.


(f) Le principe de la domination est aussi un principe d'organisation pour la société. Nous faisons une distinction verbale entre l'intelligibilité et l'organisation. Mais ces deux principes ne sont pas vraiment séparables. Ils constituent la domination comme principe fondateur, unique. La domination organise la société en la hiérarchisant. En cachant la diversité, elle rend le chaos intelligible, dans la pensée du même. Dissocier l'intelligibilité (l'abre de la connaissance) et l'organisation (l'arbre de la vie) sera justement le moyen d'introduire le ver dans le fruit (la pomme).


(g) A l'inverse, pour se maintenir, la domination doit fonctionner comme un principe simplificateur.


(h) Dans "La Promenade au phare" de Virginia Woolf, Mr Ramsay "maigre comme un couteau, étroit comme une lame", se sent obligé d'être impitoyable, dans sa présentation du prétendu ordre des choses météorologiques à son fils.


- <<C'est sans doute ce que signifie la métaphore du couteau ou de la lame, que l'interprétation naïvement freudienne aplatirait, et qui, comme chez les Kabyles, situe le rôle masculin - le mot et la métaphore théâtrales s'imposent, pour une fois - du côté de la coupure, de la violence, du meurtre, c'est-à-dire du côté d'un ordre culturel construit contre la fusion originaire avec la nature maternelle et contre l'abandon au laisser-faire et au laisser-aller, aux pulsions et aux impulsions de la nature féminine. On commence à soupçonner que le bourreau est aussi victime et que la parole paternelle est exposée, du fait même de sa puissance, à convertir le probable en destin. Et ce sentiment ne peut que redoubler lorsque l'on découvre que le père inflexible, qui, d'une phrase sans appel, vient de tuer les rêves de son fils, a été surpris en train de jouer comme un enfant, livrant à ceux qui se sont ainsi trouvés "introduits dans un domaine privé", Lily Briscoe et son ami, "quelque chose qu'on n'avait pas eu l'intention de leur montrer" : les fantasmes de la libido academica qui s'expriment métaphoriquement dans les jeux guerriers. (Pierre Bourdieu, "La Domination masculine", page 80)>>.


(i) Dans "Horace", Pierre Corneille a illustré cette pulsion de mort qui se confond avec la recherche éperdue de la gloire et semble fuir comme la peste la possibilité de la paix et de l'égalité entre les braves. Albe et Rome ne peuvent s'unir, dans l'embryon d'un Empire, que si l'une domine l'autre, à la suite de l'affrontement mortel de leurs héros respectifs.


- <<Que chaque peuple aux siens attache sa fortune ;

Et suivant ce que d'eux ordonnera le sort,

Que le faible parti prenne loi du plus fort ;

Mais, sans indignité pour des guerriers si braves,

Qu'ils deviennent sujets sans devenir esclaves,

Sans honte, sans tribut, et sans autre rigueur

Que de suivre en tous lieux les drapeaux du vainqueur.

Ainsi nos deux Etats ne feront qu'un empire."

(Pierre Corneille, "Horace", Acte I, Scène III, récit de Curiace à Camille)>>.


(j) Les mêmes fantasmes de gloire par la mort semblent sous-tendre une certaine vision de la rivalité académique.


- <<L'aventure guerrière et la renommée qui la consacre étant une métaphore de l'aventure intellectuelle et du capital symbolique de célébrité qu'elle poursuit, l'illusio ludique permet de reproduire à un degré plus élevé de déréalisation, donc à un moindre coût, l'illusio académique de l'existence ordinaire, avec ses enjeux vitaux et ses investissements passionnés (...) Cet investissement viscéral, dont l'expression est essentiellement posturale, s'accomplit dans des poses, des positions ou des gestes corporels qui sont tous orientés dans le sens de la droiture, de la rectitude, de l'érection du corps ou de ses substituts symboliques, la pyramide de pierre, la statue. (Pierre Bourdieu, "La Domination masculine", page 80)>>.


(k) Références d'usage du terme :


- <<Mais Otto Hintze était loin d'être un conservateur aveugle aux réalités. En 1913, il notait que l'hostilité de la social-démocratie à l'égard de l'Etat était une conséquence même de la structure de cet Etat, "une conséquence de la domination comme principe organisateur unilatéral de notre Etat (I, Staat une Verfassung : 454)". Très tôt, Hintze avait réfléchi au problème de l'introduction d'un régime parlementaire selon le modèle occidental, en particulier français. (Otto Hintze, 1861-1940, et alii, "Féodalité, capitalisme et état moderne, essais d'histoire sociale comparée", éditions MSH,

1991, Introduction)>>.


- <<Le rappel d'une nécessaire prise en compte de la part respective des hommes et des femmes dans tous ces domaines ne suffit toutefois pas à définir le combat scientifique mené par les auteur(e)s de l'ouvrage. «Ce dictionnaire est féministe parce qu'il pose comme centrale la problématique de la domination entre les sexes et ses conséquences». Il ne s'agit pas d'interroger en amont la validité de la structure de la domination comme principe d'organisation des relations

sociales. La domination est posée comme un fait incontestable. La réflexion se fait en aval. Parmi toutes les formes de domination (classe, «race», etc.), quelle place accorder à la domination entre les sexes ? Les auteur(e)s du dictionnaire divergent. (Agathe Gestin, Geneviève Pruvost, "A propos du féminisme", document du web)>>.


- <<Dans ces conditions, parler de stratégies éducatives des parents est doublement suspect. D'un côté, ce concept semble renvoyer la réussite à la «capacitation» des parents, accentuant de ce fait le primat du «psychologique» et «du judiciaire» dans le traitement et la compréhension des défaillances. D'un autre côté, ce concept de stratégie éducative peut faire illusion en renforçant l'idée de l'égalité de droit devant celles des chances, et que tout ne serait qu'affaire de stratégie gagnante. Le développement de la «participation» des habitants et des usagers, comme axe prioritaire des politiques sociales, est un élément qui participe à renforcer ces grilles de lecture. Le refus de l'une et l'autre des grilles de lecture amène le plus souvent les acteurs professionnels et les chercheurs à nier même l'idée de stratégie : celle-ci ne pourrait être que l'apanage des dirigeants, inscrite dans une représentation homogène et globale du rapport de domination, comme principe explicatif général de cohérence sociale. (Béatrice Müller, Guillaume Logez, "Les stratégies éducatives des familles", in lettre du CPN, novembre 2005)>>.


- <<le problème n'est pas les personnes, mais le système qui favorise les mauvais comportements. Je ne pense pas qu'il y ait des gens prédisposés à être patron et à avoir un comportement de salopard, mais plutôt que l'organisation féodale de l'entreprise permet, incite, les tenants du pouvoir à en abuser. Peu ou pas de contrôle, une quasi impunité assurée et la domination comme principe écrit qui gère les rapports interhumains dans l'entreprise. À partir du moment où le système donne un pouvoir de dictateur à quelqu'un, ce quelqu'un finit forcément par avoir envie d'en user. Même moi. Même toi. (Agnès Maillard, intervention postée sur, "De la démocratie en entreprise", in Le Monolecte, document du web, 25 août 2007)>>.


(l) Voir Fait en femme. Héritier universel. Hiérarchies des travaux agricoles. Prohibition de l'inceste. Normalité comme soumission. Vacher.


(m) Lire "Domination Masculine". "Fétiche Totalité".






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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Jeudi 19 Juin 2008



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