Justification


(a) Droit. La justification est l'opération, généralement discursive, par laquelle on donne raison à une personne (réelle ou imaginaire) pour une action (réelle ou supposée). En cas de préjugé défavorable, la justification revient à innocenter le présumé coupable. En attendant, ses biens peuvent être mis sous séquestre.


- <<Mme de Vendôme présenta requête au Parlement, pour lui demander la justification de monsieur son fils, qui s'était sauvé, le jour de la Pentecôte précédente, de la prison du bois de Vincennes, avec résolution et bonheur. (Cardinal de Retz, "Mémoires")>>.


- << LE DUC FREDERIC, à Olivier. - ... Tes terres et tous tes biens, dignes de saisie, resteront saisis entre nos mains jusqu'à ce que tu te sois justifié, par la bouche de ton frère, des soupçons que nous avons contre toi.

OLIVIER. - Oh ! si votre Altesse connaissait à fond mon coeur ! Jamais je n'ai aimé mon frère, de ma vie.

LE DUC FREDERIC. - Tu n'en es que plus infâme... Allons, qu'on le jette à la porte, et que les officiers spéciaux mettent le séquestre sur sa maison et sur ses terres ! Qu'on procède au plus vite, et qu'on le chasse ! (Ils sortent.)

("Comme il vous plaira", Acte III, Scène I, Shakespeare)>>.


(b) Religion. Depuis saint Paul, la justification est l'action par laquelle Dieu fait passer l'homme (présupposé pécheur par nature, du fait du péché originel), de l'état de péché à l'état de grâce. Jésus-Christ est <livré à cause de nos péchés et ressuscité pour notre justification" (Epître de Paul aux Romains)>. La doctrine calviniste fait de la justification une décision de Dieu, prise de toute éternité. Parlant d'un autre passage de la même épître aux Romains, relatif à la justification par la foi, Martin Luther affirme : <Ainsi, ce passage de Paul fut vraiment pour moi la porte du paradis>. Pour Luther, l'homme est d'abord "celui qui doit être justifié".


(c) Imprimerie ou traitement de texte. La justification est l'opération qui donne à une ligne du texte imprimé sa bonne longueur (selon le choix de certains paramètres de césure, de marge).


(d) Idéologie tripartite. C'est le rôle des prêtres de justifier la domination des guerriers. Le moteur de cette argumentation se trouve dans la hiérarchie des valeurs et des vertus. C'est justement le principe des trois ordres.


- <<Au coeur de l'oeuvre, cette idée : Dieu est lumière. A cette lumière initiale, incréée et créatrice, participe chaque créature. Chaque créature reçoit et transmet l'illumination divine selon sa capacité, c'est-à-dire selon le rang qu'elle occupe dans l'échelle des êtres, selon le niveau où la pensée de Dieu l'a hiérarchiquement située. Issu d'une radiation, l'univers est un jaillissement lumineux qui descend en cascades, et la lumière émanant de l'Etre premier installe à sa place immuable chacun des être créés. Mais elle les unit tous. Lien d'amour, elle irrigue le monde tout entier, elle l'établit dans l'ordre et la cohésion et, parce que tout objet réfléchit plus ou moins la lumière, cette irradiation, par une chaîne continue de reflets, suscite depuis les profondeurs de l'ombre un mouvement inverse, mouvement de réflexion, vers le foyer de son raisonnement. De la sorte, l'acte lumineux de la création institue lui-même une remontée progressive de degré en degré vers l'Etre invisible et ineffable dont tout procède. Tout revient à lui par le moyen des choses visibles qui, aux niveaux ascendants de la hiérarchie, réfléchissent de mieux en mieux sa lumière. (Georges Duby, "Le temps des cathédrales", Gallimard, 1976)>>.


- <<Le crime d'usurper une couronne est si illustre qu'il peut passer pour une vertu ; chaque condition des hommes a sa réputation particulière : l'on doit estimer les petits par la modération, et les grands par l'ambition et par le courage. Un misérable pirate qui s'amusait à prendre de petites barques du temps d'Alexandre passa pour un infâme voleur, et ce grand conquérant qui ravissait les royaumes entiers est encore honoré comme un héros, et, si, l'on condamne Catilina comme un traître, l'on parle de César comme du plus grand homme qui ait jamais vécu. (Jean-François Paul de Gondi Retz, "La conjuration du comte Jean-Louis de Fiesque", édition de 1718)>>.


(e) Justification muette. Les mécanismes inconscients de la légitimation symbolique créent des justifications implicites du pouvoir pervers. On sait qu'Aristote voyait dans l'esclavage un rapport naturel, une manière d'harmonie préétablie, qui s'exerce au profit du maître et de l'esclave lui-même.


- <<La vérité est le fondement et la justification de la raison, de la perfection et de la beauté, car il est certain qu'une chose, de quelque nature qu'elle soit, est belle et parfaite si elle est tout ce qu'elle doit être et si elle a tout ce qu'elle doit avoir. (François VI de La Rochefoucauld, "Maximes")>>.


- <<La force de l'ordre masculin se voit au fait qu'il se passe de justification : la vision androcentrique s'impose comme neutre et n'a pas besoin de s'énoncer dans des discours visant à la légitimation (Pierre Bourdieu, "La domination masculine", page 15)>>.


(f) Epistémologie. Les conjectures scientifiques sont soumises au verdict de l'expérience, mais, depuis Duhem et Quine, on considère que la justification d'une théorie est globale et non pas locale. De même, le pouvoir de prédiction d'un modèle n'est qu'un aspect de leur justification.


(g) Anatomie. Au nom de la dialectique du plein et du vide, les anatomistes ont prétendu justifier la domination masculine.


- <<comme le montre Yvonne Knibiehler, les anatomistes du début du XIX ème (Virey notamment), prolongeant le discours des moralistes, tentent de trouver dans le corps de la femme la justification du statut social qu'ils lui assignent au nom des oppositions traditionnelles entre l'intérieur et l'extérieur, la sensibilité et la raison, la passivité et l'activité. (Pierre Bourdieu, "La domination masculine", page 21)>>.


(h) Références littéraires.


- Pour un prévenu, se justifier consiste à prouver son innocence. Dans la littérature, certains personnages s'y refusent. D'autres (comme dans "Crime et Châtiment"), peuvent s'accuser des crimes des autres.


- <<C'est en publiant "L'Étranger" en 1942 que le philosophe, écrivain et homme de théâtre Albert Camus devient célèbre. Avec ce récit foudroyant, l'auteur de "Caligula" et du "Mythe de Sysiphe" crée une figure inoubliable, celle d'un homme qui refuse de se justifier. (Site Aliocha1.free, article "Littérature", document du web)>>.


- <<«Vous ne sauriez croire combien votre bonne volonté nous réconforte, Dmitri Fiodorovitch, dit Nicolas Parthénovitch, dont les yeux gris clair, des yeux de myope, à fleur de tête, brillaient de satisfaction. Vous avez parlé avec raison de cette confiance mutuelle, indispensable dans les affaires d'une telle importance, si l'inculpé désire, espère et peut se justifier. De notre côté,

nous ferons tout ce qui dépendra de nous, vous avez pu voir comment nous menons cette affaire… Vous êtes d'accord, Hippolyte Kirillovitch ?

– Certes» , approuva le procureur, toutefois sur un ton un peu sec.

Notons une fois pour toutes que Nicolas Parthénovitch témoignait, depuis sa récente entrée en fonctions, un profond respect au procureur, pour qui il éprouvait de la sympathie. Il était presque seul à croire aveuglément au remarquable talent psychologique et oratoire d'Hippolyte Kirillovitch, dont il avait entendu parler dès Pétersbourg. En revanche, le jeune Nicolas Parthénovitch était le seul homme au monde que notre malchanceux procureur aimât sincèrement. En chemin, ils avaient pu se concerter au sujet de l'affaire qui s'annonçait, et maintenant, l'esprit aigu du juge saisissait au vol et interprétait chaque signe, chaque jeu de physionomie de son collègue. (Dostoïevski, "Les Frères Karamazov", Livre VIII, Mitia, Chapitre IV, Deuxième tribulation)>>.


- <<À ce propos, expliquons une fois pour toutes les sentiments d'Ivan pour son frère Dmitri : il ne l'aimait décidément pas, la compassion que lui inspirait le malheureux se mêlait à beaucoup de mépris, voire de dégoût. Mitia tout entier lui était antipathique, même physiquement. Quant à l'amour qu'éprouvait Catherine Ivanovna pour ce triste sire, Ivan s'en indignait. Il avait vu Mitia le premier jour de son arrivée, et cette entrevue avait encore fortifié sa conviction. Son frère était alors en proie à une agitation maladive, il parlait beaucoup, mais, distrait et désorienté, il s'exprimait avec brusquerie, accusait Smerdiakov, s'embrouillait terriblement, insistait sur les trois mille roubles « volés » par le défunt. «Cet argent m'appartenait, affirmait-il ; si même je l'avais volé, c'eût été juste.» Il ne contestait presque pas les charges qui s'élevaient contre lui, et s'il discutait les faits en sa faveur, c'était d'une façon confuse, maladroite, comme s'il ne voulait même pas se justifier aux yeux d'Ivan ; au contraire, il se fâchait, dédaignait les accusations, s'échauffait, lançait des injures. Il se moquait du témoignage de Grigori relatif à la porte, assurait que c'était «le diable qui l'avait ouverte». Mais il ne pouvait expliquer ce fait d'une façon plausible. (Dostoïevski "Les Frères Karamazov")>>.


- <<Le procès-verbal une fois signé, Nicolas Parthénovitch s'adressa solennellement à l'accusé et lui donna lecture d'une «ordonnance» , aux termes de laquelle lui, juge d'instruction… ayant interrogé le prévenu… (suivaient les chefs d'accusation), attendu que celui-ci, tout en se déclarant innocent des crimes qu'on lui reprochait, n'avait rien produit pour se justifier, que cependant les témoins… et les circonstances… l'inculpaient entièrement, vu les articles… du Code pénal, ordonnait, afin d'empêcher le susnommé de se soustraire à l'enquête et au jugement, de l'incarcérer et de donner copie de la présente au substitut, etc. Bref, on déclara à Mitia qu'il était désormais en état d'arrestation, qu'on allait le ramener à la ville et lui assigner une résidence fort peu agréable. Mitia haussa les épaules. «C'est bien, messieurs, je ne vous en veux pas, je suis prêt… Je comprends qu'il ne vous reste pas autre chose à faire.» Nicolas Parthénovitch lui expliqua qu'il allait être emmené par Mavriki Mavrikiévitch, qui se trouvait sur les lieux. (Dostoïevski, "Les Frères Karamazov", Livre VIII, Mitia, Chapitre IX, On emmène Mitia)>>.


(i) La hiérarchie auto-reproductible est le processus de justification par lequel la hiérarchie justifie le principe de la hiérarchie.


(j) Voir Beaufort. Construction sociale des corps. Construction symbolique. Duc de Mercoeur. François de Sales. Jansénisme. Mercoeur. Pouvoir symbolique. Principe d'intelligibilité. Réfutation. Révélation.


(k) Lire "Domination Masculine".




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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Vendredi 27 Juin 2008



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