Terme de Psychanalyse.
(a) Cette notion a été introduite tardivement par Freud et trop peu développée par son auteur. Pourtant, elle transforme considérablement l'édifice conceptuel de la psychanalyse. La pulsion tournée vers la mort est la forme primaire de la haine (celle de Caïn contre Abel) ou de l'agression.
- Citation : <<s'oppose à la pulsion de vie, et représente pour Freud la recherche de l'être vivant visant à se soustraire aux tensions et à faire retour à un état inorganique. La pulsion de mort s'entend comme une tendance à l'autodestruction, soit comme une pulsion d'agression dirigée vers l'extérieur. (Pierre Fédida, "Dictionnaire de la Psychanalyse", page 215)>>.
(b) L'investissement de l'énergie pulsionnelle dans la mort, pour la durée terrestre ou pour l'éternité céleste, est le moteur immobile des institutions. Il est une part considérable du lien social.
- <<Toute civilisation est hantée, visiblement ou invisiblement, par ce qu'elle pense de la mort. (André Malraux, 1901-1976, "Antimémoires")>>.
(c) Cet investissement morbide ou agressif s'oppose à la pulsion de vie et, en particulier, à la pulsion du moi qui contribue, non sans illusion (stade du miroir, leurre) à faire de l'individu une personne, un sujet autonome voire un acteur.
(d) La pulsion de mort est la base de la pensée du même. Elle recherche un équilibre ou une absence de tension.
- <<Je me demande pourquoi on n'aime et ne désire pas davantage la Mort. (Henri-Alain Fournier, 1886-1914, Correspondance avec Jacques Rivière)>>.
- <<O mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre.
Ce pays nous ennuie, ô mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !
(Charles Baudelaire, 1821-1867, "Les Fleurs du Mal", Le Voyage)>>.
(e) Les répétitions (dans l'analyse et dans la vie) ont poussé Freud à chercher une explication complémentaire, au-delà de son propre "principe du plaisir". Mais cet au-delà l'embarrasse, il pense au principe d'entropie, mis en évidence par la thermodynamique. Mais il sait qu'il ne se situe pas, avec le psychisme, au même niveau d'organisation que les systèmes fermés des machines à vapeur. Citation :
- <<J'ai commencé, il y a trois semaines, de vous introduire à la compréhension, dans l'Au-delà du principe du plaisir, de cet x appelé selon les cas automatisme de répétition, principe de Nirvana ou instinct de mort. Vous m'avez entendu évoquer l'entropie. Ce n'est pas arbitraire. Freud indique lui-même que ce dont il parle doit être quelque chose de ce genre-là. Il ne s'agit pas de prendre ici Freud au pied de la lettre. (Jacques Lacan, Le Séminaire Livre II, "Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse", page 141)>>.
(f) La notion de pulsion de mort émerge très lentement dans l'œuvre de Freud. Elle doit vaincre des obstacles épistémologiques : ceux de la société du spectacle et du divertissement dont le but est de fuir la mort, ceux propres au modèle théorique que Sigmund Freud a construit du psychisme. Lacan a reconstitué cette progression, à travers quatre étapes :
- 1. L'Ebauche d'une psychologie scientifique ("Entwurf", document de travail personnel, inédit de son vivant), où il anticipe la découverte du fonctionnement du neurone et de la synapse ;
- 2. "La Sciences des rêves", qui a popularisé ses idées et la psychanalyse ;
- 3. La théorie de la libido et de son complément narcissique, qui firent scandale ;
- 4. "Au-delà du principe de plaisir", dont nombre de psychanalystes n'ont su que faire.
- <<Si l'existence de cette pulsion de mort n'est pas encore devenue lieu commun, si elle fait encore l'effet d'un paradoxe inutile, c'est que personne jusqu'ici n'a osé écrire les "trois essais sur la pulsion de mort" qui dépasseraient les descriptions de la criminologie, comme les "Trois essais sur la sexualité" ont rendu la sexologie caduque. Il est clair que, de ce côté, les résistances sont infiniment plus fortes que du côté de la libido. (Octave Mannoni, dans "Freud", page 159)>>.
(g) Freud bute sur des hésitations (recherche de l'équilibre ou recherche du minimum ?) et des difficultés de vocabulaire (répétition, compulsion, insistance ?), jusqu'à ce qu'il admette un nouveau principe, irréductible, contradictoire au précédent. Mais si l'instinct de mort s'oppose à l'instinct de vie (opposition dans la biosphère ?), que devient l'ancienne opposition (dans la société ?) entre le principe de plaisir et le principe de réalité ? D'autant que Freud passe facilement du père actuel au Père mythique de la horde primitive, en sautant par dessus un niveau d'organisation (celui que se disputent l'Economie Politique et la Sociologie). Citation :
- <<Les poètes avaient vu, avant Freud, mais dans le mystère, que la mort et l'idéal avaient partie liée. Freud a mis longtemps à découvrir que la pulsion de mort n'a pas moins d'importance que la libido, qu'elle double étroitement. Dans le narcissisme primaire, la libido se confond à peu près avec les forces biologiques ; mais la pulsion de mort occupe déjà la même place. La libido peut investir un objet extérieur et devenir désir sexuel et amour ; l'agressivité et la haine la suivent comme des ombres. Enfin, dans le narcissisme secondaire, la libido investit le Moi lui-même. La pulsion de mort s'en prend au même Moi, l'accuse, le condamne, le torture. Freud est stupéfait de la longue suite d'années pendant lesquelles il a pu se cacher ces vérités. A cette durée, il mesure la résistance qui les protège ; à cette résistance, leur importance. La civilisation est finalement fondée sur le renforcement du sentiment de culpabilité. (Octave Mannoni, dans Freud, page 170)>>.
(h) Forcés d'introduire plusieurs oppositions paradigmatiques simultanées, Freud et les premiers psychanalystes n'ont su comment les articuler. En effet, chez Freud, la dualité ne fait pas souvent dialectique. Pour résister à une tendance conduisant à une caricature de l'appareil psychique, Lacan a introduit trois registres : Réel, Imaginaire et Symbolique. Citation :
- <<A travers ces quatre étapes de la pensée de Freud que je vous ai dites - marquées par le manuscrit inédit dont nous sommes en train d'achever le commentaire, la Science des rêves, la constitution de la théorie du narcissisme, et enfin Au-delà du principe du plaisir -, les difficultées et les impasses se reproduisent dans une disposition à chaque fois modifiée. Cette sorte de dialectique négative qu'implique la persistance des mêmes antinomies sous des formes transformées, voilà ce que nous allons suivre, pour faire surgir l'autonomie, l'ordre propre de ce à quoi Freud s'affronte, et ce qu'il s'efforce de formaliser. Cet ordre, vous ne pouvez pas ne pas le savoir après un an et demi de séminaire ici, c'est l'ordre symbolique, dans le mode particulier sous lequel il intervient pour imposer sa cohérence, son économie autonome à l'être humain et à son vécu. C'est là ce par quoi je vous désigne l'originalité de la découverte freudienne. Disons pour imager, à destination de ceux qui ne comprennent rien, que ce qu'il y a de plus haut dans l'homme et qui n'est pas dans l'homme, mais ailleurs, est l'ordre symbolique. Freud, à mesure du progrès de sa synthèse, est toujours forcé de restaurer, restituer ce point extérieur, excentrique. (Jacques Lacan, Le Séminaire Livre II, "Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse", page 143)>>.
(i) La pulsion de mort est aussi nécessaire du point de vue économique auquel Freud est très attaché. A son tour, Jean Laplanche a tenté de réintégrer la pulsion de mort dans la progression de l'œuvre de Freud.
- <<Notre intention n'étant pas de tenter d'épuiser une tâche aussi complexe, nous proposerons, pour l'aborder au moins, une hypothèse d'attente permettant de subdiviser la question : deux intentions au moins viennent se rencontrer dans l'affirmation de la pulsion de mort telle qu'elle apparaît dans "Au-delà du principe de plaisir" : réaffirmer le principe économique fondamental de la psychanalyse et ceci sous sa forme la plus absolue : la tendance au zéro ; donner un statut métapsychologique, dans la théorie des pulsions, aux découvertes toujours plus nombreuses et plus impressionnantes de la recherche psychanalytique concernant le registre de "l'agressivité" ou de la "destructivité". (Laplanche, Vie et mort en psychanalyse, page 133)>>.
(j) Selon Georg Groddeck (lettre à sa femme, le 15 mai 1923), la notion de pulsion de mort est empruntée à Stekel et à Spielrein. On peut encore ajouter Alfred Adler. La pulsion de mort, si elle n'est exprimée qu'en 1920, est dans la continuité de la théorie de l'étayage. Elle soutient les recherches d'une explication commune du sadisme et du masochisme : un sadomasochisme commun à Sade et à Sacher-Masoch (une agressivité tournée vers le sujet). Citation :
- <<Cependant, l'essentiel dans l'affirmation de la pulsion de mort ne réside ni dans la découverte de l'agressivité, ni même dans sa théorisation voire dans le fait de l'hypostasier en une tendance biologique ou métaphysique universelle. Elle est dans l'idée que l'agressivité est d'abord tournée vers le sujet et comme stagnante en lui, avant d'être défléchie vers l'extérieur - le "sujet" étant entendu ici à tous les niveaux, aussi bien l'être biologique le plus élémentaire, le protiste ou la cellule, que l'individu biologique multicellulaire, et, évidement, l'individu humain pris aussi bien comme individualité biologique que comme "vie psychique". (Laplanche, "Vie et mort en psychanalyse", page 135)>>.
(k) Dans son ouvrage "L'homme contre lui-même", le Docteur Menninger (Topeka, Kansas, USA) fait référence à la pulsion de mort. Il adresse un exemplaire à Freud. Le 14 février 1938, par lettre, ce dernier le remercie :
- <<d'autant plus vivement que la pulsion de mort n'avait pas été très appréciée dans les milieux psychanalytiques. (Freud, cité par Georg Markus, dans Sigmund Freud ou les secrets de l'âme, page 18)>>.
(l) De fait, si Freud a contribué à sortir la sexualité du refoulement dans lequel elle se trouvait, pour la pulsion de mort, le retour du refoulé n'est pas arrivé. Et, contrairement à Jésus-Christ, ce retour n'est guère annoncé. Jean Baudrillard a tenté de combler un vide théorique dans "L'échange symbolique et la Mort". Norman O. Brown a reproché aux néo-freudiens (Erich Fromm) d'avoir enterré la pulsion de mort. Tel est le but de son ouvrage "Eros et Thanatos". Pendant ce temps, la mort larvée s'étend, grâce au terrorisme mondial.
- <<Le seul projet reconnaissable en vérité dans les organismes vivants est la mort. Mais, du fait de la complexité initiale de ces organismes, des perturbations capables de les écarter de l'état d'équilibre ont comme conséquence l'apparition d'une complexité encore plus grande dans le processus lui-même de retour à l'équilibre" (Henri Atlan, "Mort ou vif ?", in "L'Organisation biologique et la théorie de l'information", 1972).>>.
(m) Influencé par le modèle de la persécution, propre au marxisme, le psychanalyste matérialiste Wilhelm Reich répugne à parler de pulsion de mort. Son vocabulaire est plus souvent celui d'un complot entre la famille et l'Etat, pour une répression de la sexualité. Pourtant, il opte pour le modèle de la responsabilité. Il démonte les mécanismes par lesquels un fascisme toujours latent, dans la Russie comme ailleurs, s'est emparé du projet de dictature du prolétariat de Lénine. En conclusion, il présente la structure caractérielle de l'homme comme une contradiction entre le désir et la peur. Pour exprimer la même réalité profonde, Freud aurait parlé de la pulsion de vie et de la pulsion de mort. En d'autres termes, La Boétie évoquait la servitude volontaire.
- <<La structure humaine est caractérisée par l'antagonisme entre le désir de liberté et la peur de la liberté. (La Psychologie de Masse du Fascisme, Wilhelm Reich, page 275)>>.
(n) Voir Éternité. Haine. Le livre du ça. Modèle de l'équilibre. Mysticisme. Narcissisme. Nirvana. Psychologie de masse. Répression sexuelle. Thanatos.
* * *
Auteur.
Mis en ligne le Lundi 30 Juin 2008
Explorer les sites.
Consulter les blogs.
Nota Bene.
Les mots en gras sont tous définis dans le cédérom encyclopédique.