Ouverture à la globalité



(A) Expérience de Robinson Crusoé.



(a) L'acceptation de la mort, comme limite du projet personnel de l'individu Robinson et du projet collectif de l'organisation Crusoé est la clef de l'ouverture à la globalité. L'acceptation de la globalité est la conscience de la précarité. Le constat de la mortalité est l'antidote à toute tentation de la totalité.


(b) Faute de clôture et de totalisation, le projet de l'organisation ne peut pas primer sur celui de l'individu. La relation des projets entre eux n'est pas une hiérarchie. La topologie des organisations réelles n'est pas un emboîtement.


(c) Les projets sont alors au même niveau. Par leurs liens de complémentarité, ils forment un réseau d'interdépendances. Le critère de sélection, pour les inscrire dans la diachronie, est la capacité de les combiner dans un parcours narratif, dans un procès syntagmatique, selon le principe de la présupposition.


(d) Dans une narration bien conduite, pour être bien comprise, en temps réel, les éléments présupposés doivent être antérieurs aux éléments présupposants. La logique de construction des projets et des organisations est celle de la valeur d'usage. C'est celle que nous voyons se développer avec les partenariats et les organisations virtuelles.


(e) Depuis Daniel Defoe, cette ouverture à la globalité, cette critique de la totalité, a été reprise par certains philosophes, parfois après le choc de la Solution finale.


- <<La proximité entre Rosenzweig et Levinas est parfois si grande que ces quelques lignes de Stéphane Mosès sur l'auteur de L'Étoile pourraient tout aussi bien s'appliquer à celui de "Totalité et Infini", tant elles reproduisent avec pertinence l'espace de sa pensée (non ses éléments), entre l'immémorial et l'attente infinie : <A l'amour de Dieu pour l'homme correspond, du côté de l'homme, la réception de cet amour, c'est-à-dire l'affirmation d'une dépendance essentielle. Mais ce sentiment de dépendance n'est possible que s'il est lui-même fondé sur la conscience originelle de la solitude tragique telle qu'elle caractérisait, dans le premier livre de L'Étoile, l'homme dans sa nudité élémentaire. L'ouverture de l'homme vers une extériorité radicale implique qu'il ait d'abord été muré dans sa séparation. C'est le sentiment de l'ipséité, perçu comme une discontinuité, c'est-à-dire comme solitude toujours renouvelée, qui s'inverse en conscience positive de sa propre existence. La conscience d'être soi dans le délaissement original des instants qui se succèdent se mue en conscience d'être (toujours). Dans l'expérience de la Révélation, l'être est donné à l'homme au moment même où il renonce à l'affirmation de son ipséité. C'est cette passivité qui n'est pas inaction, qui définit ce que Rosenzweig appelle l'âme. L'âme est en l'homme la conscience de sa dépendance par rapport à une extériorité. C'est la présence en lui de cette extériorité (car tel est le paradoxe de la Révélation) qui l'éveille à l'être ["Système et Révélation", page 105]>. (Marie-Anne Lescourret, "Emmanuel Levinas", Flammarion, Paris, 1994, page 355)>>.


(f) Illustrations physiques ou ludiques. Il y a une forme de chaleur dans l'amour et dans l'amitié. Cette chaleur (en thermodynamique, la température est la manifestation macroscopique d'un mouvement microscopique des particules) favorise le hiatus. Mais il existe une forme de chaleur qui interdit le hiatus, ce sont les situations que l'on peut ranger sous les catégories de passion et de jalousie. Dans les deux cas, un fantasme fusionnel bloque toute possibilité de hiatus. Inversement, le hiatus peut servir à distinguer l'amour respectueux de l'identité et de la différence de l'autre, par rapport à la passion qui refuse de voir cette différence et veut se plonger dans une fusion mortifère. Dans la froideur, il y a le côté positif, celui de l'indifférence : un fonctionnaire, un employeur doivent ou devraient rester indifférents à l'âge, au sexe, à la couleur de la peau, au nom de famille des personnes avec lesquelles ils sont en relation professionnelle. Le côté négatif est la rage froide, la volonté de destruction. La bonne chaleur est celle qui laisse une différence, un écart, une distance entre les personnes, tout en multipliant les possibilités de leurs interactions. C'est le cas du mouvement brownien des particules, qui disparaît au zéro absolu de température. Pour rester à cette bonne chaleur, il faut que les émotions puissent percoler et s'exprimer. Sinon, toute rétention longue peut provoquer une explosion, comme dans l'image du volcan. Dans toute institution ou toute organisation réelle, il faut donc laisser du jeu entre les composants ou des degrés de liberté pour les initiatives des membres. Ce jeu nécessaire au mouvement peut être représenté comme la case vide qui rend possible le jeu de taquin. Cette acceptation de la lacune ou du vide est ce qui fait la différence entre la totalité (close et saturée de sens) et la globalité (dont le sens n'est pas fixé ni unique).


(g) Voir Conversion. Emboîtement des totalités. Parties. Percolation des émotions. Récursivité. Tentation totalitaire. Tout. Visage.



(B) Exigence éthique.



(a) Une ouverture à la globalité et l'abandon de l'illusion de la totalité, nous est imposée par les conséquences (réchauffement climatique, réduction de la diversité biologique) provoquées par la puissance de la technique.


(b) C'est la reconnaissance d'une ignorance qui doit provoquer le passage de la totalité fantasmée à la globalité réelle.


(c) Une nouvelle forme d'humilité remplace celle de Robinson Crusoé.


- <<L'extension inévitablement «utopique» de la technologie moderne fait que la distance salutaire entre desseins quotidiens et desseins ultimes, entre des occasions d'exercer l'intelligence ordinaire et des occasions d'exercer une sagesse éclairée, se rétrécit en permanence. Étant donné que nous vivons aujourd'hui en permanence à l'ombre d'un utopisme non voulu, automatique, faisant partie de notre mode de fonctionnement, nous sommes perpétuellement confrontés à des perspectives finales dont le choix positif exige une suprême sagesse - une situation impossible pour l'homme comme tel, parce qu'il ne possède pas cette sagesse, et en particulier impossible pour l'homme contemporain, qui nie l'existence même de son objet, à savoir l'existence d'une valeur absolue et d'une vérité objective. La sagesse nous est le plus nécessaire précisément alors que nous y croyons le moins. Si donc la nature inédite de notre agir réclame une éthique de la responsabilité à long terme, commensurable à la portée de notre pouvoir, alors elle réclame également au nom même de cette responsabilité un nouveau type d'humilité - non pas une humilité de la petitesse, comme celle d'autrefois, mais l'humilité qu'exige la grandeur excessive de notre pouvoir qui est un excès de notre pouvoir de faire sur notre pouvoir de prévoir et sur notre pouvoir d'évaluer et de juger. Face à ce

potentiel quasi eschatologique de nos processus techniques, la méconnaissance des effets ultimes devient elle-même la raison d'une retenue responsable - le second meilleur bien après la sagesse elle-même.Un autre aspect de l'éthique nouvelle de la responsabilité requise pour un avenir lointain et requise pour se justifier face à celui-ci, mérite d'être mentionné : le doute quant à la capacité d'un gouvernement représentatif de rendre justice à ces nouvelles requêtes en suivant ses principes ordinaires et ses procédures ordinaires. Car ces principes et ces procédures permettent seulement à des intérêts actuels de se faire entendre et de faire sentir leur poids et d'exiger d'être pris en considération. C'est à eux que les autorités publiques ont des comptes à rendre et c'est de cette manière que le respect des droits se réalise concrètement (à la différence de leur reconnaissance abstraite). Or l'avenir n'est représenté par aucun groupement, il n'est pas une force qu'on puisse jeter dans la balance. Ce qui n'existe pas n'a pas de lobby et ceux qui ne sont pas encore nés sont sans pouvoir : c'est pourquoi les comptes qu'on leur doit ne sont pas encore adossés à une réalité politique dans le processus actuel de décision et quand ils peuvent les réclamer nous, les responsables, nous ne sommes plus là. Cela soulève dans son extrême acuité la vieille question du pouvoir des sages ou celle de la force des idées dans le corps politique dès lors qu'elles ne sont plus alliées à l'égoïsme. Quelle force doit représenter l'avenir dans le présent ? C'est là une question de philosophie politique sur laquelle j'ai mes propres idées, probablement chimériques et certainement impopulaires. Car avant même que cette question de leur réalisation puisse devenir sérieuse en pratique, la nouvelle éthique doit trouver sa théorie sur laquelle des commandements et des interdits, un système de "tu dois" et "tu ne dois pas" puisse être fondé. Cela veut dire qu'avant la question du pouvoir d'exécution ou celle du pouvoir d'influencer vient la question : quelle intuition et quel savoir des valeurs doivent représenter l'avenir dans le présent ? (Hans Jonas, "Das Prinzip Verantwortung", Francfort, 1979, traduction française de Jean Greish, "Le Principe Responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique", Flammarion, Paris, 1995, Chapitre I, La transformation de l'essence de l'agir humain, VIII, La dynamique utopique du progrès technique et l'excès de la responsabilité, pages 58-59)>>.






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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Lundi 30 Juin 2008



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