(a) La domination des prêtres et des guerriers sur les producteurs est justifiée par l'idéologie tripartite. Une vision marxiste du monde la présentera comme un moyen de l'extorsion de la plus value du travailleur par le non-travailleur. Dans ces théories, la division sexuelle des émotions n'est jamais interrogée. La domination masculine est présentée comme naturelle ou comme secondaire. Elle est seconde par rapport à la lutte des classes, dans laquelle Karl Marx voit le véritable moteur de l'Histoire. La domination découlerait de l'exploitation. L'idée d'exploitation permettrait de comprendre la réalité de la domination.
(b) D'une manière similaire, une vision sexiste (machiste ou féministe) du monde présentera la domination masculine comme un moment de l'inévitable guerre des sexes.
(c) Ces deux points de vue sont à courte vue. Ils veulent rendre nécessaire ou naturel, ce qui est arbitraire ou culturel. Les figures de rhétorique ne manquent pas, pour la naturalisation de cette hégémonie.
- <<ADRIANA. — Ils ne reviennent pas ! ni mon mari, ni l'esclave que j'avais envoyé chercher son maître en si grand hâte ! Sûrement, Luciana, il est deux heures.
LUCIANA. — Peut-être quelque marchand l'aura-t-il invité, et sera-t-il allé dîner quelque part en sortant du marché. Bonne sœur, dînons, et ne vous tourmentez pas. Les hommes sont maîtres de leur liberté. Le moment seul est leur maître, et, au gré du moment, ils vont et viennent. Cela étant, patience, ma sœur.
ADRIANA. — Pourquoi leur liberté serait-elle plus grande que la nôtre ?
LUCIANA. — Parce que leurs occupations sont toujours au dehors.
ADRIANA. — Mais, si j'en faisais autant que lui, il le prendrait mal.
LUCIANA. — Oh ! sachez-le, il est la bride de votre volonté.
ADRIANA. — II n'y a que les ânes qui se laissent brider ainsi.
LUCIANA. — Une liberté rétive est fouettée par le malheur. Il n'y a rien sous l'œil du ciel, rien sur la terre, dans la mer, dans le firmament, qui n'ait sa borne. Les femelles des quadrupèdes, des poissons et des oiseaux, sont assujetties à leurs mâles, et sous leur autorité. L'homme, plus divin, le maître de tout cela, le souverain du continent immense et des solitudes humides de la mer, placé par le sens intellectuel et par l'âme bien au-dessus du poisson et de l'oiseau, est le seigneur et maître de sa femelle : ainsi, que votre volonté se soumette à sa convenance.
ADRIANA. — C'est cette servitude-là qui vous empêche de vous marier?
LUCIANA. — Non, c'est la crainte des tribulations du lit conjugal.
ADRIANA. — Mais, si vous étiez mariée, vous voudriez avoir quelque ascendant.
LUCIANA. — Avant d'apprendre à aimer, je m'exercerai à obéir.
ADRIANA. — Et si votre mari allait soupirer ailleurs ?
LUCIANA. — J'attendrais patiemment qu'il revînt à moi.
ADRIANA. — Que la patience qui n'est pas mise à l'épreuve reste calme, c'est tout simple. On peut être doux quand on n'a pas de raison d'être autrement. Une misérable créature, meurtrie par l'adversité, crie-t-elle ? nous lui disons de se taire. Mais si nous avions à porter un égal poids de douleur, nous nous plaindrions autant, et plus encore. Ainsi toi, qui n'as pas de mari méchant qui t'afflige, tu crois me soulager en me prêchant une impuissante patience ; mais, si tu vis assez pour voir tes droits également méconnus, tu renonceras alors à cette folle patience.
LUCIANA. — Eh bien, je me marierai un jour, rien que pour essayer ; ("La Comédie des erreurs", Acte II, Scène I, in "Théâtre complet", Shakespeare, traduction de François-Victor Hugo, Garnier, Paris, 1961, tome I, pages 278-279)>>.
(d) Dans le double chaos de la nature externe à l'humanité et de la nature interne à l'individu, la domination comme principe fonctionne comme un principe d'organisation et comme un principe d'intelligibilité. Ainsi s'explique, pour les classes ou pour les sexes, la prégnance de la servitude volontaire.
(e) Il n'y a qu'à l'écouter parler pour comprendre que le mâle dominant est dominé par le principe de la domination.
(f) La domination masculine est contestée, parfois masquée, mais elle est toujours présente et ses racines sont profondes :
- <<Dans notre société, les transformations des rapports sociaux sont rapides. A n'en point douter, les idées vont plus vite que les réalités sociales. On aimerait ainsi dire que l'ère de la domination des hommes est révolue et que nous vivons aujourd'hui l'égalité des sexes. Mais, si nous examinons le pourcentage d'hommes et de femmes politiques, l'écart des salaires entre hommes et femmes, l'investissement dans le travail domestique, nous devons constater que malgré des changements rapides, la "domination" des hommes continue de s'exercer dans de
nombreux domaines. La tâche de l'intellectuel est sans doute de penser l'évolution, la post-modernité. Elle ne doit jamais travestir les réalités sociales. Penser et étudier les différences, les injustices et l'oppression, c'est commencer à penser leurs transformations. (Daniel Welzer-Lang, "Les Hommes violents", Lierre et Coudrier Editeur, Paris, 1991, page 10)>>.
(g) La domination masculine n'est pas une institution qui relève de la raison. Elle est un complexe social qui s'enracine dans l'inconscient. C'est ensuite que l'idéologie s'efforce de la naturaliser.
- <<Les esprits de la plupart des hommes ont besoin d'être plus cultivés qu'ils ne l'ont jamais été, pour qu'on puisse leur demander de s'en rapporter à leur propre raison et d'abandonner des règles puisées avec le sang, sur lesquelles repose une bonne partie de l'ordre actuel du monde, à la sommation du premier raisonnement auquel ils ne pourront résister par la logique. Je ne leur reproche pas de n'avoir pas assez de foi au raisonnement, mais d'en avoir trop à la coutume et au sentiment général. C'est un des préjugés qui caractérisent la réaction du dix-neuvième siècle contre le dix-huitième que d'accorder aux éléments non rationnels de la nature humaine l'infaillibilité que le dix-huitième attribuait, dit-on, aux éléments rationnels. Au lieu de l'apothéose de la raison, nous faisons celle de l'instinct ; et nous appelons instinct tout ce que nous ne pouvons établir sur une base rationnelle. Cette idolâtrie, infiniment plus triste que l'autre, de toutes les superstitions de notre temps la plus dangereuse et l'appui de toutes, subsistera tant qu'une saine psychologie ne l'aura pas renversée, en montrant la véritable origine de la plupart des sentiments que nous révérons sous le nom d'intentions de la nature et de dispensations de Dieu. Mais, pour la question qui m'occupe, je veux bien accepter les conditions défavorables que le préjugé m'impose. Je consens à ce que la coutume établie et le sentiment général soient considérés comme des raisons sans réplique, si je ne fais pas voir que, dans cette matière, la coutume et le sentiment ont tiré de tout temps leur existence non de leur justesse, mais de causes différentes, et qu'ils sortent de la pire, non de la meilleure partie de l'homme. Je passe condamnation si je ne prouve pas que mon jugement a été gagné. Mes concessions ne sont pas aussi grandes qu'elles le paraissent ; cette démonstration est la partie la plus facile de ma tâche. Quand une coutume est générale, il y a souvent de fortes présomptions pour croire qu'elle tend, ou au moins qu'elle a tendu jadis à des fins louables. Telles sont les coutumes qui ont été adoptées d'abord, ou qui se sont conservées par la suite, parce qu'elles étaient un sûr moyen d'atteindre des fins louables, et le résultat incontesté de l'expérience. Si l'autorité de l'homme au moment de son établissement a été le résultat d'une comparaison consciencieuse des divers moyens de constituer la société ; si c'est après l'essai des divers modes d'organisation sociale, le gouvernement de l'homme par la femme, l'égalité des sexes, ou bien telle ou telle forme mixte qu'on ait pu imaginer, et seulement après, qu'on a décidé sur le témoignage de l'expérience que la forme de gouvernement qui conduit le plus sûrement au bonheur des deux sexes est celle qui soumet absolument la femme à l'homme, ne lui laisse aucune part dans les affaires publiques, et l'astreint, dans la vie privée, au nom de la loi, à obéir à l'homme auquel elle a uni sa destinée ; si les choses se sont passées ainsi, il faut voir dans l'adoption générale de cette forme de société la preuve qu'au moment où elle fut mise en pratique elle était la meilleure. Mais on peut penser aussi que les considérations, qui militaient alors en sa faveur, ont cessé d'exister comme tant d'autres faits sociaux primitifs de la plus grande importance. Or, c'est tout le contraire qui est arrivé. D'abord, l'opinion favorable au système actuel, qui subordonne le sexe faible au sexe fort, ne repose que sur la théorie ; on n'en a jamais essayé d'autre, et l'on ne peut prétendre que l'expérience, ce qu'on regarde généralement comme l'opposé de la théorie, ait prononcé. Ensuite, l'adoption du régime de l'inégalité n'a jamais été le résultat de la délibération, de la pensée libre, d'une théorie sociale, ou d'une connaissance quelconque des moyens d'assurer le bonheur de l'humanité ou d'établir dans la société le bon ordre. Ce régime vient de ce que, dès les premiers jours de la société humaine, la femme s'est trouvée livrée en esclave à l'homme, qui avait intérêt à la posséder et auquel elle ne pouvait résister à cause de l'infériorité de sa force musculaire. Les lois et les systèmes sociaux commencent toujours par reconnaître les rapports qui existent déjà entre les personnes. Ce qui n'était d'abord qu'un fait brutal devient un droit légal, garanti pat la société, appuyé et protégé par les forces sociales substituées aux compétitions sans ordre et sans frein de la force physique. Les individus qui d'abord étaient contraints à l'obéissance par la force, y sont plus tard tenus au nom de la loi. L'esclavage, qui n'était au début qu'une affaire de force entre le maître et l'esclave, devint une institution légale ; les esclaves furent compris dans le pacte social par lequel les maîtres s'engageaient à se protéger et à se garantir mutuellement leur propriété particulière par l'emploi de leur force collective. Dans les premiers temps historiques, la grande majorité du sexe masculin était esclave comme la totalité du sexe féminin. Il s'est écoulé bien des siècles, et des siècles illustrés par une brillante culture intellectuelle, avant que des penseurs aient eu l'audace de contester la légitimité ou la nécessité absolue de l'un et de l'autre esclavage. Enfin ces penseurs ont paru ; et, le progrès général de la société aidant, l'esclavage du sexe masculin a fini par être aboli chez toutes les nations chrétiennes de l'Europe (il existait encore il y a cinq ou six ans chez l'une de ces nations), et l'esclavage de la femme s'est changé peu a peu en une dépendance mitigée. Mais cette dépendance, telle qu'elle existe aujourd'hui, n'est pas une institution adoptée après mûre délibération pour des considérations de justice et d'utilité sociale ; c'est l'état primitif d'esclavage qui se perpétue à travers une série d'adoucissements et de modifications dues aux mêmes causes, qui ont de plus en plus poli la rudesse des manières, et soumis dans une certaine mesure toutes les actions des hommes au contrôle de la justice et à l'influence des idées d'humanité : la tache de sa brutale origine n'est pas effacée. Il n'y a donc nulle présomption à tirer de l'existence de ce régime en faveur de sa légitimité. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il a duré jusqu'à ce jour, tandis que d'autres institutions, sorties comme lui de cette hideuse source, ont disparu ; et, au fond, c'est bien cela qui donne un air étrange à l'affirmation que l'inégalité des droits de l'homme et de la femme n'a pas d'autre origine que la loi du plus fort. (John Stuart Mill, "De l'assujettissement des femmes", début du chapitre I, traduction Émile Cazelles, 1831-1907)>>.
(h) Voir Dominateur. Fait en femme. Héritier universel. Hiérarchies des travaux agricoles. Vacher.
(i) Lire "Domination Masculine".
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Mis en ligne le Jeudi 19 Juin 2008
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